Henri Bergson 1859-1941

Henri Bergson.

Bergson entre à l’École normale supérieure à dix-neuf ans dans la promotion d’Émile Durkheim, de Jean Jaurès et de son ami Pierre Janet. Il est deuxième de l’agrégation de philosophie en 1881. En 1891-1892, il a comme élève au Lycée Henri IV Alfred Jarry. En 1898, il devient maître de conférence à l’École normale supérieure, puis professeur. En 1900, il est nommé professeur au Collège de France (Chaire de philosophie grecque puis de philosophie moderne). Il est élu à l’Académie française en 1914 et reçoit le prix Nobel de Littérature 1927. Á la fin de sa vie, il renonce à tous ses titres et honneurs plutôt que d’accepter l’exemption des lois antisémites imposées par le régime de Vichy. Bien que désirant se convertir au catholicisme, il y renonce par solidarité avec les autres Juifs. Il s’est fait porter par des proches jusqu’au commissariat de Passy, malgré sa maladie, afin de se faire recenser comme « israélite ». Henri Bergson était l’oncle par alliance de Marcel Proust qui sera garçon d’honneur lors de son mariage avec Louise Neuburger en 1892.

Principaux ouvrages:

1889 Essai sur les données immédiates de la conscience.

1896 Matière et mémoire.

1907 L’Évolution créatrice.

1932 Les Deux Sources de la morale et de la religion.

” … Car la vie est tendance, et l’essence d’une tendance est de se développer en forme de gerbe, créant, par le seul fait de sa croissance, des directions divergentes entre lesquelles se partagera son élan. C’est ce que nous observons sur nous-mêmes dans l’évolution de cette tendance spéciale que nous appelons notre caractère. Chacun de nous, en jetant un coup d’œil rétrospectif sur son histoire, constatera que sa personnalité d’enfant, quoique indivisible, réunissait en elle des personnes diverses qui pouvaient rester fondues ensemble parce qu’elles étaient à l’état naissant: cette indécision pleine de promesses est même un des plus grands charmes de l’enfance. Mais les personnalités qui s’entrepénètrent deviennent incompatibles en grandissant, et, comme chacun de nous ne vit qu’une seule vie, force lui est de faire un choix. Nous choisissons en réalité sans cesse, et sans cesse aussi nous abandonnons beaucoup de choses.La route que nous parcourons dans le temps est jonché des débris de tout ce que nous commencions d’être, de tout ce que nous aurions pu devenir. Mais la nature, qui dispose d’un nombre incalculable de vies, n’est point astreinte à de pareils sacrifices. Elle conserve les diverses tendances qui ont bifurqué en grandissant. Elle crée, avec elles, des séries divergentes d’espèces qui évolueront séparément.

Ces séries pourront d’ailleurs être d’inégale importance. L’auteur qui commence un roman met dans son héros une foule de choses auxquelles il est obligé de renoncer à mesure qu’il avance. Peut-être les reprendra-t-il plus tard dans d’autres livres, pour composer avec elles des personnages nouveaux qui apparaîtront comme des extraits ou plutôt comme des compléments du premier; mais presque toujours ceux-ci auront quelque chose d’étriqué en comparaison du personnage originel. Ainsi pour l’évolution de la vie. Les bifurcations, au cours du trajet, ont été nombreuses, mais il y a eu beaucoup d’impasses à côté de deux ou trois grandes routes; et de ces routes elle-mêmes une seule, celle qui monte le long des Vertébrés jusqu’à l’homme, a été assez large pour laisser passer librement le grand souffle de la vie.Les bifurcations, au cours du trajet, ont été nombreuses, mais il y a eu beaucoup d’impasses à côté de deux ou trois grandes routes; et de ces routes elles-mêmes une seule, celle qui monte le long des Vertébrés jusqu’à l’homme, a été assez large pour laisser passer librement le grand souffle de la vie. Nous avons cette impression quand nous comparons les sociétés d’Abeilles ou de Fourmis, par exemple, aux sociétés humaines. Les premières sont admirablement disciplinées et unies, mais figées; les autres sont ouvertes à tous les progrès, mais divisées, et en lutte incessante avec elles-mêmes. L’idéal serait une société toujours en marche et toujours en équilibre, mais cet idéal n’est peut-être pas réalisable: les deux caractères qui voudraient se compléter l’un l’autre, qui se complètent même à l’état embryonnaire, deviennent incompatibles en s’accentuant. Si l’on pouvait parler, autrement que par métaphore, d’une impulsion a la vie sociale, il faudrait dire que le gros de l’impulsion s’est porté le long de la ligne d’évolution qui aboutit à l’homme, et que le reste a été recueilli sur la voie conduisant aux Hyménoptères: les sociétés de Fourmis et d’Abeilles présenteraient ainsi l’aspect complémentaire des nôtres. Mais ce ne serait là qu’une manière de s’exprimer. Il n’y a pas eu d’impulsion particulière à la vie sociale. Il y a simplement le mouvement général de la vie, lequel crée, sur des lignes divergentes, des formes toujours nouvelles. Si des sociétés doivent apparaître sur deux de ces lignes, elles devront manifester la divergence des voies en même temps que la communauté de l’élan. Elles développeront ainsi deux séries de caractères, que nous trouverons vaguement complémentaires l’une de l’autre.”

L’évolution créatrice, 1907.

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