Patrick Modiano

Patrick Modiano (Maurice Rougemont).

Patrick Modiano, Encre sympathique. Editions Gallimard, 144 pages, 16 euros.

Il y a très peu de romanciers vivants dont j’achète les livres les yeux fermés, dès leur parution. Avant, il y avait Philip Roth, Milan Kundera… Philip Roth a arrêté de publier en septembre 2012. Pire, il est mort le 22 mai 2018. Milan Kundera a 90 ans et sa dernière publication date de 2014. Il reste le Prix Nobel de Littérature 2014 qui a publié le 3 octobre son 29ème roman ou récit. Je l’ai acheté à la Librairie Compagnie comme souvent et je l’ai lu une semaine plus tard.

Pour commencer, il y a une très belle épigraphe de Maurice Blanchot, tirée du Livre à venir (1959): «Qui veut se souvenir doit se confier à l’oubli, à ce risque qu’est l’oubli absolu, et à ce beau hasard que devient alors le souvenir.».

Jean Eyben, le narrateur du livre, est, à 20 ans un jeune employé de l’agence de détectives Hutte. Il part sur les traces d’une jeune femme, Noëlle Lefebvre, d’abord à Paris, dans le XVème arrondissement, plus tard du côté d’Annecy, enfin à Rome. Elle a disparu du jour au lendemain. Les autres personnages sont, eux aussi, tout à fait ordinaires

Comme dans ses autres livres, les aspects autobiographiques sont bien présents. L’auteur évoque son adolescence terrible. De septembre 1960 à juin 1962, sa famille l’a éloigné en le confiant aux pères du collège-lycée Saint-Joseph (Thônes), en Haute-Savoie, prison où il attrape la gale dans un linge rarement changé et éprouve avec ses camarades paysans la solidarité de la faim. Il a raconté tout cela dans son autobiographie, Pedigree, publiée en 2005.

A la page 110, on passe de Paris à Rome. Le «je» se transforme en «il». Ce basculement narratif indique le moment où tout se dévoile. La fin est ouverte: «Demain, ce serait elle qui parlerait la première. Elle lui expliquerait tout.» Le «happy end» ressemble plutôt à un point d’interrogation.

Comme tous ses autres romans, celui-ci est traversé par le thème de l’absence, de la survie des personnes disparues et l’espoir de retrouver un jour ceux qu’on a perdus dans le passé. Ses détracteurs disent qu’il écrit toujours le même roman. Peu m’importe.

«C’est dans cette espèce de chambre noire de la solitude qu’il faut que je voie vivre mes livres avant de les écrire.»

“Il y a des blancs dans une vie, mais parfois ce qu’on appelle un refrain. Pendant des périodes plus ou moins longues, vous ne l’entendez pas, et puis, un jour, il revient à l’improviste quand vous êtes seul et que rien autour ne peut vous distraire. Il revient, comme les paroles d’une chanson enfantine qui exerce encore son magnétisme”.

« Il suffisait que cette pensée me visite quelques heures, ou même quelques minutes, pour qu’elle ait son importance. Dans le tracé assez rectiligne de ma vie, elle était une question demeurée sans réponse. Et si je continue à écrire ce livre, c’est uniquement dans l’espoir, peut-être chimérique, de trouver une réponse. Je me demande : Faut-il vraiment trouver une réponse? J’ai peur qu’une fois que vous avez toutes les réponses votre vie se referme sur vous comme un piège, dans le bruit que font les clés des cellules de prison. Ne serait-il pas préférable de laisser autour de soi des terrains vagues où l’on puisse s’échapper?»

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