León Felipe 1884-1968

León Felipe (Walter Reuter y Javier de la Fuente)

Auschwitz ( León Felipe 1884-1968)

A todos los judíos del mundo, mis amigos, mis hermanos.

Estos poetas infernales,
Dante, Blake, Rimbaud …
Que hablen más bajo…
Que toquen más bajo…
¡Que se callen!
Hoy
Cualquier habitante de la tierra
Sabe mucho más del infierno
Que esos tres poetas juntos.
Ya sé que Dante toca muy bien el violín…
¡Oh, el gran virtuoso!
Pero que no pretenda ahora
Con sus tercetos maravillosos
Y sus endecasílabos perfectos
Asustar a ese niño judío
Que está ahí, desgajado de sus padres…
Y solo.
¡Solo!
Aguardando su turno
En los hornos crematorios de Auschwitz.
Dante… tú bajaste a los infiernos
Con Virgilio de la mano
(Virgilio, «gran cicerone»)
Y aquello vuestro de la Divina Comedia
Fue una aventura divertida
De música y turismo.
Esto es otra cosa… otra cosa…
¿Cómo te explicaré?
¡Si no tienes imaginación!
Tú… no tienes imaginación,
Acuérdate que en tu «Infierno»
No hay un niño siquiera…
Y ese que ves ahí…
Está solo
¡Solo! Sin cicerone
Esperando que se abran las puertas de un infierno
Que tú, ¡pobre florentino!,
No pudiste siquiera imaginar.
Esto es otra cosa… ¿cómo te diré?
¡Mira! Éste es un lugar donde no se puede tocar el violín.
Aquí se rompen las cuerdas de todos
Los violines del mundo.
¿Me habéis entendido poetas infernales?
Virgilio, Dante, Blake, Rimbaud…
¡Hablad más bajo!
¡Tocad más bajo!… ¡Chist!…
¡¡Callaos!!
Yo también soy un gran violinista…
Y he tocado en el infierno muchas veces…
Pero ahora, aquí…
Rompo mi violín… y me callo.

¡Oh, este viejo y roto violín! México, Fondo de Cultura Económica, 1965.

Auschwitz

A todos los judíos del mundo, mis amigos, mis hermanos.

Ces poètes de l’enfer,
Dante, Blake, Rimbaud…
Qu’ils parlent moins haut…
Qu’ils jouent moins haut…
Qu’ils se taisent!
Aujourd’hui
N’importe quel habitant de la terre
En sait beaucoup plus sur l’enfer
Que ces trois poètes ensemble.
Oui, je sais que Dante joue très bien du violon.
Ah, quel grand virtuose!
Mais qu’il n’ait pas la prétention
Avec ses merveilleux tercets,
Ses hendécasyllabes parfaits,
D’effrayer cet enfant juif,
Là, arraché à son père et à sa mère…
Et qui est seul.
Tout seul!
À attendre son tour
Devant les fours crématoires d’Auschwitz.
Dante…tu es descendu aux Enfers,
Ta main dans la main de Virgile
(«Grand cicérone», ce Virgile),
Et votre truc, la Divine Comédie,
Ça a été une aventure amusante,
Du tourisme en musique.
Ça, c’est autre chose…autre chose…
Comment t’expliquer?
C’est que tu manques d’imagination!
Toi…tu manques d’imagination,
Souviens-toi que dans ton «Enfer»
Il n’y a pas un seul enfant…
Et celui que tu vois, là,
Il est seul.
Tout seul! Sans cicérone…
À attendre que s’ouvrent les portes d’un enfer
Que toi, mon pauvre Florentin!
Tu n’as même pas pu imaginer.
Ça, c’est autre chose…Comment te dire?
C’est un lieu où se brisent les cordes de tous
Les violons du monde.
Vous m’avez bien compris, poètes de l’enfer?
Virgile, Dante, Blake, Rimbaud…
Parlez moins haut!
Jouez moins haut!… Chut!…
Taisez-vous!
Moi aussi je suis un grand violoniste…
Et j’ai joué en enfer, bien souvent…
Mais ici et maintenant,
Je brise mon violon…et je me tais.

Oh, ce vieux violon cassé! 1965. (Traduction Yves Aguila)
Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 1995.

León Felipe (pseudonyme de Felipe Camino Galicia) est né à Tábara, près de Zamora. Son père est notaire. Après des études de pharmacie, il gère plusieurs officines en Espagne, puis s’engage dans une troupe de comédiens ambulants et parcourt toute l’Espagne. De 1920 à 1922, il vit en Afrique dans l’île de Fernando Poo, en tant qu’administrateur des hôpitaux, puis au Mexique et aux Etats-Unis. Il revient dans son pays natal en 1934 et fait la connaissance du poète chilien Pablo Neruda. C’est un républicain espagnol exilé au Mexique de 1938 à sa mort en 1968. Il y jouera un rôle intellectuel considérable. Son œuvre est souvent associée à celle de Walt Whitman, qu’il traduit.

https://www.youtube.com/watch?v=eU1tIq6qO4U

     

León Felipe

León Felipe

COMO TÚ… ( León Felipe 1884-1968 )

Así es mi vida,
piedra,
como tú. Como tú,
piedra pequeña;
como tú,
piedra ligera;
como tú,
canto que ruedas
por las calzadas
y por las veredas;
como tú,
guijarro humilde de las carreteras;
como tú,
que en días de tormenta
te hundes
en el cieno de la tierra
y luego
centelleas
bajo los cascos
y bajo las ruedas;
como tú, que no has servido
para ser ni piedra
de una lonja,
ni piedra de una audiencia,
ni piedra de un palacio,
ni piedra de una iglesia…
como tú,
piedra aventurera…
como tú,
que tal vez estás hecha
sólo para una honda…
piedra pequeña
y
ligera…

Versos y oraciones del caminante, Madrid, 1920.

Comme toi 

Ainsi est ma vie,
pierre,
comme toi. Comme toi,
petite pierre;
comme toi
pierre légère;
comme toi,
galet qui roule
sur les chemins
et les trottoirs;
comme toi,
humble caillou des routes;
comme toi
qui par les jours d’orage
t’aplatis
dans la boue de la terre
et puis
scintilles
sous les sabots
et sous les roues;
comme toi, qui n’as même pas servi
à être pierre
d’une halle de marché,
ni pierre d’un tribunal,
ni pierre d’un palais,
ni pierre d’une église;
comme toi,
pierre aventureuse;
comme toi
qui, peut-être, n’es faite
que pour une fronde,
pierre petite
et
légère…

Le poète espagnol León Felipe s’appelait en réalité Felipe Camino Galicia de la Rosa. Il est né à Tábara (Zamora) le 11 de abril de 1884 et est mort à Ciudad de México, le 18 de septiembre de 1968. Son père était notaire et l’obligea à faire des études de pharmacie. Sa vie fut aventureuse. Il s’occupa de plusieurs pharmacies dans différentes petites villes d’Espagne et fut aussi acteur d’une petite troupe de théâtre. Il passa même trois ans en prison, accusé d’escroquerie. Il partit une première fois d’Espagne pour vivre en Guinée Equatoriale, au Mexique et aux Etats-Unis et ne revint en Espagne que peu avant le début de la Guerre Civile. Militant de la cause républicaine, il partit définitivement au Mexique en 1938 comme conseiller culturel du Gouvernement de la République. On associe généralement sa poésie à celle de Walt Whitman, dont il fut le traducteur.

J’ai lu les poèmes de León Felipe dès 1969, lors de mon premier voyage à Madrid. Ses livres étaient alors interdits dans l’Espagne franquiste, mais on pouvait trouver l’Antología rota, publiée par Losada en Argentine en 1957, dans le quartier étudiant de Argüelles.

Plus tard, bien sûr, j’ai souvent écouté la version de ce poème mis en musique par Paco Ibáñez.

Il y a quelques jours, je suis tombé sur cette version du groupe Evoéh, tiré d’un disque de 2015 El poeta del viento: Homenaje a León Felipe.

https://www.youtube.com/watch?v=H2o9h1Wv46o

Zamora. Parque León Felipe. Homenaje en el centenario de su nacimiento (1984). Escultura de Baltasar Lobo.