Ludmila Oulitskaïa contre la guerre en Ukraine : « Le destin du pays est dirigé par la folie d’un seul homme »
Aujourd’hui, 24 février 2022, la guerre a éclaté. Je pensais que ma génération, celle qui est née pendant la Seconde Guerre mondiale, avait de la chance, et que nous allions vivre sans avoir connu de guerre jusqu’à notre mort qui serait, comme promis dans les Évangiles, « paisible, sans douleur et sans reproche ». Mais non. On dirait bien que ce ne sera pas le cas. Et nul ne sait à quoi vont aboutir les événements de cette journée dramatique.
Le destin du pays est dirigé par la folie d’un seul homme et de ses complices dévoués. On ne peut que faire des suppositions sur ce que les manuels d’histoire en diront dans cinquante ans. De la douleur, de la peur, de la honte – voilà les sentiments que l’on éprouve aujourd’hui.
De la douleur, parce que la guerre s’en prend au vivant, à l’herbe et aux arbres, aux animaux et à leur descendance, aux êtres humains et à leurs enfants.
De la peur, parce qu’il existe chez tous les êtres vivants un instinct de conservation biologique qui les pousse à protéger leur vie et celle de leur descendance.
De la honte, parce que la responsabilité des dirigeants de notre pays dans le développement de cette situation pouvant entraîner d’immenses malheurs pour toute l’humanité est évidente.
Cette responsabilité, nous la partageons tous nous aussi, qui sommes contemporains de ces événements dramatiques et qui n’avons pas su les prévoir ni les arrêter. Il faut absolument stopper cette guerre qui se déchaîne de plus en plus à chaque minute qui passe, et résister à la propagande mensongère dont tous les médias inondent notre population.
(Texte traduit du russe par Sophie Benech)
Ce n’était que la peste. Scénario. Traduction: Sophie Benech. Hors série Littérature, Gallimard, 2021. Moscou, 1939. Le biologiste Rudolf Mayer a parcouru plus de huit cents kilomètres pour présenter aux autorités ses recherches sur une souche hautement virulente de la peste. Ce n’est qu’après cette réunion qu’il comprend qu’il a été contaminé, et que toutes les personnes qu’il a croisées peuvent l’être également. La police soviétique déploie alors un très efficace plan de mise en quarantaine. Mais en ces années de Grandes Purges, une mise à l’isolement ressemble à une arrestation politique, et les réactions des uns et des autres peuvent être surprenantes. Ce texte date de 1988. Ludmila Oulitskaïa donne à voir ce qui peut se passer lorsqu’une épidémie éclate au cœur d’un régime totalitaire. Ce texte inédit a été découvert en Russie au printemps 2020.
Cette semaine, j’ai acheté les trois livres disponibles d’Edith Bruck :
Edith Bruck, Le pain perdu. Traduction: René de Ceccatty. Éditions du sous-sol.
Edith Bruck, Pourquoi aurais-je survécu ? Choix de textes, traduction de l’italien et préface de René de Ceccatty. Rivages poche, collection « Petite Bibliothèque ».
Edith Bruck, Qui t’aime ainsi (Chi ti ama cosi). Traduction: Patricia Amardeil. Points.
Edith Steinschreiber est née le 3 mai 1931 dans un petit village de Hongrie, Tiszabercel. Elle fait partie d’une famille juive pauvre de huit enfants. Á l’aube du 8 avril 1944, on l’emmène avec sa famille dans le ghetto de Sátoraljaújhely. Le 23 mai, ils sont déportés au camp d’Auschwitz. Elle est séparée de ses parents et de son frère Laci. Elle ne les verra plus. Elle se retrouve avec sa soeur Eliz, 16 ans, en transit à Birkenau. Son numéro: 11152. Elles sont transférées au camp de Kaufering, une annexe de Dachau, puis dans le camp de Landsberg, et ensuite à Dachau et à Christianstadt. Elles arrivent enfin après une “marche de la mort” à Bergen-Balsen. Elle pèse alors 25 kilos. Les deux soeurs survivent jusqu’à l’arrivée des Américains. 430 000 juifs hongrois furent déportés à Auschwitz entre le 16 mai et le 9 juillet 1944.
Edith revient en Hongrie, retrouve les survivants de sa famille, puis part en Tchécoslovaquie. Elle se rend en Israël où elle retrouve deux de ses soeurs et son frère. Elle y vit difficilement. Elle se marie trois fois (elle porte successivement le nom de ses trois premiers maris, Grün, Roth, Bruck). Elle finit par quitter Israël en 1952. Elle rejette toute discipline et refuse de faire le service militaire. Elle devient danseuse et chanteuse et finit par s’établir en Italie. Elle épouse le poète et cinéaste Nelo Risi (1920-2015), frère du réalisateur Dino Risi (1916-2008). Il sera son mari pendant soixante ans. Elle a traduit en italien de nombreux écrivains hongrois (Attila József, Miklós Radnóti, Gyula Illyés, Ruth Feldman). Elle a aussi travaillé comme scénariste et réalisatrice pour la RAI.
Elle publie Qui t’aime ainsi (1959) en Italie, puis Lettre à ma mère (Lettera alla madre, 1988) et SignoraAuschwitz (Signora Auschwitz: il dono della parola, 1999) qui forment une trilogie. En 2021, Le pain perdu connaît un grand succès. Le livre reçoit le prix Strega Giovani et le prix Viareggio. Il se termine par une Lettre à Dieu. Cela lui vaut une visite du pape François à son domicile le 20 février 2021.
René de Ceccaty a choisi avec Edith Bruck les poèmes de Pourquoi aurais-je survécu? Ils sont précis, sobres, presque secs. Ils apparaissent par ordre chronologique sauf les quatre premiers que je reproduis ici.
Pendant ce temps, ici, en France, un certain Z. crache son venin à la radio et sur les plateaux de télévision.
Pourquoi aurais-je survécu
Pourquoi aurais-je survécu sinon pour représenter les fautes, surtout aux personnes proches ? De tant de fautes qu’elle auront une, la plus grande, sera le regret d’avoir fait du mal, à moi qui ait tant supporté. Avec moi qui suis différente des autres et qui porte en moi six millions de morts qui parlent ma langue qui demandent à l’homme de se souvenir à l’homme qui a si peu de mémoire. Pourquoi aurais-je survécu sinon pour témoigner avec toute ma vie avec chacun de mes gestes avec chacune de mes paroles avec chacun de mes regards. Et quand se terminera cette mission ? Je suis lasse de ma présence accusatrice, le passé est une arme à double tranchant et je perds tout mon sang. Quand viendra mon heure je laisserai en héritage peut-être un écho à l’homme qui oublie et continue et recommence…
Nous
Pour nous les survivants c’est un miracle chaque jour si nous aimons, nous aimons dur comme si la personne aimée pouvait disparaître d’un moment à l’autre et nous aussi.
Pour nous les survivants le ciel ou est très beau ou est très laid, les demi-mesures les nuances sont interdites.
Avec nous les survivants il faut se montrer précautionneux parce qu’un simple regard de travers ce qu’il y a de plus banal va s’ajouter à d’autres terribles et toute souffrance fait partie d’une UNIQUE qui palpite dans notre sang.
Nous ne sommes pas des gens normaux nous avons survécu pour les autres à la place d’autres. La vie que nous vivons pour nous rappeler et nous nous rappelons pour vivre n’est pas qu’à nous. Laissez-nous… Nous ne sommes pas seuls.
Après
Même les rares survivants des camps nazis s’en vont et après ? Qui pourra jamais continuer à témoigner au nom de ceux qui ont vécu l’indicible ? Leurs enfants ? Souvent ils ont été épargnés par leurs parents. Les petit-fils fuient presque l’expérience de leurs grands-parents pour vivre affranchis de cette éternelle cage de tamponnés chiffrés. Et une fois nous disparus, les mystificateurs et les nouveaux haïsseurs, les négationnistes se multiplieront, « Tu te rends compte, ils nient déjà », me disait Primo Levi, « avec nous encore en vie ! » je m’en suis rendu compte oui, plus que jamais aujourd’hui !
Une promenade avec Primo Levi
Pour toi si piémontais pour tes pas presque de clandestin pour tes yeux éblouis par tant de lumière comme du prisonnier qui vient d’être libéré Rome était une ville trop ensoleillée.
« Il y a une atmosphère de vacances, de fête, de marché », me disais-tu, de tes lèvres serrées et incrédules, jetant un regard scrutateur et furtif sur les vitrines tentatrices que tu t’interdisais, Pourquoi Primo ?
La normalité désirée ne nous est plus possible dans la maison, dans la rue, avec les amis les épouses, les maris, les amants – une existence a été marquée qui peut finir aussi au pied d’un escalier comme la tienne, quand tu as cédé au clin d’œil du vieux malin nous appauvrissant nous et tes innombrables lecteurs, Pourquoi Primo ?
Ta figure tutélaire nous manque, Nécessaire comme l’eau à l’assoiffé, La prière au croyant, La lumière au non-voyant. Notre devoir est De vivre et jamais de mourir ! Pourquoi Primo ?
Je mourus pour la Beauté –mais à peine étais-je Ajustée dans la Tombe Que Quelqu’un mort pour la Vérité, fut couché Dans la Chambre d’à côté –
Il me demanda doucement « Pourquoi es-tu tombée? » « Pour la Beauté », répliquai-je – « Et Moi – pour la Vérité – Qui ne font qu’Un – Nous sommes Frère et Sœur » dit-Il –
Et ainsi, tels des Parents, qui se rencontrent une Nuit – Nous devisâmes d’une Chambre à l’autre – Jusqu’à ce que la Mousse atteigne nos lèvres – Et recouvre – Nos noms –
I died for Beauty – but was scarce Adjusted in the Tomb When One who died for Truth, was lain In an adjoining Room –
He questioned softly “Why I failed”? “For Beauty”, I replied – “And I – for Truth – Themself are One – We Bretheren, are”, He said –
And so, as Kinsmen, met a Night – We talked between the Rooms – Until the Moss had reached our lips – And covered up – Our names –
John Keats
Ode sur une urne grecque (John Keats)
O toi, vierge encore, épouse du repos Enfant nourrie par le silence et les lentes années, Sylvestre conteuse qui sait en ta langue exprimer Un récit tout fleuri plus suavement que nos poèmes : Quelle légende frangée de feuilles s’évoque à l’entour de tes flancs, Légende de dieux ou de mortels, ou des deux peut-être, À Tempé ou dans les vallons d’Arcadie ? Quels sont ces hommes ou bien ces dieux ? Et ces vierges rebelles ? Et cette folle poursuite ? Qui se débat pour s’échapper ? Quels sont ces pipeaux et ces tambourins ? Quelle est cette frénésie ?
Les mélodies qu’on entend sont douces ; mais inouïes, Plus douces encore ; aussi, tendres pipeaux, continuez de jouer : Non pour l’oreille charnelle, mais, plus séduisants, Jouez à l’âme des airs privés de voix : Bel adolescent, à l’ombre de ces arbres, tu ne saurais Quitter ta chanson, ni ces arbres se dénuder jamais ; Amant hardi, jamais, jamais tu n’auras son baiser, Si près du but pourtant ; mais ne t’afflige pas ; Elle ne pourra se flétrir, encore que tu ne goûtes pas ton bonheur, À jamais tu l’aimeras et toujours elle sera belle ! Heureux, heureux rameaux, qui ne sauriez répandre Votre feuillage, ni jamais, dire au Printemps adieu ! Et toi, heureux musicien, qui, inlassable, Modules des chants toujours nouveaux ! Et plus heureux l’amour, plus heureux mille fois ! Amour toujours ardent et jamais assouvi, Toujours haletant et jeune éternellement, Bien au-dessus de toute passion des hommes Qui nous laisse le cœur douloureux et repu, Le front brûlant et la bouche dévastée de fièvre.
Mais quel cortège s’avance au sacrifice ? À quel autel verdoyant, ô prêtre mystérieux, Mènes-tu cette génisse qui mugit vers le ciel Et dont les fanes soyeux se parent de guirlandes ? Quelle petite ville au bord d’un fleuve ou de la mer, Ou, bâtie sur une montagne autour d’un paisible acropole, S’est ainsi décuplée en ce matin recueilli ? Modeste bourgade, tes rues, pour toujours, Connaîtront le silence ; et pas une âme Pour dire pourquoi tu es déserte, ne reviendra jamais. O forme attique ! Galbe charmant ! Un entrelac De formes de marbres, hommes et vierges, t’entoure, Mêlé aux ramures de la forêt et aux herbes que le pied foule ; Muets contours, votre énigme excède la pensée, Comme fait l’éternité : Froide Pastorale ! Quand le grand âge consumera la présente génération Tu demeureras, parmi d’autres douleurs Que les nôtres, amie de l’homme, à qui tu dis : La Beauté, c’est la Vérité ; la Vérité, Beauté – voilà tout Ce que vous savez sur terre et tout ce qu’il faut savoir.
Poèmes choisis. Aubier-Flammarion. Traduction Albert Laffay.
Ode on a Grecian Urn
Thou still unravish’d bride of quietness, Thou foster-child of silence and slow time, Sylvan historian, who canst thus express A flowery tale more sweetly than our rhyme: What leaf-fring’d legend haunts about thy shape Of deities or mortals, or of both, In Tempe or the dales of Arcady? What men or gods are these? What maidens loth? What mad pursuit? What struggle to escape? What pipes and timbrels? What wild ecstasy?
Heard melodies are sweet, but those unheard Are sweeter; therefore, ye soft pipes, play on; Not to the sensual ear, but, more endear’d, Pipe to the spirit ditties of no tone: Fair youth, beneath the trees, thou canst not leave Thy song, nor ever can those trees be bare; Bold Lover, never, never canst thou kiss, Though winning near the goal yet, do not grieve; She cannot fade, though thou hast not thy bliss, For ever wilt thou love, and she be fair!
Ah, happy, happy boughs! that cannot shed Your leaves, nor ever bid the Spring adieu; And, happy melodist, unwearied, For ever piping songs for ever new; More happy love! more happy, happy love! For ever warm and still to be enjoy’d, For ever panting, and for ever young; All breathing human passion far above, That leaves a heart high-sorrowful and cloy’d, A burning forehead, and a parching tongue.
Who are these coming to the sacrifice? To what green altar, O mysterious priest, Lead’st thou that heifer lowing at the skies, And all her silken flanks with garlands drest? What little town by river or sea shore, Or mountain-built with peaceful citadel, Is emptied of this folk, this pious morn? And, little town, thy streets for evermore Will silent be; and not a soul to tell Why thou art desolate, can e’er return.
O Attic shape! Fair attitude! with brede Of marble men and maidens overwrought, With forest branches and the trodden weed; Thou, silent form, dost tease us out of thought As doth eternity: Cold Pastoral! When old age shall this generation waste, Thou shalt remain, in midst of other woe Than ours, a friend to man, to whom thou say’st, “Beauty is truth, truth beauty,—that is all Ye know on earth, and all ye need to know.”
Vase de Sosibios, décalque par John Keats. Vers 1819. Les Monuments antiques du musée Napoléon.
Je remercie Marie Paule et Raymond Farina qui ont posté hier sur Facebook le poème Pierre philosophale (Pedra filosofal) d’Antonio Gedeão, tiré de Movimento Perpetuo, 1956. Je reproduis ici les six derniers vers.
Eles não sabem, nem sonham, que o sonho comanda a vida, que sempre que um homem sonha o mundo pula e avança como bola colorida entre as mãos de uma criança.
Ils ne savent pas, eux, et ils ne rêvent pas, Que le rêve est le moteur de la vie Que chaque fois qu’un homme rêve Le monde roule et s’embellit Comme une balle colorée Dans les mains d’un enfant.
Traduction: Alain Lane.
Dans l’anthologie de Max de Carvalho, La poésie du Portugal des origines au XX ème siècle (Chandeigne), publiée en septembre 2021, on trouve quatre poèmes de cet auteur: Fleur de chair (Flor de carne), Poème pour Galilée (Poema para Galileu), La machine du monde (Máquina do mundo), Poème de la mort apparente (Poema da morte aparente). Voici les deux derniers:
Máquina do mundo
O universo é feito essencialmente de coisa nenhuma. Intervalos, distâncias, buracos, porosidade etérea. Espaço vazio, em suma. O resto, é a matéria.
Daí, que este arrepio, este chamá-lo e tê-lo, erguê-lo e defrontá-lo, esta fresta de nada aberta no vazio, deve ser um intervalo.
Máquina de fogo, 1961.
La machine du monde
L’Univers se compose, pour l’essentiel, de néant. Intervalles, distances, trous, porosité éthérée. Un espace vide, en somme. Le reste, c’est la matière.
D’où il résulte que ce frisson, pour qu’il advienne et soit, pour le soulever et le regarder en face, que cet interstice de rien béant sur le vide, doit être un intervalle.
Traduction Max de Carvalho.
Poema da morte aparente
Nos tempos em que acontecia o que está acontecendo agora, e os homens pasmavam de isso ainda acontecer no tempo deles, parecia-lhes a vida podre e reles e suspiravam por viver agora.
A suspirar e a protestar morreram. e agora, quando se abrem as covas, encontram-se às vezes os dentes com que rangeram, tão brancos como se as dentaduras fossem novas.
Linha de força, 1967.
Poème de la mort apparente
Aux temps où se passait la même chose que maintenant, et où les hommes étaient stupéfaits que cela fût encore possible à leur époque, la vie leur semblait pourrie et vile, et ils soupiraient d’avoir à vivre maintenant.
En soupirant, en protestant, ils moururent, Et maintenant, quand on ouvre leurs tombes, on retrouve parfois ces dents qu’ils firent grincer, aussi blanches que des dentures neuves.
Traduction Max de Carvalho.
António Gedeão s’appelait en réalité Rómulo Vasco da Gama de Carvalho. Né à Lisbonne le 24 novembre 1906, cet enseignant de physique-chimie et historien des sciences a participé à la divulgation des connaissances scientifiques au Portugal. Il ne publie ses premiers poèmes qu’en 1956, à la cinquantaine. On retrouve ses intérêts dans sa poésie qui s’inscrit dans la réalité de son époque et dans le contexte angoissant de l’après-guerre. Il est décédé dans la capitale portugaise le 19 février 1997. Depuis 1996, le jour de sa naissance est commémoré au Portugal sous le nom de Jour national de la Culture scientifique (Dia Nacional da Cultura Científica).
Les Éditions Chandeigne viennentde publier La Poésie du Portugal des origines au XX ème siècle. Cette anthologie a été éditée et les poèmes traduits par Max de Carvalho. C’est une édition bilingue. 1892 pages (!!!). 49 euros. Environ trois cents poètes et plus de mille poèmes. C’est un objet magnifique et l’anthologie semble très bien faite. Mathias Énard a publié une critique élogieuse dans Le Monde des Livres du 3 novembre 2021. C’est bientôt Noël et il y a tant de bons poètes portugais. Les poèmes du XIX et du XX siècles occupent les quatre cinquièmes du livre.
Mathias Énard à la fin de son article donne comme exemple un poème de Sophia de Mello Breyner, un de mes écrivains portugais préférés: Maria Helena Vieira Da Silva ou o itirenàrio ineluctável ( Maria Helena Vieira Da Silva ou l’itinéraire inéluctable ). Dans l’anthologie, on trouve Apequena praça (La petite place). J’ajoute ici la traduction Raymond Farina.
Sophia de Mello Breyner. 1919-2004.
Maria Helena Vieira Da Silva ou o itirenàrio inelutàvel(Sophia de Mello Breyner)
Minúcia é o labirinto muro por muro Pedra contra pedra livro sobre livro Rua após rua escada após escada Se faz e se desfaz o labirinto Palácio é o labirinto e nele Se multiplicam as salas e cintilam Os quartos de Babel roucos e vermelhos Passado é o labirinto : seus jardins afloram E do fundo da memória sobem as escadas Encruzilhada é o labirinto e antro e gruta Biblioteca rede inventário colmeia – Itinerário é o labirinto Como o subir dum astro inelutável – Mas aquele que o percorre não encontra Toiro nenhum solar nem sol nem lua Mas só o vidro sucessivo do vazio E um brilho de azulejos iman frio Onde os espelhos devoram as imagens
Exauridos pelo labirinto caminhamos Na minúcia da busca na atenção da busca Na luz mutável : de quadrado em quadrado Encontramos desvios redes e castelos Torres de vidro corredores de espanto Mas um dia emergiremos e as cidades Da equidade mostrarão seu branco Sua cal sua aurora seu prodígio
Dual. 1972.
Maria Helena Vieira Da Silva ou l’itinéraire inéluctable
Le labyrinthe est minutie mur par mur Pierre contre pierre livre sur livre Une rue après l’autre, un escalier après l’autre Se forme et se défait le labyrinthe Le labyrinthe est un palais et en lui Se multiplient les salles et scintillent Les chambres de Babel rauques et rouges Le labyrinthe est passé : ses jardins affleurent Et du fond de la mémoire montent les escaliers Le labyrinthe est carrefour antre et grotte Bibliothèque mailles inventaires ruche – Le labyrinthe est itinéraire Comme l’ascension d’un astre inéluctable – Mais celui qui le parcourt ne rencontre aucun Taureau aucune demeure soleil ni lune Seulement le vide successif du verre Et un éclat d’azulejos magnétisme froid Où les miroirs dévorent les images
Épuisés par le labyrinthe nous allons Dans la minutie de la quête Dans la lumière changeante : de carré en carré Nous rencontrons détours, bifurcations et châteaux Des tours de verre des couloirs d’épouvante Mais un jour nous émergerons et les villes D’équité montreront leur blancheur Leur chaux leur aube leur prodige
La Poésie du Portugal, pages 1150-1152. Traduction Max de Carvalho.
.Composition 55 (Maria Helena Vieira Da Silva). 1955. Paris, Galerie Jeanne Bucher
A pequena praça (Sophia de Mello Breyner)
A minha vida tinha tomado a forma da pequena praça Naquele outono em que a tua morte se organizava meticulosamente Eu agarrava-me à praça porque tu amavas A humanidade humilde e nostálgica dos pequenas lojas Onde os caixeiros dobram e desdobram fitos e fazendas Eu procurava tornar-me tu porque tu ias morrer E a vida toda deixava ali de ser a minha Eu procurava sorrir como tu sorrias Ao vendedor de jornais ao vendedor de tabaco E à mulher sem pernas que vendia violetas Eu pedia à mulher sem pernas que rezasse por ti Eu acendia velas em todos os altares Das igrejas que ficam no canto desta praça Pois mal abri os olhos e vi foi para ler A vocação do eterno escrita no teu rosto Eu convocava as ruas os lugares as gentes Que foram as testemunhas do teu rosto Para que eles te chamassem para que eles desfizessem O tecido que a morte entrelaçava em ti
Dual, 1972.
La petite place
Ma vie a pris la forme de la petite place L’automne durant lequel ta mort s’organisait méticuleusement Je m’attachais à cette petite place parce que tu aimais L’humble et nostalgique humanité des petites boutiques Où les commis plient et déplient rubans et étoffes Je cherchais à devenir toi parce que tu allais mourir Et là toute ma vie cessa d’être la mienne J’essayais de sourire comme tu souriais Au marchand de journaux au marchand de tabac Et à la femme sans jambes qui vendait des violettes Je demandais à la femme sans jambes de prier pour toi J’allumais des cierges à tous les autels Des églises qui se trouvaient au coin de cette place Puisque dès que j’ai ouvert les yeux je ne vis que pour lire La vocation de l’éternel écrite sur ton visage Je convoquais les rues les lieux les gens Qui furent les témoins de ton visage Pour qu’ils t’appellent pour qu’ils défassent La trame que la mort entrelaçait en toi.
John Keats est né le 31 octobre 1795 à Londres. Il est mort le 23 février 1821 à Rome.
“Hay un verso de Keats que es quizá una de las claves más transparentes de su poesía […]. Es el verso con que comienza su poema «Endymion»: A thing of beauty is a joy for ever (Una cosa bella es un goce eterno) […]. Cuando busco en la poesía española una pasión semejante, siempre pienso en Luis Cernuda. Cernuda también cree, como Keats, que la belleza es un goce eterno.” José Luis Cano, Keats y Cernuda (1950), in La poesía de la Generación del 27, Madrid, Guadarrama, 1970.
A propósito de flores (Luis Cernuda)
Era un joven poeta, apenas conocido. En su salida primera al mundo Buscaba alivio a su dolencia Cuando muere en Roma, entre sus manos una carta, La última carta, que ni abrir siquiera quiso, De su amor jamás gozado.
El amigo que en la muerte le asistiera Sus palabras finales nos transmite: «Ver cómo crcce alguna flor menuda, El crecer silencioso de las flores, Acaso fue la única dicha Que he tenido en este mundo.»
¿Pureza? Vivo a las flores amadas contemplaba Y mucho habló de ellas en sus versos; En el trance final su mente se volvía A la dicha más pura que conoció en la vida: Ver a la flor que abre, su color y su gracia.
¿Amargura? Vivo, sinsabores tuvo Amargos que apurar, sus breves años Apenas conocieron momentos sin la sombra. En la muerte quiso volverse con tácito sarcasmo A la felicidad de la flor que entreabre.
¿Amargura? ¿Pureza? ¿O, por qué no, ambas a un tiempo? El lirio se corrompe como la hierba mala, Y el poeta no es puro o amargo únicamente: Devuelve sólo al mundo lo que el mundo le ha dado Aunque su genio amargo y puro algo más le regale.
Desolación de la Quimera, 1956-61.
Écrit en janvier ou février 1961. Publié pour la première fois en avril 1961 dans la revue Eco (II, 6) de Bogotá (Colombie).
Joseph Severn (1793-1879) est un peintre anglais. C’est un ami dévoué de John Keats. Il l’accompagne le 17 septembre 1820 sur le Maria Crowther à destination de l’Italie. Le but du voyage est de soigner la maladie du poète, la tuberculose. Ils arrivent dans la baie de Naples le 21 octobre et sont placés en quarantaine pendant 10 jours. Ils séjournent à Naples une semaine, puis se rendent à Rome dans une petite voiture. À Rome, ils vivent dans un appartement, 26 Piazza di Spagna, au pied de l’escalier de la Trinité-des-Monts. Joseph Severn a quitté l’Angleterre contre l’avis de son père. Il a peu d’argent. Pendant son séjour à Rome lors de l’hiver 1820-1821, il écrit de nombreuses lettres à des amis communs en Angleterre. L’entourage du cercle de Keats et la fiancée du poète, Fanny Brawne, sont tenus au courant de l’évolution de la maladie du poète. Cette correspondance est le seul témoignage des derniers jours de Keats que Joseph Severn soigne jusqu’à sa mort, le 23 février 1821, trois mois après leur arrivée à Rome.
Le meilleur film que j’ai vu cet automne est de loin Drive my car (2h59) du metteur en scène japonais Ryusuke Hamaguchi (né en 1978 et Prix du scénario au Festival de Cannes 2021). C’est l’ adaptation d’une nouvelle d’ Haruki Murakami, la première du recueil Des hommes sans femmes de 2014 (Belfond, 2017. 10-18). Un metteur en scène et acteur de théâtre, Yusuke Kafuku, forme avec sa femme Oto, scénariste de télévision, un couple malheureux. La mort de leur fille, alors qu’elle n’était qu’une enfant, les a éloignés et Oto a des amants. Un soir, Kafuku retrouve son épouse morte sur le sol de leur appartement, emportée par une attaque. Après quarante minutes de projection, apparaît le générique (!). Deux ans après cette mort, Kafuku se rend à Hiroshima. Il a obtenu une résidence artistique pour monter Oncle Vania d’Anton Tchekhov et recruter des acteurs. Quand il prend la route seul, la voix d’Oto l’accompagne quand il met une cassette dans l’autoradio de sa Saab 900 rouge. Sa femme s’est enregistrée et lui donne la réplique dans Oncle Vania, pièce dont il doit s’imprégner. A Hiroshima, les responsables du festival l’obligent à se faire conduire par une jeune fille taciturne et balafrée, Misaki. Les deux personnages vont apprendre à se connaître, à se raconter, à guérir peut-être. Lui a perdu sa femme et sa fille, elle sa mère. L’intérieur de la voiture est le principal décor du film. Inlassablement, Kufuku fait relire à ses acteurs le texte d’Oncle Vania. Il a réuni des comédiens de nationalité différente qui jouent dans leur propre langue. Une jeune muette utilise même le langage des signes. La dernière partie du film se transforme en road-movie. Les deux personnages principaux partent d’Hiroshima pour retrouver la maison de Misaki dans la froide et enneigée région d’ Hokkaidō, île située à l’Extrême-Nord d’où elle est originaire. Ce sont les femmes qui mènent toujours le jeu dans ce film. Oto invente des scénarios, Misaki conduit. Comme Sonia dans Oncle Vania, elles regardent vers l’avenir. Elles sont maîtres du mouvement, de la vie.
Anton Tchekhov, Oncle Vania 1900. version française : Génia Cannac et Georges Perros. 1960. L’Arche éditeur.
« Sonia : Qu’y faire ! Nous devons vivre. (Un temps). Nous allons vivre, oncle Vania. Passer une longue suite de jours, de soirées interminables, supporter patiemment les épreuves que le sort nous réserve. Nous travaillerons pour les autres, maintenant et jusqu’à la mort, sans connaître de repos, et quand notre heure viendra, nous partirons sans murmure, et nous dirons dans l’autre monde que nous avons souffert, que nous avons été malheureux, et Dieu aura pitié de nous. Et alors, mon oncle, mon cher oncle, une autre vie surgira, radieuse, belle, parfaite, et nous nous réjouirons, nous penserons à nos souffrances présentes avec un sourire attendri, et nous nous reposerons. Je le crois, mon oncle, je le crois ardemment, passionnément…(Elle s’agenouille devant lui et pose sa tête sur les mains de son oncle ; d’une voix lasse :) Nous nous reposerons ! (Téléguine joue doucement de la guitare.) Nous nous reposerons ! Nous entendrons la voix des anges, nous verrons tout le ciel rempli de diamants, le mal terrestre et toutes nos peines se fondront dans la miséricorde qui régnera dans le monde, et notre vie sera calme et tendre, douce, comme une caresse… Je le crois, je le crois… (Elle essuie avec son mouchoir les larmes de son oncle.) Mon pauvre, mon pauvre oncle Vania, tu pleures. Tu n’as pas connu de joie dans ta vie, mais patience, oncle Vania, patience… Nous nous reposerons… (Elle l’enlace.) Nous nous reposerons ! (On entend les claquettes du veilleur de nuit. Téléguine joue en sourdine. Maria Vassilievna écrit dans les marges de sa brochure, Marina tricote son bas.) Nous nous reposerons ! »
Nous avons vu lundi 18 octobre au cinéma de la Ferme du Buisson Eugénie Grandet de l’écrivain-réalisateur Marc Dugain. Le film est classique, sec et austère et n’a rien à voir avec Drive my car. Il a été tourné essentiellement au Mans et à Saumur. Les acteurs sont assez bons : Olivier Gourmet (Félix Grandet) Valérie Bonneton (Madame Grandet) Joséphine Japy (Eugénie). La fin du film s’éloigne totalement du roman d’Honoré de Balzac. La fille soumise, l’amoureuse transie devient une femme libérée, qui s’est éloignée de l’Église, va voyager et vivre sa vie. J’avais relu le roman il y a quelques années et parcouru l’étude de Philippe Berthier, EugénieGrandet, Gallimard, Foliothèque n° 14. 1992. Ce professeur à la Sorbonne Nouvelle termine justement son étude par la fin d’Oncle Vania.
On peut rappeler aussi que la première publication de Fiodor Dostoïevski a été une traduction en russe d’Eugénie Grandet en 1844.
No em malvendré el silenci. D’aquest cos en conec els topants i les dreceres i n’estimo els esclats, les defallences; no hi visc a plaer, però hi visc i això em basta.
Deixa’m no dir‐te el que hem perdut. Ho saps tan bé com jo, i prou que ho repeteixen tot de corcs, insistents i temeraris només que paris un xic les orelles.
Sí que vull dir‐te, en canvi, el que hem guanyat: un pam de món, concret i destriable, i un vidre de colors per contemplar‐lo.
Tanca els ulls i el veuràs com jo el veig ara.
No et diré pas què hi ha rera cada paraula.
Ara ha plogut i el que resta de tarda serà més íntim i més clar.
Fugim de qualsevol verbositat. Diguem només el que és essencial: els mots de créixer i estimar, i el nom més útil i senzill de cada cosa.
Delimita’m l’espai, però no esperis que renunciï a res d’allò que estimo.
Mira el vent com pren forma de begònies, com neteja els miralls i les cortines i esmola els caires vius d’aquest capvespre.
Tinc una pedra a les mans. Cada nit la deixo caure al pou profund del son i la’n trec l’endemà, xopa de vida.
No vull conservar res que cridi la memòria del vent arravatat i dels noms del silenci. Vinc d’un llarg temps de pluges damunt la mar quieta dels anys, i res no em tempta per girar els ulls enrera.
Tu que em coneixes, saps que sóc aquell que estima la vida per damunt de qualsevol riquesa, l’èxtasi i el turment, el foc i la pregunta. Cridat a viure, visc, i poso la mà plana damunt aquest ponent que el ponent magnifica.
Solemnement batega la sang en cada cosa.
Tot és camí des d’ara. Faig jurament de viure.
Ara que tots dos junts fem una sola columna de claror, penso la urgent necessitat de combatre els miratges, d’abandonar la platja de les hores on el sol cau a plom damunt l’arena i abalteix voluntats, i d’establir noves rutes, reblertes de presagis.
Aquest risc d’ara és temptador. No ens calen espectadors furtius ni gent que aprovi cada gest i en subratlli la destresa.
Llesquem el pa de cada instant. Benignes i agosarats, estimarem la vida que muda i que es perfà, noblement lenta i també noblement porfidiosa.
I anirem lluny, encadenats al pur atzar dels horitzons que mai no tanquen amb pany i clau l’estímul del paisatge.
L’hoste insòlit. 1978.
L’hôte insolite
Je ne dilapiderai pas le silence. Mon corps j’en connais les parages et les raccourcis et j’en aime les éclats et les défaillances ; je ne l’habite pas par plaisir mais il me suffit.
Je ne dilapiderai ni le silence ni l’espace lourd de mon corps et des projets démesurés qui me peuplent et m’exaltent. De mes doigts gourds de palper les mémoires j’adhère à toutes sortes de projets de joie et d’espérance. Profonde et claire, la voix qui me répète proclame la vie.
Je ne dis pas ce que nous avons perdu. Tu sais cela aussi bien que moi, ces vermisseaux insistants et résolus, te le répètent si tu prends la peine de tendre l’oreille.
Mais je te dirai ce que nous avons gagné : un arpent de monde, concret, localisable, et un prisme de couleurs pour le contempler.
Ferme les yeux et tu le verras comme je le vois.
Je ne dirai pas ce qu’il y a sous chaque mot. Il a déjà plu et ce qui reste de l’après-midi sera plus intime et plus clair.
Fuyons toute verbosité. Disons seulement l’essentiel : les mots grandir et aimer, et le nom le plus utile et le plus simple de chaque chose.
Délimite mon espace, mais n’attends pas que je renonce à ce que j’aime.
Regarde le vent prendre la forme des bégonias, regarde-le nettoyer vitres et rideaux aiguiser les angles vifs du crépuscule.
J’ai une pierre dans les mains. Chaque nuit elle tombe dans le puits profond du sommeil au matin, je la retire, trempée de vie.
Je ne garde rien qui appelle la mémoire du vent exaspéré et des noms du silence. Je viens d’une longue saison de pluies sur la mer calme des années, rien ne me pousse à me retourner.
Tu me connais, ne suis-je pas celui qui aime la vie pleinement et par-dessus toute richesse, l’extase et le tourment, le feu et la question.
À l’appel de la vie, je vis, et pose ma main à plat sur ce ponant que le ponant magnifie.
Le sang coule solennellement en chaque chose.
Désormais tout est chemin. Je jure de vivre.
Tous deux ne faisons plus qu’une seule colonne de clarté, je pense à l’urgente nécessité de combattre les mirages, d’abandonner la plage des heures où le soleil de plomb tombe sur le sable annihile les volontés, d’établir de nouveaux chemins, jalonnés de présages.
À présent, ce risque est tentant. Nul besoin de spectateurs furtifs, de gens qui approuvent chaque geste et en souligne l’habileté. Nous coupons le pain à chaque instant.
Inoffensifs et téméraires, nous aimerons la vie qui se transforme et se parfait, noble et lente, noble et obstinée.
Nous irons très loin, enchaînés au pur hasard des horizons qui jamais ne ferment à clé la stimulation du paysage.
Joie de la parole. Orphée/ La Différence, 1993. Traduit du catalan par Patrick Gifreu.
Miquel Martí i Pol est un poète catalan. Il est né le 19 mars 1929 à Roda de Ter. Il est mort le 11 novembre 2003 à Vic .
Il commence à travailler à l’âge de 14 ans dans une usine textile de sa ville. A 19 ans, il est atteint d’une tuberculose pulmonaire, ce qui le maintient alité. Il lit beaucoup. Sa poésie des années 50 est simple. Elle exprime le sentiment amoureux.
Dans les années 1960, il commence à être connu pour ses poèmes engagés et réalistes. Il milite alors au PSUC clandestin (Partit Socialista Unificat de Catalunya). Atteint de sclérose multiple, il est obligé de cesser de travailler en 1973. Sa poésie devient plus intérieure et intimiste. Elle exprime aussi sa lutte contre la maladie. Il devient un des poètes catalans les plus lus et les plus populaires. Ses poèmes sont chantés par des interprètes tels que Lluís Llach, María del Mar Bonet, Teresa Rebull, Arianna Savall.
Ses œuvres complètes sont publiées en quatre volumes de 1989 à 2004.
La collection Orphée/ La Différence était indispensable. Elle ne publiait que des publications en édition bilingue. (Merci à Marie-Laure)
Le prix Nobel de littérature 2021 a été attribué le jeudi 7 octobre au romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah, né le 20 décembre 1948 dans l’île de Zanzibar. Il est un peu connu en France pour son roman Paradise (1994. Denoël, 1997). Il est arrivé au Royaume-Uni en tant que réfugié à la fin des années 1960. Il est l’auteur de dix romans, dont Près de la mer (2001), et de nouvelles. Il vit à Brighton et a enseigné à l’université du Kent jusqu’à sa récente retraite la littérature anglaise et postcoloniale. Comme beaucoup, je n’avais jamais entendu parler de cet auteur qui ne figurait pas dans les listes qui circulent habituellement avant l’attribution du prix.
Dans le Club de La Cause Littéraire, Léon-Marc Lévy et Marien Defalvard ont cité le poète espagnol Antonio Gamoneda (né en 1931 et Prix Cervantès 2006) que j’aime depuis longtemps. J’ai donc relu ses poèmes.
Il a publié deux tomes de mémoires: Un armario lleno de sombra (2009) et La pobreza (2020). Galaxia Gutemberg. Círculo de Lectores.
Después de veinte años
Cuando yo tenía catorce años
me hacían trabajar hasta muy tarde.
Cuando llegaba a casa, me cogía
la cabeza mi madre entre sus manos.
Yo era un muchacho que amaba el sol y la tierra
y los gritos de mis camaradas en el soto
y las hogueras en la noche
y todas las cosas que dan salud y amistad
y hacen crecer el corazón.
A las cinco del día, en el invierno,
mi madre iba hasta el borde de mi cama
y me llamaba por mi nombre
y acariciaba mi rostro hasta despertarme.
Yo salía a la calle y aún no amanecía
y mis ojos parecían endurecerse con el frío.
Esto no es justo, aunque era hermoso
ir por las calles y escuchar mis pasos
y sentir la noche de los que dormían
y comprenderlos como a un solo ser,
como si descansaran de la misma existencia,
todos en el mismo sueño.
Entraba en el trabajo. La oficina olía mal y daba pena. Luego, llegaban las mujeres. Se ponían a fregar en silencio.
Veinte años. He sido escarnecido y olvidado. Ya no comprendo la noche ni el canto de los muchachos sobre las praderas. Y, sin embargo, sé que algo más grande y más real que yo hay en mí, va en mis huesos:
Tierra incansable, firma la paz que sabes. Danos nuestra existencia a nosotros mismos.
Blues castellano (1961-1966), Colección AEDA, Gijón, Noega, 1982.
Ossip Mandelstam photographié à la Loubianka (Moscou) lors de sa première arrestation, le 17 mai 1934.
(Transmis par Manuel. Gracias, hijo)
Prends dans mes paumes, pour ta joie, Un peu de soleil et un peu de miel, Les abeilles de Perséphone nous l’enjoignent.
On ne peut détacher la barque non amarrée, Ni entendre l’ombre chaussée de fourrure, Ni vaincre , dans la vie épaisse , la peur.
Il ne nous reste plus que ces baisers Velus comme les petites abeilles Qui meurent à la porte de la ruche.
Elles bruissent dans les fourrés limpides de la nuit . Leur patrie est l’épaisse forêt du Taygète, Leur aliment : le temps , la bourrache , la menthe.
Prends pour ta joie mon sauvage présent, Ce pauvre collier sec d’abeilles mortes Qui ont transformé le miel en soleil .
Tristia, novembre 1920. Traduction de Philippe Jaccottet. Simple promesse, choix de poèmes 1908-1937, traduits par Philippe Jaccottet, Louis Martinez et Jean-Claude Schneider, La Dogana.
Le XX ème siècle et ses poètes…
Ossip Mandelsatam est né à Varsovie le 3 janvier 1891, dans une famille juive originaire de Lettonie. Peu après sa naissance, ses parents s’installent à Saint-Pétersbourg. Son père est gantier et marchand de peaux, sa mère professeur de musique. Entre 1907 et 1910, il passe environ deux ans à l’étranger. Il est en effet interdit d’entrée à l’université de Saint-Petersbourg en raison des quotas limitant les inscriptions d’ étudiants juifs. Il suit pendant un semestre (octobre 1907-mai 1908) à Paris des études médiévales et romanes à la Sorbonne et au collège de France (Cours de Joseph Bédier et d’Henri Bergson). De retour en Russie, il ne termine pas ses études, mais fait la connaissance de Nikolaï Goumeliev, d’Anna Akhmatova, Marina Tsvetaïeva. Il devient un poète célèbre. Á partir de 1925, sa situation devient de plus en plus précaire en URSS. Sa poésie est publiée grâce à l’appui de Nikolaï Boukharine. Il écrit à l’automne 1933 une Épigramme contre Staline, Le Montagnard du Kremlin, “corrupteur des âmes et équarisseur des payasans”. Il est arrêté à Moscou le 16 mai 1934, les autorités ayant eu connaissance de ce texte. Il est emprisonné, puis libéré au bout d’une quinzaine de jours, grâce à l’intervention de Nikolaï Boukharine, d’ Anna Akhmatova et de Boris Pasternak. Il est condamné et assigné à résidence pour trois ans à Tcherdyn, dans la région de Perm (Oural). Il obtient de résider à Voronèje, dans la région des Terres noires, en Russie centrale, à six cents kilomètres au sud de Moscou, jusqu’en avril 1937. Il revient à Moscou, mais est arrêté une nouvelle fois le 28 avril 1938 et condamné à cinq ans de travaux forcés. Il meurt à 47 ans de froid et d’épuisement le 27 décembre 1938 dans le camp de transit 3/10 de la gare de transit Vtoraïa Retchka près de Vladivostok. Son corps est jeté dans une fosse commune.
Varlam Chalamov, Cherry-Brandy, 1958 (Récits de la Kolyma, Verdier 2003. Pages 101-108)
« Il mourut vers le soir. Mais on ne le raya des listes que deux jours plus tard. Pendant deux jours, ses ingénieux voisins parvinrent à toucher la ration du mort lors de la distribution quotidienne de pain : le mort levait le bras comme une marionnette. C’est ainsi qu’il mourut avant la date de sa mort, détail de la plus haute importance pour ses futurs biographes. »
Возьми на радость из моих ладоней Немного солнца и немного меда, Как нам велели пчелы Персефоны.
Не отвязать неприкрепленной лодки, Не услыхать в меха обутой тени, Не превозмочь в дремучей жизни страха.
Нам остаются только поцелуи, Мохнатые, как маленькие пчелы, Что умирают, вылетев из улья.
Они шуршат в прозрачных дебрях ночи, Их родина – дремучий лес Тайгета, Их пища – время, медуница, мята.
Возьми ж на радость дикий мой подарок, Невзрачное сухое ожерелье Из мертвых пчел, мед превративших в солнце.
Plaque en hommage à Ossip Mandelstam. 12 rue de la Sorbonne (Paris, V), où il vécut en 1907 -1908.