John Cornford 2

John Cornford 1934.

L’évocation du poète anglais John Cornford me renvoie à la petite collection Maspéro, éditée par les Éditions Maspero entre 1967 et 1982, date de vente de la maison d’édition. Cette collection fut essentielle dans notre formation après 1968. J’en possède une vingtaine de titres. Leur couverture pastel les rend immédiatement identifiables. Je tiens particulièrement aux deux tomes du Romancero de la résistance espagnole. Ce sont deux recueils en édition bilingue, publiés par Dario Puccini en Italie en 1960 et en 1967 en France. On y trouve, entre autres, un poème de John Cornford.

To Margot Heinemann (John Cornford)

Heart of the heartless world,
Dear heart, the thought of you
Is the pain at my side,
The shadow that chills my view.

The wind rises in the evening,
Reminds that autumn’s near.
I am afraid to lose you,
I am afraid of my fear.

On the last mile to Huesca,
The last fence for our pride,
Think so kindly, dear, that I
Sense you at my side.

And if bad luck should lay my strength
Into the shallow grave,
Remember all the good you can;
Don’t forget my love.

A Margot Heinemann

Coeur du monde sans coeur,
cher coeur, la pensée de toi
est l’épine à mon flanc,
l’ombre qui glace ma vue.

Le vent se lève dans le soir,
rappelant l’automne proche.
J’ai peur de te perdre,
j’ai peur de ma peur.

Au dernier mile avant Huesca,
dernière barrière à notre orgueil,
songe, mon amour, avec tant de douceur
que je te sente auprès de moi.

Et si la malchance couchait ma force
en la tombe peu profonde,
rappelle-toi tout le bien possible;
n’oublie pas mon amour.

(Traduit par Michèle Mangin)

A Margot Heinemann

Alma del mundo desalmado,
alma mía, tu recuerdo
es el dolor que siento en mi costado,
la sombra que ensombrece cuanto veo.

Al atardecer se alza el viento
a recordarnos que el otoño viene,
yo, yo tengo miedo a perderte,
y tengo miedo a mi miedo.

Camino de Huesca, en el último tramo,
última barrera para nuestro honor,
tan tiernamente pienso en ti, mi amor,
como si tú estuvieras a mi lado.

Y si la suerte acaba con mi vida
dentro de una fosa mal cavada,
acuérdate de toda nuestra dicha;
no olvides que yo te amaba.

(Traduction de José Agustín Goytisolo)

La traduction espagnole me semble meilleure que la française.

L’historien Eric Hobsbawm (1917-2012) écrit que Margot Heinemann (1913-1992) fut la personne qui eut le plus d’influence sur lui.

La municipalité de Lopera, dans la province de Jaén en Andalousie, a inauguré en 1999 un Jardín de los poetas ingleses où se trouve un monument en hommage à Ralph Fox, John Cornford et aux brigadistes morts lors de la bataille de décembre 1936.

Lopera (Jaén) Jardín de los Poetas Ingleses Monumento dedicado a los brigadistas (Jacobo Gálvez) 1999

John Cornford 1

J’ai acheté cette semaine chez Gibert le roman de Javier Reverte, Banderas en la niebla. J’avais lu avec interêt il y quelque temps El tiempo de los héroes (2013), qui évoquait la figure du général républicain espagnol, Juan Modesto (1906-1969). Ce nouveau roman traite des combats sur le front d’Andalousie pendant la Guerre Civile espagnole et bien sûr de la bataille de Lopera (Jaén) qui se déroula du 27 au 29 décembre 1936. Des centaines de brigadistes de la XIV Brigade Internationale moururent alors. Parmi eux se trouvaient les poètes anglais Ralph Fox (1900-1936) et John Cornford (1915-1936). Dans son épilogue, Javier Reverte nous dit que plusieurs poèmes ont été écrits en mémoire du jeune poète John Cornford, arrière-petit-fils de Charles Darwin. Il se réfère surtout à un poème de José María Valverde (1926-1996) qui aurait situé la bataille de Lopera dans la province de Cordoue et non dans celle de Jaén. Il commet lui-même une erreur puisqu’il confond José María Valverde et un poète bien plus important, José Ángel Valente (1929-2000) qui fait partie de la Génération de 1950.

John Cornford, 1936 (José Ángel Valente)

                           Only in constant action was his constant certainty found.
                           He will throw a longer shadow as time recedes.

John Cornford, veintiún años
ametrallados sobre el aire
en que han nacido estas palabras.

El corazón de los fusiles
siguió latiendo inútilmente
cuando ya nunca alcanzaría
el rastro claro tu sangre.

Esto fue en Córdoba, en diciembre
en las montañas, combatiendo.

Después cayó, como dijiste,
la noche larga sobre Europa.
Los poetas retrocedieron
a su pasión consolatoria
y aquellas horas de amistad
en un ejército del pueblo
fueron borradas con la cola
subrepticia de la tristeza
en el tumulto repentino.

Así pasó, en efecto, todo.
Los años treinta en estampida
with the unnemployed demonstrators
carring «the coffin» to the Station.
Palidecieron los retratos.
Cedió el viento y se fue el público
y cundió la desesperanza.

Otros cayeron,
Entre el humo
de las ruinas y otras cosas
no apaciguadas por el tiempo
se levanta tu cuerpo joven.
De tú a tú puedes hablarnos
John Cornford, hermano nuestro,
de tú a tú como se hablan
en la verdad los hombres vivos.

Al rehacer aquella hora
cuento despacio tus palabras.
La inteligencia aún se pasea
en tren de lujo por los versos
mientras espera que otros caigan
para sentir horror de pronto.

Mas para ti solo fue uno
el camino de la certeza.
No quisiste huir de la vida
con el disfraz del pensamiento.

Así estás igual a ti mismo
con la pasión que aquí te trajo.
Un solo acto de vida y muerte,
la fe y el verso un solo acto.
Ametrallados, no vencidos,
Veintiún años, en diciembre,
Córdoba sola, un solo acto
tu juventud y la esperanza.

Obra poética 1. Punto cero (1953-1976)

José Ángel Valente en su casa de Almería.

Pequeño vals vienés (Federico García Lorca)

Federico García Lorca Columbia University (María Antonieta Rivas y dos amigos sin identificar) Otoño de 1929.

En Viena hay diez muchachas,
un hombro donde solloza la muerte
y un bosque de palomas disecadas.
Hay un fragmento de la mañana
en el museo de la escarcha.
Hay un salón con mil ventanas.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals con la boca cerrada.

Este vals, este vals, este vals,
de sí, de muerte y de coñac
que moja su cola en el mar.

Te quiero, te quiero, te quiero,
con la butaca y el libro muerto,
por el melancólico pasillo,
en el oscuro desván del lirio,
en nuestra cama de la luna
y en la danza que sueña la tortuga.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals de quebrada cintura.

En Viena hay cuatro espejos
donde juegan tu boca y los ecos.
Hay una muerte para piano
que pinta de azul a los muchachos.
Hay mendigos por los tejados.
Hay frescas guirnaldas de llanto.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals que se muere en mis brazos.

Porque te quiero, te quiero, amor mío,
en el desván donde juegan los niños,
soñando viejas luces de Hungría
por los rumores de la tarde tibia,
viendo ovejas y lirios de nieve
por el silencio oscuro de tu frente.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals del “Te quiero siempre”.

En Viena bailaré contigo
con un disfraz que tenga
cabeza de río.
¡Mira qué orilla tengo de jacintos!
Dejaré mi boca entre tus piernas,
mi alma en fotografías y azucenas,
y en las ondas oscuras de tu andar
quiero, amor mío, amor mío, dejar,
violín y sepulcro, las cintas del vals.

Poeta en Nueva York, 1940.

Enrique Morente y los Lagartija Nick en Omega.

https://www.youtube.com/watch?v=gqwjjgDIkfE

Fondation Giacometti

Institut Giacometti , 5 Rue Schoelcher, XIV. Hôtel particulier de Paul Follot (1912).

Ouverture au public de l’institut Giacometti le lundi 26 juin 2018 au 5, rue Victor-Schœlcher, Paris XIVe.

Du 26 juin au 16 septembre 2018, exposition inaugurale: L’atelier d’Alberto Giacometti vu par Jean Genet.

Ouvert sur réservation en ligne par créneau horaire.

Alberto Giacometti (1901-1966) a vécu et travaillé de 1926 à 1966, dans un tout petit atelier au 46, rue Hippolyte-Maindron (XIVe arrondissement), un modeste atelier d’artisan de 24 m², avec mezzanine, au rez-de-chaussée d’une cour. Le confort était spartiate. Pas de cuisine et des toilettes dans la cour. Giacometti y emménage le 1er décembre 1926. De nationalité suisse, il est arrivé à Paris en janvier 1922 pour suivre les cours d’Antoine Bourdelle (1861-1929)  à l’Académie de la Grande Chaumière.

L’Institut Giacometti  est installé dans l’ancien hôtel particulier de l’artiste-décorateur Paul Follot (1877-1941), près du cimetière du Montparnasse. Cette maison de 350 m², classée aux monuments historiques depuis 2000, a été dessinée par un des pères de l’ Art déco français, beau-frère du grand couturier Paul Poiret (1879-1944). Construite entre 1910 et 1913 avec le concours de l’architecte Pierre Selmersheim, des mosaïques  ornent la porte d’entrée et forment un bandeau le long de la façade. Les ferronneries sont attribuées à Edgar Brandt. L’architecte contemporain Pascal Grasso a été chargé de le réaménager tout en conservant ses décors historiques.

L’atelier de Giacometti a été reconstitué au rez-de-chaussée.

Portrait de Jean Genet 1954-55. Paris, Centre Georges Pompidou.

Blaise Pascal

Le jeune Pascal résolvant un problème (Augustin Moreau-Vauthier 1831-1893) 1888. Paris, Collège de France (don de la famille du sculpteur en 1937).

Blaise Pascal est né le 19 juin 1623 à Clermont-Ferrand). Il est mort le 19 août 1662 à Paris.

Pensées (Pensée 172 B)

« Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l’arrêter comme trop prompt: si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu’il nous afflige ; et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver.

Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent; et, si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.»

Robert Desnos – Céline

Robert Desnos

La Sonate au clair de lune (H. Bordeaux)
Les murs sont bons (H. Bordeaux)
Les Beaux draps (L.-F. Céline)
Oeuvres (P.-L. Courier)

” Le courrier qui, souvent, fait bien les choses, m’apporte en même temps deux volumes d’Henry Bordeaux et un livre de M. L.-F. Céline. Ainsi j’ai le choix entre la restriction et l’indigestion. C’est qu’en effet ces deux auteurs ont plus d’un point commun. Leur clientèle est, à peu près, la même et l’excès de l’un correspond aux déficiences de l’autre. Je trouve chez tous deux le besoin d’écrire pour ne pas dire grand’chose. Mais que penser de la vertu sans passion que nous propose M. Bordeaux et de la passion sans vertu que nous recommande M. Céline ? En vérité, si le premier a le souffle court, le second n’a pas de souffle du tout : il est boursouflé et voilà tout. Ses colères sentent le bistro et en cela il est, comme beaucoup d’hommes de lettres, intoxiqué par la moleskine et le zinc. Tout ici est puéril chez l’académicien comme chez son confrère et ce sera un utile sujet de méditation pour nos descendants que la coexistence de ces deux écrivains identiques, d’expression différente.
Je n’ai jamais, pour ma part, pu lire jusqu’au bout un seul de leurs livres. L’ennui, l’ennui total me force à dormir dès les premières pages. Et tous les deux représentent les éléments principaux de notre défaite par l’injustice même de leurs succès. Ah ! qu’un écrivain comme Bernanos donne des leçons à l’un de foi religieuse et à l’autre de férocité ! Mais Bernanos est un « monsieur » et il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec lui pour l’aimer et l’admirer. Tandis que les colères de Céline évoquent les fureurs grotesques des ivrognes, tandis que la morale de M. Bordeaux ferait exalter le vice en tant qu’école de vertu. Brave homme l’un, brave gars l’autre ? Je veux bien… Mais à quoi bon… à quoi bon les lire? Je vois bien pour qui ils écrivent. Je ne vois pas pourquoi.
Mais le même courrier m’apportait en même temps l’admirable édition par M. Maurice Allem des Oeuvres complètes de Paul-Louis Courier. Cette collection de la Pléiade est un chef-d’oeuvre. Je vais faire des économies pour me la procurer. Lisible, pratique, savante sans pédanterie, c’est un des motifs d’orgueil les plus légitimes de l’édition française.
Mais aussi quel réconfort que de lire Courier (que j’ai omis de citer la semaine dernière dans une liste hâtive d’écrivains militaires dont il est précisément l’exemple le plus typique)! La phrase est directe, simple, savante, fleurie sans être ornée. Elle va droit au but comme une flèche. Elle fait appel à toutes les ressources de la langue. Comme je comprends que Stendhal ait aimé ces opuscules où quatre ou cinq pages en disent plus que les pesants volumes de M. Céline, déplorable disciple d’Honoré d’Urfé, de M. Céline qui écrit gras exactement comme on écrivait précieux au XVIIè siècle. Je voudrais que tous les Français lisent Courier. C’est une école de civisme et, pour employer un mot cher à Corneille, d’esprit républicain. Je retrouve en lui le goût de la justice et du droit qui caractérise les Français. C’est ce goût qui fait notre valeur et justifie l’existence de notre nation. Oui, nous aimons les procès mais, en conséquence, nous aimons les lois, les lois justes et nous sommes tous plus ou moins experts en lois. Au surplus, Paul-Louis Courier apprend moins à penser qu’à s’exprimer. Et cela est bien, car nous avons suffisamment de sources de pensée en France. On a dit qu’il devait ce style vif et délié à l’emploi des vers blancs, aux citations – elles sont nombreuses – dont son oeuvre est semée. Cette caractéristique, nous la retrouvons dans un style bien différent et bien admirable aussi: celui de Michelet. Mais les vers blancs de Courier semblent empruntés à une tragédie classique et ceux de Michelet à un drame romantique. Arrêtons-nous ici, cela nous entraînerait trop loin… Mais lisez Paul-Louis Courier, je vous promets de belles surprises. ”

Robert DESNOS, Aujourd’hui (Interlignes), 3 mars 1941

Sommation
L’an mille neuf cent quarante et un, le 4 mars, à la requête de M. Louis Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline, demeurant à Paris, 11, rue Marsollier (2 ème) etc.
J’ai, Lucien Poré, huissier près du Tribunal civil de la Seine, etc. (…) Que, dans le numéro dudit journal (Aujourd’hui), en date du lundi 3 mars 1941, etc. a paru un article «Interlignes», etc. Pourquoi j’ai, huissier susdit et soussigné, fait sommation… d’avoir à insérer… la réponse ci-dessous transcrite :

“Monsieur le Rédacteur en chef,
Votre collaborateur Robert Desnos est venu dans votre numéro 3 du 3 mars 1941 déposer sa petite ordure rituelle sur les « Beaux draps ». Ordure bien malhabile si je la compare à tant d’autres que mes livres ont déjà provoquées – un de mes amis détient toute une bibliothèque de ces gentillesses. Je ne m’en porte pas plus mal, au contraire, de mieux en mieux. M. Desnos me trouve ivrogne, « vautré sur moleskine et sous comptoirs », ennuyeux à bramer moins que ceci… pire que cela…Soit ! Moi je veux bien, mais pourquoi M. Desnos ne hurle-t-il pas plutôt le cri de son cœur, celui dont il crève inhibé… « Mort à Céline et vivent les Juifs ! » M. Desnos mène, il me semble, campagne philoyoutre ( et votre journal ) inlassablement depuis juin. Le moment doit être venu de brandir enfin l’oriflamme. Tout est propice. Que s’engage-t-il, s’empêtre-t-il dans ce laborieux charabia ?… Mieux encore, que ne publie-t-il, M. Desnos, sa photo grandeur nature face et profil, à la fin de tous ses articles ?
La nature signe toutes ses œuvres – « Desnos », cela ne veut rien dire.
Va-t-on demander au serpent ce qu’il pense de la mangouste ? Ses sentiments sont bien connus, naturels, irrémédiables, ceux de M. Desnos aussi. Le tout est un peu de franchise. Voici tout ce qu’il m’importait de faire savoir à vos lecteurs, réponse que je vous prie d’insérer, en même lieu et place, dans votre prochain numéro.
Veuillez agréer, je vous prie, monsieur le Rédacteur en chef, l’assurance de mes parfaits sentiments. ”
L.-F. Céline

Lui déclarant, etc.
Dont acte sous toutes réserves, etc. Le tout conformément à la loi. Coût : soixante dix-huit francs quarante centimes.

Nous avons communiqué la sommation ci-dessus à notre collaborateur Robert Desnos, dont nous publions les quelques lignes suivantes :

” La réponse de M. Louis Destouches, dit « Louis-Ferdinand Céline », est trop claire pour qu’il soit nécessaire de commenter chaque phrase. Au surplus, les lecteurs n’auront qu’à se référer à mon article de lundi dernier. Je crois utile cependant de souligner la théorie originale suivant laquelle un « critique littéraire » n’a qu’une alternative : ou crier «Mort à Céline ! » ou crier : « Mort aux Juifs ! ». C’est là une formule curieuse et peu mathématique dont je tiens à laisser la responsabilité à M. Louis Destouches, dit « Louis-Ferdinand Céline ». Robert Desnos dit « Robert Desnos »

Céline

Robert Desnos pendant la Seconde Guerre Mondiale

Robert Desnos à Terezin (entre le 8 mai et le 4 juin 1945).

Robert Desnos fait  « la drôle de guerre  » comme sergent en Lorraine. Il stigmatise « les bobards de ceux qui, pour éviter la fascisation de la France, laisseraient volontiers Hitler triompher. On se demande s’ils sont fous » (Lettre du 11 janvier 1940). Il est lucide en juin 1940 et affirme déjà ce que sera son attitude pendant l’Occupation : « Il faut prendre les événements sérieusement mais pas désespérément (…). Les Allemands instituent une nouvelle règle du jeu et la jouent rigidement. Maintenant, nous allons tricher. » (Lettre à Youki du 7 juin 1940) Prisonnier, il pense à l’avenir et relativise la défaite : « Il faut mettre les choses au pire. C’est-à-dire victoire d’Hitler et garder de côté nos espoirs, sûr: puissance de l’Angleterre; possible: attitude des USA; douteux: intervention des URSS. (…) L’histoire d’un pays vivant est faite de cela [les défaites] et quant aux pertes de territoires elles sont la rançon de l’activité et de la vie (…). Non ce qui importe c’est le degré de vassalité auquel nous serons réduits et partant de combien nos libertés seront hypothéquées et notre vie sociale diminuée. En ce sens il nous faudra du courage mais je suis dès maintenant sûr d’en sortir en deux ou trois ans. » (Lettre du 3 juillet 1940)

Il est démobilisé le 22 août. Il rentre à Paris et débute comme chef des informations au quotidien Aujourd’hui, commandité par Roger Capgras. Ses rédacteurs en chef sont Henri Jeanson et Robert Perrier. L’espoir d’y maintenir une certaine liberté de parole est de courte durée. En effet,  Henri Jeanson est arrêté en novembre, ayant refusé de publier des articles favorables à la loi sur le « statut des Juifs », adoptée le 3 octobre par Vichy, ainsi qu’à l’entrevue de Montoire du 24 octobre. A partir du 3 décembre, le journal est contrôlé par les Allemands. Georges Suarez, qui sera fusillé le 9 novembre 1944 pour faits de collaboration, devient son directeur politique. En accord avec Jeanson, Desnos reste au journal comme « courriériste littéraire ». Il dispose d’un salaire fixe, d’un Ausweis professionnel qui lui permet de circuler la nuit et capte des informations recueillies au journal avant censure. Désormais, il peut « tricher » . Dans les articles qu’il publie, il n’abdique pas ses idées: « Si je n’écris pas tout ce que je pense, je pense tout ce que j’écris », écrit-il à François Mauriac le 3 janvier 1941. Dès le 14 septembre 1940, il a fustigé l’esprit de délation qui règne dans Paris par un article intitulé « J’irai le dire à la Kommandantur. » Dans sa chronique du 3 mars 1941, il n’épargne pas Les Beaux draps de Céline qui le 7 mars suivant fait insérer par sommation d’huissier une protestation dans laquelle Desnos est accusé de mener une « campagne philoyoutre » et d’être juif lui-même : « Que ne publie-t-il, M. Desnos, sa photo grandeur nature, face et profil, à la fin de tous ses articles? . » Le 16 septembre 1942, Desnos critique sans aménité la traduction des Poèmes d’Edgar Poe par Pierre Pascal, rédacteur du journal pronazi L’ Appel. Ce dernier envoie une lettre vengeresse à Suarez et à Desnos. Il traite le poète d’ « antifasciste, enjuivé, perdu de tout ». En avril 1942, Robert Desnos gifle Alain Laubreaux, journaliste fasciste et antisémite à Je suis partout, qui jouera un rôle déterminant en 1944 dans sa déportation.  En 1943, il ne publie que des critiques de disques, mais restera dans le journal jusqu’à son arrestation.

Après la « rafle du Vel d’hiv », en juillet 1942, il s’engage dans le réseau de renseignement «  Agir » , créé par Michel Hollard. Du 25 juillet 1942 au 22 février 1944, il transmet des informations recueillies au journal, fabrique de fausses pièces d’identité pour les membres du réseau et des Juifs en difficulté et cache chez lui des réfractaires au STO ou des résistants. A l’automne 1943, le réseau est menacé par l’infiltration d’agents doubles. Par l’intermédiaire de Jacques Prévert, Desnos rencontre André Verdet, membre du réseau Combat, venu de la zone Sud pour constituer un groupe d’action immédiate. Il accepte d’apporter son concours à ce groupe, tout en continuant à appartenir à Agir. En février 1944, les deux réseaux sont démantelés.

Le 22 février, un coup de téléphone l’avertit de l’arrivée imminente de la Gestapo chez lui, mais Desnos refuse de fuir de crainte qu’on emmène Youki, sa compagne, qui se droguait à l’éther. Interrogé rue des Saussaies, il est envoyé à la prison de Fresnes. Il y reste du 22 février au 20 mars. Il est ensuite transféré au camp de Compiègne. Le 27 avril, le poète fait partie d’un convoi de mille sept cents hommes, le fameux convoi dit « Pucheu », direction Auschwitz où il arrive le 30 avril au soir. Il est ensuite emmené à Buchenwald. Il y est le 14 mai et repart deux jours plus tard pour Flossenbürg. Le convoi qui ne compte plus qu’un millier d’hommes y arrive le 25 mai. Les 2 et 3 juin, un groupe de quatre-vingt-cinq hommes, dont Desnos, est acheminé vers le camp de Flöha, en Saxe. Les prisonniers fabriquent des carlingues de Messerschmitt 109. Le 14 avril 1945, le camp est évacué. Beaucoup de prisonniers meurent épuisés par les marches forcées ou sont abattus par les gardiens. Le 7-8 mai, les rescapés – dont Desnos – arrivent au camp de concentration de Terezín (Theresienstadt) en Tchécoslovaquie.

Là, les survivants sont abandonnés dans des cellules de fortune ou expédiés au Revier, l’infirmerie. Les poux pullulent, le typhus fait rage. Les SS prennent la fuite.  L’ Armée rouge et les partisans tchèques pénètrent dans le camp. Plusieurs semaines après la libération, un étudiant tchèque, Joseph Stuna consulte la liste des malades et lit: « Robert Desnos, né en 1900, nationalité française . »  Il sait qui est Desnos, car il connaît les surréalistes, a lu André Breton et Paul Éluard. Avec l’aide de l’infirmière Aléna Tesarova, qui parle bien le français, il retrouve le poète et le veille. Desnos aurait appelé ce moment son « matin le plus matinal ». Le 8 juin 1945, à 5 h 30 du matin, Robert Desnos meurt du typhus. Il avait 44 ans. Son corps sera incinéré. Ses cendres seront remises à la France et déposées dans le caveau familial au cimetière Montparnasse.

Source: Desnos, Oeuvres, Gallimard, Quarto 1999. Edition présentée et commentée par Marie-Claire Dumas.

Robert Desnos

Robert Desnos

Avec le coeur du chêne

Avec le bois tendre et dur de ces arbres, avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau combien ferait-on de ciels, combien d’océans, combien de pantoufles pour les jolis pieds d’Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau.

Avec le ciel combien ferait-on de regards, combien d’ombres derrière le mur, combien de chemises pour le corps d’Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel.

Avec les océans combien ferait-on de flammes, combien de reflets au bord des palais, combien d’arcs-en-ciel au-dessus de la tête d’Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans.

Avec les pantoufles combien ferait-on d’étoiles, de chemins dans la nuit, de marques dans la cendre, combien monterait-on d’escaliers pour rencontrer Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans, avec les pantoufles.

Mais Isabelle la vague, vous m’entendez, n’est qu’une image du rêve à travers les feuilles vernies de l’arbre de la mort et de l’amour.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau.

Qu’elle vienne jusqu’à moi dire en vain la destinée que je retiens dans mon poing fermé et qui ne s’envole pas quand j’ouvre la main et qui s’inscrit en lignes étranges.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel.

Elle pourra mirer son visage et ses cheveux au fond de mon âme et baiser ma bouche.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans.

Elle pourra se dénuder, je marcherai à ses côtés à travers le monde, dans la nuit, pour l’épouvante des veilleurs. Elle pourra me tuer, me piétiner ou mourir à mes pieds.

Car j’en aime une autre plus touchante qu’Isabelle la vague.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans, avec les pantoufles.

Les ténèbres (1927), paru dans Corps et Biens , Poésie /Gallimard.

Antonio Machado, Juan de Mairena, 1936.

Antonio Machado (Ramón Gaya) 1937.

“La blasfemia forma parte de la religión popular. Desconfiad de un pueblo donde no se blasfema: lo popular allí es el ateísmo. Prohibir la blasfemia con leyes punitivas, más o menos severas, es envenenar el corazón del pueblo, obligándole a ser insincero en su diálogo con la divinidad. Dios, que lee en los corazones, ¿se dejará engañar? Antes perdona Él -no lo dudéis- la blasfemia proferida que aquella otra hipócritamente guardada en el fondo del alma o, más hipócritamente todavía, trocada en oración.

***

Mas no todo es folklore en la blasfemia, que decía mi maestro Abel Martín. En una facultad de Teología bien organizada es imprescindible – para los estudios del doctorado, naturalmente – una cátedra de Blasfemia, desempeñada, si fuera posible, por el mismo Demonio.

***

-Continúe usted, señor Rodríguez, desarrollando el tema”.
-En una república cristiana – habla Rodríguez, en ejercicio de oratoria – democrática y liberal, conviene otorgar al Demonio carta de naturaleza y de ciudadanía, obligarle a vivir dentro de la ley, prescribirle deberes a cambio de concederle sus derechos, sobre todo el específicamente demoniaco: el derecho a la emisión del pensamiento. Que como tal Demonio nos hable, que ponga cátedra, señores. No os asustéis. El Demonio, a última hora, no tiene razón; pero tiene razones. Hay que escucharlas todas”.

Daniel Cordier

Emmanuel Macron a élevé lundi Daniel Cordier, âgé de 97 ans, au grade de Grand-Croix de la Légion d’honneur. Ils ont assisté ensuite au Mont Valérien aux commémorations de l’Appel du 18 juin, lancé il y a 78 ans par le général De Gaulle.

“Ça me bouleverse. Je vais très, très, très bien. Ce qui est curieux c’est que ça dure si longtemps. Mais enfin, je suis prêt à tout”, a ajouté le nonagénaire.

Daniel Cordier, ancien résistant et secrétaire de Jean Moulin, est l’un des cinq derniers Compagnons de la Libération encore en vie, sur les 1.038 qui avaient été distingués pour leur engagement au sein de la France libre. Il défend la mémoire de Jean Moulin depuis la fin des années 70 ( cf. 2009 : Alias Caracalla : mémoires, 1940-1943, Paris, éd. Gallimard).

Les quatre autres – Guy Charmot, Hubert Germain, Pierre Simonet et Edgard Tupët-Thomé – ont entre 96 et 103 ans. Le dernier d’entre eux qui décèdera sera inhumé au Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine). Ce site a été le principal lieu d’exécution de résistants et d’otages par l’armée allemande durant la Seconde guerre mondiale. Le général de Gaulle y a inauguré le Mémorial de la France combattante le 18 juin 1960.

Daniel Cordier. 18 juin 2018. Mont Valérien.