J’ai pu revoir cette semaine en DVD le film de Joseph Losey (1909-1984) : Le Messager (The Go-Between). Je l’avais vu à sa sortie en France (15 mai 1971), il y cinquante ans et jamais revu depuis.
Il s’agit de l’ adaptation du roman éponyme de Leslie Poles Hartley (1895-1972), écrit en 1953.
Photographie : Gerry Fisher.
Montage : Reginald Beck.
Musique : Michel Legrand. Cette composition musicale (treize variations sur un thème unique) est obsessionnelle. Elle est aujourd’hui très célèbre, mais ne plaisait pas du tout au départ ni à Losey ni à son monteur.
Distribution: Julie Christie, Alan Bates, Margaret Leighton, Michael Redgrave, Dominic Guard, Michael Gough, Edward Fox.
Joseph Losey a choisi Julie Christie et Alan Bates après les avoir vus dans Loin de la foule déchaînée (John Schlesinger-1967) d’après le roman de Thomas Hardy, publié en 1874. C’est un film que j’aimerais bien aussi revoir. L’adaptation de Thomas Vinterberg en 2015 ne m’a pas laissé un grand souvenir.
Le scénario de The Go-Between est d’ Harold Pinter. Le Prix Nobel de Littérature anglais (2005) a écrit quatre scénarios pour le cinéaste américain, dont seuls les trois premiers ont été réalisés : The Servant (1963), Accident (1967), Le Messager (1971) et Le Scénario Proust (The Proust screenplay-1972). Joseph Losey a dû fuir les États-Unis à cause du maccarthysme en 1952 et s’est exilé au Royaume-Uni. Cette épreuve l’a marqué à jamais.
Le film a obtenu la Palme d’or au Festival de Cannes en 1971. Le grand favori, cette année-là, était Mort à Venise de Luchino Visconti qui obtint seulement le Prix du 25 ème anniversaire du Festival. On trouvait aussi dans la sélection officielle entre autres: Joe Hill (Bo Widerberg), Johnny s’en va-t-en guerre (Dalton Trumbo), Le Souffle au cœur (Louis Malle), Taking Off (Miloš Forman).
Le Messager est un des plus beaux films de Joseph Losey.
L’histoire se passe vers 1900. Un jeune garçon de 12 ans, Leo Colston, (Dominic Guard-Michael Redgrave), issu d’une famille ruinée de la classe moyenne, est invité par un camarade d’école, Marcus Maudsley, à passer les vacances d’été dans le manoir familial aux cent vingt-six pièces de Brandham Hall (Norfolk ). Leo est fasciné par ce milieu aristocratique et surtout par la belle Marian (Julie Christie), la sœur aînée de son ami, qui est fiancée à Lord Trimingham (Edward Fox), un vicomte qui est revenu de la guerre des Boers le visage balafré. Elle profite de la situation et va demander à Leo de porter régulièrement des lettres à son amant, le métayer d’une ferme voisine, Ted Burgess (Alan Bates), pour qu’ils puissent se retrouver clandestinement. Le livre comme le film s’achève sur le retour de Leo au manoir. Á la fin, Marian, très âgée, lui demande à nouveau de lui servir de messager pour révéler à son petit-fils l’identité de son véritable grand-père, Ted Burgess, qui s’est suicidé.
Melton Constable Hall (Brandham Hall dans Le Messager)
Le film commence par le générique qui défile sur les images d’une vitre sur laquelle coulent comme des larmes des gouttes de pluie. Le plan suivant montre le manoir dans la pleine lumière de l’été. La voix-off de Léo âgé (Michael Redgrave) dit : « Le passé est un pays étranger. On fait les choses autrement, là-bas. » (« The past is a foreign country; they do things differently there. »)
Tout au long du film, nous voyons un vieil homme, portant un chapeau melon qui revient vers le manoir par temps de pluie. Le passé et le présent ne font qu’un. Leo, toute sa vie, a été sous l’emprise de Marian qui n’est pas consciente de l’anéantissement psychique dans laquelle elle l’a plongé toute sa vie.
C’est un beau récit d’initiation, mais aussi un film sur les rapports de classes et de domination. L’interpétation est magnifique et très ambiguë. La photo de Gerry Fisher est splendide.
Joseph Losey porte sur le comportement humain et son pouvoir destructeur un regard pessimiste. Il réussit à créer une distance par rapport à l’intrigue tragique et fuit tout sentimentalisme.
Michel Ciment, le directeur de la publication de la revue Positif, insiste sur les thèmes propres à la plupart des films du metteur en scène : l’intrusion d’un corps étranger dans un milieu donné, l’importance du décor (ici le manoir et son grand escalier), le temps. On retient aussi la performance des acteurs, en particulier celle de la sublime Julie Christie. Joseph Losey a beaucoup travaillé pour le théâtre. Il a étudié la mise en scène en Allemagne, en Suède, en Finlande et en U.R.S.S. En 1947, il a créé en étroite collaboration avec Bertolt Brecht La Vie de Galileo Galilei, interprétée par Charles Laughton .
Fuentevaqueros (Granada). Museo-Casa natal de Federico García Lorca. (El Niño de las Pinturas – Raúl Ruiz)
Lluvia
Enero de 1919 (Granada)
La lluvia tiene un vago secreto de ternura, algo de soñolencia resignada y amable, una música humilde se despierta con ella que hace vibrar el alma dormida del paisaje.
Es un besar azul que recibe la Tierra, el mito primitivo que vuelve a realizarse. El contacto ya frío de cielo y tierra viejos con una mansedumbre de atardecer constante.
Es la aurora del fruto. La que nos trae las flores y nos unge de espíritu santo de los mares. La que derrama vida sobre las sementeras y en el alma tristeza de lo que no se sabe.
La nostalgia terrible de una vida perdida, el fatal sentimiento de haber nacido tarde, o la ilusión inquieta de un mañana imposible con la inquietud cercana del color de la carne.
El amor se despierta en el gris de su ritmo, nuestro cielo interior tiene un triunfo de sangre, pero nuestro optimismo se convierte en tristeza al contemplar las gotas muertas en los cristales.
Y son las gotas: ojos de infinito que miran al infinito blanco que les sirvió de madre.
Cada gota de lluvia tiembla en el cristal turbio y le dejan divinas heridas de diamante. Son poetas del agua que han visto y que meditan lo que la muchedumbre de los ríos no sabe.
¡Oh lluvia silenciosa, sin tormentas ni vientos, lluvia mansa y serena de esquila y luz suave, lluvia buena y pacífica que eres la verdadera, la que amorosa y triste sobre las cosas caes!
¡Oh lluvia franciscana que llevas a tus gotas almas de fuentes claras y humildes manantiales! Cuando sobre los campos desciendes lentamente las rosas de mi pecho con tus sonidos abres.
El canto primitivo que dices al silencio y la historia sonora que cuentas al ramaje los comenta llorando mi corazón desierto en un negro y profundo pentágrama sin clave.
Mi alma tiene tristeza de la lluvia serena, tristeza resignada de cosa irrealizable, tengo en el horizonte un lucero encendido y el corazón me impide que corra a contemplarte.
¡Oh lluvia silenciosa que los árboles aman y eres sobre el piano dulzura emocionante; das al alma las mismas nieblas y resonancias que pones en el alma dormida del paisaje!
Libro de poemas, 1921.
Fuentevaqueros (Granada). Museo – Casa natal de Federico García Lorca. Busto del poeta.
Pluie
Janvier 1919 (Grenade)
La pluie a comme un vague secret de tendresse, Plein de résignation, de somnolence aimable. Discrète, une musique avec elle s’éveille Qui fait vibrer l’âme lente du paysage.
C’est un baiser d’azur que la Terre reçoit, Le mythe primitif accompli de nouveau, Le contact d’une terre et d’un ciel déjà froids Dans la douceur d’un soir qui n’en finit jamais.
C’est l’aurore du fruit, la porteuse de fleurs, La purification du Saint-Esprit des mers. C’est elle qui répand la vie sur les semailles Et dans nos cœurs le sentiment de l’inconnu.
La nostalgie terrible d’une vie perdue, Le sentiment fatal d’être arrivé trop tard, L’espérance inquiète d’un futur impossible, Et l’inquiétude, sœur des douleurs de la chair.
Elle éveille l’amour dans le gris de ses rythmes. Notre ciel intérieur s’empourpre de triomphe; mais bientôt nos espoirs en tristesse se changent A contempler sur les carreaux ses gouttes mortes.
Ses gouttes sont les yeux de l’infini qui voient Le blanc de l’infini qui leur donna naissance.
Chaque goutte de pluie en tremblant sur la vitre Y fait, divine, une blessure de diamant, Poétesses de l’eau qui a vu et médite Ce qu’ignore la foule des ruisseaux et des fleuves
Sans orages ni vents, ô pluie silencieuse, Douceur sereine de sonnaille et de lumière, Pacifique bonté, la seule véritable, Qui, amoureuse et triste, sur toute chose tombes,
Ô pluie franciscaine où chaque goutte porte Une âme claire de fontaine et d’humble source, Quand lentement sur la campagne tu descends, Les roses de mon cœur à ta musique s’ouvrent. Le psaume primitif que tu dis au silence, Le conte mélodieux que tu dis aux ramées, Mon cœur dans son désert le répète en pleurant Sur les cinq lignes noires d’une portée sans clé.
J’ai la tristesse en moi de la pluie sereine, Tristesse résignée de l’irréalisable Je vois à l’horizon une étoile allumée Mais mon cœur m’interdit de courir pour la voir.
Tu mets sur le piano une douceur troublante, Ô pluie silencieuse, ô toi qu’aiment les arbres. Tu donnes à mon cœur les vagues résonances Qui vibrent dans l’âme lente du paysage.
Livre de poèmes. Gallimard, 1954. Traduction André Belamich.
Retrato de José Hierro (Rafael Cidoncha). 1998. Biblioteca Nacional de España.
Le poète espagnol José Hierro aurait eu 100 ans hier. Il est né le 3 avril 1922 à Madrid, mais a passé son enfance et son adolescence à Santander. Il a toujours eu la passion de la mer et a gardé un lien très fort avec sa région d’origine, Cantabria. Il doit abandonner ses études au début de la Guerre Civile. Son père, Joaquín Hierro, fonctionnaire du télégraphe, est emprisonné de 1937 à 1941. Lui-même se retrouve en prison pour avoir donné son appui à une organisation d’aide aux prisonniers politiques. Il est jugé deux fois et condamné à douze ans et un jour de réclusion. Il connaîtra les prisons de Madrid (Comendadoras, Torrijos, Porlier), Palencia, Santander, Segovia et Alcalá de Henares.
Son expérience poétique part de l’expérience extrême de l’après-guerre civile et de la prison. Ses maîtres sont Lope de Vega, San Juan de la Cruz, Rubén Darío et Juan Ramón Jiménez. Il donnera le prénom de ce dernier à un de ses fils. Il a aussi beaucoup lu les poètes de la Génération de 1927 ainsi que Baudelaire, Mallarmé et Paul Valéry.
Á sa sortie de prison le premier janvier 1944, José Hierro occupe de nombreux emplois alimentaires. Il épouse en 1949 María de los Ángeles Torres (décédée le 17 juin 2020). Ils auront quatre enfants.
Il obtient en Espagne les plus importants prix littéraires : 1947 Premio Adonáis (Alegría). 1981 Premio Príncipe de Asturias de las Letras. 1995 Premio Reina Sofía de Poesía Iberoamericana 1998 Premio Cervantes, le plus prestigieux de la littérature hispanique.
Il devient membre de la Real Academia Española en 1999.
Son recueil Cuaderno de Nueva York (Le Cahier de New York), publié en 1998 et qui regroupe trente trois poèmes, devient en Espagne un véritable best-seller.
Il meurt le 21 décembre 2002 dans un hôpital madrilène à l’âge de 80 ans d’une insuffisance respiratoire.
La critique espagnole lui rend un hommage unanime.
L’oeuvre de José Hierro est peu traduite en français.
1951 Poèmes (Pierre Seghers). Traduction Roger Noël-Mayer 2014 Tout ce que je sais de moi (Circé). Traduction Emmanuel Le Vagueresse.
Je me souviens d’avoir croisé le vieux poète au visage buriné à Madrid, Paseo de Recoletos, dans les années 1990-2000. Il marchait encore avec une grande vitalité.
El encuentro (José Hierro)
A Rafael Alberti
Diré un día: bienvenido a la casa. Esta es tu lumbre. Bebe en tu copa de vino, mira el cielo, parte el pan. Cuánto has tardado. Anduviste bajo las constelaciones del Sur, navegaste ríos de son diferente. Cuánto duró tu viaje. Te noto cansado. No me preguntes. Da de comer a tus perros, oye la canción del álamo. No me preguntes por nada, no me preguntes.
Si hablase, llorarías. Si enfrentases tus espectros al espejo, seguro que no verías imágenes reflejadas. Lo vivo lejano ha muerto: lo mató el tiempo. Tú solo puedes enterrarlo. Dale tierra mañana, después de descansar. Bienvenido a tu casa. No preguntes nada. Mañana hablaremos.
Libro de las alucinaciones, 1964.
La Rencontre
A Rafael Alberti
Un jour je dirai : bienvenue à la maison. Voici ton feu. Bois ton vin dans ton verre, Regarde le ciel, romps le pain. Comme tu as été long. Tu as erré sous les constellations du Sud, navigué sur les fleuves aux sonorités multiples. Que ton voyage a été long. Je te trouve fatigué. Ne me demande rien. Donne à manger à tes chiens, entends la chanson du peuplier. Ne me pose aucune question, ne me demande rien.
Si je parlais, tu pleurerais. Si tu mettais tes spectres face au miroir, tu ne verrais sans doute aucune image reflétée. La vie lointaine est morte : le temps l’a tuée. Toi seul peux l’enterrer. Jettes-y de la terre demain, quand tu te seras reposé. Bienvenue chez toi. Ne demande rien. Demain nous parlerons.
Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.
Lamentación
Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron!
Prodigiosas palabras jóvenes para herir los oídos viejos. Maravillosas melodías, cantos inéditos. Hemos cantado todos juntos y hemos llorado en el silencio. Aprendimos muy dura ciencia a costa de los propios sueños.
¡Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron! ¡Hemos salvado tan alegres los sombríos presentimientos! Hemos amado cada tallo, cada frío harapo de invierno, cada gota de madrugada con tan loca avidez, sabiendo que éramos carne de una fábula que alguien vivía en el misterio! Tan hermosas canciones! Ráfagas tan ardientes que nos hirieron.
Música de astros interiores que nacían en nuestro reino. Flautas tañidas, en la tarde, por las manos vagas del sueño. ¡Y tantas limpias hermosuras como cayeron! Y girar sin fin en el alba con la oscura palabra dentro, con el cantar a flor de vida ignorando el remoto término.
¡Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron! Y miramos cómo en el aire vuela la música sin dueño, sin que podamos apresarla con nuestros torpes instrumentos.
Alegría. Adonáis, 1947.
Lamentation
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites !
Prodigieuses paroles jeunes pour heurter les ouïes vieilles. Merveilleuses mélodies, chants inédits. Nous avons chanté tous ensemble et nous avons pleuré dans le silence. Nous avons appris une dure science au détriment de nos propres rêves.
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites ! Nous avons évité si gaiement les sombres pressentiments ! Nous avons aimé chaque pousse, chaque froide guenille d’hiver, chaque goutte de petit matin avec une avidité si folle, conscients que nous étions la chair d’une fable vécue par quelqu’un dans le mystère ! Tant de belles chansons ! des rafales si ardentes qu’elles nous ont blessés
Musiques d’astres intérieurs qui naissaient dans notre royaume. Flûtes jouées, le soir venu, par les mains vagues du rêve. Et tant de beautés si limpides qui sont tombées! Et tourner sans fin dans l’aube avec la sombre parole au-dedans, avec le chant à fleur de vie, ignorants de la fin lointaine.
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites ! Et nous regardons dans l’air voler la musique sans maître, sans que nous puissions la saisir avec nos instruments maladroits.
Traduction Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945-1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.
Las nubes
Inútilmente interrogas. Tus ojos miran al cielo. Buscas, detrás de las nubes, huellas que se llevó el viento.
Buscas las manos calientes, los rostros de los que se fueron, el círculo donde yerran tocando sus instrumentos.
Nubes que eran ritmo, canto sin final y sin comienzo, campanas de espumas pálidas volteando su secreto,
palmas de mármol, criaturas girando al compás del tiempo, imitándole a la vida su perpetuo movimiento. Inútilmente interrogas desde tus párpados ciegos. ¿Qué haces mirando a las nubes, José Hierro?
Cuanto sé de mí. Ágora, 1957.
La Bibliothèque Nationale à Madrid, dans le cadre de son centenaire, organisera du 20 octobre 2022 au 22 février 1923, une exposition intitulée: Cuanto sé de mí. José Hierro en su centenario (1922-2022). On y découvrira aussi son talent méconnu de dessinateur.
Á 87 ans, le chanteur Paco Ibáñez va commencer une nouvelle tournée en Espagne et en France. Elle s’appellera : «¡Nos queda la palabra!». Elle commencera au Teatro Coliseum de Madrid le 4 avril. Il chantera aussi à Barcelone, où il vit actuellement, à Valence, où il est né le 20 novembre 1934, à Palma de Mallorca au mois de juin et dans quatre villes françaises. Il chantera en castillan, catalan, galicien, français et italien. Il sera accompagné par Mario Mas à la guitare, Joxan Goikoetxea à l’ accordéon et César Stroscio au bandonéon.
«Me apetecen mucho todos estos conciertos que hemos programado porque, en este momento tan negro que estamos viviendo, es reconfortante reencontrarme con otras almas que, como la mía, necesitan alimento».
«Porque al alma también hay que alimentarla y yo ofrezco mi repertorio a la gente para que les ayude a vivir entre tanta miseria moral y cultural».
” La palabra no sólo reconforta, también te recuerda tus valores, te da criterio, te da voluntad y te ayuda a decir ‘no, por aquí no paso’».
«Las canciones tienen que apuntar a la eternidad. Las que no saben volar no valen la pena. Si haces una canción es para que dure toda la vida».
En prime, un poème peu connu du grand Luis Cernuda :
Vientres sentados (Luis Cernuda)
Con satisfacción Como quienes saben Como quienes tienen en su puño la verdad Bien apresada para que no escape Y con orgullo Como vigilantes de vosotros mismos Domináis a lo largo a lo ancho de la tierra Vosotros vientres sentados.
No hay gas No hay plomo Que tanto levante que tanto lastre proporcione Como vuestra seguridad deletérea Esa seguridad de sentir vuestro saco Bien resguardado por vuestro trasero.
Miráis a un lado y a otro Sonreís rasgando maliciosamente la hedionda boca Y desde allí emitís como el antiguo oráculo Henchidas necedades Dictámenes que se escurren entre las rendijas como ratas
Alado el pie vigoroso El pie juvenil y vigoroso Que derrumbará bien pronto Ese saco henchido de fango de maldad de injusticia Arrastrando consigo vuestro trasero y vientre Vuestra triste persona que mancha el aire El aire limpio y justo Donde hoy nos levantamos Contra vosotros todos Contra vuestra moral contra vuestras leyes Contra vuestra sociedad contra vuestro dios Contra vosotros mismos vientres sentados Con una firme espiga A quien su propia fuerza empuja desde la tierra Para que se abra al sol Para que dé su fruto Fruto de odio y de alegría Fruto de lucha y de reposo.
La verdad está en lucha y en ella os aguardamos Vientres sentados Vientres tendidos Vientres muertos.
Otros Poemas publicados e inéditos – V. Poesía completa– Volumen I.
Luis Cernuda. Séville, La Torre del Oro au bord du Guadalquivir.
Le poète Miguel Hernándezest mort de tuberculose le 28 mars 1942 dans la prison Reformatorio de Alicante, il y a 80 ans. Aujourd’hui, l’aéroport d’Alicante-Elche porte son nom, ainsi que l’Université d’Elche et la récente gare TGV (AVE) d’Orihuela, sa ville natale. Le maire conservateur de Madrid, José Luis Martínez-Almeida (Partido Popular), lui, n’a rien trouvé de mieux que de détruire le monument qui, au cimetière de La Almudena, rappelait qu’entre 1939 et 1945 plus de 2500 personnes condamnées à mort par les tribunaux militaires furent fusillées là. On pouvait aussi y lire des vers du poète.
V. A Miguel Hernández, asesinado en los presidios de España (Pablo Neruda)
Llegaste a mí directamente del Levante. Me traías, pastor de cabras, tu inocencia arrugada, la escolástica de viejas páginas, un olor a Fray Luis, a azahares, al estiércol quemado sobre los montes, y en tu máscara la aspereza cereal de la avena segada y una miel que medía la tierra con tus ojos.
También el ruiseñor en tu boca traías. Un ruiseñor manchado de naranjas, un hilo de incorruptible canto, de fuerza deshojada. Ay, muchacho, en la luz sobrevino la pólvora y tú, con ruiseñor y con fusil, andando bajo la luna y bajo el sol de la batalla.
Ya sabes, hijo mío, cuánto no pude hacer, ya sabes que para mí, de toda la poesía, tú eras el fuego azul. Hoy sobre la tierra pongo mi rostro y te escucho, te escucho, sangre, música, panal agonizante.
No he visto deslumbradora raza como la tuya, ni raíces tan duras, ni manos de soldado, ni he visto nada vivo como tu corazón quemándose en la púrpura de mi propia bandera.
Joven eterno, vives, comunero de antaño, inundado por gérmenes de trigo y primavera, arrugado y oscuro como el metal innato, esperando el minuto que eleve tu armadura.
No estoy solo desde que has muerto. Estoy con los que te buscan. Estoy con los que un día llegarán a vengarte. Tú reconocerás mis pasos entre aquellos que se despeñarán sobre el pecho de España aplastando a Caín para que nos devuelva los rostros enterrados. (…)
Primera publicación: Cultura y democracia (París). Febrero de 1950. Canto general,XII, Los ríos del canto. 1950.
V. A Miguel Hernández, assassiné dans les prisons d’Espagne
Tu vins à moi. Tu arrivais droit du Levant. Tu m’apportais, ô chevrier, ton innocence pleine de rides, la scolastique de vieilles pages, un doux relent de Fray Luis, d’orangers en fleur, de fumier brûlé sur les collines, et sur ton masque la céréale aspérité de l’avoine fauchée, un miel qui mesurait la terre avec les yeux.
Et ta bouche apportait aussi le rossignol. Un rossignol taché d’oranges, le filet d’un chant incorruptible, d’une force effeuillée. Hélas ! dans la clarté on vit surgir la poudre et l’on te vit porter rossignol et fusil sous la lune et sous le soleil de la bataille.
Tu sais, Miguel, tout ce que j’ai pu faire, tu sais bien que de toute la poésie tu étais pour moi le feu bleu. Aujourd’hui contre terre je colle mon visage et j’écoute, je t’écoute, musique, sang, rayon de ruche agonisant.
Je n’ai vu race plus éblouissante que la tienne, ni racines plus dures, ni mains plus dures de soldat, je n’ai rien vu de plus vivant que ton coeur quand il brûla dans la pourpre de mon propre drapeau.
Jeune éternel, tu vis, comunero d’antan, inondé de germes de blé et de printemps, plissé, obscur comme le métal né, en attendant l’instant de lever ton armure.
Non, je ne suis pas seul depuis que tu es mort. Je suis avec ceux qui te cherchent. Avec ceux qui un jour arriveront pour te venger. Tu reconnaîtras mes pas au milieu des pas qui, déferlant sur la poitrine de l’Espagne, écraseront Caïn pour qu’il nous rende les visages enterrés. (…)
Chant général. XII, Les Fleuves du Chant. Gallimard, 1977. Traduction Claude Couffon.
Mar Campelo Moreno, la petite-fille de la soeur du poète, Elvira, a publié le 26 mars une belle lettre à sa grand-mère dans le journal d’information numérique, Público.
Miguel Hernández en la memoria
A Elvira Hernández Gilabert, mi abuela
Querida abuela:
Hace más de 25 años que te fuiste y hoy se cumplen 80 de la última vez que viste a tu hermano Miguel con vida, pero no he olvidado las anécdotas que me contaste una y otra vez desde que era una niña hasta que la maldita enfermedad se llevó tus recuerdos; aunque, incluso cuando habías perdido la capacidad de expresarte, abrías los ojos y algo se removía dentro de ti si veías una foto de tu hermano.
Cómo te reías cuando me contabas las regañinas que le echabas cada vez que “se le iba el santo al cielo” en sus excursiones a la sierra de Orihuela para leer o escribir y tenías que justificarlo con cualquier excusa, o cuando clavaste las contraventanas para que no las abriera en las horas de calor.
También se reía él cuando leías sus poemas y le hacías que te explicara lo que se escondía en cada juego retórico, no descansabas hasta que lo entendías todo. Y cuando lo reprendías por sus expresiones subidas de tono. Siempre sonreías cuando hablabas de vuestra niñez y juventud, se te iluminaban los ojos reviviéndolo y dibujabas la imagen de un muchacho alegre, espontáneo, cariñoso y vital, con una enorme empatía con el sufrimiento ajeno.
Fuisteis compañeros de juegos y siempre cómplices, amigos. Te hablaba de sus lecturas, de su pasión creadora –fuiste la primera lectora de muchos de sus poemas-, de su deseo vehemente de ir a Madrid, pero también de sus vivencias, de sus amigos, de las mujeres a las que amó… Con esa atención al detalle que tenías que reprimir entre risas pudorosas: “Miguel, no me cuentes esas cosas”.
Con esa sonrisa tuya de medio lado, me contabas que tu madre y tú ordeñabais las cabras por segunda vez para sacar unas perricas que le enviabais a Miguel para que sobreviviera en Madrid.
Te casaste y te fuiste a Madrid con tu marido y tu hija (mi madre); el tío Miguel volvió a Madrid en esa misma época y, aunque vivía en una pensión, iba casi a diario a tu casa a comer y a que le lavaras la ropa.
Cuando leíste la elegía que le escribió a su amigo Manolo, que había muerto ahogado, le pediste que no la publicara porque causaría más dolor y te la regaló para que hicieras con ella lo que quisieras. Tú la guardaste en tu carpeta de los tesoros, la que contenía todos los recortes de prensa en los que se hablaba de él; esa carpeta que fue creciendo durante el resto de tu vida con cada carta suya, cada foto, cada publicación, cada referencia a tu hermano por mínima que fuera.
¿Por qué tuvo que volver a Orihuela cuando acabó la guerra? ¿Por qué no escuchó a vuestro padre cuando le dijo “vete, Miguel, que ahora viene el exterminio”? Porque quería abrazar a su familia y se sabía inocente. Y lo encarcelaron en el Seminario, en esa sierra en la que le gustaba perderse para escribir, para leer, para empaparse de naturaleza.
Sus cartas desde la cárcel trataban de transmitir esperanza, incluso se permitía alguna broma; os ocultó que lo habían condenado a muerte hasta que le conmutaron la pena por cadena perpetua. Esas cartas que llegaban censuradas o escondidas en el borde de las lecheras, escritas en papel higiénico. Y tú escribías o visitabas a cualquiera que pudiera interceder para su excarcelación.
Ya vivías en Alicante cuando lo trasladaron al Reformatorio de Adultos, la que sería su última cárcel. Caminabas hasta allí cada vez que se permitía una “comunicación” y le llevabas los alimentos que enviaban tus padres desde Orihuela y los que podías conseguir a través del estraperlo; esas lecheras que tanto costaba llenar y que los carceleros dejaban caer.
El día de las Mercedes los niños podían visitar a los presos y entraban su hijo y los tres tuyos. Mi madre, con siete años, era la mayor y le hacías memorizar los mensajes que querías transmitirle. Cuando salían, la interpelabas para que repitiera cada palabra de tu hermano.
Me hablabas de aquel día que fuiste a verlo con Josefina: no tenía fuerzas para caminar y se apoyaba en dos compañeros. Cuando os vio, se irguió, hinchó el pecho y sonrió:
Miguel, qué bien te veo, ¿estás mejor?
Han venido a ofrecerme dinero y la libertad si me retracto de todo lo que he escrito y pongo mi pluma al servicio del régimen.
¡Habrás dicho que sí!
He dicho que no.
“Ése era mi hermano”, concluías.
Su salud empeoraba. Recorrías Alicante de punta a punta sin descanso buscando una recomendación que traspasara el bloqueo para que lo visitara un médico, hasta que lo conseguiste. Lo ayudó a respirar mejor aunque, sin los medios suficientes, no podía hacer más. Lo ideal era trasladarlo al sanatorio para tuberculosos de Porta Coeli, donde, fuera de la insalubridad de la prisión, se recuperaría. Pero mientras tu hermano no accediera a volver al seno de la iglesia, era imposible.
Se te rompía el corazón cuando entrabas a visitarlo a la enfermería y lo encontrabas ahogándose entre suciedad. Lo lavabas, lo vestías con ropa limpia y le extraías el líquido de los pulmones como te había enseñado el médico.
Consciente de que se acercaba el final, accedió a casarse por la iglesia, postrado en la cama, para proteger a su familia (los matrimonios civiles habían quedado invalidados). Pocos días después se aprobó el traslado a Porta Coeli, pero ya era tarde.
La noche del 27 de marzo fuiste a visitarlo con Josefina, se te quebraba la voz cuando me contabas que lo aseaste y lo ayudaste a respirar por última vez. Murió esa madrugada.
Y llegaron los años del silencio, del miedo a pronunciar su nombre, de la hipocresía, de los libros de Losada llegados misteriosamente desde Argentina, de las conversaciones a media voz. Te indignaba la injusticia, el odio y las mentiras, siempre las mentiras. Me hablabas del tío Miguel entre murmullos y me pedías que bajara la voz cuando te pedía detalles: “No cuentes nada”, “no te signifiques”. Pues ahora lo estoy contando, abuela, mi memoria es tu memoria.
Ya en democracia, ibas a todos los actos y accedías a casi cualquier entrevista. Te quedabas exhausta, pero era tu “deber” homenajear y propagar el nombre y la obra de tu hermano. Esa fue la labor de toda tu vida.
Te habría encantado saber que 2017 fue el “Año de Miguel Hernández”, a ti que te preocupaba tanto que lo hicieran desaparecer. Que de vez en cuando doy una charla sobre ese legado de recuerdos que me regalaste. Que publiqué la elegía a Manolo, como tú querías. Que la cama de tu hermano (que te acompañó a todos los lugares donde viviste) está ahora en su cuarto, en la casa de la calle de Arriba, que ahora se llama de Miguel Hernández, y que es su casa-museo. No lo han olvidado, abuela, hasta la estación de tren lleva su nombre, y un aeropuerto, y una universidad, y colegios, y centros culturales.
Descansa en paz, abuela, la poesía de tu hermano resuena en todo el mundo; su nombre está marcado a fuego; y yo seguiré compartiendo este legado que me transmitiste hasta dejarlo grabado en mi memoria. Miguel Hernández es, indiscutiblemente, un gran poeta; pero para mí siempre será el tío Miguel.
Elvira Hernández, la soeur du poète (1908-1996), fleurit la tombe du poète.
Le colonel Antonio Vallejo-Nágera (1889-1960) dirigea les Services Psychiatriques de l’armée franquiste et créa le 23 août 1938 avec l’accord du général Franco le Cabinet d’investigations psychologiques (Gabinete de Investigaciones Psicológicas). Cet organisme n’avait pas d’autre précédent que L’Ahnenerbe (ou plus exactement Ahnenerbe Forschungs und Lehrgemeinschaft, c’est-à-dire la Société pour la recherche et l’enseignement sur l’héritage ancestral ), institut de recherches pluridisciplinaire nazi, créé par Heinrich Himmler, Herman Wirth et Walther Darré le 1er juillet 1935. On surnomme parfois Vallejo-Nágera, qui sera aussi professeur de psychiatrie à l’Université de Madrid de 1947 à 1959, le “Mengele espagnol”.
Paul Preston. Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945 (The Spanish : Inquisition and Extermination in Twentieth-Century Spain, 2012). Éditions Tallandier. Collection Texto. 2019. Pages 779-781.
” En 1943, plus de dix mille enfants sont placés dans des orphelinats religieux. La justification de cette politique est fournie par le chef des services psychiatriques de l’armée rebelle, le commandant Antonio Vallejo-Nágera.
Obsédé par un besoin de pureté raciale, Vallejo a écrit en 1934 un livre défendant la castration des psychopathes. Membre du corps médical de l’armée, il a servi au Maroc et a passé du temps en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale pour visiter les camps de prisonniers. Il a aussi rencontré les psychiatres allemands Ernst Kretschmer, Julius Schwalbe et Hans Walter Gruhle, dont le travail l’influence profondément. Pendant la guerre civile, il est nommé chef des services psychiatriques de l’armée rebelle. En août 1938, il demande à Franco la permission de créer le Laboratoire des enquêtes psychologiques. Deux semaines plus tard, il en reçoit l’autorisation. Son but est de pathologiser les idées de gauche. Pour le plus grand bonheur du haut commandement militaire, ses travaux fournissent des arguments « scientifiques » justifiant l’idée que les adversaires sont des sous-hommes, et il est promu colonel.
Vallejo est à la recherche des facteurs environnementaux qui favorisent “le gène rouge” et des liens entre marxisme et déficience mentale; cette quête prend la forme de tests psychologiques réalisés sur des prisonniers déjà épuisés et mentalement angoissés. Son équipe se compose de deux médecins, d’un criminologue et de deux conseillers scientifiques allemands. Ses cobayes sont des membres des Brigades internationales capturés à san Pedro de Cardeña et cinquante détenues républicaines de Málaga, dont trente ont été condamnées à mort. Partant du principe qu’elles sont dégénérées et donc enclines à la criminalité marxiste, il explique la “criminalité révolutionnaire féminine” en référence à la nature animale de la psyché féminine et la “nature sadique marquée” qui se donne libre cours quand les circonstances politiques permettent aux femmes de “satisfaire leurs appétits sexuels latents”.
Les théories de Vallejo sont utilisées pour justifier la séquestration d’enfants républicains et sont rassemblées dans un livre intitulé Eugénisme de l’hispanité et régénération de la race (Burgos, Talleres gráficos El Noticiero, 1937). Plus écologique que biologique ce racisme eugéniste postule qu’une race est constituée par une série de valeurs culturelles. En Espagne, ces valeurs, bases indispensables de la santé nationale, sont hiérarchiques, militaires et patriotiques. Tout ce que la République et la gauche représentent leur est hostile et doit donc être éradiqué. Obsédé par ce qu’il appelle “la tâche transcendante de purification de la race”, son modèle est l’Inquisition qui a autrefois protégé l’Espagne l’Espagne des doctrines nocives. Il préconise “une Inquisition modernisée, avec d’autres orientations, buts, moyens et une autre organisation; mais une Inquisition” tout de même. La santé de la race exige que ses enfants soient séparés de leur mère “rouge”.
L’application de ces théories est facilitée par les liens de Vallejo avec Franco (dont l’épouse, Carmen Polo, est une amie de sa femme) et avec la Phalange. Reprenant ses travaux sur les liens entre marxisme et déficience mentale, il consacre un livre à la psychopathologie de la guerre, qu’il dédie “en hommage respectueux et admiratif à l’impérial et invaincu Caudillo”. Vallejo a aussi un lien direct avec l’organisation du régime qui veille sur les orphelins de guerre, Auxilio social, par le biais de son ami le psychiatre Jesús Ercilla Ortega (1907-1984). Ami proche d’Onésimo Redondo, Ercilla est l’un des fondateurs des JONS (Juntas de Ofensiva Nacional-Sindicalista), membre du comité exécutif d’Auxilio social, il en est le conseiller médical et assure la liaison avec d’autres groupes. Après la guerre, Ercilla est nommé directeur médical de la clinique psychiatrique de San José, à Ciempozuelos, que dirige officiellement Vallejo Nágera. Franco lui-même est enthousiasmé par le travail d’Auxilio social avec les orphelins républicains, et y voit une contribution majeure à la “rédemption” à long terme des espagnols après leurs erreurs inspirées par la gauche. Un élément-clé du processus est la loi du 14 décembre 1941, qui légalise le changement de nom des orphelins républicains, des enfants de prisonniers incapables de veiller sur eux, et des bébés retirés (souvent par la force) à leur mère aussitôt après leur naissance en prison.”
J’ai passé plusieurs jours à lire un livre de l’historien anglais Paul Preston, professeur d’études contemporaines en espagnol à la London School of Economics, maintenant à la retraite: Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945 (The Spanish : Inquisition and Extermination in Twentieth-Century Spain, 2012). Première édition Belin/ Humensis, 2016. En poche: Éditions Tallandier. Collection Texto, 2019. On remarquera la traduction du titre en français qui évite l’emploi du terme Holocauste utilisé en France seulement dans le cadre de l’extermination nazie.
Cette lecture a été très douloureuse car elle décrit dans le détail la terreur et les atrocités innombrables de la guerre civile espagnole.
L’historien anglais insiste sur l’idée d’une guerre d’extermination dans laquelle la violence de droite a débouché sur un plan d’élimination systématique des adversaires de gauche. Il montre ce que fut la réalité de la violence politique et de la guerre dans toute l’Espagne. Il met en lumière la violence profondément enracinée dans les rapports sociaux et dans les pratiques militaires, notamment celles ayant cours dans le Maroc colonisé par l’Espagne: viols systématiques, tortures, sadisme, mépris des cadavres, assassinat de femmes enceintes.
Néanmoins, il ne montre pas de complaisance pour les massacres perpétrées par les républicains. Ainsi, à Paracuellos de Jarama, par exemple, au nord-est de Madrid, 2 500 prisonniers politiques furent tués par les républicains entre le 7 novembre et le 4 décembre 1936.
“Pendant la guerre civile espagnole, près de 200 000 hommes et femmes périrent derrière les lignes de combats, victimes d’exécutions sommaires ou après un semblant de procès. Ils furent tués à la suite du coup d’État militaire des 17 et 18 juillet 1936 contre la seconde République. De plus, près de 200 000 hommes périrent sur les différents fronts. Un nombre inconnu d’hommes, de femmes et d’enfants furent tués par des bombardements et dans l’exode qui suivit l’occupation par les forces militaires de Franco. Après la victoire des rebelles, fin mars 1939, environ 20 000 Républicains furent exécutés dans toute l’Espagne. Bien d’autres moururent de maladie et de malnutrition dans des prisons surpeuplées et des camps de concentration aux conditions d’hygiène déplorables. Certains succombèrent au travail forcé dans des bataillons de travail. Plus d’un demi-million de réfugiés furent contraints à l’exil et nombre d’entre eux moururent dans les camps français. Dans le maelström du passage de la frontière puis de l’internement improvisé en France, pas moins de 14 000 civils et militaires espagnols périrent des suites de blessures de guerre, mais aussi de malnutrition et de maladie, pour l’essentiel dans les premières semaines de la Retirada. Plusieurs milliers furent tués au travail dans les camps nazis.” (Prologue, page 9)
Federico García Lorca entrevistado por el periodista de La Voz, Felipe Morales. 7 de abril de 1936.
«La poésie, c’est quelque chose qui marche par les rues. Qui se meut, qui passe à côté de nous. Toutes les choses ont leur mystère, et la poésie, c’est le mystère de toutes les choses. On passe près d’un homme, on regarde une femme, on remarque l’allure oblique d’un chien, et c’est en chacun de ces objets humains que réside la poésie. »
« Le jour où, sur Terre, la famine sera enrayée, il se produira la plus grande explosion spirituelle que le monde ait jamais connue. L’humanité ne peut imaginer la joie qui éclatera dans le monde le jour de cette grande révolution. »
Entrevista de Felipe Morales a Federico García Lorca. La Voz de Madrid, 7 de Abril de 1936.
Qué es la poesía y el teatro
En la calle, la lluvia, y el cristal, en la ventana. Mañana de abril. Sol y barro. Federico García Lorca se asoma a un paisaje de chimeneas muertas y de nubes paralizadas. Es un cuarto piso de la calle de Alcalá, donde no llegan los gritos de vendedores ni la emoción de las aventuras.
Federico, ¿qué es la poesía? (La habitación es pequeña. En un rincón se muere sin remedio una maceta de flores rojas.) La poesía es algo que anda por las calles. Que se mueve, que pasa a nuestro lado. Todas las cosas tienen su misterio, y la poesía es el misterio que tienen todas las cosas. Se pasa junto a un hombre, se mira a una mujer, se adivina la marcha oblicua de un perro, y en cada uno de estos objetos humanos está la poesía.
“La poesía es algo que anda por las calles…” (El poeta se ha metido más dentro de sí mismo. Sus ojos, vistos por mí en el espejo de la pared de enfrente, miran sin mirada.) Por eso yo no concibo la poesía como abstracción, sino como cosa real existente, que ha pasado junto a mí. Todas las personas de mis poemas han sido. Lo principal es dar con la llave de la poesía. Cuando más tranquilo se está, entonces, ¡zas!, se abre la llave, y el poema acude con su forma brillante. No se puede hablar de si el hombre es un objeto más sugeridor que la mujer. Con ello respondo a tu pregunta. No, no se puede hablar.
Naturalmente que en la poesía vive un problema sexual, si el poema es de amor, o un problema cósmico, si el poema busca la batalla con los abismos. La poesía no tiene límites. Nos puede esperar sentada en el quicio de la puerta en las madrugadas frías, cuando se vuelve con los pies cansados y el cuello del abrigo subido. Puede estar esperándonos en el agua de una fuente, subida en la flor de un olivo, puesta a secar en la tela blanca de una azotea. Lo que no puede hacerse es proponerse una poesía con la rigurosidad matemática del que va a comprar litro y medio de aceite.
Casa de Federico García Lorca. Madrid, Calle de Alcalá n°96. Séptimo piso.
El teatro fue siempre mi vocación. He dado al teatro muchas horas de mi vida. Tengo un concepto del teatro en cierta forma personal y resistente. El teatro es la poesía que se levanta del libro y se necesita que los personajes que aparezcan en la escena lleven un traje de poesía y al mismo tiempo que se les vean los huesos, la sangre. Han de ser tan humanos, tan horrorosamente trágicos y ligados a la vida y al día con una fuerza tal, que muestren sus traiciones, que se aprecien sus olores y que salga a los labios toda la valentía de sus palabras llenas de amor o de ascos. Lo que no puede continuar es la supervivencia de los personajes dramáticos que hoy suben a los escenarios llevados de la mano de sus autores. Son personajes huecos, vacíos totalmente, a los que sólo es posible ver a través del chaleco un reloj parado, un hueso falso o una caca de gato de esas que hay en los desvanes.
Hoy en España, la generalidad de los autores y de los actores ocupan una zona apenas intermedia. Se escribe en el teatro para el piso principal y se quedan sin satisfacer la parte de butacas y los pisos del paraíso. Escribir para el piso principal es lo más triste del mundo. El público que va a ver cosas queda defraudado. Y el público virgen, el público ingenuo, que es el pueblo, no comprende cómo se le habla de problemas despreciados por él en los patios de la vecindad. En parte tienen la culpa los actores.
No es que sean malas personas, pero… “Oiga, Fulanito -aquí un nombre de autor- , quiero que me haga usted una comedia en la que yo… haga de yo. Sí, sí; yo quiero hacer esto y lo otro. Quiero estrenar un traje de primavera. Me gusta tener veintitrés años. No lo olvide.” Y así no se puede hacer teatro. Así lo que se hace es perpetuar una dama joven a través de los tiempos y un galán a despecho de la arteriosclerosis.
¿Y tu teatro? Yo en el teatro he seguido una trayectoria definida. Mis primeras comedias son irrepresentables. Ahora creo que una de ellas, Así que pasen cinco años, va a ser representada por el Club Anfistora. En estas comedias imposibles está mi verdadero propósito. Pero para demostrar una personalidad y tener derecho al respeto he dado otras cosas. Escribo cuando me place. No soy de los autores al uso que siguen la teoría de una obrita todos los años.
Mi última comedia, Doña Rosita o el lenguaje de las flores, la concebí en el año mil novecientos veinticuatro. Mi amigo Moreno Villa me dijo: “Había una vez una rosa…” Y cuando acabó el cuento maravilloso de la rosa, yo tenía hecha mi comedia. Se me apareció terminada, única, imposible de reformar. Y sin embargo, no la he escrito hasta mil novecientos treinta y seis. Han sido los años los que han bordado las escenas y han puesto versos a la historia de la flor.
Ahora estoy trabajando en una nueva comedia. Ya no será como las anteriores. Ahora es una obra en la que no puedo escribir nada, ni una línea, porque se han desatado y andan por los aires la verdad y la mentira, el hambre y la poesía. Se me ha escapado de las páginas. La verdad de la comedia es un problema religioso y económico-social. El mundo está detenido ante el hambre que asola a los pueblos.
Mientras haya desequilibrio económico, el mundo no piensa. Yo lo tengo visto. Van dos hombes por la orilla de un río. Uno es rico, otro es pobre. Uno lleva la barriga llena, y el otro pone sucio al aire con sus bostezos. Y el rico dice: “¡Oh, qué barca más linda se ve por el agua! Mire, mire usted, el lirio que florece en la orilla.” Y el pobre reza: “Tengo hambre, no veo nada. Tengo hambre, mucha hambre.” Natural. El día que el hambre desaparezca, va a producirse en el mundo la explosión espiritual más grande que jamás conoció la Humanidad. Nunca jamás se podrán figurar los hombres la alegría que estallará el día de la Gran revolución. ¿Verdad que te estoy hablando en socialista puro?
Y ahora, a Méjico. Espero un cable de Margarita Xirgu. Será en este mes. Pienso marchar directamente a Nueva York, donde ya estuve viviendo un año. En Nueva York quiero saludar a antiguos amigos, que son yanquis amigos de España. Nueva York es terrible. Algo monstruoso. A mí me gusta andar por las calles, perdido; pero reconozco que Nueva York es la gran mentira del mundo. Los ingleses han llevado allí una civilización sin raíces. Han levantado casas y casas; pero no han ahondado en la tierrra. Se vive para arriba, para arriba… Pero así como en la América de abajo nosotros dejamos a Cervantes, los ingleses en la América de arriba no han dejado su Shakespeare.
(Hay una pausa) Desde Nueva York voy directamente a Méjico. Cinco días de tren. ¡Que felicidad! En el tren veo cambiar las cosas, sucederse los paisajes y las vacas tristes. Pero nadie me habla. Tú te habrás fijado que en el tren no cabe el diálogo. Te preguntan algo y tú dices: “¡Hum!”, con la cabeza, y ya está. Lo contrario que en el barco, donde siempre te encuentras acodadas en la borda a todas las personas que te son antipáticas.
En Méjico presenciaré mis estrenos y daré una conferencia sobre Quevedo. ¡Ah! ¡Qué gran injusticia se ha cometido con Quevedo! Es el poeta más interesante de España. Mi amistad con Quevedo data de pocos años. Fue un acercamiento melancólico. En un viaje por la Mancha, me detuve en el pueblo de Infantes. La plaza del pueblo, desierta. La Torre de Juan Abad. Y muy cerca, la iglesia oscura, con carátula de los Austrias. En la iglesia sin luz se oían los aullidos de una niña del pueblo que cantaba a los dioses. Entré sobrecogido. Y allí estaba Quevedo, solo, enterrado, perpetuando la injusticia de su muerte. Me parecía que acababa de asistir a su entierro. Sí; yo le había acompañado en una comitiva de golillas y golfainas. Hablaré en Méjico de Quevedo, porque Quevedo es España.
Deux poèmes relus ce matin un peu par hasard et qui n’ont pas grand chose à voir. Deux traductions en français d’une qualité inégale. Ils m’aident pourtant à commencer la journée malgré la fatigue et les maux.
Medialuz (César Vallejo)
He soñado una fuga. Y he soñado tus encajes dispersos en la alcoba. A lo largo de un muelle, alguna madre; y sus quince años dando el seno a una hora.
He soñado una fuga. Un “para siempre” suspirado en la escala de una proa; he soñado una madre; unas frescas matitas de verdura, y el ajuar constelado de una aurora.
A lo largo de un muelle… Y a lo largo de un cuello que se ahoga!
Los heraldos negros, 1918.
Demijour
J’ai revé d’une fugue. Et j’ai revé de tes dentelles éparses dans l’alcôve. Tout au long d’un quai, une mère ; et ses quinze ans allaitant l’heure.
J’ai revé d’une fugue. D’un “ pour toujours ” soupiré sur l’échelle d’une proue ; j’ai rêvé d’une mère ; de fraîches petites touffes vertes, et du trousseau constellé d’une aurore;
Tout au long d’un quai… et tout au long d’un cou qui se noie !
Les hérauts noirs. In Poésie complète. Traduction Gérard de Constanze. Flammarion, 1983.
Lo perdido ( Jorge Luis Borges )
¿Dónde estará mi vida, la que pudo haber sido y no fue, la venturosa o la de triste horror, esa otra cosa que pudo ser la espada o el escudo
y que no fue? ¿Dónde estará el perdido antepasado persa o el noruego, dónde el azar de no quedarme ciego, dónde el ancla y el mar, dónde el olvido
de ser quien soy? ¿Dónde estará la pura noche que al rudo labrador confía el iletrado y laborioso día,
según lo quiere la literatura? Pienso también en esa compañera que me esperaba, y que tal vez me espera.
El oro de los tigres, 1972.
Ce qui est perdu
Où est-elle ma vie, celle qui put Avoir été et ne fut pas, la chanceuse Ou celle de l’horreur triste, cette autre chose Qui aurait pu être l’épée ou l’écu
Et ne fut pas ? Où est-il l’ancêtre Perdu perse ou le norvégien Où le hasard de ne pas devenir aveugle, Où l’ancre et la mer, où l’oubli
D’être qui je suis ? Où est-elle la pure Nuit qui au rude laboureur confie Le jour illettré et laborieux
Selon le vœu de la littérature ? Je pense aussi à cette compagne Qui m’attendait, et qui peut-être m’attend.
L’or des tigres, 1972. Gallimard, 2014. Traduction Silvia Baron Supervielle.
Ludmila Oulitskaïa contre la guerre en Ukraine : « Le destin du pays est dirigé par la folie d’un seul homme »
Aujourd’hui, 24 février 2022, la guerre a éclaté. Je pensais que ma génération, celle qui est née pendant la Seconde Guerre mondiale, avait de la chance, et que nous allions vivre sans avoir connu de guerre jusqu’à notre mort qui serait, comme promis dans les Évangiles, « paisible, sans douleur et sans reproche ». Mais non. On dirait bien que ce ne sera pas le cas. Et nul ne sait à quoi vont aboutir les événements de cette journée dramatique.
Le destin du pays est dirigé par la folie d’un seul homme et de ses complices dévoués. On ne peut que faire des suppositions sur ce que les manuels d’histoire en diront dans cinquante ans. De la douleur, de la peur, de la honte – voilà les sentiments que l’on éprouve aujourd’hui.
De la douleur, parce que la guerre s’en prend au vivant, à l’herbe et aux arbres, aux animaux et à leur descendance, aux êtres humains et à leurs enfants.
De la peur, parce qu’il existe chez tous les êtres vivants un instinct de conservation biologique qui les pousse à protéger leur vie et celle de leur descendance.
De la honte, parce que la responsabilité des dirigeants de notre pays dans le développement de cette situation pouvant entraîner d’immenses malheurs pour toute l’humanité est évidente.
Cette responsabilité, nous la partageons tous nous aussi, qui sommes contemporains de ces événements dramatiques et qui n’avons pas su les prévoir ni les arrêter. Il faut absolument stopper cette guerre qui se déchaîne de plus en plus à chaque minute qui passe, et résister à la propagande mensongère dont tous les médias inondent notre population.
(Texte traduit du russe par Sophie Benech)
Ce n’était que la peste. Scénario. Traduction: Sophie Benech. Hors série Littérature, Gallimard, 2021. Moscou, 1939. Le biologiste Rudolf Mayer a parcouru plus de huit cents kilomètres pour présenter aux autorités ses recherches sur une souche hautement virulente de la peste. Ce n’est qu’après cette réunion qu’il comprend qu’il a été contaminé, et que toutes les personnes qu’il a croisées peuvent l’être également. La police soviétique déploie alors un très efficace plan de mise en quarantaine. Mais en ces années de Grandes Purges, une mise à l’isolement ressemble à une arrestation politique, et les réactions des uns et des autres peuvent être surprenantes. Ce texte date de 1988. Ludmila Oulitskaïa donne à voir ce qui peut se passer lorsqu’une épidémie éclate au cœur d’un régime totalitaire. Ce texte inédit a été découvert en Russie au printemps 2020.