La matanza de Badajoz

Badajoz. Agosto de 1936.

El 14 de agosto de 1936, la legión al mando del General Yagüe ocupó Badajoz y fusiló a unas 4.000 personas. Yagüe respondió al periodista John T. Whitaker, del New York Herald Tribune, cuando éste le interrogó sobre lo sucedido.​
«Por supuesto que los matamos. ¿Qué esperaba usted? ¿Que iba a llevarme a 4000 prisioneros rojos conmigo, teniendo mi columna tenía que avanzar a marchas forzadas? ¿O iba a soltarlos en la retaguardia y dejar que Badajoz fuera roja otra vez?»

83 años después, el conocido “carnicero de Badajoz” tiene una fundación con su nombre, su pueblo natal sigue llamándose San Lorenzo de Yagüe y su hijo es marqués de San Leonardo de Yagüe.

Antonio Gamoneda:

“No cesará la alondra
ensangrentada en su furioso canto.
Hoy es el día del jamás y el nunca,
ah país del dolor, Extremadura”.

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Le 14 août 1936, la Légion commandée par le général Yagüe a occupé la ville de Badajoz en Estrémadure. Yagüe répondit au journaliste du New York Herald Tribune, John T. Whitaker, quand celui-ci l’interrogea sur ces faits:
«Bien sûr que nous les avons tués. Á quoi vous vous attendiez? Á ce que j’emmène avec moi 4000 prisonniers rouges, alors que ma colonne devait continuer à avancer à marche forcée? Ou que je les relâche à l’arrière-garde et que je les laisse afin que Badajoz redevienne une ville rouge?»

4000 personnes environ furent fusillées. 83 ans après, le général Yagüe, connu comme le «boucher de Badajoz» a une fondation à son nom, son village natal s’appelle encore San Lorenzo de Yagüe et son fils est marquis de San Lorenzo de Yagüe.

El General Juan Yagüe Blanco (“El carnicero de Badajoz” 1891-1952) en 1939.


Andrés Sánchez Robayna – Jacques Ancet II

Tu cuerpo ya para siempre tendido,
Rachel Corrie, en la tierra que te llora.

La excavadora lo abatió en el surco
de la impiedad sobre la tierra roja.

Bajo el metal del odio atravesante
la luz. Nunca supiste de la sombra.

Tu cabello solar alumbra el aire,
tu mejilla nos honra.

Este otro surco dejo, Rachel Corrie,
en tu paz, tu memoria.

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Ton corps à présent étendu, pour toujours,
Rachel Corrie, sur la terre qui te pleure.

La pelleteuse t’a jetée dans le sillon
de l’impiété sur le rouge de la terre.

Sous la haine et son métal tu as traversé
la lumière. Tu n’as jamais rien su de l’ombre.

Ta chevelure solaire illumine l’air,
ta joue est notre honneur.

Je laisse cet autre sillon, Rachel Corrie,
dans ta paix, dans ta mémoire.

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Madrid, para una elegía
Ogne lingua per certo verria meno… Inferno, XXVIII, 4

Pasan trenes en marzo atestados de lágrimas,
palabras o susurros bajo un cielo dormido,
mejillas presurosas que de pronto se tornan
amasijo de hierros en el alba.

Claridad de la sangre. En el crepúsculo
se juntaron los rostros silenciosos.
En todos los paraguas del dolor repicaba
la piedad de la lluvia.

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Madrid, pour une élégie

Ogne lingua per certo verria meno… Inferno, XXVIII, 4

Passent des trains en mars plein à craquer de larmes,
des mots, des murmures sous le sommeil du ciel,
des joues précipitées qui brusquement deviennent
un amas de métal à l’aube.

Le sang et sa clarté. Au crépuscule
se sont serrés, silencieux, les visages,
Sur les parapluies de la douleur crépitait
la pitié de la pluie.

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Gerberas amarillas
en las ventanas: manos
abiertas, breves
soles multiplicados.

Son una ofrenda, fuertes
contra el peso del día,
puro poder de la luz.
Son la luz misma.

Amarillo, naranja,
camino de su fin,
frescor confabulado
en la ventana ― flores

de qué tumba, son lágrimas
del sol, dentadas,
pinnatisectas, omnia mors
poscit, omnia mors poscit.

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Gerberas jaunes
à la fenêtre: des
mains ouvertes, de brefs
soleils multipliés.

C’est une offrande, forte,
contre le poids du jour,
pur pouvoir de lumière.
C’est la lumière même.

Du jaune, de l’orange,
en chemin vers leur fin,
fraîcheur de connivence
à la fenêtre – fleurs

de quelle tombe, larmes
du soleil, dentelées,
pinnées, omnia mors
poscit, omnia mors poscit.

Poèmes traduits de l’espagnol par Jacques Ancet qui est né le 14 juillet 1942 à Lyon. Études secondaires et supérieures dans cette même ville. “Lecteur” de français à l’Université de Séville, puis agrégé d’espagnol. A enseigné pendant plus de trente dans les classes préparatoires aux Grandes Écoles littéraires et commerciales avant de se consacrer à son travail d’écrivain et de traducteur près d’Annecy où il réside.
Prix Nelly Sachs 1992, Prix Rhône-Alpes du Livre 1994.

Jacques Ancet. 2012.
      

Andrés Sánchez Robayna – Jacques Ancet I

Andrés Sánchez Robayna.

J’ai lu ces derniers jours un recueil de poèmes d’Andrés Sánchez Robayna, illustré par Antoni Tàpies: Sur une confidence de la mer grecque précédé de Correspondances. Éditions Gallimard 2005. Les traductions en français sont de Jacques Ancet. 20 + 12 poèmes en tout. Ces poèmes se situent dans la lignée de ceux de José Ángel Valente (1929-2000).

Andrés Sánchez Robayna est né à Santa Brígida (Grande Canarie) le 17 décembre 1952. Ce poète est professeur de littérature espagnole à l’Université de La Laguna (Tenerife). Spécialiste de la littérature du Siècle d’Or espagnol, il est auteur d’ essais et traducteur. Il a publié des textes de poètes de langue anglaise (Wallace Stevens, William Wordsworth) française (Paul Valéry), portugaise (Haroldo de Campos, Oswald de Andrade) et catalane (Joan Brossa, Salvador Espriu, Ramón Xirau, Josep Palau i Fabre).

Recueils de poèmes:
Día de aire (Tiempo de efigies). El Ancla en la Ribera, 1970.
Clima. Edicions del Mall, 1978.
Tinta. Edicions del Mall, 1981.
La roca. Edicions del Mall, 1984.
Palmas sobre la losa fría. Cátedra, 1989.
Fuego blanco. Àmbit Serveis Editorials, 1992.
Sobre una piedra extrema. Ave del Paraíso Ediciones, 1995.
Inscripciones. Ediciones La Palma, 1999.
El libro, tras la duna. Pre-Textos, 2002.
Sobre una confidencia del mar griego: precedido de Correspondencias, en colaboración con Antoni Tàpies. Huerga y Fierro Editores, 2005.
La sombra y la apariencia. Tusquets, 2010.
Anthologies et œuvres réunies:
Poemas 1970-1985. Edicions del Mall, 1987.
Poemas 1970-1995. Vuelta, 1997.
Poemas 1970-1999. Galaxia Gutenberg, 2000.
En el cuerpo del mundo: obra poética (1970-2002). Galaxia Gutenberg-Círculo de Lectores, 2003.
Ideas de existencia. Antología poética, 1970-2002. Aldus, 2006.
El espejo de tinta. Antología poética, 1970-2010. Ed. de J. F. Ruiz Casanova. Cátedra, Letras Hispánicas, 2012.
Al cúmulo de octubre. Antología poética, 1970-2015. Visor, 2015.

Journal:La inminencia. Diarios 1980-1995. Fondo de Cultura Económica, 1996. – Días y mitos. Diarios, 1996-2000. Fondo de Cultura Económica, 2002. – Mundo, año, hombre. Diarios, 2001-2007. Fondo de Cultura Económica, 2016.

Jacques Ancet. Présentation:

“…Sur une confidence de la mer grecque est le prolongement direct du livre précédent, El libro, tras la duna (Le livre, derrière la dune, 2000-2001), long poème qui se présente non seulement comme une exploration de la mémoire personnelle, mais comme une plongée dans une mémoire plus vaste à la fois sociale, culturelle et cosmique. ici aussi, c’est à un dialogue que nous avons affaire: celui de l’expérience historique et individuelle, de l’ombre et de la lumière, de l’espace et du temps, du multiple et de l’un. ” Le dialogue avec le peintre catalan Antoni Tàpies (1923-2012) a été très fructueux (8 illustrations).

Je dois signaler particulièrement certains poèmes: “Tu cuerpo ya para siempre tendido” qui évoque Rachel Corrie, militante pacifiste nord-américaine écrasée par les chars israéliens; “Madrid, para una elegía” qui rappelle les attentats terroristes du 11 mars 2004 à Madrid; “Gerberas amarillas en las ventanas” qui évoque le poète Juan Ramón Jiménez, enterré dans le cimetière de sa ville natale, Moguer.

  
  

Pier Paolo Pasolini

Pier Paolo Pasolini devant la tombe d’Antonio Gramsci vers 1970. Cimetière non catholique du Testaccio à Rome.

Je suis une force du Passé

Je suis une force du Passé.
À la tradition seule va mon amour.
Je viens des ruines, des églises,
des retables, des bourgs
abandonnés sur les Apennins ou les Préalpes,
là où ont vécu mes frères.
J’erre sur la Tuscolane comme un fou,
sur l’Appienne comme un chien sans maître.
Ou je regarde les crépuscules, les matins
sur Rome, la Ciociaria, l’univers,
tels les premiers actes de l’Après-Histoire
auxquels j’assiste, par privilège d’état-civil,
du bord extrême d’un âge
enseveli. Monstrueux est l’homme né
des entrailles d’une femme morte.
Et moi, fœtus adulte, plus moderne
que tous les modernes, je rôde
en quête de frères qui ne sont plus.

Poésie en forme de rose. Rivages, 2015. Traduit de l’italien par René de Ceccatty.

Io sono una forza del Passato

Io sono una forza del Passato.
Solo nella tradizione è il mio amore.
Vengo dai ruderi, dalle chiese,
dalle pale d’altare, dai borghi
abbandonati sugli Appennini o le Prealpi,
dove sono vissuti i fratelli.
Giro per la Tuscolana come un pazzo,
per l’Appia come un cane senza padrone.
O guardo i crepuscoli, le mattine
su Roma, sulla Ciociaria, sul mondo,
come i primi atti della Dopostoria,
cui io assisto, per privilegio d’anagrafe,
dall’orlo estremo di qualche età
sepolta. Mostruoso è chi è nato
dalle viscere di una donna morta.
E io, feto adulto, mi aggiro
più moderno di ogni moderno
a cercare fratelli che non sono più.

Poesia in forma di rosa. Garzanti, Milano 1964.

https://www.lettresvolees.fr/oedipe/force_passe.html

Orson Welles (le réalisateur) lit le poème à un journaliste dans La Ricotta de Pier Paolo Pasolini, troisième épisode du film à sketchs RoGoPag (1963), les autres réalisateurs étant Roberto Rosselini, Jean-Luc Godard et Ugo Gregoretti. Le poème est lu par le romancier et poète Giorgio Bassani (1916-2000) (la voix d’Orson Welles dans le film de Pier Paolo Pasolini). Giorgio Bassani est notamment connu pour son roman Le Jardin des Finzi-Contini, adapté au cinéma en 1970 par Vittorio De Sica.

Giorgio Bassani.

Daniel Cordier

Daniel Cordier.

Daniel Cordier est né le 10 août 1920 à Bordeaux. Il a 99 ans aujourd’hui. Cet homme a été résistant et marchand d’art.


Ancien militant d’Action française, ultranationaliste et antisémite, il s’engage dans la France libre dès juin 1940. Il devient le secrétaire de Jean Moulin, premier président Conseil national de la Résistance (CNR) en 1942-1943. Au contact de celui-ci, ses opinions évoluent vers la gauche. Il lui a consacré une biographie en plusieurs volumes (Jean Moulin: l’inconnu du Panthéon, Jean-Claude Lattès. 1989). Compagnon de la Libération en 1944, il est après-guerre marchand d’art, critique, collectionneur et organisateur d’expositions, avant de se consacrer à des travaux d’historien.


Avec Edgard Tupët-Thomé, Hubert Germain, Pierre Simonet, il est un des quatre compagnons de la libération encore vivants sur un total de 1038. Le dernier sera enterré dans la crypte du Mont Valérien où se trouve le mémorial de la France combattante

« Jean Moulin fut mon initiateur à l’art moderne. Avant de le rencontrer, en 1942, j’étais ignorant de cet appendice vivant de l’histoire de l’art. Il m’en révéla la vitalité, l’originalité et le plaisir. Surtout il m’en communiqua le goût et la curiosité », écrit Daniel Cordier, en 1989, dans la préface du catalogue présentant sa donation au Centre Pompidou.

Dans l’accrochage actuel du Centre Pompidou, l’accent est mis sur les Galeries d’art du XX ème siècle. Les salles 25 à 27 sont consacrées à ce grand résistant. De 1956 à 1959, sa première galerie se trouve 8 rue de Duras (75008-Paris). Il présente Dubuffet, Michaux et Réquichot. Il met aussi à l’honneur des figures singulières comme Dado, Fahlström ou Schulze. Il s’installe ensuite, de 1959 à 1964, au 8 rue de Miromesnil (75008-Paris). Il donne alors carte blanche à André Breton pour ce qui sera sa dernière grande exposition surréaliste. Il expose Louise Navelson, puis Robert Rauschenberg. Il ouvre ensuite une galerie à Francfort (1958-1962), une autre à New York (1960-1965). Il intitule sa dernière exposition “8 ans d’agitation“. C’est une des plus importants donateurs du musée national d’art moderne.

“Il n’y a rien à comprendre, il y a tout à voir” (Daniel Cordier)

Le Cycliste (Dado 1933-2010). 1955. Paris, Centre Georges Pompidou.
Episode de la guerre des nerfs (Bernard Réquichot 1929-1961). 1957. Paris, Centre Georges Pompidou.
Cuadro 120 (Manolo Millares). 1960. Paris, Centre Georges Pompidou.

Arthur Rimbaud

Un coin de table. (Détail: Arthur Rimbaud) 1872. Paris, Musée d’ Orsay.

Beauté. Mélancolie. L’un des plus beaux poèmes de la langue française.

Sensation

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.

Mars 1870.

Poésies.

Le portrait que réalise Henri Fantin-Latour du jeune poète de Charleville est, avec la célèbre photo faite par Étienne Carjat, la représentation de Rimbaud la plus connue et reproduite. Peint en février ou mars 1872. Il n’avait pas encore 18 ans.

Eugénio de Andrade II 1923 – 2005

Eugénio de Andrade.

II

O muro é branco
e bruscamente
sobre o branco do muro cai a noite.


Há uma cavalo próximo do silêncio,
uma pedra fria sobre a boca,
pedra cega de sono.


Amar-te-ia se viesses agora
ou inclinasses
o teu rosto sobre o meu tão puro
e tão perdido,
ó vida.

Matéria solar, 1980.

II

Le mur est blanc
et brusquement
sur le blanc du mur tombe la nuit.

Il y a un cheval proche du silence,
une pierre froide sur la bouche,
pierre aveuglée de sommeil.

Je t’aimerais si tu venais maintenant,
si tu penchais
ton visage sur le mien tellement pur
et tellement perdu,
ô vie.

Matière solaire, 1980.

(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)

VII

Conhecias o verâo pelo cheiro,
o silêncio antiquíssimo
do muro, o furor das cigarras,
inventavas a luz acidulada
a prumo, a sombra breve
onde o rapazito adormecera,
o brilho das espáduas.
E o que te cega, o sol da pele.

Matéria Sola, 1980

                 VII

Tu connaissais l’été à son odeur,
le silence très ancien
du mur, l’ardeur des cigales,
tu inventais la lumière acidulée
tombant à pic, l’ombre brève
où le gamin s’était endormi,
le brillant des épaules.
C’est ce qui t’aveugle, le soleil de la peau.

Matière solaire, 1980.

(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)

XXXVI

Pela manhâ de junho é que eu iria
pela última vez.
Iria sem saber onde a estrada leva.

E a sede.

Matéria solar, 1980

XXXVI

Par un matin de juin je m’en irai
pour la dernière fois.
Je m’en irai sans savoir où mène la route.

Ni la soif.

Matière solaire, 1980.

(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)

X

Essa mulher, a doce melancolia
dos seus ombros, canta.
O rumor
da sua voz entra-me pelo sono,
é muito antigo.
Traz o cheiro acidulado
da minha infância chapinhada ao sol.
O corpo leve quase de vidro.

O Peso da Sombra (1982)

X

Cette femme, la douce mélancolie
de ses épaules, chante.
La rumeur
de sa voix me pénètre en plein sommeil,
elle est très ancienne.
Et m’apporte l’odeur acidulée
de mon enfance s’ébrouant au soleil.
Le corps léger presque de verre.

Le poids de l’ombre, 1982

(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)

Eugénio de Andrade I 1923 – 2005

Eugénio de Andrade.

Eugénio de Andrade, «Da palavra ao silêncio», Rosto Precario, Porto, Fundaçã o Eugénio de Andrade, 1995 (1 ère éd.1979) p. 37-38.

«En ce temps-là […] j’ai appris qu’il y avait très peu de choses absolument nécessaires. Ce sont ces choses que mes vers aiment et exaltent. La terre et l’eau, la lumière et le vent deviennent consubstantiels pour faire corps avec tout l’amour dont ma poésie est capable. Mes racines plongent depuis l’enfance dans le monde le plus élémentaire. Je garde de ce temps le goût pour une architecture extrêmement claire et dénudée, que mes poèmes s’emploient à réfléchir; l’amour pour la blancheur de la chaux à laquelle se mêle invariablement, dans mon esprit, le chant dur des cigales; une préférence pour le langage parlé, presque réduit aux paroles nues et nettes d’un cérémonial archaïque. […] [La] pureté dont on a tant parlé à propos de ma poésie, c’est simplement de la passion, passion pour les choses de la terre, dans leur forme la plus ardente et non encore consumée.»

Eugenio de Andrade (né José Fintinhas) est né le 19 janvier 1923 à Póvoa de Atalaia, (Province de Beira Baixa, Portugal). Il est issu d’une famille de paysans. Il vit à Lisbonne de 1932 à 1943. Il s’installe à Porto en 1950 et fait une carrière d’inspecteur au ministère de la Santé. Il commence à publier des plaquettes à 16 ans et son œuvre est célébrée à partir de 1948. Mais, malgré sa célébrité, Eugénio de Andrade est resté un homme solitaire, fuyant les mondanités et les apparitions publiques.

Traducteur, auteur d’anthologies, romancier et poète, son œuvre est traduite en une douzaine de langues.

Il a reçu le Prix de l’Association internationale des critiques littéraires (1986), le Grand Prix de poésie de l’Association portugaise des écrivains (1989) et le prix Camões de la littérature portugaise en 2001. Il est mort à Porto le 13 juin 2005 des suites d’une très longue maladie neurologique.

Traductions françaises.

(La plupart de ses œuvres ont été publiées en édition bilingue aux Éditions de la Différence.)

Vingt-sept poèmes, traduit par Michel Chandeigne. Typographie Michel Chandeigne, 1983.

Matière solaire, traduit par Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne, et Patrick Quiller, La Différence, 1986.
Les Poids de l’ombre, traduit par Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne, et Patrick Quiller, La Différence, 1986.
Blanc sur blanc, traduit par Michel Chandeigne, La Différence, 1988.

Ecrits de la terre, traduit par Michel Chandeigne; La Différence, 1988.
L’Autre nom de la terre traduit par Michel Chandeigne et Nicole Siganos, La Différence, 1990.
Versants du regard et autres poèmes en prose, traduit par Patrick Quillier, La Différence, 1990.

Trente poèmes. Porto, 1992.
Office de la patience, traduit par Michel Chandeigne, Orfeu-Livraria Portuguesa, 1995.
Le Sel de la langue, traduit par Michel Chandeigne, La Différence, 1999.

A l’approche des eaux, traduit par Michel Chandeigne. La Différence, 2000.
Les Lieux du feu, traduit par Michel Chandeigne, L’Escampette 2001.
Matière solaire, suivi de Le poids de l’ombre et de Blanc sur blanc. Traduit du portugais par Michel Chandeigne, Patrick Quillier et Maria Antonia Camara Manuel, Poésie / Gallimard, 2004 n°395.

Raquel Lanseros

Raquel Lanseros.

Guerra con G de genocidio

                                      

Fue en España donde mi generación aprendió
que uno puede tener razón
y ser derrotado
.

Albert Camus

                                       

Existen muchas formas de perder una guerra.
Puede perderse por faltas de adhesiones
por abuso de fuerza
por el macabro redoble de monedas
contra las mesas de altos gabinetes.
Una guerra se puede perder por omisión.
Y es posible perder
una guerra de todas las maneras.

Eso ocurrió en España.
Como era de esperar, Goliat vence a David.
Pablo Neruda dijo: Mirad mi casa muerta,
mirad España rota.

Mis abuelos no dijeron nada.
Comprendieron muy bien que era hablar o vivir.
Fueron pariendo en silencio a sus hijos,
el silencio que arrulla los nombres de los mártires.

Muchos años pasaron
pero lo nuevoviejo no cesó de amamantar
el silencio con ira.
Ese silencio enfermo engordó tanto
que su enorme barriga es un acantilado
donde se estrella cada día la verdad.

Fue en España donde mi generación aprendió
que una guerra también puede perderse
mucho antes de nacer.

Matria (Visor, Madrid, 2018; 2ª ed. 2019)

Raquel Lanseros es una poeta española nacida en 1973 en Jerez de la Frontera (Andalucía).
Su libro Matria ha sido galardonado en abril 2019 con el Premio de la Crítica 2018 que otorga anualmente la Asociación Española de Críticos Literarios (AECL) al mejor libro de poesía.
Desde 2018 es profesora de Didáctica de la Lengua y Literatura en la Universidad de Zaragoza.

Albert Camus

Albert Camus. New Yorl, 1946. (Cecil Beaton).

Albert Camus sera une des rares voix de protestation après l’explosion de la bombe atomique d’Hiroshima (6 mai 1945).

Combat, 8 août 1945. Éditorial.

Le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de chose. C’est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d’information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique.

On nous apprend, en effet, au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase: la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.

En attendant, il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d’aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d’idéalisme impénitent, ne songera à s’en étonner.
Les découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu’elles sont, annoncées au monde pour que l’homme ait une juste idée de son destin. Mais entourer ces terribles révélations d’une littérature pittoresque ou humoristique, c’est ce qui n’est pas supportable.

Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu’une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d’être définitive. On offre sans doute à l’humanité sa dernière chance. Et ce peut-être après tout le prétexte d’une édition spéciale. Mais ce devrait être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence.

Au reste, il est d’autres raisons d’accueillir avec réserve le roman d’anticipation que les journaux nous proposent. Quand on voit le rédacteur diplomatique de l’Agence Reuter annoncer que cette invention rend caducs les traités ou périmées les décisions mêmes de Potsdam, remarquer qu’il est indifférent que les Russes soient à Koenigsberg ou la Turquie aux Dardanelles, on ne peut se défendre de supposer à ce beau concert des intentions assez étrangères au désintéressement scientifique.

Qu’on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction d’Hiroshima et par l’effet de l’intimidation, nous nous en réjouirons. Mais nous nous refusons à tirer d’une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider plus énergiquement encore en faveur d’une véritable société internationale, où les grandes puissances n’auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu définitif par le seul effet de l’intelligence humaine, ne dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.

Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison.

Actuelles. Chroniques 1944-1948, Œuvres complètes, tome II, Éditions Gallimard.

Une de Combat. 8 mai 1945.