Pedro Salinas

Pedro Salinas.

Pedro Salinas est un des principaux poètes de la Génération de 1927.
Il est né le 27 novembre 1891 à Madrid où il fait des études de droit et de lettres. De 1914 à 1917, il est lecteur à la Sorbonne. Son ami, le poète Jorge Guillén, lui succède. Il est professeur titulaire d’une chaire de langue et littérature espagnole à l’Université de Séville de 1918 à 1929. Luis Cernuda est son élève. Il enseigne aussi à Cambridge de 1923 à 1926, puis à Murcia et Madrid.
Poète, traducteur de Marcel Proust, il est aussi critique. Il a publié entre autres des études sur Jorge Manrique ou Rubén Darío.
Il crée avec Ramón Menéndez Pidal l’Université Internationale d’été de Santander en 1933.
Il est contraint comme beaucoup d’intellectuels espagnols de s’exiler à cause de la guerre civile (1936-1939). Il part s’installer aux États-Unis, où il enseigne au Wellesley College (Massachusetts), à l’Université Johns-Hopkins de Baltimore et à l’Université de Porto Rico.
Au cours de l’été 1932, il rencontre une étudiante américaine, Katherine R. Whitmore (1897-1982), dont il tombe amoureux. Il écrit pour elle sa trilogie poétique : La voz a ti debida (1933), Razón de amor (1936) et Largo lamento (1936-1939).
Dans un monde chaotique, la poésie doit apporter ordre et clarté. Dans cette quête, le thème amoureux est privilégié.
Il est mort à Boston le 4 décembre 1951, mais repose dans le cimetière de San Juan de Puerto Rico.

Julio Cortázar admirait sa poésie. Il a préfacé et publié une anthologie de ses poèmes chez Alianza Editorial en 1971.

Sa correspondance vaut aussi la peine d’être lue :

Pedro Salinas/Jorge Guillén Correspondencia (1923-1951). Barcelona: Tusquets, 1992.

Cartas a Katherine Whitmore. Epistolario secreto del gran poeta del amor. Barcelona, Tusquets, 2002.

[7]

«Mañana». La palabra
iba suelta, vacante,
ingrávida, en el aire,
tan sin alma y sin cuerpo,
tan sin color ni beso,
que la dejé pasar
por mi lado, en mi hoy.
Pero de pronto tú
dijiste: «Yo, mañana…»
Y todo se pobló
de carne y de banderas.
Se me precipitaban
encima las promesas
de seiscientos colores,
con vestidos de moda,
desnudas, pero todas
cargadas de caricias.
En trenes o en gacelas
me llegaban —agudas,
sones de violines—
esperanzas delgadas
de bocas virginales.
O veloces y grandes
como buques, de lejos,
como ballenas
desde mares distantes,
inmensas esperanzas
de un amor sin final.
¡Mañana! Qué palabra
toda vibrante, tensa
de alma y carne rosada,
cuerda del arco donde
tú pusiste, agudísima,
arma de veinte años,
la flecha más segura
cuando dijiste: «Yo…»

La voz a ti debida, 1933.

[7]

« Demain » Le mot
Allait, délié, vacant,
Sans poids dans le vent,
Si dénué d’âme et de corps,
De couleur, de baiser,
Que je l’ai laissé passer
Près de moi aujourd’hui.
Mais soudain toi
Tu as dit : « Moi, demain… »
Et tout s’est peuplé
De chair et de drapeaux.
Sur moi se précipitaient
Les promesses
Aux six cents couleurs,
Avec des robes à la mode,
Nues, mais toutes
Chargées de caresses.
En train ou en gazelles
M’arrivaient – aigus,
Sons de violons –
Des espoirs ténus
De bouches virginales.
Ou rapides et grandes
Comme des navires, de loin,
Comme des baleines
Depuis des mers distantes,
D’immenses espérances
D’un amour sans final.
Demain ! Quel mot
vibrant, tendu
D’âme et de chair rose,
Corde de l’arc
Où tu posas, si effilée,
Arme de vingt années,
La flèche la plus sûre
Quand tu as dis : «Moi… »

La voix qui t’est due. Traduction Bernard Sesé. Paris, Le Calligraphe. 1982.

[8]

Y súbita, de pronto,
porque sí, la alegría.
Sola, porque ella quiso,
vino. Tan vertical,
tan gracia inesperada,
tan dádiva caída,
que no puedo creer
que sea para mí.
Miro a mi alrededor,
busco. ¿De quién sería?
¿Será de aquella isla
escapada del mapa,
que pasó por mi lado
vestida de muchacha,
con espumas al cuello,
traje verde y un gran
salpicar de aventuras?
¿No se le habrá caído
a un tres, a un nueve, a un cinco
de este agosto que empieza?
¿O es la que vi temblar
detrás de la esperanza,
al fondo de una voz
que me decía: «No»?

Pero no importa, ya.
Conmigo está, me arrastra.
Me arranca del dudar.
Se sonríe, posible;
toma forma de besos,
de brazos, hacia mí;
pone cara de mía.

Me iré, me iré con ella
a amarnos, a vivir
temblando de futuro,
a sentirla de prisa,
segundos, siglos, siempres,
nadas. Y la querré
tanto, que cuando llegue
alguien
– y no se le verá,
no se le han de sentir
los pasos – a pedírmela
( es su dueño, era suya ),
ella, cuando la lleven,
dócil, a su destino,
volverá la cabeza
mirándome. Y veré
que ahora sí es mía, ya.

La voz a ti debida, 1933.

[8]

Et subite, soudain
Sans raison, la joie.
Seule, car elle l’a voulu,
Elle est venue. Si verticale,
Si grâce inespérée,
Don tombé du ciel,
Que je ne puis croire
Qu’elle soit pour moi.
Je regarde autour de moi.
Je cherche. Á qui est-elle?
Á cette île peut-être
Échappée de la carte,
Qui est passée auprès de moi
Vêtue comme une jeune fille,
Le cou tout entouré d’écumes,
Une robe verte et une grande
Éclaboussure d’aventures?
N’est-elle pas tombée
D’un trois, d’un neuf, d’un cinq
De ce mois d’août qui commence ?
Ou est-ce celle que j’ai vu trembler
Derrière l’espérance
Au fond d’une voix
Qui me disait: « Non » ?

Mais peu importe, désormais.
Elle est avec moi, et m’entraîne.
Elle m’arrache au doute.
Elle sourit, possible ;
Elle prend forme de baisers,
De bras, vers moi ;
Semble m’appartenir.

J’irai, j’irai avec elle,
Nous aimer, vivre
Tremblant de futur,
Et l’éprouver très vite,
Secondes, siècles, toujours,
Néants. Et je l’aimerai
Tant, que lorsque viendra
Quelqu’un
– Mais on ne le verra pas,
On n’entendra pas
Ses pas – pour me la demander
(Son maître, elle était sienne),
Elle, quand on l’emmènera,
Docile, à son destin,
Tournera la tête
Et me regardera. Et je verrai
Qu’elle est toute à moi, désormais.

La voix qui t’est due. Traduction Bernard Sesé. Paris, Le Calligraphe. 1982.

[14]

Para vivir no quiero
islas, palacios, torres.
¡Qué alegría más alta:
vivir en los pronombres!
Quítate ya los trajes,
las señas, los retratos;
yo no te quiero así,
disfrazada de otra,
hija siempre de algo.
Te quiero pura, libre,
irreductible: tú.
Sé que cuando te llame
entre todas las gentes
del mundo,
sólo tú serás tú.
Y cuando me preguntes
quién es el que te llama,
el que te quiere suya,
enterraré los nombres,
los rótulos, la historia.
Iré rompiendo todo
lo que encima me echaron
desde antes de nacer.
Y vuelto ya al anónimo
eterno del desnudo,
de la piedra, del mundo,
te diré:
«Yo te quiero, soy yo».

La voz a ti debida, 1933.

[14]

Pour vivre je ne veux
Îles, palais ni tours.
Quelle plus haute joie :
Vivre dans les pronoms !
Jette les vêtements,
Les signes, les portraits ;
Je ne te veux ainsi,
Déguisée en autre,
Fille toujours de quelque chose.
Je te veux pure, libre,
Irréductible : toi.
Je sais que lorsque je t’appellerai
Parmi toutes les foules
Du monde.
Toi seulement tu seras toi.
Et quand tu me demanderas
Qui est celui qui t’appelle,
Celui qui te veut sienne,
J’enterrerai les noms,
Les titres, l’histoire.
Je briserai tout
Ce que sur moi on a jeté
Dès avant ma naissance.
Et puis revenu à l’anonymat
Éternel de la nudité,
De la pierre, du monde,
Je te dirai :
« Je t’aime, me voici. »

La voix qui t’est due. Traduction Bernard Sesé. Le Calligraphe. 1982.

La voix qui t’est due. La tête à l’envers. 2018.