Albert Camus

Albert Camus. New Yorl, 1946. (Cecil Beaton).

Albert Camus sera une des rares voix de protestation après l’explosion de la bombe atomique d’Hiroshima (6 mai 1945).

Combat, 8 août 1945. Éditorial.

Le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de chose. C’est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d’information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique.

On nous apprend, en effet, au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase: la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.

En attendant, il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d’aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d’idéalisme impénitent, ne songera à s’en étonner.
Les découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu’elles sont, annoncées au monde pour que l’homme ait une juste idée de son destin. Mais entourer ces terribles révélations d’une littérature pittoresque ou humoristique, c’est ce qui n’est pas supportable.

Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu’une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d’être définitive. On offre sans doute à l’humanité sa dernière chance. Et ce peut-être après tout le prétexte d’une édition spéciale. Mais ce devrait être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence.

Au reste, il est d’autres raisons d’accueillir avec réserve le roman d’anticipation que les journaux nous proposent. Quand on voit le rédacteur diplomatique de l’Agence Reuter annoncer que cette invention rend caducs les traités ou périmées les décisions mêmes de Potsdam, remarquer qu’il est indifférent que les Russes soient à Koenigsberg ou la Turquie aux Dardanelles, on ne peut se défendre de supposer à ce beau concert des intentions assez étrangères au désintéressement scientifique.

Qu’on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction d’Hiroshima et par l’effet de l’intimidation, nous nous en réjouirons. Mais nous nous refusons à tirer d’une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider plus énergiquement encore en faveur d’une véritable société internationale, où les grandes puissances n’auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu définitif par le seul effet de l’intelligence humaine, ne dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.

Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison.

Actuelles. Chroniques 1944-1948, Œuvres complètes, tome II, Éditions Gallimard.

Une de Combat. 8 mai 1945.

Francis Scott Fitzgerald

Francis Scott Fitzgerald, vers 1921.

Deux des passages les plus célèbres de Gatsby le magnifique (The Great Gatsby) en version originale et dans certaines traductions françaises.

The Great Gatsby, 1925.

«In my younger and more vulnerable years my father gave me some advice that I’ve been turning over in my mind ever since. “Whenever you feel like criticizing any one,” he told me, “just remember that all the people in this world haven’t had the advantages that you’ve had.»

«Quand j’étais plus jeune, c’est-à-dire plus vulnérable, mon père me donna un conseil que je ne cesse de retourner dans mon esprit: – Quand tu auras envie de critiquer quelqu’un, songe que tout le monde n’a pas joui des mêmes avantages que toi » (Traduction 1926 Victor Llona, première version. Edition Simon Kra)

«Quand j’étais plus jeune, c’est-à-dire plus vulnérable, mon père me donna un conseil que je ne cesse de retourner dans mon esprit: — Quand tu auras envie de critiquer quelqu’un, songe que tout le monde n’a pas joui des mêmes avantages que toi.» (Traduction 1946 Victor Llona, deuxième version. Edition Grasset; rééd. Livre de Poche)


«J’étais très jeune encore et d’autant plus influençable, le jour où mon père m’a donné un certain conseil qui n’a jamais cessé de m’occuper l’esprit. — Quand tu es sur le point de critiquer quelqu’un, m’a-t-il dit, souviens-toi simplement que sur terre tout le monde ne jouit pas des mêmes avantages que toi.» (Traduction 1990 Jacques Tournier. Livre de poche)


«Quand j’étais plus jeune et plus influençable, mon père m’a donné un conseil que je n’ai cessé de méditer depuis. «Chaque fois que tu as envie de critiquer quelqu’un, me dit-il, souviens-toi seulement que tout le monde n’a pas bénéficié des mêmes avantages que toi.” » (Traduction 2011 Julie Wolkenstein. POL)

«Quand j’étais plus jeune et plus vulnérable, mon père, un jour, m’a donné un conseil que je n’ai pas cessé de retourner dans ma tête. / “Chaque fois que tu seras tenté de critiquer quelqu’un, m’a-t-il dit, songe d’abord que tout un chacun n’a pas eu en ce bas monde les mêmes avantages que toi.”» (Traduction 2012 Philippe Jaworski. Gallimard)

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” Gatsby believed in the green light, the orgastic future that year by year recedes before us. It eluded us then, but that’s no matter – tomorrow we will run faster, stretch out our arms further… And one fine morning…

– So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past.”

” Gatsby croyait en la lumière verte, l’extatique avenir qui d’année en année recule devant nous. Il nous a échappé ? Qu’importe ! Demain nous courrons plus vite, nos bras s’étendront plus loin… Et un beau matin…
C’est ainsi que nous avançons, barques luttant contre un courant qui nous rejette sans cesse vers le passé.” (Traduction Victor Liona 1926 Edition Simon Kra puis 1946 Edition Grasset; rééd. Livre de Poche)

” Gatsby avait foi en cette lumière verte, en cet avenir orgastique qui chaque année recule devant nous. Pour le moment, il nous échappe. Mais c’est sans importance. Demain, nous courrons plus vite, nous tendrons les bras plus avant… Et, un beau matin…
Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé.” (Traduction Jacques Tournier 1990. Livre de poche)

” Gatsby croyait à la lumière verte, à cet orgasme imminent qui, année après année, reflue avant que nous l’ayons atteint. Nous avons échoué cette fois-ci, mais cela ne fait rien : demain nous serons plus rapides, nous étendrons nos bras plus loin – et, un beau matin…
C’est ainsi que nous nous débattons, comme des barques contre le courant, sans cesse repoussés vers le passé.” (Traduction Julie Wolkenstein, POL 2011)

« Gatsby croyait en la lumière verte, en l’avenir orgastique qui, d’année en année, recule devant nous. Il nous échappé cette fois? Peu importe…Demain, nous courrons plus vite, nous tendrons les bras plus loin…Et un beau matin…
C’est ainsi que nous avançons, barques à contre-courant, sans cesse ramenés vers le passé.» (Traduction 2012 Philippe Jaworski. Gallimard.)

Livre de Poche. 1990. (Traduction Jacques Tournier )

Miquel Martí i Pol 1929 – 2003

Miquel Martí i Pol jeune. Can Clarà. 23 septembre 1951.

Metamorfosi

De tant en tant la mort i jo som u:
mengem el pa de la mateixa llesca,
bevem el vi de la mateixa copa
o compartim amicalment les hores
sense dir res, llegint el mateix llibre.

De tant en tant la mort, la meva mort,
se’m fa present quan sóc tot sol a casa.
Aleshores parlem tranquil·lament
del que passa pel món i de les noies
que ja no puc haver. Tranquil·lament
parlem la mort i jo d’aquestes coses.

De tant en tant – només de tant en tant –
és la mort la que escriu els meus poemes
i me’ls llegeix, mentre jo faig de mort
i l’escolto en silenci, que és tal com
vull que escolti la mort quan jo lleigeixo.

De tant en tant la mort i jo som u :
la meva mort i jo som u, i el temps
s’esfulla lentament i el compartim,
la mort i jo, sense fer escarafalls,
dignament, que diríem per entendre’ns.

Després les coses tornen al seu lloc
I cadascú reprèn la seva via.

Quadern de vacances, 1976.

Métamorphose

Parfois la mort et moi ne faisons qu’un :
nous mangeons la même tranche de pain
et buvons le vin de la même coupe,
en bons amis nous partageons les heures
sans rien dire, lisant le même livre.

Parfois, je suis tout seul à la maison,
et voilà que la mort, ma mort, m’est présente.
Nous discutons alors tranquillement
des événements du monde et des filles
que je ne peux avoir. Tranquillement
nous parlons, la mort et moi, de cela.

Parfois — et seulement à ce moment —
c’est elle, la mort, qui écrit mes poèmes
et me les lit quand je tiens lieu de mort,
je l’écoute en silence, c’est ainsi
qu’elle doit m’écouter lorsque je lis.

Parfois la mort et moi ne faisons qu’un.
Ma mort et moi ne faisons qu’un, le temps
s’effeuille lentement et nous le partageons,
la mort et moi, sans faire de manières,
dignes, si je puis m’exprimer ainsi.

Puis les choses se remettent à leur place
et chacun reprend son chemin.

Cahier de vacances. (Traduit par Patrick Gifreu)

Las Trece Rosas

Ana López Gallego, Luise Rodríguez de Lafuente, Martina Barroso, Blanca Brisac.

Le 5 août 1939, il y a 80 ans, «Las Trece Rosas» ont été assassinées contre les murs du cimetière de l’Almudena à Madrid. Ces 13 femmes avaient de 18 à 29 ans. Elles étaient accusées du crime de rébellion contre le régime et d’organiser une attaque contre Franco. Leur procès, sommaire et inique, avait condamné aussi 50 hommes. Une quatorzième jeune fille fut exécutée le 19 février 1940. Elles étaient membres pour la plupart de la JSU (Jeunesses socialistes unifiées), organisation liée au PCE (Parti Communiste d’Espagne).

Liste de «Las Trece Rosas»
Carmen Barrero Aguado (20 ans, modiste).
Martina Barroso García (24 ans, modiste).
Blanca Brisac Vázquez (29 ans, pianiste).
Pilar Bueno Ibáñez (27 ans, modiste).
Julia Conesa Conesa (19 ans, modiste).
Adelina García Casillas (19 ans, activiste).
Elena Gil Olaya (20 ans, activiste).
Virtudes González García (18 ans, modiste).
Ana López Gallego (21 ans, modiste).
Joaquina López Laffite (23 ans, secrétaire).
Dionisia Manzanero Salas (20 ans, modiste).
Victoria Muñoz García (18 ans, activiste).
Luisa Rodríguez de la Fuente (18 ans, modiste).

Antonia Torre Yela fut, elle, exécutée le 19 février 1940.

Julia Conesa dit avant de mourir: «Que mi nombre no se borre en la historia». («Que mon nom ne soit pas effacée de l’histoire.»

Madrid. Cementerio de la Almudena. Monumento a las Trece Rosas.

Sigmund Freud

Sigmund Freud.

Le malaise dans la culture. Ecrit durant l’été 1929 et paru en 1930 à Vienne à l’ Internationaler Psychoanalytischer Verlag. (Traduction Dorian Astor. Garnier Flammarion, 2010.)

“On ne peut se défendre de l’impression que les hommes mesurent communément selon des étalons faux, qu’ils désirent pour eux-mêmes le pouvoir, le succès et la richesse, les admirent chez les autres, mais sous-estiment les vraies valeurs de la vie. Et pourtant, avec de tels jugements d’ordre général, on court le danger d’oublier la diversité bigarrée du monde des hommes et de la vie de l’âme. Il est certains hommes à qui leurs contemporains ne refusent pas les honneurs, bien que leur grandeur repose sur des qualités et des réalisations bien étrangères aux buts et aux idéaux de la foule. On accordera aisément que ce n’est toutefois qu’une minorité qui reconnaît ces grands hommes, tandis que la grande majorité n’en veut rien savoir. Mais cela ne saurait être aussi simple, parce que la pensée et l’action des hommes ne s’accordent pas, et que les désirs qui les meuvent font entendre leurs nombreuses voix.”

Blaise Cendrars 1887 -1961

Blaise Cendrars (Amedeo Modigliani). 1917. Rome, Collection Riccardo Gualino.

Réveil

Je dors toujours les fenêtres ouvertes
J’ai dormi comme un homme seul
Les sirènes à vapeur et à air comprimé ne m’ont pas trop réveillé

Ce matin je me penche par la fenêtre
Je vois

Le ciel
La mer
La gare maritime par laquelle j’arrivais de New-York en 1911
La baraque du pilotage
Et
A gauche
Des fumées des cheminées des grues des lampes à arc à contre-jour
Le premier tram grelotte dans l’aube glaciale
Moi j’ai trop chaud
Adieu
Paris
Bonjour soleil

Feuilles de route, 1924.

Réveil

Je suis nu
J’ai déjà pris mon bain
Je me frictionne à l’eau de Cologne
Un voilier lourdement secoué passe dans mon hublot
Il fait froid ce matin
Il y a de la brume
Je range mes papiers
J’établis un horaire
Mes journées seront bien remplies
Je n’ai pas une minute à perdre
J’écris

Feuilles de route, 1924.

Lettre

Tu m’as dit si tu m’écris
Ne tape pas tout à la machine
Ajoute une ligne de ta main
Un mot un rien oh pas grand chose
Oui oui oui oui oui oui oui oui

Ma Remington est belle pourtant
Je l’aime beaucoup et travaille bien
Mon écriture est nette est claire
On voit très bien que c’est moi qui l’ai tapée

Il y a des blancs que je suis seul à savoir faire
Vois donc l’oeil qu’à ma page
Pourtant, pour te faire plaisir j’ajoute à l’encre
Deux trois mots
Et une grosse tache d’encre
Pour que tu ne puisses pas les lire.

Feuilles de route, 1924.

Rafael Alberti

Rafael Alberti. Punta del Este.1943.

Rafael Alberti évoque la figure de Ramón dans La arboleda perdida. Il critique ses prises de position franquistes, mais reconnaît son génie.

La arboleda perdida. Tercer libro (1931-1977). 1987.

«Ramón Gómez de la Serna vive muy aislado, casi oculto, en la ciudad de Buenos Aires desde el inicio de nuestra guerra civil. Yo, a pesar de que lo admiraba de verdad, me pasé muchos años sin saludarlo, debido a su tonto e innecesario franquismo, que lo alejó de sus más grandes amigos. Ramón se aburría hasta el infinito -él, tan bullanguero y sacamuelas- en la Argentina sin su tertulia cafetera de Pombo, en la que había sido su dirigente inagotable y genial. Un día, un hermano, por cierto comunista, de su mujer, la delicada y muy hermosa escritora hebrea Luisa Sofovich, me dijo que Ramón vivía muy triste, sin ver a nadie, desesperado, tan lejos de Madrid, preguntándome tímidamente si a mí no me importaría verlo. Me emocionó la petición. Nunca habíamos comprendido el franquismo de Ramón, digno, en verdad, de aquel personaje de su novela Gustavo el incongruente, pues al principio de la guerra, allá en su soledad argentina, Ramón había escrito greguerías laudatorias dedicadas a Ramón Franco, el aviador, creyendo que se trataba del generalísimo. ¡Gran ramonada esta ramoniana confusión de Ramón! Cuando por fin fui a verlo, Ramón me recibió sentado ante la mesa de su comedor, como si estuviera oficiando en su amada tertulia pombiana, iluminándosele la ancha cara de chispero goyesco, hablando alegremente, casi a gritos, y levantándose, a veces, lo mismo que en el cuadro que Gutiérrez Solana le pintó, rodeado de los más famosos contertulios. De pronto, Ramón alzó una mano, ofreciéndole el dedo índice doblado a su mujer, como si fuese el saltadero de una jaula, invitándola muy cariñosamente: “Apoye usted, mi pajarito, sus patitas en este dedo”. Luisa, prendiendo dos de los suyos sobre el que le ofrecía Ramón, estuvo así todo el tiempo que duró la visita. En un momento que Ramón aspiró una bocanada de humo que yo solté de mi pipa, me preguntó por el tabaco que fumaba. “Dunhill”, le dije. Muy serio entonces, me sentenció, rotundo: “¡Cáncer! Mi hermano fumaba esos tabacos. Y se murió. Hay que fumar el que yo fumo: La hija del toro de América“. Y a continuación se preparó una pipa con aquel horrible tabaco, que levantó una fumarola como la del Vesubio, despidiendo un fuerte olor a yerbajos secos, mezclado con el de las cerillas que había dejado dentro del hogar de su pipa, ya que aquel tabaco -afirmaba- tenía mejor sabor mezclado con ellas.

Más tarde, y ya muerto Ramón, le dediqué este soneto impuntuado, en el que quise dar, todo revuelto, lo que fue para mí el gran inventor de las greguerías:

Por qué franquista tú torpe ramón
elefante ramón payaso harina
ramón zapato alambre golondrina
solana madrid pombo pin pan pon

ramón senos ramón chapeaumelón
tío-vivo ramón pipa pamplina
sacamuelas trapero orina esquina
y con de en por sin sobre tras ramón

ramón columpio múltiple vaivén
descabezado tonto ten sin ten
ramón orquesta solo de trombón

ramón timón tampón titiritero
incongruente inverosímil pero
ramón genial ramón solo ramón.

… Pero le dije a Ramón que Juan Ramón Jiménez estaba en Buenos Aires. Habían sido en otro tiempo muy amigos. Discretamente, Juan Ramón me insinuó que quería verlo, que se lo preguntara. Ramón dijo que sí. Al día siguiente, yo acompañé al poeta de Huelva con su mujer, Zenobia, a casa de Ramón. La escalera del piso donde vivía arrancaba del zaguán. Cuando llegamos, Ramón esperaba en el rellano de su piso al lado de Luisita. “¡Un momento!”, gritó a Juan Ramón, sin más saludo. “¡Un momento! ¿Puedes explicarme, antes de subir, por qué escribes Dios sin mayúscula últimamente? A Dios le han quitado ya todo en la tierra. Y ahora vienes tú y le quitas lo último que le quedaba: la mayúscula. Promete que se la devolverás”. A Juan Ramón le temblaba la barba. Balbució algo que no entendí. Y me fui detrás de él y de Zenobia, cerrando la puerta de la calle suavemente.»

Pablo Neruda

Ramón Gómez de la Serna, 1931.

Oda a Ramón Gómez de la Serna

Ramón
está escondido,
vive en su gruta
como un oso de azúcar.
Sale sólo de noche
y trepa por las ramas
de la ciudad, recoge
castañas tricolores,
piñones erizados,
clavos de olor, peinetas de tormenta,
azafranados abanicos muertos,
ojos perdidos en las bocacalles,
y vuelve con su saco
hasta su madriguera trasandina
alfombrada con largas cabelleras
y orejas celestiales.

Vuelve lleno de miedo
al golpe de la puerta,
al ímpetu
espacial de los aviones,
al frío que se cuela desde España,
a las enredaderas, a los hombres,
a las banderas, a la ingeniería.

Tiene miedo de todo.

Allí en su cueva
reunió los alimentos
migratorios
y se nutre de claridad sombría
y de naranjas.

De pronto
sale un fulgor, un rayo
de su faro
y el haz ultravioleta
que encerraba
su frente
nos ilumina el diámetro y la fiesta,
nos muestra el calendario
con Viernes más profundos,
con Jueves como el mar vociferante,
todo repleto, todo
maduro con sus orbes,
porque el revelador del universo
Ramón se llama y cuando
sopla en su flor de losa, en su trompeta,
acuden manantiales,
muestra el silencio sus categorías.
Oh Rey Ramón,
monarca
mental,
director
ditirámbico
de la interrogadora poesía,
pastor de las parábolas
secretas, autor
del alba y su
desamparado
cataclismo,
poeta
presuroso
y espacioso,
con tantos sin embargos
con tantos ojos ciegos,
porque
viéndolo todo
Ramón se irrita
y se desaparece,
se confunde en la bruma
del calamar lunario
y el que todo lo dice
y puede
saludar lo que va y lo que viene,
de pronto
se inclina hacia anteayer, da un cabezazo
contra el sol de la historia,
y de ese encuentro salen chispas negras
sin la electricidad de su insurgencia.

Escribo en Isla Negra,
construyo
carta y canto.
El día estaba roto
como la antigua estatua
de una diosa marina
recién sacada de su lecho frío
con lágrimas y légamo,
y junto al movimiento
descubridor
del mar y sus arenas,
recordé los trabajos
del Poeta,
la insistencia radiante de su espuma,
el venidero viento de sus olas.

Y a Ramón
dediqué
mis himnos matinales,
la culebra de mi caligrafía,
para cuando
salga
de su prolija torre de carpincho
reciba la serena
magnitud de una ráfaga de Chile
y que le brille al mago el cucurucho
y se derramen todas sus estrellas.

Navegaciones y regresos, Buenos Aires: Losada, 1959.

Ramón Gómez de la Serna 1888 – 1963

Ramón Gómez de la Serna et sa poupée en cire. Ramón Gómez de la Serna, con su muñeca de cera. (Alfonso)

Greguerías.
«Hay que hacer tumbas con periscopio.»

«Il faut faire des tombes avec des périscopes.»

«Queremos ser de piedra y somos de gelatina.»

«Nous voulons être de pierre et nous sommes de gélatine.»

«Los fantasmas salen por un espejo y se meten por otro.»

«Les fantômes sortent par un miroir et ils entrent par un autre.»

«La tortícolis del ahorcado es incurable.»

«Le torticolis du pendu est incurable.»


«Yo no seré ga-ga, porque seré ja-ja.»

«Lo más importante de la vida es no haber muerto.»

“Aburrirse es besar a la muerte.”

“El cerebro es un paquete de ideas arrugadas que llevamos en la cabeza.”

“En realidad, los seguros de vida son seguros de muerte.”

“Escritor es el que descubre que las palabras salen de la mano.”

«La felicidad consiste en ser un desgraciado que se sienta feliz.”

“Si te conoces demasiado a ti mismo, dejarás de saludarte.”

“Aquel tipo tenía un tic, pero le faltaba un tac: por eso no era un reloj.”

“Las croquetas deberían tener hueso, para que pudiéramos llevar la cuenta de las que comemos.”

“Roncar es tomar ruidosamente sopa de sueño”.

“Como daba besos lentos le duraban más los amores”.

«Menos mal que a los mosquitos no les ha dado por tocar el saxofón.»

«Nunca es mañana; siempre es hoy.»

Retrato de Ramón Gómez de la Serna. (Diego Rivera) 1915. Museo de Arte Latinoamericano de Buenos Aires

José Bergamín II 1895 -1983

La tertulia del café Pombo (José Gutiérrez Solana). 1920. Madrid, Museo Reina Sofía. Esta tertulia era presidida en Madrid en la calle de Carretas por el “padre de las vanguardias en España”, Ramón Gómez de la Serna. Bergamín era muy joven entonces pero su excepcional agudeza e inteligencia le permitía participar en pie de igualdad con conterturlios mayores. Manuel Abril, Tomás Borrás, José Bergamín, José Cabrero, Gómez de la Serna –de pie– Mauricio Bacarisse, el propio Solana autorretratado, Pedro Emilio Coll y Salvador Bartolozzi.

José Bergamín, grande figure qui traversa tout le XXe siècle espagnol est mort en 1983, tout de suite après avoir corrigé les épreuves de son dernier recueil de poèmes, En attendant la main de neige, c’est-à-dire la mort. Il sera enterré le lendemain, selon ses propres vœux, dans une tombe anonyme du cimetière de Fontarrabie (en basque : Hondarribia ; en espagnol : Fuenterrabía) De là, il domine la mer, comme la croix du Christ de ses trois grands sonnets (Tres sonetos a Cristo crucificado ante el mar) dédiés à Jacques et Raïssa Maritain et qu’Antonio Machado considérait parmi les plus beaux de la langue espagnole.

Tres sonetos a Cristo crucificado ante el mar

(París, 1937)

                   A Jacques y Raïssa Maritain

                  Solo a lo lejos el piadoso mar
                  Unamuno

                             I

No te entiendo, Señor, cuando te miro
frente al mar, ante el mar crucificado.
Solos el mar y tú. Tú en cruz anclado,
dando a la mar el último suspiro.

No sé si entiendo lo que más admiro:
que cante el mar estando Dios callado;
que brote el agua, muda, a su costado,
tras el morir, de herida sin respiro.

O el mar o tú me engañan, al mirarte
entre dos soledades, a la espera
de un mar de sed, que es sed de mar perdido.

¿Me engañas tú o el mar, al contemplarte
ancla celeste en tierra marinera,
mortal memoria ante inmortal olvido?

                         II

Ven ya, madre de monstruos y quimeras,
paridora de música radiante,
ven a cantarle al Hombre agonizante
tus mágicas palabras verdaderas.

Rompe a tus pies tus olas altaneras
deshechas en murmullo suspirante.
De la nube sin agua, al desbordante
trueno de voz, enciende tus banderas.

Relampaguea, de tormenta suma,
la faz divinamente atormentada
del Hijo a tus entrañas evadido.

Pulsa la cruz con dedos de tu espuma.
Y mece por el sueño acariciada,
la muerte de tu Dios recién nacido.

             III

No se mueven de Dios para anegarte
las aguas por sus manos esparcidas;
ni se hace lengua el mar en tus heridas
lamiéndolas del sal para callarte.

Llega hasta ti la mar, a suplicarte,
madre de madres por tu afán transidas,
que ancles en tus entrañas doloridas
la misteriosa voz con que engendrarte.

No hagas tu cruz espada en carne muerta;
mástil en tierra y sequedad hundido;
árbol en cielo y nubes arraigado.

Madre tuya es la mar: sola, desierta.
Mírala tú que callas, tú caído.
Y entrégale tu grito arrebatado.

Poesías casi completas, pp.23-24.

José Bergamín (Adolf Hoffmeister 1902 – 1973) 1939.