Il est aujourd’hui de bon ton de critiquer les côtés sombres du poète chilien: son séjour comme consul à Rangoon (Birmanie), ses rapports avec Josie Bliss en 1928, son mariage avec Maryka Antonieta Hagenaar (1930-1942), son lien avec sa fille Malva Marina, enfant hydrocéphale (1934-1943), son stalinisme etc. C’est un immense poète. «Ningún poeta del hemisferio occidental de nuestro siglo admite comparación con él», ha escrito el crítico literario Harold Bloom, quien lo considera uno de los veintiséis autores centrales del canon de la literatura occidental de todos los tiempos.” (Wikipedia en espagnol) Son amitié avec Federico García Lorca, son influence sur la poésie de la Generación de 1927 furent décisives. Residencia en la tierra(1925–1931), publié à Madrid en 1935, est un chef d’oeuvre. Son aide aux républicains espagnols fut aussi très importante. C’est le Victor Hugo de la littérature hispanique.
ODA A LA EDAD
Yo no creo en la edad.
Todos los viejos llevan en los ojos un niño, y los niños a veces nos observan como ancianos profundos.
Mediremos la vida por metros o kilómetros o meses? Tanto desde que naces? Cuanto debes andar hasta que como todos en vez de caminarla por encima descansemos, debajo de la tierra?
Al hombre, a la mujer que consumaron acciones, bondad, fuerza, cólera, amor, ternura, a los que verdaderamente vivos florecieron y en su naturaleza maduraron, no acerquemos nosotros la medida del tiempo que tal vez es otra cosa, un manto mineral, un ave planetaria, una flor, otra cosa tal vez, pero no una medida.
Tiempo, metal o pájaro, flor de largo pecíolo, extiéndete a lo largo de los hombres, florécelos y lávalos con agua abierta o con sol escondido. Te proclamo camino y no mortaja, escala pura con peldaños de aire, traje sinceramente renovado por longitudinales primaveras.
Ahora, tiempo, te enrollo, te deposito en mi caja silvestre y me voy a pescar con tu hilo largo los peces de la aurora!
Ne vous laissez pas séduire Car il n’est pas de retour. Déjà le jour approche Le vent de la nuit souffle Mais le matin ne viendra pas.
Ne vous laissez pas conter que la vie est peu de choses. Buvez la vie en grands traits Il sera toujours trop tôt Quand vous devrez la quitter.
Ne vous laissez pas rouler Vous n’avez pas trop de temps. Laissez pourrir les cadavres La vie l’emporte toujours Et l’on ne vit qu’une fois.
Ne vous laissez pas traîner Aux corvées et aux galères. De quoi donc auriez-vous peur? Vous mourrez comme les bêtes Après la mort le néant.
Sermons domestiques (Hauspostille, 1927).
Traduction de Jean-Claude Hémery, B. Brecht, Poèmes, L’Arche tome I, p. 139-140 reproduite dans Walter Benjamin, Oeuvres III (Commentaires de quelques poèmes de Brecht) Folio essais n°374. Pages 235-236. 2000.
« Le poète a grandi dans un faubourg dont la population était en majorité catholique; toutefois les ouvriers des grandes usines situées dans le périmètre urbain se mêlaient déjà aux éléments petits-bourgeois. Cela explique la teneur et le vocabulaire du poème Contre la séduction. Les gens étaient mis en garde par le clergé contre les tentations qui leur coûteraient cher dans une seconde vie, après leur mort. Le poète les met en garde contre les tentations qui leurs coûtent cher dans cette vie même. Il conteste qu’il y ait une autre vie. Le ton de sa mise en garde n’est pas moins solennel que celui des curés; ses affirmations sont tout aussi apodictiques. Comme les curés, il emploie le terme de tentation dans un sens absolu, sans complément; il leur emprunte leurs accents édifiants. Le ton solennel du poème peut ainsi vous induire à ne pas prendre garde à certains passages qui admettent plusieurs lectures et recèlent des beautés cachées.» ( Walter Benjamin, Oeuvres III (Commentaires de quelques poèmes de Brecht) Folio essais n°374. Pages 235-236. 2000.
Contra la seducción
No os dejéis seducir:
no hay retorno alguno.
El día está a las puertas,
hay ya viento nocturno:
no vendrá otra mañana.
No os dejéis engañar
con que la vida es poco.
Bebedla a grandes tragos
porque no os bastará
cuando hayáis de perderla.
No os dejéis consolar. Vuestro tiempo no es mucho. El lodo, a los podridos. La vida es lo más grande: perderla es perder todo.
Bertolt Brecht et Walter Benjamin. Skovsbostrand (Danemark) 1934.
Antonio Machado (Pablo Picasso). Exposition peinture-sculpture du 4 au 24 février 1955, Maison de la Pensée française, 2 rue de l’Elysée, Paris. Impr. Vogue, Paris, 1955.
Ce poème de 1913 toujours valable en 2020…
El mañana efímero A Roberto Castrovido La España de charanga y pandereta, Cerrado y sacristía, Devota de Frascuelo y de María, De espíritu burlón y de alma quieta, Ha de tener su mármol y su día, Su infalible mañana y su poeta. El vano ayer engendrará un mañana Vacío y ¡por ventura! Pasajero. Será un joven lechuzo y tarambana, Un sayón con hechuras de bolero, A la moda de Francia realista, Un poco al uso de París pagano, Y al estilo de España especialista En el vicio al alcance de la mano. Esa España inferior que ora y bosteza, Vieja y tahúr, zaragatera y triste; Esa España inferior que ora y embiste, Cuando se digna usar la cabeza, Aún tendrá luengo parto de varones Amantes de sagradas tradiciones Y de sagradas formas y maneras; Florecerán las barbas apostólicas, Y otras calvas en otras calaveras Brillarán, venerables católicas, El vano ayer engendrará un mañana Vacío y ¡por ventura! pasajero, La sombra de un lechuzo tarambana, De un sayón con hechuras de bolero: El vacuo ayer dará un mañana huero. Como la náusea de un borracho ahíto De vino malo, un rojo sol corona De heces turbias las cumbres de granito; Hay un mañana estomagante escrito En la tarde pragmática y dulzona. Mas otra España nace, La España del cincel y de la maza, Con esa eterna juventud que se hace Del pasado macizo de la raza. Una España implacable y redentora, España que alborea Con un hacha en la mano vengadora, España de la rabia y de la idea.
Campos de Castilla (1907-1917)
Le lendemain éphémère À Roberto Castrovido L’Espagne des fanfares et des tambourins basques, sentant le renfermé, fleurant la sacristie, dévouée à Frascuelo, à la Vierge Marie, d’esprit narquois et d’âme tranquille, aura son marbre, son jour de gloire, son lendemain inéluctable et son poète. Ce vain hier engendrera un lendemain vide et, par chance peut-être! passager. Ce sera un jeune homme, noceur, écervelé, un pénitent aux allures de danseur de boléro; réaliste à la façon de France, un peu mécréant à la mode de Paris, et à la manière d’Espagne spécialiste du vice à portée de la main. Cette Espagne inférieure qui prie et qui bâille, vieillie, aimant le jeu, bagarreuse et triste, cette Espagne inférieure qui prie et fonce tête baissée, quand elle daigne se servir de sa tête, verra encore longtemps se produire des hommes aimant les traditions sacrées, les formes et manières sacrées; fleuriront les barbes apostoliques et d’autres calvities sur d’autres crânes brilleront, vénérables et catholiques. Ce vain hier engendrera un lendemain vide et, par chance peut-être! passager, l’ombre d’un noceur écervelé, d’un pénitent aux allures de danseur, cet hier de vide ne donnera qu’un lendemain de vide. Comme la nausée d’un ivrogne gorgé de mauvais vin, un rouge soleil couronne de trouble lie les cimes de granit; il y a un lendemain écœurant écrit dans l’après-midi pragmatique et douceâtre. Mais une autre Espagne naît, l’Espagne du ciseau et de la masse, avec cette jeunesse éternelle qui se fait à partir du passé robuste de la race. Une Espagne implacable et rédemptrice, une Espagne qui commence à poindre tenant en main la hache vengeresse, Espagne de la rage, Espagne de l’idée.
Juan Luis Arsuaga Ferreras est né à Madrid en 1954. C’est un paléoanthropologue espagnol. Il est l’un des découvreurs de l’espèce Homo antecessor, le plus ancien représentant du genre Homo en Europe occidentale. Il date d’environ 850 000 ans. Les fossiles ont été mis au jour à Atapuerca (Burgos) en Espagne.
Ce site fut révélé lors de la construction d’une tranchée pour la construction d’une voie de chemin de fer, reliant Burgos à des mines de charbon. Les découvertes se limitèrent alors à du matériel de l’Âge du bronze et à des peintures rupestres.
L’ingénieur des mines, Trino Torres, et l’anthropologue, Emiliano Aguirre, trouvent en 1976 dans la montagne des fossiles d’ours préhistoriques, ainsi que plusieurs fossiles humains. Les fouilles commencent véritablement en 1978 dans deux des trois gisements principaux, Gran Dolina et Sima de los Huesos. A partir de 1982, Juan Luis Arsuaga est membre de l’équipe de recherche de ces gisements du Pléistocène. L’équipe de recherche reçoit le Prix Prince des Asturies (Recherche scientifique et technique) en 1997. Le site est inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2000.
On peut aussi visiter à Burgos Le Musée de l’Évolution Humaine (MEH) Ce bâtiment, conçu par l’architecte Juan Navarro Baldeweg (1939-), est construit de 2006 à 2010. Il est inauguré le 13 juillet 2010. Il présente notamment les trouvailles de la Sierra d’Atapuerca et les restes fossiles de l’Homo antecessor.
Burgos. Museo de la Evolución Humana. 2010 (Juan Navarro Baldeweg).
Portrait de Sigmund Freud. 1926. (Ferdinand Schmutzer 1870-1928)
Le malaise dans la culture. 1930. PUF 1971.
«Quels sont les desseins et les objectifs vitaux trahis par la conduite des hommes, que demandent-ils à la vie, et à quoi tendent-ils ? On n’a guère de chance de se tromper en répondant: ils tendent au bonheur; les hommes veulent être heureux et le rester. Cette aspiration a deux faces, un but négatif et un but positif: d’un côté éviter douleur et privation de joie, de l’autre rechercher de fortes jouissances. En un sens plus étroit, le terme «bonheur» signifie seulement que ce second but a été atteint. En corrélation avec cette dualité de buts, l’activité des hommes peut prendre deux directions, selon qu’ils cherchent – de manière prépondérante ou même exclusive – à réaliser l’un ou l’autre. On le voit, c’est simplement le principe du plaisir que détermine le but de la vie, qui gouverne dès l’origine les opérations de l’appareil psychique; aucun doute ne peut subsister quant à son utilité, et pourtant l’univers entier – le macrocosme aussi bien que le microcosme – cherche querelle à son programme. Celui-ci est absolument irréalisable ; tout l’ordre de l’univers s’y oppose; on serait tenté de dire qu’il n’est point entré dans le plan de la « Création » que l’homme soit ” heureux ” .
Ce qu’on nomme bonheur, au sens le plus strict, résulte d’une satisfaction plutôt soudaine de besoins ayant atteint une haute tension, et n’est possible de par sa nature que sous forme de phénomène épisodique. Toute persistance d’une situation qu’a fait désirer le principe du plaisir n’engendre qu’un bien-être assez tiède ; nous sommes ainsi faits que seul le contraste est capable de nous dispenser une jouissance intense, alors que l’état lui-même ne nous en procure que très peu. Ainsi nos facultés de bonheur sont déjà limitées par notre constitution. Or, il nous est beaucoup moins difficile de faire l’expérience du malheur.
La souffrance nous menace de trois côtés : dans notre corps qui, destiné à la déchéance et à la dissolution, ne peut même se passer de ces signaux d’alarme que constituent la douleur et l’angoisse ; du côté du monde extérieur, lequel dispose de forces invincibles et inexorables pour s’acharner contre nous et nous anéantir ; la troisième menace enfin provient de nos rapports avec les autres êtres humains. La souffrance issue de cette source nous est plus dure peut-être que toute autre ; nous sommes enclins à la considérer comme un accessoire en quelque sorte superflu, bien qu’elle n’appartienne pas moins à notre sort et soit aussi inévitable que celles dont l’origine est autre.
Ne nous étonnons point si sous la pression de ces possibilités de souffrance, l’homme s’applique d’ordinaire à réduire ses prétentions au bonheur (un peu comme le fit le principe du plaisir en se transformant sous la pression du monde extérieur en ce principe plus modeste qu’est celui de la réalité), et s’il s’estime heureux déjà d’avoir échappé au malheur et surmonté la souffrance ; si d’une façon très générale la tâche d’éviter la souffrance relègue à l’arrière-plan celle d’obtenir la jouissance. La réflexion nous apprend que l’on peut chercher à résoudre ce problème par des voies très diverses ; toutes ont été recommandées par les différentes écoles où l’on enseignait la sagesse ; et toutes ont été suivies par les hommes.»
Un gos abandonat va carretera enllà buscant l’esclavitud en el perill. Panteixant, al capvespre, li queda encara força per bordar els primers fars, que l’enlluernen. La carretera passa vora el mar en una costa abrupta. El món pot ser bellíssim però ha de portar inclosa l’humiliació. Somiar no és res més que buscar un amo.
Amar es dónde. Visor, 2015.
Lejos
Un perro abandonado va por la carretera,
busca la esclavitud en el peligro.
Cuando anochece,
jadeante, le quedan aún fuerzas
para ladrar a los primeros faros,
que lo deslumbran.
La carretera pasa junto al mar
en una costa abrupta.
El mundo puede ser bellísimo,
pero tiene que incluir la humillación.
Soñar tan sólo es
buscar un amo.
Amar es dónde. Visor, 2015.
Loin
Un chien errant marche sur la route,
cherchant sa soumission dans le danger.
Haletant, au crépuscule, il lui reste encore des forces
pour aboyer aux premiers phares qui l’éblouissent.
La route longe la mer
sur une côte abrupte.
Le monde peut être magnifique
mais doit porter en lui l’humiliation.
Rêver n’est que chercher un maître.
Leçons de vertige, anthologie établie par Noé Pérez-Núñez, poèmes traduits du catalan, édition bilingue français-catalan, éditions Les Hauts-Fonds, 2016.
Walter Benjamin, 1933. Dessin de Jean Selz (1904-1997)
Sur le concept d’histoire, 1940. Ce texte publié par l’Institut de recherches sociales (En mémoire de Walter Benjamin. Los Angeles, 1942) après la mort de l’écrivain a été rédigé dans les premiers mois de 1940. Il reprend et développe des idées autour desquels la réflexion de l’auteur tournait depuis plusieurs années.
Oeuvres III. Folio Essais n° 374. 2000. Page 431 (Traduction de Maurice de Gandillac).
VI
«Faire œuvre d’historien ne signifie pas savoir «comment les choses se sont réellement passées». Cela signifie s’emparer d’un souvenir, tel qu’il surgit à l’instant du danger. Il s’agit pour le matérialisme historique de retenir l’image du passé qui s’offre inopinément au sujet historique à l’instant du danger. Ce danger menace aussi bien les contenus de la tradition que ses destinataires. Il est le même pour les uns et pour les autres, et consiste pour eux à se faire l’instrument de la classe dominante. À chaque époque, il faut chercher à arracher de nouveau la tradition au conformisme qui est sur le point de la subjuguer. Car le messie ne vient pas seulement comme rédempteur; il vient comme vainqueur de l’antéchrist. Le don d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance n’appartient qu’à l’historiographe intimement persuadé que, si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté. Et cet ennemi n’a pas fini de triompher.»
Traduction de Michael Löwy.
«Articuler historiquement le passé ne signifie pas le connaître «tel qu’il a été effectivement», mais bien plutôt devenir maître d’un souvenir tel qu’il brille à l’instant d’un danger. Au matérialisme historique il appartient de retenir fermement une image du passé telle qu’elle s’impose, à l’improviste, au sujet historique à l’instant du danger. Le danger menace tout aussi bien l’existence de la tradition que ceux qui la reçoivent. Pour elle comme pour eux, il consiste à les livrer, comme instruments, à la classe dominante. A chaque époque il faut tenter d’arracher derechef la tradition au conformisme qui veut s’emparer d’elle. Le Messie ne vient pas seulement comme rédempteur ; il vient aussi comme vainqueur de l’Antéchrist. Le don d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance n’échoit qu’à l’historiographe parfaitement convaincu que, devant l’ennemi, s’il vainc, mêmes les morts ne seront point en sécurité. Et cet ennemi n’a pas cessé de vaincre.»
Une version française, due à Walter Benjamin figure dans le volume, Ecrits français, Gallimard. 1991. Folio Essais n°418. 2003.
«Décrire le passé tel qu’il a été» voilà, d’après Ranke, la tâche de l’historien. C’est une définition toute chimérique. La connaissance du passé ressemblerait plutôt à l’acte par lequel à l’homme au moment d’un danger soudain se présentera un souvenir qui le sauve. Le matérialisme historique est tout attaché à capter une image du passé comme elle se présente au sujet à l’improviste et à l’instant même d’un danger suprême. Danger qui menace aussi bien les données de la tradition que les hommes auxquels elles sont destinées. Il se présente aux deux comme un seul et même: c’est-à-dire comme danger de les embaucher au service de l’oppression. Chaque époque devra, de nouveau, s’attaquer à cette rude tâche: libérer du conformisme une tradition en passe d’être violée par lui. Rappelons-nous que le messie ne vient pas seulement comme rédempteur mais comme le vainqueur de l’antéchrist. Seul un historien, pénétré qu’un ennemi victorieux ne va même pas s’arrêter devant les morts – seul cet historien-là saura attirer au cœur même des événements révolus l’étincelle d’un espoir. En attendant, et à l’heure qu’il est, l’ennemi n’a pas encore fini de triompher.
(Je remercie vivement Nathalie Raoux qui a publié aujourd’hui sur Twitter la fin de la citation de Walter Benjamin dans la traduction de Maurice de Gandillac.)
Retrato de Baltasar Gracián que se conserva en Graus (Huesca), restaurado. El escritor fue destinado al colegio jesuita de Graus a comienzos de 1658 como represalia por la publicación de las tres partes del Criticón (1651, 1653, 1657). El retrato estuvo en el colegio grausino de la Compañía de Jesús, anexo a la iglesia de los jesuitas, que fue desmantelado en los años 1960. Sin embargo el retrato había sido trasladado anteriormente a la iglesia parroquial de San Miguel de Graus.
Primera edición del Oráculo Manual y Arte de la Prudencia, publicado en Huesca, Aragón, en 1647.
CXXX
Hacer y hacer parecer
«Las cosas no pasan por lo que son, sino por lo que parecen. Valer y saberlo mostrar es valer dos veces. Lo que no se ve es como si no fuese. No tiene su veneración la razón misma donde no tiene cara de tal. Son muchos más los engañados que los advertidos: prevalece el engaño y júzganse las cosas por fuera. Hay cosas que son muy otras de lo que parecen. La buena exterioridad es la mejor recomendación de la perfección interior.»
L’homme de cour. Traduction par Amelot de la Houssaie. 1684.
CXXX
Faire et faire paraître
«Les choses ne passent point pour ce qu’elles sont, mais pour ce qu’elles paraissent être. Savoir faire et le savoir montrer, c’est double savoir. Ce qui ne se voit point est comme s’il n’était point. La raison même perd son autorité, lorsqu’elle ne paraît pas telle. Il y a bien plus de gens trompés que d’habiles gens. La tromperie l’emporte hautement, d’autant que les choses ne sont regardées que par le dehors. Bien des choses paraissent tout autres qu’elles ne sont. Le bon extérieur est la meilleure recommandation de la perfection intérieure.»
Ce texte est cité en partie par Pierre Michon dans Trois auteurs (Premier texte: Le temps est un grand maigre (Balzac). Éditions Verdier. 1997.
Merci à Colette W. qui relit toute l’oeuvre de Pierre Michon.
Gallimard avait publié en 1970 les Écrits de Jacques Rigaut, réunis et présentés par Martin Kay. La présentation de l’époque disait: «L’ensemble éclaire ainsi la figure de ce Chamfort noir, l’insolence glacée, l’obsession «méticuleuse» du suicide, et cette extraordinaire distance avec soi-même, avec les autres, avec la vie qui donne à la voix de Rigaut son ton métallique, froid, fascinant, inoubliable.» Jean-Luc Bitton, après quinze ans de recherche, a sorti enfin en octobre 2019 chez le même éditeur une grande biographie, Jacques Rigaut Le suicidé magnifique, illustrée de nombreuses photographies et de documents inédits. Alain Jaubert dans la revue En attendant Nadeau reproche à l’auteur son obsession des détails.
J’avais souligné à l’époque beaucoup de ses pensées :
«Le rire est le propre de l’imbécile. RENÉ DESCARTES»
«Que faut-il pour être heureux? Un peu d’encre!»
«Vous croyez!»
«Comptez vos sous, comptez vos maîtresses, additionnez-les et félicitez-vous.»
«Toutes les monnaies ont cours; bien sûr, il n’y a que de la fausse monnaie.»
«Le dernier qui rira n’est pas celui qu’on pense.»
«Il oubliait pour boire.»
«Parlez les premiers, Messieurs les idiots.»
«Un livre devrait être un geste.»
«Je m’explique; quand je dis: je m’explique, je ne m’explique rien du tout, cela va de soi.»
«Le jour se lève, ça vous apprendra.»
«Dormir c’est regarder un point.»
«Autant d’acquis, autant de perdu.»
«Mes actes se suivent et ne se ressemblent pas, les morts se suivent et se ressemblent, les vivants se suivent et se ressemblent, les vivants suivent les morts, les morts ressemblent aux vivants, etc.»
«Je serai mon propre savon.»
«Quand je me réveille, c’est malgré moi.»
«La fatigue engendre les plus séduisantes grimaces.»
«Ne perdez pas votre temps à tendre l’autre joue et autres jeux d’accommodation. Si vous cherchez un siège à votre taille, la mort vous va comme un gant.»
«Guidez vos propres pas, pionniers du mensonge, vous n’en êtes pas à une …près, vous qui ne craignez pas de donner à Dieu des conseils, de lui apprendre son métier: «Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien, pardonnez-nous nos offenses et si vous avez quelques faveurs en trop, n’oubliez pas votre serviteur.» Vous appelez cela une prière.»
«Aidez-moi, j’aiderai le ciel.»
« L’erreur date de l’origine: Dieu créa l’homme à son image. Vrai premier miroir. Désormais l’idée d’un homme sans miroir devient inintelligible. Il ne s’agit plus que de séduire ce partenaire qu’il n’est pas défendu d’appeler d’un nom différent, le voisin, le public, la postérité, la conscience, Dieu. Il ne s’agit plus que de plaire à son image; la vie serait cette seule passion.
Les fous sont ceux qui ont perdu leur miroir.
Supprimez les miroirs.»
«Dieu s’aigrit, il envie à l’homme sa mortalité.»
«Demain la fin
La fin demain,
A demain la fin
La fin à demain
Demain, à la fin.»
«…Je suis le raté-étalon. Mais donnez-vous la peine de songer à ce que toute réussite implique de sotte naïveté, de courte vue chez son auteur…»
«…Il y a dans le sentiment de la responsabilité une présomption démesurée. Ceux qui disent: J’ai bien fait, j’ai mal fait…Tout de même, qu’est-ce que vous avez jamais fait?»
«Être, le premier des verbes réfléchis; je suis, non mais, je me suis.»
« Pour une nouvelle fois, j’aspire la vie, j’avale la vie. Je sais ce que c’est que l’air dans les poumons et le sang dans les veines. Je sais ce que c’est que la santé.
Je vais bazarder mes livres, mon smoking, mes camarades et ma chasteté. Je veux faire des sports et l’amour. Je suis simple. Je suis honnête. Et je devine, mon ami, à tes côtés une promenade fraternelle, avec dans le fond de l’oeil quelque chose d’un peu troublé.»
« (…) Le plus bel homme du monde ne peut vous donner que ce que vous avez…»
«Toutes les initiatives, toutes les tentatives d’évasion, tous les efforts vers la liberté, toutes les réactions, toutes les révolutions, toutes les révoltes, toutes les colères, toutes les haines, ça n’est pas plus amusant que l’épouvantable pitrerie où vous vous complaisez. Il est bon d’avoir aperçu l’inexistence d’un ordre, d’avoir tenté d’y échapper.»
«Vous êtes tous des poètes et moi je suis du côté de la mort. Mariez-vous, faites des romans, achetez des automobiles, où trouverai-je le courage de me lever de mon fauteuil ou de résister à la demande d’un ami, ou de faire aujourd’hui autrement qu’hier? Et ma chasteté, c’est absolument comme un vieux collage. Comme vous, je me loue d’être tel que je suis, sans volonté. Votre volonté, ça suffit, vous avez perdu le droit de me juger. Un peu gênant qu’il soit à la portée de tous les gens aigris, mais le parti pris est probablement la seule attitude valable. On ne peut pourtant pas me confondre avec les chevaux de retour. J’ai vingt-deux ans, je n’ai pas eu un amour malheureux, je n’ai pas la syphilis.»
«En tout cas je ne regrette rien, il n’y pas un incident, pas une heure d’ennui, pas un effort inutile que je voudrais retrancher de ma vie, ou que je préférerais différent.»
«(…) toutes les monnaies ont cours; il n’ y a pas de fausse monnaie ou bien il n’y a que de la fausse monnaie.(…)
Pour beaucoup, cet écrivain aura pour toujours les traits de Maurice Ronet dans le film de Louis Malle, Le feu follet (1963), inspiré du roman homonyme de Pierre Drieu la Rochelle (1931).
Je remercie une fois de plus M P. F. qui poste sur Facebook de magnifiques poèmes, toujours excellemment illustrés. Elle m’ a fait rechercher les recueils de poésies d’Eliseo Diego qui se trouvent dans ma bibliothèque.
Ce grand poète cubain fait partie d’une grande famille d’écrivains et de musiciens: sa femme, Bella García Marruz, son fils Eliseo Alberto (Lichi) (1951-2011), sa fille Josefina de Diego (Fefé), son beau frère, Cintio Vitier (1921-2009), sa belle soeur Fina García Marruz (1923), ses neveux musiciens Sergio Vitier (1948-2016) et José María Vitier (1954).
Eliseo Diego, Cintio Vitier, Virgilio Piñera (1912-1979) étaient parmi les fondateurs de la revue Orígenes, dirigée par José Lezama Lima (1910-1976) et José Rodríguez Feo (1920-1993). Quarante numéros furent publiés entre 1944 y 1956. C’était la publication culturelle cubaine la plus importante de cette époque.
Eliseo Diego a obtenu le Prix national de Littérature de Cuba en 1986 et le Prix Juan Rulfo de littérature latino-américaine pour l’ensemble de son oeuvre poétique en 1993.
Trois exemples de sa poésie:
El oscuro esplendor
Juega el niño con unas pocas piedras inocentes
en el cantero gastado y roto
como paño de vieja.
Yo pregunto:
qué irremediable catástrofe separa
sus manos de mi frente de arena,
su boca de mis ojos impasibles.
Y suplico
al menudo señor que sabe conmover
la tranquila tristeza de las flores, la sagrada
costumbre de los árboles dormidos.
Sin quererlo
el niño distraídamente solitario empuja
la domada furia de las cosas, olvidando
el oscuro esplendor que me ciega y él desdeña.
El oscuro esplendor, 1966.
L’obscure splendeur
L’enfant joue avec quelques innocents cailloux sur la plate-bande usée et trouée comme un fichu de vieille.
Moi je demande quelle irrémédiable catastrophe sépare ses mains de mon front de sable, sa bouche de mes yeux impassibles.
Et je supplie le petit maître qui sait émouvoir la tranquille tristesse des fleurs, la sainte coutume des arbres endormis.
Sans le vouloir l’enfant, distraitement solitaire, pousse la fureur subjuguée des choses, sans se douter de l’obscure splendeur qui m’aveugle et que lui dédaigne.
L’obscure splendeur. Edition de la Différence, Orphée. 1996. Traduit par Jean-Marc Pelorson.
No es más
por selva oscura
Un poema no es más
que una conversación en la penumbra
del horno viejo, cuando ya
todos se han ido, y cruje
afuera el hondo bosque; un poema
no es más que unas palabras
que uno ha querido, y cambian
de sitio con el tiempo, y ya
no son más que una mancha, una
esperanza indecible;
un poema no es más
que la felicidad, que una conversación
en la penumbra, que todo
cuanto se ha ido, y ya
es silencio.
El oscuro esplendor, 1966.
Ce n’est que por selva oscura… Le poème ce n’est qu’une conversation dans la pénombre du vieux fourneau, lorsque déjà tout le monde s’en est allé, et que frémit dehors le profond bois; un poème
ce n’est que quelques mots
qu’on a chéris, et qui changent
de place avec le temps, pour n’être désormais
qu’une tache, qu’une
indicible espérance;
un poème ce n’est que le bonheur, qu’une conversation dans la pénombre, que tout ce qui s’en est allé, et n’est plus que silence.
L’obscure splendeur. Edition de la Différence, Orphée. 1996. Traduit par Jean-Marc Pelorson.
Versiones
La muerte es esa pequeña jarra, con flores
pintadas a mano, que hay en todas las casas y que
uno jamás se detiene a ver.
La muerte es ese pequeño animal que ha
cruzado en el patio, y del que nos consuela la
ilusión, sentida como un soplo, de que es sólo el gato
de la casa, el gato de costumbre, el gato que ha
cruzado y al que ya no volveremos a ver.
La muerte es ese amigo que aparece en las
fotografías de la familia, discretamente a un lado,
y al que nadie acertó nunca a reconocer.
La muerte, en fin, es esa mancha en el muro
que una tarde hemos mirado, sin saberlo, con un poco
de terror.
Versiones, 1970.
Versions
La mort est cette petite jarre, couverte
de fleurs peintes à la main, qui est dans toutes
les maisons, et sur qui jamais ne s’arrêtent les yeux.
La mort est ce petit animal qui est
passé dans la cour et dont on se remet en se
disant dans une bouffée d’illusion que ce n’est
que le chat de maison, le chat de toujours, le
chat qui est passé et qu’on ne reverra plus.
La mort est cet ami qu’on voit sur les
photos de famille, discrètement marginal, et
que personne n’a jamais réussi à reconnaître.
La mort, enfin, c’est cette tache sur le
mur qu’un soir nous avons regardée, sans le
savoir, avec un soupçon de terreur.
L’obscure splendeur. Edition de la Différence, Orphée. 1996. Traduit par Jean-Marc Pelorson.