René Char – Charles Cros 1842-1888 II

Portrait analogique de René Char (Victor Brauner), 1950.

Les Grands astreignants, selon René Char, sont ceux et celles qui vous contraignent à moins de médiocrité, et vous montrent la voie d’une vie plus dense et plus pure. Pour lui, Charles Cros en faisait partie.

Charles Cros (René Char)

C’est une joie de mettre un moment sa main dans celle de ce fin compagnon du crépuscule, de ce dévaleur de pentes chimériques au bas desquelles vous attend sur les lèvres d’un amour non fredonné le poème impromptu de la vaillance mélancolique. L’honnêteté de Cros, le mot qui tend à l’exprimer parfument les abords de la serre noire où se déchiquette Rimbaud. Il arrive qu’une geôle de minuit affleure en larme de sang sur le mordoré de ce regard qu’un souhaiterait longtemps tenir dans le sien pour se découvrir inspiré sans se sentir novice. Cros, c’est la glissière de la tendresse répartie sur le houblon du rempart où notre condition, dans ses meilleurs jours, nous permet d’accéder, seulement là, à mi-corps, une moitié bleue, l’autre partie mortelle.

Recherche de la base et du sommet, Gallimard, 1971. III. Grands astreignants ou la conversation souveraine.

René Char a enregistré le poème de Charles Cros, À ma femme endormie en 1989. Il est disponible sur le CD Poèmes (Gallimard).

https://www.youtube.com/watch?v=AsHkMLwRVeU

À ma femme endormie (Charles Cros)

Tu dors en croyant que mes vers
Vont encombrer tout l’univers
De désastres et d’incendies;
Elles sont si rares pourtant
Mes chansons au soleil couchant
Et mes lointaines mélodies.

Mais si je dérange parfois
La sérénité des cieux froids,
Si des sons d’acier et de cuivre
Ou d’or, vibrent dans mes chansons,
Pardonne ces hautes façons,
C’est que je me hâte de vivre.

Et puis tu m’aimeras toujours.
Éternelles sont les amours
Dont ma mémoire est le repaire ;
Nos enfants seront de fiers gas
Qui répareront les dégâts,
Que dans ta vie a fait leur père. *

Ils dorment sans rêver à rien,
Dans le nuage aérien
Des cheveux sur leurs fines têtes ;
Et toi, près d’eux, tu dors aussi,
Ayant oublié le souci
De tout travail, de toutes dettes.

Moi je veille et je fais ces vers
Qui laisseront tout l’univers
Sans désastre et sans incendie ;
Et demain, au soleil montant
Tu souriras en écoutant
Cette tranquille mélodie.

Ce poème a paru pour la première fois, après la mort du poète, dans Vers et prose, de septembre-novembre 1907.

Le collier de griffes, 1908.

* Charles Cros a eu deux fils, Guy Charles Cros (1879-1956) et René (1880-1898). Son fils aîné, poète lui-même se voua à faire connaître les œuvres de son père.

Ce volume de La Pléiade, publié en 1970, et qui regroupait les Oeuvres complètes de Charles Cros et de Tristan Corbière est aujourd’hui épuisé.

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