Vicente Aleixandre

Vicente Aleixandre (Alberto Schommer).

Je ne comprends pas pourquoi Gallimard ne republie pas la poésie de Vicente Aleixandre (1898-1984). C’est un grand poète espagnol de la génération de 1927. Il est méconnu en France bien qu’il ait obtenu le Prix Nobel de littérature en 1977. La Asociación de Amigos de Vicente Aleixandre (Madrid, Velintonia 3) essaie depuis plus de 25 ans de sauver de la destruction sa maison, située près de la Cité Universitaire et d’y créer une Maison de la Poésie. Celle-ci n’est plus habitée depuis 1986 et la mort de Concepción Aleixandre, la sœur du poète.
C’est pourtant un des lieux essentiels de la littérature espagnole du vingtième siècle. Nombreux étaient ceux qui venaient rendre visite à Vicente Aleixandre qui était de santé fragile : Federico García Lorca jouait du piano ou lisait les Sonnets de l’amour obscur, Rafael Alberti, Luis Cernuda, Pablo Neruda, Miguel Hernández, d’autres encore…
C’était aussi un homme très généreux qui a beaucoup aidé la famille de Miguel Hernández, mort de tuberculose le 28 mars 1942 dans la prison Reformatorio d’ Alicante. Il suffit de lire De Nobel a Novel. epistolario de Vicente Aleixandre a Miguel Hernández y Josefina Manresa (2015). Après la Guerre civile, il resta en Espagne. Les jeunes poètes espagnols de l’après-guerre de Barcelone ou de Madrid venaient le voir et le considéraient comme un maître. (Carlos Barral, Jaime Gil de Biedma, Luis Agustín Goytisolo, Carlos Bousoño, José Hierro, Ángel González José Ángel Valente, Claudio Rodríguez, Francisco Brines).

Poésie totale. Traduction et préface : Roger Noël-Mayer. Collection Du monde entier, Gallimard. 1977
Ombre du Paradis (1939-1943) [Sombra del paraíso]. Traduction : Claude Couffon et Roger Noël-Mayer. Introduction : Roger Noël-Mayer. Collection Du monde entier, Gallimard. 1980;

Jacques Ancet a aussi traduit La destruction ou l’amour chez Fédérop en 1975.

Tormento del amor

Te amé, te amé, por tus ojos, tus labios, tu garganta, tu voz,
tu corazón encendido en violencia.
Te amé como a mi furia, mi destino furioso,
mi cerrazón sin alba, mi luna machacada.

Eras hermosa. Tenías ojos grandes.
Palomas grandes, veloces garras, altas águilas potentísimas…
Tenías esa plenitud por un cielo rutilante
donde el fragor de los mundos no es un beso en tu boca.

Pero te amé como la luna ama la sangre,
como la luna busca la sangre de las venas,
como la luna suplanta a la sangre y recorre furiosa
las venas encendidas de amarillas pasiones.

No sé lo que es la muerte, si se besa la boca.
No sé lo que es morir. Yo no muero. Yo canto.
Canto muerto y podrido como un hueso brillante,
radiante ante la luna como un cristal purísimo.

Canto como la carne, como la dura piedra.
Canto tus dientes feroces sin palabras.
Canto su sola sombra, su tristísima sombra
sobre la dulce tierra donde un césped se amansa.

Nadie llora. No mires este rostro
donde las lágrimas no viven, no respiran.
No mires esta piedra, esta llama de hierro,
este cuerpo que resuena como una torre metálica.

Tenías cabellera, dulces rizos, miradas y mejillas.
Tenías brazos, y no ríos sin límite.
Tenías tu forma, tu frontera preciosa, tu dulce margen
de carne estremecida.
Era tu corazón como alada bandera.

¡Pero tu sangre no, tu vida no, tu maldad no!
¿Quién soy yo que suplica a la luna mi muerte?
¿Quién soy yo que resiste los vientos, que siente las heridas de sus frenéticos cuchillos,
que le mojen su dibujo de mármol
como una dura estatua ensangrentada por la tormenta?

¿Quién soy yo que no escucho entre los truenos,
ni mi brazo de hueso con signo de relámpago,
ni la lluvia sangrienta que tiñe la yerba que ha nacido
entre mis pies mordidos por un río de dientes?

¿Quién soy, quién eres, quién te sabe?
¿A quién amo, oh tú, hermosa mortal,
amante reluciente, pecho radiante;
¿a quién o a quién amo, a qué sombra, a qué carne,
a qué podridos huesos que como flores me embriagan?

Mundo a solas (1934-1936)

Tourment de l’amour

Je t’ai aimée, je t’ai aimée, pour tes yeux, tes lèvres, ta gorge, ta voix,
ton coeur enflammée de violence.
Je t’ai aimée comme ma furie, mon destin furieux,
mes ténèbres sans aube, ma lune broyée.

Tu étais belle. Tu avais de grands yeux.
Grandes colombes, agiles griffes, hauts aigles tout-puissants.
Tu avais cette plénitude en un ciel rutilant
où le fracas des mondes n’est pas un baiser dans ta bouche.

Mais je t’aimais comme la lune aime le sang,
comme la lune cherche le sang des veines,
comme la lune supplante le sang et furieuse parcourt
les veines allumées de jaunes passions.

Je ne sais pas ce qu’est la mort, si l’on baise sa bouche.
Je ne sais pas ce qu’est mourir. Je ne meurs pas. Je chante.
Je chante mort et pourri comme un oc brillant,
resplendissant sous la lune comme un cristal très pur.

Je chante comme la chair, comme la pierre dure,
je chante tes dents féroces sans paroles.
Je chante leur ombre seule, leur ombre si triste
sur la douce terre où le gazon s’attendrit.

Nul ne pleure. Ne regarde pas ce visage
où les larmes ne vivent ni respirent.
Ne regarde pas cette pierre, cette flamme de fer,
ce corps qui résonne comme une tour de métal.

Tu avais des cheveux, de douces boucles, des regards et des joues.
Tu avais des bras, et non des fleuves sans limites.
Tu avais ta forme, ta frontière exquise, ton doux contour de chair frissonnante.
Ton coeur était comme un drapeau ailé.

Mais ton sang non, ta vie, non, ta méchanceté non !
Qui suis-je moi pour implorer ma mort de la lune ?
Qui suis-je moi pour résister aux vents, pour sentir les blessures de leurs couteaux frénétiques,
pour laisser mouiller son dessin de marbre
comme une dure statue ensanglantée par la tourmente ?

Qui suis-je pour ne pas écouter ma voix dans l’éclat du tonnerre
ni mon bras osseux et marqué du signe de l’éclair,
ni la pluie sanglante qui teint l’herbe née
entre mes pieds mordus par un fleuve de dents ?

Qui suis-je, qui es-tu, qui te connaît ?
Qui aimé-je, ô toi, belle mortelle,
amante lumineuse, seins resplendissants ;
qui, qui aimé-je, quelle ombre, quelle chair ?
Quels os pourris qui m’enivrent comme des fleurs ?

Monde solitaire (1934-1936) in Poésie totale. Gallimard, 1977. Pages 123-124. Traduction: Roger-Noël Mayer.

Vicente Aleixandre et Roger-Noël Meyer. 1977.

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