Luis Cernuda

Luis Cernuda.

Luis Cernuda est né le 21 septembre 1902 à Séville. Exilé en 1938 au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et enfin au Mexique, il est mort sans revoir son pays le 5 novembre 1963 à Mexico. Il avait 61 ans.

Peregrino ( Luis Cernuda )

¿Volver? Vuelva el que tenga,
Tras largos años, tras un largo viaje,
Cansancio del camino y la codicia
De su tierra, su casa, sus amigos,
Del amor que al regreso fiel le espere.

Mas, ¿tú? ¿Volver? Regresar no piensas,
Sino seguir libre adelante,
Disponible por siempre, mozo o viejo,
Sin hijo que te busque, como a Ulises,
Sin Ítaca que aguarde y sin Penélope.

Sigue, sigue adelante y no regreses,
Fiel hasta el fin del camino y tu vida,
No eches de menos un destino más fácil,
Tus pies sobre la tierra antes no hollada,
Tus ojos frente a lo antes nunca visto.

Desolación de la quimera (1962)

Pélerin

Revenir? Que revienne celui qui
Après de longues années, après un long voyage,
Est fatigué de la route et désire revoir
Son pays, sa maison, ses amis,
l’amour qui fidèlement attend qu’il revienne.

Mais, toi, Revenir? Tu ne penses pas revenir
Mais poursuivre en liberté,
Toujours disponible, jeune ou vieux,
sans enfant qui te cherche, comme Ulysse,
Sans Ithaque qui t’attend et sans Pénélope.

Continue, continue encore et ne reviens pas,
fidèle jusqu’à la fin du chemin et de la vie,
Ne regrette pas un destin plus facile,
Tes pieds sur la terre qui n’a pas été encore foulée,
Tes yeux face à ce qui n’a jamais été vu auparavant.

Desolation de la chimère (1962)

Ángel González

CUMPLEAÑOS 

Yo lo noto: cómo me voy volviendo
menos cierto, confuso,
disolviéndome en aire
cotidiano, burdo
jirón de mí, deshilachado
y roto por los puños.

Yo comprendo: he vivido
un año más, y eso es muy duro.
¡Mover el corazón todos los días
casi cien veces por minuto!

Para vivir un año es necesario
morirse muchas veces mucho.

Áspero mundo (1956)

Ángel González en Oviedo.

Thomas Bernhard

Thomas Bernhard.

Thomas Bernhard (1931-1989) est un écrivain autrichien qui m’intéresse même si son nihilisme total est souvent déroutant. «Il incarne la figure la plus aboutie du dénigreur et, en même temps, il n’est jamais dupe de ses sarcasmes.» dit de lui Roland Jaccard. Cet écrivain était très à la mode dans les années 80 et 90. Il avait obtenu le Prix Médicis étranger en 1988 pour son roman, Maîtres anciens. On parle un peu moins de lui aujourd’hui.

Je me suis replongé dans son œuvre et j’ai lu justement Maîtres anciens (1985, publié chez Gallimard en 1988. Folio n°2276, 1991) pour rechercher d’abord ce qu’il disait de Gustav Klimt.

Le roman est sous-titré comédie. L’ apparence est compacte. C’est un monologue. Pas de chapitre, pas de retour à la ligne. Tous est rédigé en style indirect. Les phrases sont répétitives, ponctuées de dit-il. L’écriture est obsessionnelle, bourrée de tics de langage.

Trois personnages apparaissent: Atzbacher, un écrivain qui ne publie pas, joue plus ou moins le rôle du narrateur; Reger, un vieux critique musical, qui depuis une trentaine d’années se rend au Musée des Arts Anciens de Vienne (Kunsthistorisches Museum) et s’asseoit face au tableau L’Homme à la barbe blanche du Tintoret et Irrsigler, gardien du musée.

L’Homme à la barbe blanche. v 1545. Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Reger a plus de 80 ans. Devenu veuf récemment, il soliloque, parle d’art et de philosophie et déverse sa haine de la société et de l’état autrichiens. Comme Thomas Bernhard, il dénonce l’hypocrisie de la petite bourgeoise catholique et les restes de l’idéologie nazie qu’a embrassée avec enthousiasme la population dans les années 30.

Comme Thomas Bernhard, Reger ne ménage personne. Tous les artistes ont un «défaut rédhibitoire.»

“Les soi-disant maîtres anciens n’ont jamais fait que servir l’Etat ou servir l’Eglise, ce qui revient au même, ne cesse de dire Reger, un empereur ou un pape, un duc ou un archevêque. Tout comme le soi-disant homme libre est une utopie, le soi-disant artiste libre a toujours été une utopie, une folie, c’est ce que dit souvent Reger.”

“Hé oui, a dit Reger, même si nous le maudissons et même si, parfois, il nous paraît complètement superflu et si nous sommes obligés de dire qu’il ne vaut tout de même rien, l’art, lorsque nous regardons ici les tableaux de ces soi-disant maîtres anciens, qui très souvent et naturellement avec les années nous paraissent de plus en plus profondément inutiles et vains, et de plus, rien d’autre que des tentatives impuissantes pour s’établir habilement sur la terre entière, tout de même rien d’autre ne sauve les gens comme nous que justement cet art maudit et satané et souvent répugnant à vomir et fatal, voilà ce qu’a dit Reger.”

Ses propos sur Klimt n’apparaissent qu’ à la fin du roman:

« Avec Mahler, la musique autrichienne a vraiment atteint son point le plus bas, a dit Reger. Le plus pur kitsch provoquant l’hystérie de la masse, tout comme Klimt, a-t-il dit. Schiele est le peintre le plus important. Aujourd’hui même un tableau médiocre de Klimt kitsch coûte plusieurs millions de livres, a dit Reger, c’est dégoûtant.»

Reger vit à dans un grand appartement situé Singerstrasse à Vienne qu’il a hérité de sa femme: «Rempli de meubles de la famille de sa femme, l’appartement régérien de Singerstrasse est le type même de ce qu’on appelle un appartement Jugendstil où il y a effectivement, accrochés aux murs, tout un tas de Klimt et de Schiele et de Gerstl et de Kokoschka, rien que des tableaux que ma femme tenait en haute estime, voilà ce qu’a dit un jour Reger, mais qui m’ont toujours inspiré à moi-même une profonde répulsion.»

«La peinture du tournant du siècle n’est que du kitsch et ce n’es pas mon genre (…) tandis que ma femme a toujours été attirée par elle, sinon positivement fascinée.»

« Vous savez, a dit Reger à cette occasion, je suis toujours dégoûté de ces choses qui justement sont modernes.(…) Et Schiele et Klimt, ces kitschistes, sont tout de même aujourd’hui les plus modernes de tous, c’est pourquoi, au fond, Klimt et Schiele me dégoûtent tellement.»

Ce roman est caractéristique de l’oeuvre de Thomas Bernhard, si contradictoire: celle d’un misanthrope passionné par le genre humain, celle d’un artiste que l’art dégoûte, mais qui ne peut s’en passer.

Miguel Torga

Miguel Torga.

Miguel Torga est un grand écrivain portugais qui n’est pas vraiment reconnu en France à sa juste valeur.   Né le 12 août 1907 dans le Nord-Est du Portugal, dans la région de  Trás-os-Montes, il s’appelait en réalité Adolfo Correia da Rocha. Il partit à 13 ans pour le Brésil et travailla alors dans une plantation de café.  Il revint ensuite dans son pays et devint médecin à Coimbra. Il sera victime de la censure de dictature de Salazar (1932-1968) et préférera donc longtemps publier à compte d’auteur. Il sera même emprisonné  pendant deux mois de décembre 1939 à février 1940. Son pseudonyme, Torga, veut  dire bruyère sauvage. Il est mort à Coimbra le 17 janvier 1995.

En 1994, les éditions José Corti permirent de découvrir l’excellente version française de ses contes, due à Claire Cayron. Elle est reprise aujourd’hui par les éditions Chandeigne.

Miguel Torga, Contes de la Montagne. Édition intégrale traduite du portugais par Claire Cayron. Chandeigne, 379 p., 22 €.

Principaux autres recueils en français:

Lapidaires, Paris, Éditions de l’Équinoxe, 1982 ; réédition, Paris, J. Corti, 1990.

En franchise intérieure : journal 1933-1977, Paris, Aubier Montaigne, 1982.

La Création du monde, Paris, Aubier, 1984 ; réédition, Paris, Garnier-Flammarion no 1042, 1999.

Portugal, Paris, Arléa, 1988 ; réédition, Paris, J. Corti, 1996.

Senhor Ventura, Paris, J. Corti, 1991 ; réédition, Paris, J. Corti, Les Massicotés no 15, 2005.

Contes et nouveaux contes de la Montagne, Paris, J. Corti, 1994 ; réédition, Paris, J. Corti, Les Massicotés no 5, 2004.

En chair vive : journal 1977-1993, Paris, J. Corti, 1997.

Vendange, Paris, J. Corti, 1999.

Conseil de Miguel Torga au Président de la République (de 1976 à 1986), le général Ramalho Eanes: “Seja sério, mas não se leve a sério.” «Soyez sérieux, mais ne vous prenez jamais au sérieux.»

Journal (En Franchise intérieure (1933-1977) et En Chair vive (1977-1993):

«Tant de journaux, tant de radios, tant d’agences de presse, et jamais l’humanité n’a autant marché à tâtons. Chaque heure qui passe est une énigme camouflée sous un millier d’explications. La vérité, de nos jours, est comme l’ombre du mensonge» (26 février 1947).

Lors d’une conférence au Brésil 1954: «L’universel, c’est le local moins les murs. C’est l’authentique qui peut être vu sous tous les angles et qui sous tous les angles est convaincant, comme la vérité.»

«Pas plus que le saint, l’artiste n’est un opposant au pouvoir. Il est l’opposé du pouvoir, même sans atteindre à la sainteté. Plus qu’un révolutionnaire, c’est un révolté; et plus encore qu’un révolté, un rebelle. Un champion de la liberté, tellement libre qu’il vit en lutte permanente avec ses propres démons»

«L’homme ne se découvre qu’en découvrant.»

Aujourd’hui, à Coimbra où le nom de Torga est partout, on peut lire sur un mur ce graffiti : « O único tirano que admitimos é a voz da nossa consciência » (« Le seul tyran que nous acceptons est la voix de notre conscience »).

Coimbra. Río Mondego.

Philippe Soupault – Marcel Proust

J’ai un peu écouté hier en voiture Répliques sur France Culture, l’émission d’Alain Finkielkraut,  puis tranquillement dans l’après-midi en podcast. “La mort de la grand-mère dans la recherche du temps perdu.”

Un peu déçu. Manque de dialogue réel entre Philippe Lançon et Antoine Compagnon. Deux mondes différents? Une certain rancoeur semblait couver encore à cause d’ un article peu amène publié par le critique de Libération il y a peu: Nathalie Quintane à la recherche du sens perdu. (20 avril 2018)

https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/la-mort-de-la-grand-mere-dans-la-recherche-du-temps-perdu

Philippe Soupault. (Man Ray) 1923.

J’ai retrouvé dans ma bibliothèque un livre de souvenirs de Philippe Soupault  (1897-1990) que j’avais bien aimé (Folio n°3165). L’évocation de Marcel Proust est assez belle et plutôt tendre.

Philippe Soupault, Profils perdus, Mercure de France, 1963.

Marcel Proust
«J’ai toujours aimé les gens que l’on qualifie d’extravagants. Dès mon enfance quand j’avais le plaisir de rencontrer des femmes et des hommes qu’on traite d’individus bizarres, je ne pouvais m’empêcher de leur adresser la parole alors que mes contemporains les évitent et les fuient.(…)
C’est à la même époque que je rencontrai pendant mes vacances à Cabourg un homme dont l’étrangeté m’attira et je voulus, selon ma coutume, faire sa connaissance. Un de mes amis, plus âgé que moi, me présenta à cet homme qui se promenait parfois le soir dans les salles du casino. Il se nommait Marcel Proust. J’éprouvais la même stupéfaction et la même sympathie que pour mon étrange amie du VIII ème arrondissement.
Marcel Proust réussit toujours à m’étonner. Vers six heures du soir, au coucher du soleil, on apportait sur la terrasse du grand hôtel de Cabourg un fauteuil de rotin. Pendant quelques minutes, ce fauteuil restait vide.Le «personnel» attendait. Puis Marcel Proust s’approchait lentement, une ombrelle à la main. Il guettait sur le seuil de la porte vitrée la tombée de la nuit. Lorsqu’ils passaient près de son fauteuil, les grooms se parlaient par signes comme les sourds-muets. Puis les amis de Proust s’approchaient. Ils parlaient d’abord du temps et de la température. A cette époque – c’était en 1913 – Marcel Proust craignait ou semblait craindre le soleil. Mais c’est le bruit surtout qui lui faisait horreur.
Tous les habitants de l’hôtel racontaient que M.Proust avait loué cinq chambres au prix fort. L’une pour y habiter, les quatre autres pour y «enfermer» le silence.
Quand, fasciné, je m’approchais de lui pour le regarder, il m’adressait la parole parce qu’il avait appris que j’étais le fils d’une de ses jeunes filles en fleurs. Il me parlait souvent d’un cours de danse qui se donnait dans un appartement de la rue de Ville-l’Evêque.
– C’est là que j’ai rencontré votre mère, votre tante, elle s’appelait Louise, n’est-ce pas? Je vois ses yeux, les seuls dont on pouvait dire qu’ils étaient violets.
Il parlait beaucoup de sa jeunesse, des coïncidences, des rencontres, des regrets. Son sourire était jeune, ses yeux profonds, son regard las, ses gestes lents. Bien sûr, j’ignorais qu’il écrivait. Il ne parlait jamais de son œuvre. C’est pourtant à cette époque qu’il écrivait A la recherche du temps perdu. Personne d’ailleurs ne semblait s’en douter. Il posait cependant beaucoup de questions. Je ne me souviens malheureusement que de quelques-unes. Elles me paraissaient puériles. Ainsi: A quelle époque exactement, demandait-il, à un garçon de café, fleurissent les cerisiers dans les vergers de Cabourg, pas les pommiers, les cerisiers?
Un autre jour il fit venir un des cuisiniers de l’hôtel pour lui demander la recette des sôles à la Mornay. Le cuisinier la récita. Marcel Proust lui glissa un billet de banque. Et le cuisinier empochant le pourboire partit en murmurant: «C’est trop, c’est trop!» Un autre jour il demanda quelle marque de cigares fumait le Prince de Galles qui était devenu Edouard VII. Qu’appelle-t-on un chapeau Cronstadt?
Je n’en revenais pas. Je l’écoutais bouche bée.
Parfois on le retrouvait assis devant une grande table. Il offrait à ceux qui l’approchaient une coupe de champagne. Quand il réclamait des cigares pour ses amis, on savait que c’était le signal de son départ.
– Excusez-moi, disait-il, la fumée du cigare me fait tousser…
Et il se levait. Il semblait avoir hâte de retrouver sa chambre et le silence.
Je ne le revis que quelques années plus tard, après la guerre. Je savais qu’il était un écrivain puisqu’il avait eu la gentillesse de m’envoyer Du côté de chez Swann. On commençait à parler de lui. Mais il sortait de moins en moins. Je l’aperçus une nuit au Boeuf sur le Toit. Il avait terriblement changé. J’allai le saluer et m’assis en face de lui. Il était fiévreux, anxieux même. Il parlait à voix basse. Il me demanda si j’étais retourné à Cabourg. Petite tirade sur Cabourg. Mais il avait l’air si fatigué que je n’insistai pas. Il se retira sur la pointe des pieds.
Quelques mois plus tard, je lui envoyai les Champs magnétiques qui venaient de paraître. J’habitais à cette époque dans l’île Saint-Louis, quai Bourbon, tout près de ses amis Bibesco. Un soir, à huit heures, on sonna à ma porte. Un chauffeur me demanda si j’accepterais de venir parler à M. Marcel Proust qui attendait dans sa voiture devant ma porte. J’acceptai, bien sûr. Pourtant, j’habitais à l’entresol. Qu’importe.
Marcel Proust, emmitouflé, était assis dans le fond d’un taxi. On voyait briller ses yeux, comme ceux d’un hibou. Il me remercia longuement, trop longuement à mon gré, d’avoir bien voulu me déranger.
– Je viens de chez les Bibesco qui sont vos voisins.
Il n’aurait pas voulu passer devant ma porte, me précisa-t-il, sans me remercier pour l’envoi d’un livre «capital» (Marcel Proust n’hésitait pas à employer les superlatifs).
– Je suis si fatigué que je ne puis vous remercier très longuement comme je le devrais et comme je n’étais pas sûr de vous trouver je vous ai écrit une lettre. La voici.
Il ferma soudain les yeux. Il paraissait épuisé. Jouait-il la comédie? Je ne le crois pas. Je le remerciai et pris congé. Il avait, une fois de plus, réussi à m’étonner. Son extrême politesse, excessive, était peut-être de l’insolence.
Je voulus à mon tour le remercier de l’envoi d’un de ses livres mais il me fit dire par son chauffeur qu’il était trop fatigué pour recevoir mais qu’il me ferait signe un soir si je ne craignais pas de sortir après minuit.
Je crus, et ne fus pas le seul, qu’il se cachait et qu’il refusait de revoir ceux qu’il auraient pu lui rappeler des souvenirs dont il n’avait plus l’usage. En vérité, et je le compris aisément, il avait hâte de finir son œuvre qui d’ailleurs ne fut jamais finie bien qu’il ait cru nécessaire d’écrire le mot fin au bas d’une des feuilles de son manuscrit.

Antonio Machado

Antonio Machado. v. 1927 (Alfonso).

Juan de Mairena II (1936-1938), LXXXVII

“En esta egregia Barcelona -hubiera dicho Juan de Mairena en nuestros días-, perla del mar latino, y en los campos que la rodean, y que yo me atrevo a llamar virgilianos, porque en ellos se da un perfecto equilibrio entre la obra de la Naturaleza y la del hombre gusto releer a Juan Maragall, a Mosén Cinto, a Ausias March, grandes poetas de ayer, u otros, grandes también, de nuestros días. Como a través de un cristal coloreado y no del todo transparente para mí, la lengua catalana, donde yo creo sentir la montaña, la campanilla y el mar, me deja ver algo de estas mentes iluminadas, de estos corazones ardientes de nuestra Iberia. Y recuerdo al gigantesco Lulio, el gran mallorquín. ¡Si la guerra nos dejará pensar! ¡Si la guerra nos dejará sentir! ¡Bah! Lamentaciones son éstas de pobre diablo. Porque la guerra es un tema de meditación como otro cualquiera, y un tema cordial esencialísimo. Y hay cosas que sólo la guerra nos hace ver claras. Por ejemplo: ¡Qué bien nos entendemos en lenguas maternas diferentes, cuantos decimos, de este lado del Ebro, bajo un diluvio de iniquidades: «Nosotros no hemos vendido nuestra España!» Y el que esto se diga en catalán como en castellano en nada amengua ni acrecienta su verdad.”

6 de octubre de 1938.

En 2017, la Municipalité de Sabadell (ERC-CUP) avait commandé à  Diego Abad d’étudier la nomenclature des noms de rues de cette importante ville catalane (211 000 habitants), située dans la banlieue de Barcelone. Ce pseudo-historien  avait proposé d’éliminer entre autres ceux  d’ Antonio Machado ou de Francisco de Quevedo,  les accusant d’avoir été  “españolistas” ou “anticatalanistas”. Depuis , les autorités actuelles de la ville ont été obligées de faire marche arrière.

 

Antonio Machado

Portrait d’Emmanuel Kant. (Anonyme) v 1790. Centre de Recherche Kant, Université Johannes Gutenberg de Mayence.

Juan de Mairena. Sentencias, donaires, apuntes y recuerdos de un profesor apócrifo 1936. Livre I. Chapitre XXXII.

       (Kant y Velázquez)

“Es evidente, decía mi maestro —Mairena endosaba siempre a su maestro la responsabilidad de toda evidencia— que si Kant hubiera sido pintor, habría pintado algo semejante a Las Meninas, y que una reflexión juiciosa sobre el famoso cuadro del pintor sevillano nos lleva a la Crítica de la pura razón, la obra clásica y luminosa del maestro de Kónisberg. Cuando los franceses —añadía—tuvieron a Descartes, tuvimos’nosotros —y aun se dirá que no entramos con pie derecho en la edad moderna— nada menos que un pintor kantiano, sin la menor desmesura romántica. Esto es mucho decir. No nos estrepitemos, sin embargo, que otras comparaciones más extravagantes se han hecho —Marx y Cristo etc.— que a nadie asombran. Además, y por fortuna para nuestro posible mentir de las estrellas, ni Kant fue pintor ni Velázquez filósofo.
Convengamos en que, efectivamente, nuestro Velázquez, tan poco enamorado de las formas sensibles, a juzgar por la indiferencia ante la belleza de los modelos, apenas si tiene otra estética que la estética transcendental kantiana. Buscadle otra y seguramente no la encontraréis. Su realismo, nada naturalista, quiero decir nada propenso a revolcarse alegremente en el estercolero de lo real, es el de un hombre que se tragó la metafísica y que, con ella en el vientre, nos dice: la pintura existe, como decía Kant: ahí está la ciencia físicomatemática, un hecho ingente que no admite duda. De hoy más, la pintura es llevar al lienzo esos cuerpos tales como los construye el espíritu, con la materia cromática y lumínica, en la jaula encantada del espacio y del tiempo. Y todo esto —claro está— lo dice con el pincel.
He aquí el secreto de la serena grandeza de Velázquez. Él pinta por todos y para todos; sus cuadros no sólo son pinturas, sino la pintura. Cuando se habla de él, no siempre con el asombro que se merece, se le reprocha más o menos embozadamente su impasible objetividad. Y hasta se alude con esta palabra —¡qué gracioso!—al objetivo de la máquina fotográfica. Se olvida -decía mi maestro— que la objetividad, en cualquier sentido que se tome, es el milagro que obra el espíritu humano, y que, aunque de ella gocemos todos, el tomarla en vilo para dejarla en un lienzo o en una piedra es siempre hazaña de gigantes”

Las Meninas. Detalle: el pintor. 1656. Madrid Prado.

Pour les rapports entre Descartes, Kant et Velázquez, on peut se reporter à l’essai de José Ortega y Gasset, “Sobre el punto de vista en las artes” publié dans la revista de Occidente en 1924.

“Hasta entonces la pupila del pintor había girado ptolomeicamente en torno a cada objeto siguiendo una órbita servil. Velázquez resuelve fijar despóticamente el punto de vista. Todo el cuadro nacerá de un solo acto de visión, y las cosas habrán de esforzarse por llegar como puedan hasta el rayo visual. Se trata, pues, de una revolución copernicana, pareja a la que promovieron en filosofía Descartes, Hume y Kant. La pupila del artista se erige en centro del cosmos plástico y en torno a ella vagan las formas de los objetos. Rígido el aparato ocular, lanza su rayo visor recto, sin desviación a uno y otro lado, sin preferencia por cosa alguna. Cuando tropieza con algo no se fija en ello y, consecuentemente, queda el algo convertido, no en cuerpo redondo, sino en mera superficie que intercepta la visión.”

“Demos un salto hacia 1600, época en que comienza la pintura de hueco. La filosofía está en poder de Descartes. ¿Cuál es para él la realidad cósmica?, Las substancias plurales e independientes se esfuman. Pasa a primer plano metafísico una única substancia -substancia vacía, especie de hueco metafísico que ahora va a tener un mágico poder creador. Lo real para Descartes es el espacio, como para Velázquez el hueco.”

Portrait de José Ortega y Gasset (Ignacio Zuloaga). 1920. Collection particulière.

Voir le texte intégral:

https://fr.scribd.com/doc/3819932/Ortega-y-Gasset-Jose-Sobre-el-punto-de-vista-en-las-artes

Antoino Machado

Soria. Instituto ES Antonio Machado. Escultura de Antonio Machado el día de su boda (Ricardo González Gil) 2010.

“La política, señores -sigue hablando Mairena-, es una actividad importantísima… Yo no os aconsejaré nunca el apoliticismo, sino, en último término, el desdeño de la política mala que hacen trepadores y cucañistas, sin otro propósito que el de obtener ganancia y colocar parientes. Vosotros debéis hacer política, aunque otra cosa os digan los que pretenden hacerla sin vosotros, y, naturalmente, contra vosotros. Sólo me atrevo a aconsejaros que la hagáis a cara descubierta; en el peor caso con máscara política, sin disfraz de otra cosa; por ejemplo: de literatura, de filosofía, de religión. Porque de otro modo contribuiréis a degradar actividades tan excelentes, por lo menos, como la política, y a enturbiar la política de tal suerte que ya no podamos nunca entendernos.

Y a quien os eche en cara vuestros pocos años bien podéis responderle que la política no ha de ser, necesariamente, cosa de viejos. Hay movimientos politicos que tienen su punto de arranque en una justificada rebelión de menores contra la inepcia de los sedicentes padres de la patria. Esta política, vista desde el barullo juvenil, puede parecer demasiado revolucionaria, siendo, en el fondo, perfectamente conservadora. Hasta las madres -¿hay algo más conservador que una madre?- pudieran aconsejarla con estas o parecidas palabras: “Toma el volante, niño, porque estoy viendo que tu papá nos va a estrellar a todos -de una vez- en la cuneta del camino”.

(Antonio Machado, Juan de Mairena. Sentencias, donaires, apuntes y recuerdos de un profesor apócrifo 1936)

Josep Fontana

Josep Fontana, 2017.

L’historien catalan, Josep Fontana i Lázaro, né le 20 novembre 1931 à Barcelone, est  mort dans sa ville natale le 28 août 2018. Ce grand historien marxiste était  professeur émérite de l’université Pompeu Fabra de Barcelone et spécialiste de l’histoire de l’Espagne contemporaine. Il se présentait comme “rojo y nacionalista, que no son dos cosas incompatibles”. Il fut membre du PSUC de 1957 à 1980. Le franquisme l’expulsa de l’université en 1966 à cause de son engagement politique.

Principales oeuvres: – La quiebra de la monarquía absoluta (1814-1820), 1971.

– Historia. Análisis del pasado y proyecto social, 1982.

La crisis del Antiguo Régimen (1808-1832) , 1992.

Hacienda y Estado 1823-1833, 2001.

Por el bien del imperio. Una historia del mundo desde 1945, 2011.

La formació d’una identitat, 2014

El siglo de la revolución. Una historia del mundo desde 1914, 2017.

Ses maîtres furent Ferran Soldevila, Jaume Vicens Vives et Pierre Vilar.

Il avait fait publier en espagnol chez Ariel, puis Crítica de grands historiens comme Eric Hobsbawm, E. P. Thompson, George Rudé, Michele Vovelle, Marc Bloch, Albert Soboul  Mary Beard, Pierre Vilar ou David S. Landes.

Un seul de ses livres a été publié et préfacé en français par Jacques Le Goff au Seuil en 1995 dans la collection Faire l’Europe: L’Europe en procès. Publié en espagnol en 1994:  Europa ante el espejo.

Ce poème de Bertolt Brecht était affiché dans son bureau: ” “Quien todavía esté vivo que no diga jamás: lo que es seguro no es seguro. Todo no será siempre igual. Cuando hayan hablado los opresores, hablarán los oprimidos. El que haya caído, debe levantarse, el que haya perdido, debe luchar. ¿Quién podrá detener al que conoce la verdad? Porque los vencidos de hoy son los vencedores de mañana, y el jamás se va a convertir en ahora mismo”.

Bertolt Brecht.

ELOGE DE LA DIALECTIQUE
L’injustice aujourd’hui s’avance d’un pas sûr.
Les oppresseurs dressent leurs plans pour 10 000 ans.
La force affirme : les choses resteront ce qu’elles sont.
Pas une voix, hormis la voix de ceux qui règnent,
Et sur tous les marchés l’exploitation proclame : c’est maintenant que je commence.
Mais chez les opprimés, beaucoup disent maintenant:
Ce que nous voulons ne viendra jamais.

Celui qui vit encore ne doit pas dire: jamais.
Ce qui est assuré n’est pas sûr.
Les choses ne restent pas ce qu’elles sont.
Quand ceux qui règnent auront parlé,
Ceux sur qui ils régnaient parleront.
Qui donc osé dire: jamais?
De qui dépend que l’oppression demeure ? De nous.
De qui dépend qu’elle soit brisée ? De nous.
Celui qui s’écroule abattu, qu’il se dresse.
Celui qui est perdu : qu’il lutte!
Celui qui a compris pourquoi il en est là, comment le retenir?
Les vaincus d’aujourd’hui sont les vainqueurs de demain.
Et jamais devient : aujourd’hui.”

(Traduction: Maurice Regnaut)

Michel de Montaigne

Portrait présumé de Michel de Montaigne par un auteur anonyme (anciennement attribué à Dumonstier) repris par Thomas de Leu pour orner l’édition des Essais de 1608.

Essais, Livre III, chapitre IX : « Sur la vanité », « L’art de voyager» (extrait), translation en français moderne par A. Lanly, Honoré Champion (2002).

«Moi, qui le plus souvent voyage pour mon plaisir, je ne me guide pas si mal. S’il ne fait pas beau à droite, je prends à gauche ; si je me trouve peu apte à monter à cheval, je m’arrête. En faisant ainsi, je ne vois en vérité rien qui ne soit aussi agréable et aussi confortable que ma maison. Il est vrai que je trouve la superfluité toujours superflue et que je remarque de la gêne même dans le raffinement et dans l’abondance. Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi? J’y retourne ; c’est toujours mon chemin. Je ne trace [à l’avance] aucune ligne déterminée, ni droite ni courbe. Ne trouvé-je pas à l’endroit où je vais ce que l’on m’avait dit ? Comme il arrive souvent que les jugements des autres ne s’accordent pas avec les miens et que je les ai trouvés le plus souvent faux, je ne regrette pas ma peine : j’ai appris que ce qu’on disait n’y est pas.
J’ai une constitution physique qui se plie à tout et un goût qui accepte tout, autant qu’homme au monde. La diversité des usages d’un peuple à l’autre ne m’affecte que par le plaisir de la variété. Chaque usage a sa raison [d’être]. Que ce soient des assiettes d’étain, de bois ou de terre cuite, [que ce soit] du bouilli ou du roti, du beurre ou de l’huile de noix ou d’olive, [que ce soit] du chaud ou du froid, tout est un pour moi et si un que, vieillissant, je blame cette aptitude [qui me vient] d’une riche nature et que j’aurais besoin que la délicatesse [du goût] et le choix arrêtassent le manque de mesure de mon appétit et parfois soulageassent mon estomac. Quand je me suis trouvé ailleurs qu’en France et que, pour me faire une politesse, on m’a demandé si je voulais être servi à la française, je m’en suis moqué et je me suis toujours précipité vers les tables les plus garnies d’étrangers.
J’ai honte de voir nos compatriotes enivrés de cette sotte manie [qui les porte à] s’effaroucher des manières contraires aux leurs: il leur semble qu’ils sont hors de leur élément s’ils sont hors de leur village. Où qu’ils aillent, ils restent attachés à leurs façons [de vivre] et abominent celles des étrangers. Retrouvent-ils un Français en Hongrie? ils fêtent cette aventure: les voilà à se rallier et à se recoudre ensemble, à condamner tant de mœurs barbares qu’ils voient. Pourquoi ne seraient-elles pas barbares puisqu’elles ne sont pas françaises ? Et encore ce sont les plus intelligents qui les ont remarquées, pour en médire. La plupart d’entre eux ne partent en voyage que pour faire le retour. Ils voyagent cachés et renfermés en eux-mêmes, avec une prudence taciturne et peu communicative, en se défendant contre la contagion d’un air inconnu.
Ce que je dis de ceux-là me rappelle, dans un domaine semblable, ce que j’ai parfois observé chez quelques-uns de nos jeunes courtisans. Ils ne s’attachent qu’aux hommes de leur sorte, et nous regardent comme des gens de l’autre monde, avec dédain ou pitié. Ôtez-leur les entretiens sur les mystères de la cour, ils sont hors de leur [seul] domaine, aussi niais pour nous, et malhabiles, que nous [le sommes pour eux. On dit bien vrai [quand on affirme] qu’un « honnête homme », c’est un« homme mêlé ».
Au rebours [de nos compatriotes], je voyage fatigué de nos façons de vivre, non pour chercher des Gascons en Sicile (j’en ai laissé assez au pays); je cherche plutot des Grecs, et des Persans: c’est ceux-là que j’aborde, que j’observe; c’est à cela que je me prête et que je m’emploie. Et qui plus est : il me semble que je n’ai guère rencontré de manières qui ne vaillent pas les nôtres.»