Sophia de Mello Breyner

Lagos (Algarve). Peinture murale en l’honneur de Sophia de Mello Breyner Andresen.

Histoires de la terre et de la mer (Histórias da Terra e do Mar) est un livre d’une des plus importantes poétesses portugaises du XX ème siècle Sophia de Mello Breyner Andresen (1919-2004). Il a été publié en 1984 au Portugal et en France en 1990 aux Éditions de la Différence.

Il est composé de cinq nouvelles qui nous transporte dans le monde de l’enfance :

  • Histoire de Cendrillon (Historia da Gata Borralheira).
  • Le silence (O Silêncio).
  • La maison marine (A Casa do Mar).
  • Saga (Saga), histoire imaginaire des ancêtres danois de l’autrice.
  • Vila d’Arcos (Villa d’Arcos).

Les Éditions du Canoë, 2021 ont aussi édité en 2021 une très belle nouvelle: Il était une fois une plage atlantique, traduite du portugais et préfacée par Colette Lambrichs. Elle avait été publiée en 1998 au moment de l’Exposition Universelle de Lisbonne. Lors de la campagne de Mário Soares pour l’élection à la Présidence de la République en 1986, Sophia de Mello Breyner Andresen avait été chargée par l’homme politique socialiste d’animer une salle de militants déjà acquis à sa candidature. Elle s’était avancée sur l’estrade en disant : “Maintenant , vous avez assez entendu parler politique, je vais vous lire quelques poèmes.” Tous l’écoutèrent dans un silence extraordinaire.

Villa d’Arcos

Villa d’Arcos se trouve au nord un peu à l’est dans une région de montagnes. C’est une ville de province et petite, avec des rues pavées autour de la cathédrale énorme comme un navire pour d’éternels voyages. Ses vieilles maisons – nobles même quand elles sont pauvres – ont de justes proportions depuis la marche de l’escalier jusqu’à l’encadrement de la fenêtre, depuis la balustrade du balcon jusqu’à la surface du mur de granit sans mortier où seul le blason de pierre avec ses besants, griffons et lions est trop grand au-dessus des ferrures et des bois disjoints de la porte ; comme si dans le monde où nous sommes rien n’importait, ni le froid du granit, ni l’obscure exiguïté des pièces, ni la pauvreté monotone des jours, et seule importait la noblesse que nous exposons à la lumière et qui est le projet de notre âme.
C’est une ville ancienne où stagnante se désagrège et se dissout lentement une vie dévécue geste à geste, syllabe à syllabe.
Les voitures gémissent le long des rues pavées. Passent peu d’hommes et des femmes hâtives vêtues de noir et en mai les rosiers fleurissent sur les murs que l’hiver recouvre de mousse. Derrière la petite fenêtre à volet vert de la maison du coin une femme aux yeux perçants, bruns et très rapprochés, voit tout, maligne et sage, terriblement attentive, comme si son regard lisait et soutenait le desadvenir des choses. Il y a des jardins imprévus, plus subtils et complexes que dans notre imagination, où croissent de hauts magnolias, avec de grandes fleurs blanches aux pétales profonds et larges, doux et épais, et où l’eau d’argent qui jaillit des dauphins de pierre tombe dans les petits bassins octogonaux. Jardins de buis, de camélias et de violettes, au parfum de contemplation et de passion, d’oubli et de silence. Jardins doucement abandonnés à une solitude dansée par les brises, tandis qu’un long susurrement d’adieu fait signe de feuille en feuille dans les branches les plus hautes des arbres. Jardins où nous reconnaissons que la vie est un songe dont jamais nous ne nous réveillons, un songe où surgissent des apparitions prodigieuses comme le lis, l’aigle et l’inoubliable visage aimé avec passion, mais où tout se transforme en oubli, distance, débris et impossibilité. Jardins où nous reconnaissons que notre condition est de ne pas savoir. De ne pouvoir jamais trouver l’unité. Et trouver l’unité serait nous réveiller.

Histoires de la terre et de la mer, Éditions de la Différence, 1990. Traduction : Alice Caffarel et Claire Carayon.

Vila d’Arcos

Vila d’Arcos fica ao Norte, um pouco para Leste, numa região de montanhas. É uma cidade de província e pequena com ruas empedradas em torno da catedral enorme como um navio de eternas viagens. As suas casas antigas — nobres mesmo quando pobres — são proporcionadas com justeza desde o degrau da escada até ao quadrado da janela, desde a balaustrada da varanda até à superfície da parede de granito sem reboco onde só a pedra de armas com arruelas, grifos e leões é grande demais sobre os ferros e as madeiras desconjuntadas da porta; como se no mundo em que estamos nada importasse, nem o frio do granito, nem a estreiteza sombria dos quartos, nem a pobreza monótona dos dias, mas só importasse a nobreza que mostramos à luz e que é o projecto da nossa alma.
É uma cidade antiga onde estagnada se desagrega e se dissolve lentamente uma vida desvivida gesto por gesto, sílaba por sílaba.
Os carros gemem ao longo das ruas empedradas. Passam poucos homens e rápidas mulheres vestidas de preto e em Maio as roseiras florescem nos muros que o Inverno cobriu de musgo. Por trás da portada verde da pequena janela da casa de esquina uma mulher de olhos agudos, muito juntos e castanhos, vê tudo, sábia e arguta, terrivelmente atenta, como se o seu olhar lesse e amparasse o desacontecer das coisas. Há jardins imprevistos, mais subtis e complexos do que o imaginável, onde crescem altas magnólias, com grandes flores brancas de pétalas profundas e largas, macias e espessas e onde a água de prata que irrompe da boca dos golfinhos de pedra cai nos pequenos tanques oitavados. Jardins de buxo, camélias e violetas perfumados de contemplação e paixão, de esquecimento e silêncio. Jardins docemente abandonados a uma solidão dançada pelas brisas, enquanto um longo sussurro de adeus acena de folha em folha nos ramos mais altos das árvores. Jardins onde reconhecemos que a nossa condição é não saber. É não poder jamais encontrar a unidade. E encontrar a unidade seria acordar.

1972

Histórias da Terra e do Mar. Lisboa, Edições Salamandra, 1984.

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