Luis Cernuda

Retrato de Luis Cernuda (Eduardo Arroyo né le 26 février 1937 à Madrid et mort le 14 octobre 2018 dans la même ville)

La luz

Cuando aquellas mañanas tu cuerpo se tendía desnudo bajo el cielo, una fuerza conjunta, etérea y animal, sutilización y exaltación de la pesadez humana por virtud de la luz, iba penetrándole con violencia irresistible. Con su presencia se acallaban los poderes elementales de que el cuerpo es cifra, el agua, el aire, la tierra, el fuego, abrazados entonces en proporción y armonía perfectas. Toda forma parecía recogerse bajo el nombre y todo nombre suscitar la forma, con aquella exactitud prístina de una creación: lo exterior y lo interior se correspondían y ajustaban como entre los amantes el deseo del uno a la entrega del otro. Y tu cuerpo escuchaba la luz.
Si algo puede atestiguar en esta tierra la existencia de un poder divino, es la luz; y un instinto remoto lleva al hombre a reconocer por ella esa divinidad posible, aunque el fundamental sosiego que la luz difunde traiga consigo angustia fundadamental equivalente ya que en definitiva la muerte aparece entonces como la privación de la luz.
Mas siendo Dios la luz, el conocimiento imperfecto de ella que a través del cuerpo obtiene el espíritu en esta vida. ¿No ha de perfeccionarse en Dios a través de la muerte? Como los objetos puestos al fuego se consumen, tranformándose en llama ellos mismos, así el cuerpo en la muerte, para transformarse en luz e incorporarse a la luz que es Dios, donde no habrá ya alteración de luz y sombra, sino luz total e infalible. Y cuando así no sea, aun tu cuerpo desnudo al sol de esta tierra recogió y atesoró por su seno oscuro, en consolación desesperada, partículas suficientes de aquella divinidad ilusoria, hasta iluminar con ellas la muerte, si ésta ha de ser para el hombre definitiva.

(écrit entre 1942 y 1949, publié en 1963)

Ocnos, 1942. 1949. 1963.

Dans ce texte apparaît bien le sentiment religieux chez Luis Cernuda. La vision poétique s’identifie à la lumière. Le recueillement, la contemplation sont indispensables et renvoient à la poésie mystique. Unité, séparation, reconnaissance. Le poète cubain José Lezama Lima dit:

“La luz es el primer animal visible de lo invisible.
Es la luz que se manifiesta,
la evidencia como un brazo
que penetra en el pez de la noche.”

Las siete alegorías in Fragmentos a su imán 1977.

Merci à Laura R. qui m’ a rappelé ce texte.

Gustave Flaubert – Charles Baudelaire

Le Procureur Ernest Pinard (Bertall et Hippolyte Bayard) 1860.

En 1857, le procureur Ernest Pinard poursuit Gustave Flaubert, Charles Baudelaire et Eugène Sue. Flaubert, d’abord, en février, pour son roman, Madame Bovary, jugé scandaleux parce que complaisant dans la narration des aventures extraconjugales d’Emma. Il ne peut faire condamner Flaubert qui est blâmé pour le réalisme vulgaire et souvent choquant de la peinture des caractères mais relaxé, notamment grâce à la brillante plaidoirie de son avocat Antoine Sénard.
Il poursuit ensuite en août Charles Baudelaire, dont le recueil Les Fleurs du Mal est considéré comme «un défi jeté aux lois qui protègent la religion et la morale». Baudelaire est condamné à 300 francs d’amende et six poèmes sont interdits de publication. Ils le resteront jusqu’à ce que le jugement soit cassé en…1949.
En septembre, c’est le tour d’Eugène Sue, qui fait paraître depuis plusieurs années Les Mystères du peuple, histoire d’une famille de prolétaires à travers les âges. Malgré la mort de l’auteur le 3 août 1857, le procès continue et Pinard obtient la condamnation de l’éditeur et de l’imprimeur et ordonne la saisie et la destruction de l’ouvrage.

Caricature de Gustave Flaubert (A. Lemot) La Parodie, 5-12 décembre 1869.

Flaubert et Baudelaire se connaissent et s’apprécient. Le premier remercie ainsi le poète le 13 juillet 1857 après avoir reçu Les Fleurs du Mal.

À CHARLES BAUDELAIRE
Croisset, 13 juillet 1857.
Mon cher Ami,
J’ai d’abord dévoré votre volume d’un bout à l’autre comme une cuisinière fait d’un feuilleton. et maintenant depuis huit jours je le relis, vers à vers, mot à mot et, franchement cela me plaît et m’enchante.
Vous avez trouvé le moyen de rajeunir le romantisme. Vous ne ressemblez à personne (ce qui est la première de toutes les qualités). L’originalité du style découle de la conception. La phrase est toute bourrée par l’idée à en craquer.
J’aime votre âpreté, avec ses délicatesses de langage qui la font valoir, comme des damasquinures sur une lame fine.
Voici les pièces qui m’ont le plus frappé: le sonnet XVIII: La Beauté; c’est pour moi une œuvre de la plus haute valeur; — et puis les pièces suivantes: L’Idéal, La Géante (que je connaissais déjà), la pièce XXV:
“Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,
Une charogne, Le Chat (p. 79), Le Beau Navire, À une dame créole, Spleen (p. 140), qui m’a navré, tant c’est juste de couleur! Ah! vous comprenez l’embêtement de l’existence, vous! Vous pouvez vous vanter de cela, sans orgueil. Je m’arrête dans mon énumération, car j’aurais l’air de copier la table de votre volume. Il faut que je vous dise pourtant que je raffole de la pièce LXXV, Tristesses de la lune:
[…] Qui d’une main distraite et légère caresse
Avant de s’endormir, le contour de ses seins […]

et j’admire profondément le Voyage à Cythère, etc., etc.
Quant aux critiques, je ne vous en fais aucune, parce que je ne suis pas sûr de les penser moi-même dans un quart d’heure. J’ai, en un mot, peur de dire des inepties dont j’aurais un remords immédiat. Quand je vous reverrai, cet hiver, à Paris, je vous poserai seulement, sous forme dubitative et modeste, quelques questions.
En résumé, ce qui me plaît avant tout dans votre livre, c’est que l’art y prédomine. Et puis vous chantez la chair sans l’aimer, d’une façon triste et détachée qui m’est sympathique. Vous êtes résistant comme le marbre et pénétrant comme un brouillard d’Angleterre.
Encore une fois, mille remerciements du cadeau. Je vous serre la main très fort.
À vous.
Gustave Flaubert

Charles Baudelaire.

André Breton – Arthur Rimbaud

André Breton, Simone Kahn. 1925. Thorenc (Alpes Maritimes).

Lectures récentes: André Breton, Lettres à Simone Kahn 1920-1960, Gallimard, 2016.

Simone Breton, Lettres à Denise Lévy, Éditions Joëlle Losfeld, 2005.

Fin juin 1920, André Breton rencontre au jardin du Luxembourg Simone Kahn, en compagnie de Théodore Fraenkel et de Bianca Maklès. Le 15 septembre 1921, ils se marient à la mairie du XVII ème arrondissement.

On connaît les lettres d’André Breton à Simone Kahn, pas celles de Simone à André. La première femme du créateur du surréalisme écrivait bien comme le montrent les lettres à sa cousine, Denise Kahn-Lévy qui servira de modèle à Aragon pour le personnage de Bérénice dans son roman Aurélien.

Les deux livres contiennent des informations inédites sur les débuts du surréalisme et livrent un portrait intime d’André Breton.

André Breton, Lettre à Simone Kahn, 16 septembre 1920.

«Connaissez-vous le merveilleux poème de Rimbaud qui s’appelle Royauté? Je le vis.»

Lettres à Simone Kahn 1920-1960, Gallimard, 2016.

Royauté (Arthur Rimbaud)
Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes criaient sur la place publique : “Mes amis, je veux qu’elle soit reine !” “Je veux être reine !” Elle riait et tremblait. Il parlait aux amis de révélation, d’épreuve terminée. Ils se pâmaient l’un contre l’autre.
En effet ils furent rois toute une matinée où les tentures carminées se relevèrent sur les maisons, et tout l’après-midi, où ils s’avancèrent du côté des jardins de palmes.
Les illuminations, 1886.

Ce poème, assez hermétique, prend la forme d’une histoire merveilleuse. Comme d’autres illuminations, il s’agit de la mise en scène d’un couple, une union triomphale dans une royauté commune. Interprétation possible: Reformer l’unité d’un tout dissocié.

Luis Cernuda

Luis Cernuda.

Luis Cernuda écrit ce poème le 6 juillet 1929 à Madrid. Il figure dans la célèbre anthologie de Gerardo Diego. Poesía española: antología 1915-1931. Madrid, 1932. Anaphores et anadiploses…

“Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?”

Estoy cansado

Estar cansado tiene plumas,
tiene plumas graciosas como un loro,
plumas que desde luego nunca vuelan,
mas balbucean igual que loro.

Estoy cansado de las casas,
prontamente en ruinas sin un gesto;
estoy cansado de las cosas,
con un latir de seda vueltas luego de espaldas.

Estoy cansado de estar vivo,
aunque más cansado sería el estar muerto;
estoy cansado del estar cansado
entre plumas ligeras sagazmente,
plumas del loro aquel tan familiar o triste,
el loro aquel del siempre estar cansado.

Un río, un amor, 1929.

Rainer Maria Rilke

Rainer Maria Rilke. Statue qui se trouve dans un jardin situé derrière l’Hôtel Reina Victoria à Ronda, Il séjourne dans cet établissement du 9 décembre 1912 au 19 février 1913. Il nomme cette ville andalouse “La Ville rêvée”.

Pour me fêter fait pendant au recueil Pour te fêter adressé à Lou Andreas-Salomé. Il paraît en décembre 1900. La plupart des textes sont rédigés entre novembre 1897 et fin mai 1898. Ils sont repris dans une nouvelle édition très remaniée publiée en mai 1909 sous le titre Poèmes de l’aube.

Pour me fêter

Telle est la nostalgie: habiter dans les vagues
et ne jamais avoir d’asile dans le temps.
Et tels sont les désirs: dialogues à voix basse
des heures quotidiennes avec l’éternité.

Et ainsi va la vie – jusqu’à ce que des heures
de la veille s’élève la plus solitaire
qui, souriant autrement que ses sœurs,
s’offre en silence à l’éternel.

3 novembre 1897.

°°°
Les pauvres mots que la vie quotidienne
flétrit, les mots sans éclat, je les aime.
Je leur prodigue les couleurs de mes fêtes,
et ils sourient et lentement trouvent la joie.

Ils chauffent leurs blanches joues d’hiver
au miracle qui survint à leur douleur;
jamais encore ils ne furent chantés,
mais frémissants, dans mon chant ils s’avancent.

°°°

Tu ne dois pas chercher à comprendre la vie,
elle sera dès lors pour toi comme une fête.
Laisse chaque jour te combler
comme un enfant qui passe
se voit comblé de fleurs
par chaque brise.

Il ne lui vient pas à l’esprit
de les ramasser ni de les garder.
Doucement de sa chevelure,
tendre prison, il les enlève,
et à ses chères jeunes années
il tend les mains pour avoir d’autres fleurs.

°°°

Les rêves de ta vie profonde,
libère-les de leur ténèbre.
Ils sont jeux d’eaux et tombent
plus clairs et en pauses chantantes
dans le sein de leurs vasques.

Et je sais maintenant : deviens tel un enfant
Toute angoisse n’est qu’un commencement;
mais la terre est illimitée,
et la peur n’en est que le geste
et le désir en est le sens.

Oeuvres 2. Poésie. Poèmes de jeunesse. Le Seuil. 1972. Traduction Jacques Legrand.

Luis Cernuda

Luis Cernuda. Ayamonte (Huelva). 1934.

Ce poème fait partie du recueil Los placeres prohibidos qui ne sera publié pour la première fois qu’en 1936 dans La Realidad y el Deseo. Cette oeuvre est le produit d’une période de production intense à Madrid en avril, mai et juin 1931. Elle correspond à la chute de la monarchie d’Alfonso XIII et à la proclamation de la République. L’allusion à “la araña de la razón” fait référence à Friedrich Nietzsche.

Ainsi parlait Zarathoustra. 1883-85. Traduction Henri Albert . Le Mercure de France.1903. Troisième partie: Avant le lever du soleil.
« J’ai mis en place de cette volonté, cette pétulance et cette folie, lorsque j’ai enseigné: «Une chose est impossible partout – et cette chose est le sens raisonnable! »
Un peu de raison cependant, un grain de sagesse, dispersé d’étoile en étoile, – ce levain est mêlé à toutes choses: c’est à cause de la folie que la sagesse est mêlée à toutes choses!
Un peu de sagesse est possible; mais j’ai trouvé dans toutes choses cette certitude bienheureuse: elles préfèrent danser sur les pieds du hasard.
Ô ciel au-dessus de moi, ciel pur et haut! Ceci est maintenant pour moi ta pureté qu’il n’existe pas d’éternelle araignée et de toile d’araignée de la raison: –
– que tu es un lieu de danse pour les hasards divins, que tu es une table divine pour le jeu de dés et les joueurs divins! – »

Telarañas cuelgan de la razón

Telarañas cuelgan de la razón
En un paisaje de ceniza absorta;
Ha pasado el huracán de amor,
Ya ningún pájaro queda.

Tampoco ninguna hoja,
Todas van lejos, como gotas de agua
De un mar cuando se seca,
Cuando no hay ya lágrimas bastantes,
Porque alguien, cruel como un día de sol en primavera,
Con su sola presencia ha dividido en dos un cuerpo.

Ahora hace falta recoger los trozos de prudencia,
Aunque siempre nos falte alguno;
Recoger la vida vacía
Y caminar esperando que lentamente se llene,
Si es posible, otra vez, como antes,
De sueños desconocidos y deseos invisibles.

Tú nada sabes de ello,
Tú estás allá, cruel como el día;
El día, esa luz que abraza estrechamente un triste muro,
Un muro, ¿no comprendes?,
Un muro frente al cuál estoy sólo.

Abril de 1931.
Los placeres prohibidos, 1931.

Des fils d’araignée couvrent la raison

Des fils d’araignée couvrent la raison,
Méditative dans un décor de cendres;
L’ouragan de l’amour est passé,
Il ne reste aucun oiseau.

Et plus aucune feuille,
Elles s’en vont, comme des gouttes d’eau
D’une mer qui s’assèche,
Quand il ne reste plus assez de larmes,
Car un être, cruel comme un jour de printemps ensoleillé,
Par sa seule présence, a divisé un corps en deux.

Il faudra maintenant rassembler les morceaux de prudence,
Il en manque toujours un;
Rassembler l’existence vide
Et marcher avec l’espoir qu’un jour elle se remplisse,
À nouveau, comme avant, si possible,
De rêveries inconnues et de désirs invisibles.

Mais toi, tu n’en sais rien,
Tu es loin, cruel comme le jour;
Le jour, lumière qui étreint étroitement un triste mur,
Un mur, le comprends-tu?
Un mur devant lequel je suis seul.

Les plaisirs interdits. Presse Sorbonne Nouvelle. 2010. Traduction: Françoise ÉTIENVRE, Serge SALAÜN, Zoraida CARANDELL, Laurie-Anne LAGET, Melissa LECOINTRE.

Fernando Pessoa

Fernando Pessoa. 1 février 1935. Dernière photo (Augusto Ferreira Gomes).

« Je relis – plongé dans une de ces somnolences sans sommeil où l’on s’amuse intelligemment sans intelligence – certaines des pages qui formeront, rassemblées, mon livre d’impressions décousues. Et voici qu’il monte de ces pages, telle l’odeur de quelque chose de bien connu, une impression désertique de monotonie. Je sens que, même en disant que je suis toujours différent, j’ai répété sans cesse la même chose; que je suis plus semblable à moi-même que je ne voudrais l’avouer; et qu’en fin de compte, je n’ai eu ni la joie de gagner, ni l’émotion de perdre. Je suis une absence de bilan de moi-même, un manque d’équilibre spontané, qui me consterne et m’affaiblit.
Tout ce que j’ai écrit est grisâtre. On dirait que ma vie entière, et jusqu’à ma vie mentale, n’a été qu’un long jour de pluie, où tout est internement et pénombre, privilège vide et raison d’être oubliée. Je me désole en haillons de soie. Je m’ignore moi-même, en lumière et ennui.
Mon humble effort, pour dire au moins qui je suis, pour enregistrer, comme une machine à nerfs, les impressions les plus minimes de ma vie subjective et suraiguë – tout cela s’est vidé soudain comme un seau d’eau qu’on renverse, et qui a trempé le sol comme l’eau de toute chose. Je me suis fabriqué à coups de couleurs fausses – et le résultat, c’est mon empire de pacotille. Ce coeur, auquel j’avais confié en dépôt les grands événements d’une prose vécue, me semble aujourd’hui écrit dans le lointain de ces pages que je relis d’une âme différente, la vieille pompe d’un jardin de province, montée par instinct, actionnée par nécessité. J’ai fait naufrage sans la moindre tempête, dans une mer où j’avais pied.
Et je demande à ce qui me reste de conscient, dans cette suite confuse d’intervalles entre des choses qui n’existent pas, à quoi cela a servi de remplir tant de pages avec des phrases auxquelles j’ai cru, les croyant miennes, des émotions que j’ai ressenties comme pensées, des drapeaux et des oriflammes d’armées qui n’étaient, en fin de compte, que des bouts de papier collés avec sa salive par la fille d’un mendiant s’abritant dans les encoignures.
Je demande à ce qui reste de moi à quoi riment ces pages inutiles, consacrées au rebut et aux ordures, perdues avant même d’exister parmi les bouts du papier du Destin.
Je m’interroge, et je poursuis. J’écris ma question, je l’emballe dans de nouvelles phrases, la désenchevêtre de nouvelles émotions. Et je recommencerai demain à écrire, poursuivant ainsi mon livre stupide, les impressions journalières de mon inconviction, en toute froideur.
Qu’elles se poursuivent donc, telles qu’elles sont. Une fois achevée la partie de dominos – et qu’on l’ait gagnée ou perdue -, on retourne toutes les pièces, et tout le jeu, alors, est noir.”

Le livre de l’intranquillité. Christian Bourgois Éditeur. Édition de 1999. 442. p.419.

«Releio, em uma destas sonolências sem sono, em que nos entretemos inteligentemente sem a inteligência, algumas das páginas que formarão, todas juntas, o meu livro de impressões sem nexo. E delas me sobe, como um cheiro de coisa conhecida, uma impressão deserta de monotonia. Sinto que, ainda ao dizer que sou sempre diferente, disse sempre a mesma coisa; que sou mais análogo a mim mesmo do que quereria confessar; que, em fecho de contas, nem tive a alegria de ganhar nem a emoção de perder. Sou uma ausência de saldo de mim mesmo, de um equilíbrio involuntário que me desola e enfraquece. Tudo, quanto escrevi, é pardo. Dirse-ia que a minha vida, ainda a mental, era um dia de chuva lenta, em que tudo é desacontecimento e penumbra, privilégio vazio e razão esquecida. Desolo-me a seda rota. Desconheço-me a luz e tédio. Meu esforço humilde, de sequer dizer quem sou, de registrar, como uma máquina de nervos, as impressões mínimas da minha vida subjetiva e aguda, tudo isso se me esvaziou como um balde em que esbarrassem, e se molhou pela terra como a água de tudo. Fabriquei-me a tintas falsas, resultei a império de trapeira. Meu coração, de quem fiei os grandes acontecimentos da prosa vivida, parece-me hoje, escrito na distância destas páginas relidas com outra alma, uma bomba de quintal de província, instalada por instinto e manobrada por serviço. Naufraguei sem tormenta num mar onde se pode estar de pé. E pergunto ao que me resta de consciente nesta série confusa de intervalos entre coisas que não existem, de que me serviu encher tantas páginas de frases em que acreditei como minhas, de emoções que senti como pensadas, de bandeiras e pendões de exércitos que são, afinal, papéis colados com cuspo pela filha do mendigo debaixo dos beirais. Pergunto ao que me resta de mim a que vêm estas páginas inúteis, consagradas ao lixo e ao desvio, perdidas antes de ser entre os papéis rasgados do Destino. Pergunto, e prossigo. Escrevo a pergunta, embrulho-a em novas frases, desmeado-a de novas emoções. E amanhã tornarei a escrever, na seqüência do meu livro estúpido, as impressões diárias do meu desconvencimento com frio. Sigam, tais como são. Jogado o dominó, e ganho o jogo, ou perdido, as pedras viram-se para baixo e o jogo findo é negro.»

Livro do Desassossego por Bernardo Soares. Assírio & Alvim, 1998.

Luis de Góngora

Portrait de Luis de Góngora y Argote (Diego Velázquez) 1622. Boston, Musée des Beaux-Arts.

Philippe C. a publié aujourd’hui sur Facebook Inscripción para el sepulcro de Dominico Greco que Jean Cassou considérait comme un des plus beaux sonnets du poète andalou. on peut retrouver son article publié dans Le Mercure de France en 1924. Il tenait dans cette revue, environ une fois par mois, la rubrique des Lettres espagnoles.

http://viedelabrochure.canalblog.com/archives/2018/06/21/36505347.html?fbclid=IwAR1LllvsFc8RXQTlOEgDuBE_Z2arlgcGj4DSVRfUgIGa1u7HxwWc41nSAJw

il insistait aussi sur la richesse et la diversité de la poésie de Luis de Góngora y Argote (1561-1627). On trouve aussi dans son oeuvre des élégies d’un ton simplement populaire. Ainsi, le premier disque de Paco Ibáñez était dédié à deux monuments de la poésie andalouse: Luis de Góngora y Federico García Lorca. Il y a longtemps déjà, nous écoutions La más bella niña.

1580

La más bella niña
de nuestro lugar,
hoy viuda y sola,
ayer por casar,
viendo que sus ojos
a la guerra van,
a su madre dice
que escucha su mal:
dejadme llorar
orillas del mar.

Pues me distes, madre,
en tan tierna edad
tan corto el placer,
tan largo el pesar,
y me cautivastes
de quien hoy se va
y lleva las llaves
de mi libertad:
dejadme llorar
orillas del mar.

En llorar conviertan
mis ojos de hoy más,
el sabroso oficio
del dulce mirar,
pues que no se pueden
mejor ocupar
yéndose a la guerra
quien era mi paz.
dejadme llorar
orillas del mar.

No me pongáis freno
ni queráis culpar;
que lo uno es justo,
lo otro por demás.
Si me queréis bien,
no me hagáis mal;
harto peor fue
morir y callar:
dejadme llorar
orillas del mar.

Dulce madre mía,
¿quién no llorará,
aunque tenga el pecho
como un pedernal,
y no dará voces
viendo marchitar
los más verdes años
de mi mocedad?
Dejadme llorar
orillas del mar.

Váyanse las noches,
pues ido se han
los ojos que hacían
los míos velar;
váyanse y no vean
tanta soledad,
después que en mi lecho
sobra la mita:
dejadme llorar
orillas del mar.

https://www.youtube.com/watch?v=t5m9Pov0i0o

Ce poème de Góngora est une réélaboration d’un romance primitif. Il fait probablement aussi référence aux levées de troupes qui se eurent lieu au moment de la Guerre des Alpujarras entre 1568 et 1571. La population morisque grenadine s’était soulevée pour protester contre la sanction pragmatique de 1567 qui portait atteinte à sa liberté religieuse.

Carlos Pezoa Véliz – Roberto Bolaño

Carlos Pezoa Véliz. Vers 1905.

Le poète et journaliste chilien , anarchiste et autodidacte, Carlos Pezoa Véliz, de son vrai nom Carlos Enrique Moyano Jaña, est né à Santiago le 21 juillet 1879.

Il est très gravement blessé aux jambes lors du terrible tremblement de terre qui secoue Valparaíso le 16 août 1906 et cause 3000 morts et 20 000 blessés. Les murs de la pension où il habite à Viña del Mar s’écroulent sur lui. Il fait de longs séjours dans les hôpitaux de Santiago et meurt, à 28 ans, le 21 avril 1908 de tuberculose. Son œuvre complète est éditée en 1927 sous le titre de Poesías y prosas completas (Editorial Renacimiento). On retrouve un peu l’influence de sa poésie rebelle, ironique et populaire chez Nicanor Parra. Roberto Bolaño pensait que le poème Tarde en el hospital méritait de figurer dans une anthologie de la mélancolie latinoaméricaine (voir son article La poesía chilena y la intemperie. Numero Chile de la revue Litoral. Poesía contemporánea con una mirada al arte actual (número 223-224. 1999). Cette revue, encore bien vivante, a été fondée à Málaga en 1926 par les poètes Emilio Prados et Manuel Altolaguirre.

Tarde en el hospital

Sobre el campo el agua mustia
cae fina, grácil, leve;
con el agua cae angustia:
llueve…

Y pues solo en amplia pieza,
yazgo en cama, yazgo enfermo,
para espantar la tristeza,
duermo.

Pero el agua ha lloriqueado
junto a mí, cansada, leve;
despierto sobresaltado:
llueve…

Entonces, muerto de angustia
ante el panorama inmenso,
mientras cae el agua mustia,
pienso.

1907.

Litoral. Número 223-224. 1999.

César Vallejo

Étang du Maubuée l’hiver.

César Vallejo, un de mes poètes préférés, toutes langues confondues. J’aimerais me promener au bord de la Marne.

El libro de la naturaleza

Profesor de sollozo – he dicho a un árbol –
palo de azogue, tilo
rumoreante, a la orilla del Mame, un buen alumno
leyendo va en tu naipe, en tu hojarasca,
entre el agua evidente y el sol falso,
su tres de copas, su caballo de oros.

Rector de los capítulos del cielo,
de la mosca ardiente, de la calma manual que hay en los asnos;
rector de honda ignorancia, un mal alumno
leyendo va en tu naipe, en tu hojarasca,
el hambre de razón que le enloquece
y la sed de demencia que le aloca.

Técnico en gritos, árbol consciente, fuerte,
fluvial, doble, solar, doble, fanático,
conocedor de rosas cardinales, totalmente
metido, hasta hacer sangre, en aguijones, un alumno
leyendo va en tu naipe, en tu hojarasca,
su rey precoz, telúrico, volcánico, de espadas.

¡Oh profesor, de haber tánto ignorado!
¡oh rector, de temblar tánto en el aire!
¡oh técnico, de tánto que te inclinas!
¡Oh tilo! ¡oh palo rumoroso junto al Marne!

21 de octubre de 1937.
Poemas humanos. (1923-1938)