Juan Ramón Jiménez (1881-1958)

Juan Ramón Jiménez.

EL VIAJE DEFINITIVO

…Y yo me iré. Y se quedarán los pájaros
cantando;
y se quedará mi huerto, con su verde árbol,
y con su pozo blanco.

Todas las tardes, el cielo será azul y plácido;
y tocarán, como esta tarde están tocando,
las campanas del campanario.

Se morirán aquellos que me amaron;
y el pueblo se hará nuevo cada año;
y en el rincón aquel de mi huerto florido y encalado,
mi espíritu errará, nostálgico…

Y yo me iré; y estaré solo, sin hogar, sin árbol
verde, sin pozo blanco,
sin cielo azul y plácido…
Y se quedarán los pájaros cantando.

Corazón en el viento en Poemas agrestes, 1910-1911.

Moguer. Casa natal de Juan Ramón Jiménez.

Carlo Cassolla 1917 -1987

J’ai lu la longue nouvelle La Coupe de bois, réeditée il y a peu par les éditions Sillage, suivant les conseils de Léon- Marc Lévy dans le Club de la Cause Littéraire. Elle a été écrite par le romancier italien Carlo Cassola (1917-1987), avec grande difficulté, quelques mois après le brusque décès de sa première femme, Rosa Falchi, en 1949. Elle sera publiée d’abord par la revue Paragone-Litteratura en décembre 1950. J’avais déjà lu en son temps son roman, La Ragazza, réédité par Cambourakis en 2015. Cette lecture ne m’avait pas particulièrement marqué. J’aime pourtant beaucoup la littérature italienne publiée après la Seconde Guerre mondiale: Elio Vittorini, Cesare Pavese, Italo Calvino, Beppe Fenoglio, Natalia Ginzburg, Giorgio Bassani, Pier Paolo Pasolini…D’autre part, tous les livres de Cassola publiés en France ont été traduits par le grand poète suisse, Philippe Jaccottet.

Bûcheron de 37-38 ans, Guglielmo vient de perdre sa jeune épouse, Rose, mère de ses deux petites filles, Irma et Adriana. Après avoir confié ses enfants à sa sœur Caterina, il achète à un bon prix le droit de faire une coupe de bois dans la forêt d’une lointaine vallée de montagne dans les Apennins toscans (les collines de Berignone où Cassola avait été partisan). Lui et son équipe de quatre bûcherons (Fiore le contremaître, Francesco, le conteur, Amedeo, son cousin, et le jeune Germano, passionné par les femmes et la chasse) ont devant eux plusieurs mois de travail. Marqué par le deuil, Guglielmo se réfugie dans la forêt et s’ isole du monde. Les cinq hommes vivent de peu pendant cinq mois dans la cabane qu’ils ont construite. Ils coupent des arbres, subissent la pluie et le froid. Le cœur de Guglielmo est brisé. A la fin, la tâche accomplie, il rentre dans son village, San Dalmazio, s’arrête un instant à la porte du cimetière et pense à sa femme morte.

“Aveva messo il sacco a terra e si era appoggiato al cancello del camposanto. Non gli era mai accaduto di sentirsi così disperato, nemmeno nei giorni della disgrazia. Per qualche momento farneticò addirittura; pensava di stendersi lì in terra e lasciarsi morire.”

« Il avait posé son sac à terre, et s’était appuyé à la grille du cimetière.
Jamais il ne s’était senti à ce point désespéré, même au moment du malheur. Quelques instants il perdit presque le sens, rêvant de se laisser tomber à terre et d’y mourir.»

« Pensava che Rosa avrebbe dovuto aiutarlo. Non era possibile continuare così. Lassù nel cielo doveva dargli la forza di vivere. E guardò in alto. Ma era tutto buio, non c’era una stella.

« Il songeait que Rose devait à tout prix l’aider. Qu’il ne pouvait continuer ainsi. Du haut du ciel, elle devait lui donner la force de vivre.
Il leva les yeux. Le ciel était entièrement noir, sans une étoile.»

Carlo Cassola écrit un texte simple et sombre sur le deuil. Le travail et la nature n’apaisent pas l’homme meurtri. Il décrit avec justesse la vie des bûcherons et les relations entre ces hommes silencieux, en particulier entre le veuf, Guglielmo et le vieux charbonnier triste et solitaire qui aime les étoiles.

Carlo Cassola.

Carlo Cassola est un romancier et essayiste italien, né le 17 mars 1917 à Rome et mort le 29 janvier 1987 à Montecarlo, près de Lucques en Toscane. Il fait des études de droit à partir de 1935 à l’Université de Rome et en sort diplomé en 1939. Il commence à publier en 1937 au moment où il doit faire son service militaire. En 1940, il enseigne à Volterra en Toscane et se marie avec Rosa Falchi. Celle-ci mourra brutalement en 1949 d’une grave crise rénale. Très tôt, il s’oppose à la politique italienne de l’Italie de Mussolini et s’affirme antifasciste et internationaliste. En 1941, il est mobilisé, mais ne sera pas envoyé au combat. En 1943, il prend contact avec des résistants de la région de Volterra. Responsable des explosifs, il combattra jusqu’en août 1944. A la libération, il s’implique dans les activités du parti d’Action, qui s’auto-dissoudra en 1946. Il est professeur d’histoire et de philosophie de 1948 à 1962 au lycée de la ville de Grossetto, chef-lieu du sud de la Toscane. En 1951, il se remarie avec Guiseppina Rabagli. La ragazza lui vaut le prix Strega et le succès. Son roman sera adapté au cinéma par Luigi Comencini en 1963 et interprété par Claudia Cardinale. En 1971 il souffre d’un infarctus. Il est atteint d’une grave maladie cardiaque. Il tombe amoureux de Pola Natali en 1974 et l’épousera en 1986. A la fin de sa vie, il milite pour le désarmement et la cause animale.

Il a publié 38 romans et nouvelles, dont 10 sont traduits en français ainsi que 13 essais.

Oeuvres traduites en français:

1952 Fausto e Anna. Fausto et Anna, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1961
1953 Il taglio del bosco. La Coupe de bois: récits, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1963; réédition, Paris, éditions Sillage, 2018.
1960 La ragazza di Bube. La Ragazza, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1962; réédition, Paris, LGF, «Le Livre de poche » n°2754, 1970; réédition, Paris, Cambourakis, «Letteratura», 2015.
1961 Un cuore arido. Un cœur aride, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1964; réédition, Paris, Gallimard,«Folio» n°645, 1974.
1964 Il cacciatore. Le Chasseur, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1966; réédition, Paris, Seuil,«Points» n°365, 1989.
1967 Storia di Ada; La maestra. Fiorella, suivi de Jours mémorables, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1969.
1969 Una relazione. Une liaison, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1971; réédition, Paris, LGF,«Le Livre de poche»n° 3868, 1974.
1970 Paura e tristezza. Anna de Volterra, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1973.
1973 Monte Mario. Mario, Paris, Seuil, 1975.
1976 L’antagonista. L’Antagoniste, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1978.

Fernando Pessoa (1888 – 1935)

Fernando Pessoa (sculpture de Lagoa Henriques 1923-2009), Café A Brasileira, Chiado, Lisbonne.

Tabacaria (Fernando Pessoa – Álvaro de Campos )

Não sou nada.
Nunca serei nada.
Não posso querer ser nada.
À parte isso, tenho em mim todos os sonhos do mundo…

Bureau de tabac (Fernando Pessoa – Álvaro de Campos)

Je ne suis rien.
Jamais je ne serai rien.
Je ne puis vouloir être rien.
Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde…

15 janvier 1928.

Albert Camus (1913 – 1960)

Albert Camus, Pourquoi l’Espagne ? (Combat, 1948).

“C’est cela, justement, que je ne puis pardonner à la société politique contemporaine: qu’elle soit une machine à désespérer les hommes”.

Albert Camus (Henri Cartier-Bresson, 1944).

Emil Cioran (1911 – 1995)

Emil Cioran.

«La lucidité et la fatigue ont eu raison de moi – j’entends une fatigue philosophique autant que biologique – quelque chose en moi s’est détraqué. On écrit par nécessité et la lassitude fait disparaître cette nécessité. Il vient un temps où cela ne nous intéresse plus. En outre, j’ai fréquenté trop de gens qui ont écrit plus qu’il n’aurait fallu, qui se sont obstinés à produire, stimulés par le spectacle de la vie littéraire parisienne. Mais il me semble que moi aussi j’ai trop écrit. Un seul livre aurait suffi. Je n’ai pas eu la sagesse de laisser inexploitées mes virtualités, comme les vrais sages que j’admire, ceux qui, délibérément, n’ont rien fait de leur vie.»

Entretien avec Sylvie Jaudeau, José Corti, 1990.

 

Charles Baudelaire

Charles Baudelaire. Autoportrait. Dessin a la plume. 1845.

Paysage

Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l’atelier qui chante et qui bavarde;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d’éternité.

II est doux, à travers les brumes, de voir naître
L’étoile dans l’azur, la lampe à la fenêtre
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes;
Et quand viendra l’hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d’eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l’Idylle a de plus enfantin.
L’Emeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;
Car je serai plongé dans cette volupté
D’évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

Les Fleurs du Mal, 1857.

Frontispice de la première édition des Fleurs du mal annotée par Charles Baudelaire.

César Vallejo (1892-1938)

César Vallejo.

C’est un poème que nous avons souvent étudié avec nos élèves de Terminale. J. insistait, insistait. Elle voulait que je publie dans le blog ce poème. J’hésitais. Trop connu. Trop lu. Trop étudié. Elle avait raison. On ne peut pas le relire sans un pincement au coeur.

A mi hermano Miguel 

                                                                               In memoriam

Hermano, hoy estoy en el poyo de la casa,
¡donde nos haces una falta sin fondo!
Me acuerdo que jugábamos esta hora, y que mamá
nos acariciaba: “Pero, hijos …”.

Ahora yo me escondo,
como antes, todas estas oraciones
vespertinas, y espero que tú no des conmigo.
Por la sala, el zaguán, los corredores,
después, te ocultas tú, y yo no doy contigo.
Me acuerdo que nos hacíamos llorar,
hermano, en aquel juego.

Miguel, tú te escondiste
una noche de agosto, al alborear;
pero, en vez de ocultarte riendo, estabas triste.
Y tu gemelo corazón de esas tardes
extintas se ha aburrido de no encontrarte. Y ya
cae sombra en el alma.

Oye, hermano, no tardes en salir.
Bueno… Puede inquietarse mamá.

Los heraldos negros, 1918-19

A mon frère Miguel

                                                                                  In memoriam

Petit frère, je suis là assis sur le banc de notre maison,
où tu nous manques infiniment!
Je me rappelle, c’est l’heure où nous jouions, et maman
nous câlinait: «Vraiment, les enfants…»

Maintenant je me cache,
comme avant, toutes ces prières
vespérales, et j’espère que tu ne me trouveras pas.
Dans la grande salle, le vestibule, les couloirs.
Ensuite, c’est à toi de te cacher et moi, je ne te trouve pas.
Je me rappelle que nous nous faisions pleurer,
petit frère, à ce jeu-là.

Miguel, tu t’es caché
une nuit d’août, au lever du jour;
mais au lieu de te cacher en riant, tu étais triste…
Et ton coeur jumeau de ces après-midi
consumées, s’est lassé de ne pas te trouver. Et voilà
l’ombre qui tombe sur mon âme.

Dis, petit frère, ne tarde pas
à sortir. Allons? Maman pourrait s’inquiéter.

Los Hérauts noirs, 1918-19.

Traduction: Nicole Réda-Euvremer.

A mon frère Miguel

                                                                                                In memoriam

Mon frère, je suis assis aujourd’hui sur le banc de la maison,
où tu nous manques jusqu’au fond du fond!
Je m’en souviens c’est l’heure où nous jouions, et maman
nous caressait: «Allez, mes enfants…»

Je me cache maintenant;
comme auparavant, toutes ces prières
vespérales, et l’espoir que tu ne me trouves pas.
Le salon, le vestibule, les couloirs.
Et puis tu disparais, je ne te trouve pas.
je me souviens, nous en pleurions
de ce jeu-là, mon frère.

Miguel, tu t’es caché
une nuit d’août, à l’aube;
mais au lieu de disparaître en riant, tu étais triste.
Le coeur jumeau de ces après-midi
éteints s’est fatigué de ne pas te trouver. Depuis
il tombe de l’ombre sur l’âme.

Allons, mon frère, ne tarde pas
à sortir. Tu entends? Maman peut s’inquiéter.

Los Hérauts noirs, 1918-19.

Traduction: Laurence Bresse-Chanet.

Canta Mercedes Sosa. Disco: “Traigo un pueblo en mi voz” de 1973.

Pablo Neruda (1904 – 1973)

Pablo Neruda (Ricardo Eliécer Neftalí Reyes Basoalto) nació en Parral (Chile) el 12 de julio de 1904. Murió en la clínica Santa María de Santiago de Chile el 23 de septiembre de 1973, 12 días después del golpe militar. Sus casas fueron saqueadas por los militares.

Isla Negra. Casa Museo Pablo Neruda (arquitecto Germán Rodríguez Arias 1943-1945 + Sergio Soza 1965). Mascarón de proa.

Oda al presente (Pablo Neruda)

Este
presente
liso
como una tabla,
fresco,
esta hora,
este día
limpio
como una copa nueva
—del pasado
no hay una
telaraña—,
tocamos
con los dedos
el presente,
cortamos
su medida,
dirigimos
su brote,
está viviente,
vivo,
nada tiene
de ayer irremediable,
de pasado perdido,
es nuestra
criatura,
está creciendo
en este
momento, está llevando
arena, está comiendo
en nuestras manos,
cógelo,
que no resbale,
que no se pierda en sueños
ni palabras,
agárralo,
sujétalo
y ordénalo
hasta que te obedezca,
hazlo camino,
campana,
máquina,
beso, libro,
caricia,
corta su deliciosa
fragancia de madera
y de ella
hazte una silla,
trenza
su respaldo,
pruébala,
o bien
escalera!
Si,
escalera,
sube
en el presente,
peldaño
tras peldaño,
firmes
los pies en la madera
del presente,
hacia arriba,
hacia arriba,
no muy alto,
tan sólo
hasta que puedas
reparar
las goteras
del techo,
no muy alto,
no te vayas al cielo,
alcanza
las manzanas,
no las nubes,
ésas
déjalas
ir por el cielo, irse
hacia el pasado.

eres
tu presente,
tu manzana:
tómala
de tu árbol,
levántala
en tu
mano,
brilla
como una estrella,
tócala,
híncale el diente y ándate
silbando en el camino.

Nuevas odas elementales (1955)

Isla Negra (Chile). Casa Museo Pablo Neruda. Campanas.

Luis Cernuda

Luis Cernuda.

Luis Cernuda est né le 21 septembre 1902 à Séville. Exilé en 1938 au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et enfin au Mexique, il est mort sans revoir son pays le 5 novembre 1963 à Mexico. Il avait 61 ans.

Peregrino ( Luis Cernuda )

¿Volver? Vuelva el que tenga,
Tras largos años, tras un largo viaje,
Cansancio del camino y la codicia
De su tierra, su casa, sus amigos,
Del amor que al regreso fiel le espere.

Mas, ¿tú? ¿Volver? Regresar no piensas,
Sino seguir libre adelante,
Disponible por siempre, mozo o viejo,
Sin hijo que te busque, como a Ulises,
Sin Ítaca que aguarde y sin Penélope.

Sigue, sigue adelante y no regreses,
Fiel hasta el fin del camino y tu vida,
No eches de menos un destino más fácil,
Tus pies sobre la tierra antes no hollada,
Tus ojos frente a lo antes nunca visto.

Desolación de la quimera (1962)

Pélerin

Revenir? Que revienne celui qui
Après de longues années, après un long voyage,
Est fatigué de la route et désire revoir
Son pays, sa maison, ses amis,
l’amour qui fidèlement attend qu’il revienne.

Mais, toi, Revenir? Tu ne penses pas revenir
Mais poursuivre en liberté,
Toujours disponible, jeune ou vieux,
sans enfant qui te cherche, comme Ulysse,
Sans Ithaque qui t’attend et sans Pénélope.

Continue, continue encore et ne reviens pas,
fidèle jusqu’à la fin du chemin et de la vie,
Ne regrette pas un destin plus facile,
Tes pieds sur la terre qui n’a pas été encore foulée,
Tes yeux face à ce qui n’a jamais été vu auparavant.

Desolation de la chimère (1962)

Ángel González

CUMPLEAÑOS 

Yo lo noto: cómo me voy volviendo
menos cierto, confuso,
disolviéndome en aire
cotidiano, burdo
jirón de mí, deshilachado
y roto por los puños.

Yo comprendo: he vivido
un año más, y eso es muy duro.
¡Mover el corazón todos los días
casi cien veces por minuto!

Para vivir un año es necesario
morirse muchas veces mucho.

Áspero mundo (1956)

Ángel González en Oviedo.