César Vallejo

Madrid. Busto de César Vallejo (Miguel Baca Rossi). Parque del Oeste. Paseo del Pintor Rosales.

Los pasos lejanos

Mi padre duerme. Su semblante augusto
figura un apacible corazón;
está ahora tan dulce…
si hay algo en él de amargo, seré yo.

Hay soledad en el hogar; se reza;
y no hay noticias de los hijos hoy.
Mi padre se despierta, ausculta
la huida a Egipto, el restañante adiós.
Está ahora tan cerca;
si hay algo en él de lejos, seré yo.

Y mi madre pasea allá en los huertos,
saboreando un sabor ya sin sabor.
Está ahora tan suave,
tan ala, tan salida, tan amor.

Hay soledad en el hogar sin bulla,
sin noticias, sin verde, sin niñez.
Y si hay algo quebrado en esta tarde,
y que baja y que cruje,
son dos viejos caminos blancos, curvos.
Por ellos va mi corazón a pie.

Los Heraldos Negros, 1918.

[Dante Liano (1948), écrivain guatémaltèque, utilise les quatre derniers vers de ce poème de Vallejo comme épigraphe de son roman Réquiem por Teresa, publié cette année dans la collection de poche du Fondo de Cultura económica.]

Santiago de Chuco. Maison natale de César Vallejo avant restauration.

Les pas lointains

Mon père dort. Son auguste visage
figure un cœur serein ;
il est maintenant si doux…
s’il est en lui quelque chose d’amer, ce doit être moi.

Il y a de la solitude au foyer ; on prie ;
et pas de nouvelles des enfants aujourd’hui.
Mon père s’éveille, ausculte
la fuite en Égypte, l’adieu apaisant.
Il est maintenant si proche ;
s’il est en lui quelque chose de lointain, ce doit être moi.

Et ma mère se promène là-bas dans les jardins,
savourant une saveur désormais sans saveur.
Elle est maintenant si suave,
si aile, si départ, si amour.

Il y a de la solitude au foyer sans tumulte,
sans nouvelles, sans vert, sans enfance.
Et s’il est quelque chose de brisé ce soir,
et qui descend et qui grince,
ce sont deux vieux chemins blancs, courbés.
Mon cœur les parcourt à pied.

(Traduit par Nicole Réda-Euvremer)

Guillaume Apollinaire

La Muse inspirant le poète (Marie Laurencin et Guillaume Apollinaire) (Le Douanier Rousseau) .1909. Bâle, Kunstmuseum.

Automne malade

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
de neige et fruits mûrs.
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé

Aux lisières lointaines,
les cerfs ont bramé

Et que j’aime ô saison, que j’aime tes rumeurs
Les fruits tombant, sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
qu’on foule,
Un train
qui roule
La vie
s’écoule…

Alcools, 1913.

Torcy (Seine-et-Marne). L’Arche Guédon.
Annie Playden.

En évoquant cet automne malheureux qu’on délaisse et qui se meurt, le poète évoque sa propre situation, et la déception amoureuse qu’il a connue avec Annie Playden.
Celle-ci est née en Angleterre le 28 janvier 1880. Elle est morte en 1967. Elle aurait inspiré au poète entre autres Annie, La Chanson du mal-aimé et L’Émigrant de Landor Road.

En juillet 1900, Guillaume Apollinaire trouve un emploi dans une officine financière où il fait la connaissance de René Nicosia. La mère de celui-ci est le professeur de piano de Gabrielle, la fille de Élinor Hölterhoff, vicomtesse de Milhau. Celle-ci cherche un professeur de français pour Gabrielle. Madame Nicosia lui présente Apollinaire qui est engagé en mai 1901. Quand la vicomtesse de Milhau décide de faire un long séjour en Allemagne où sa famille habite, Apollinaire est du voyage, ainsi qu’Annie Playden, la gouvernante anglaise de Gabrielle. Une idylle s’ébauche entre les deux jeunes gens qui sont nés tous les deux en 1880. En août 1902, Apollinaire a terminé son contrat d’un an et il rentre à Paris. En novembre 1903, il se rend à Londres, où il loge chez son ami Faik Konica. Il essaie de revoir Annie Playden, rentrée en Angleterre. Il y retourne en mai 1904. Il se heurte au refus de la jeune fille. Peu de temps après, Annie Playden quitte l’Angleterre et s’installe aux États-Unis. Elle fut retrouvée cinquante ans plus tard par des spécialistes d’Apollinaire, devenue Mrs Postings. Elle n’avait aucune connaissance de la destinée de son soupirant, qu’elle ne connaissait que sous le nom de Wilhelm Kostrowicki et qu’on appelait «Kostro».

Témoignage d’Apollinaire
««Aubade» n’est pas un poème à part mais un intermède intercalé dans «La Chanson du mal aimé» qui datant de 1903 commémore mon premier amour à vingt ans, une Anglaise rencontrée en Allemagne, ça dura un an, nous dûmes retourner chacun chez nous, puis ne nous écrivîmes plus. Et bien des expressions de ce poème sont trop sévères et injurieuses pour une fille qui ne comprenait rien à moi et qui m’aima puis fut déconcertée d’aimer un poète, être fantasque; je l’aimais charnellement mais nos esprits étaient loin l’un de l’autre. Elle était fine et gaie cependant. J’en fus jaloux sans raison et par l’absence vivement ressentie, ma poésie qui peint bien cependant mon état d’âme, poète inconnu au milieu d’autres poètes inconnus, elle loin et ne pouvant venir à Paris. Je fus la voir deux fois à Londres, mais le mariage était impossible et tout s’arrangea par son départ à l’Amérique, mais j’en souffris beaucoup, témoin ce poème où je me croyais mal-aimé, tandis que c’était moi qui aimait mal et aussi «L’Émigrant de Landor Road» qui commémore le même amour, de même que «Cors de chasse» commémore les mêmes souvenirs déchirants que «Zone», «Le Pont Mirabeau» et «Marie» le plus déchirant de tous je crois.»

Guillaume Apollinaire, Lettre à Madeleine Pagès, 30 juillet 1915.

Lettres à Madeleine. Folio n°4428. 2006.

Wisława Szymborska 1923-2012

Wisława Szymborska.

Trois mots étranges
Quand je prononce le mot Avenir,
sa première syllabe appartient déjà au passé.

Quand je prononce le mot Silence,
je le détruis.

Quand je prononce le mot Rien,
je crée une chose qui ne tiendrait dans aucun néant.

De la mort sans exagérer Poèmes 1957-2009. Poésie/Gallimard.
(Traduction Piotr Kaminski).

Las tres palabras más extrañas

Cuando pronuncio la palabra Futuro,
la primera sílaba pertenece ya al pasado.

Cuando pronuncio la palabra Silencio,
lo destruyo.

Cuando pronuncio la palabra Nada,
creo algo que no cabe en ninguna no-existencia
(Traducción de Gerardo Beltrán)

Wisława Szymborska a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1996.

Miguel Hernández

Orihuela. Monumento a Miguel Hernández.

Le 30 octobre 1910, il y a aujourd’hui 109 ans, naissait à Orihuela (Alicante) Miguel Hernández Gilabert ,”el pastor poeta”.

Le 18 janvier 1940, un Conseil de Guerre le condamna à mort l’accusant du délit d’adhésion à la rebellion. Le 9 juillet 1940, il vit sa peine commuée en trente années d’emprisonnement. Miguel Hernández connut les prisons de Madrid, Palencia, Ocaña, Alicante. Les conditions déplorables de détention eurent raison de sa santé. Le poète mourut de tuberculose pulmonaire le 28 mars 1942 à 31 ans. On l’enterra le lendemain au cimetière Nuestra Señora del Remedio d’Alicante. Sa condamnation n’a toujours pas été annulée par le Tribunal Suprême.

Le poème qui suit semble lui avoir été inspiré comme la plupart de ceux qui constituent El rayo que no cesa (1936) par sa relation avec la peintre Maruja Mallo (1902-1995). Ils se rencontrèrent chez Pablo Neruda à Madrid (La Casa de las Flores – Arguëlles) en 1935. Ils vécurent une relation très forte en 1935 et 1936, parcoururent ensemble l’Espagne, puis se séparèrent tout en maintenant une profonde amitié.

Maruja Malló évoque ainsi leurs rapports:

«Yo hice una evolución hacia la vida, hacia el campo, y fue entonces cuando brotó el trigo como un todo, el trigo por los caminos de Castilla. Miguel Hernández era el que tenía conocimiento de la astrología de la tierra, porque, a fin de cuentas, la tierra está dentro de los astros. Miguel decía que cuando había luna menguante, tal producto brotaba; cuando había creciente, estalla ese otro.»

«Fuimos los primeros iniciadores del autostop, sin proponerlo. Al llegar al camión, los campesinos nos entregaron un ramo de flores, pidiéndonos disculpas por el alojamiento que nos brindaban…Yo recordé la frase del conde Keyserling, cuando manifestó que la aristocracia de España estaba en el pueblo.» (Tània Balló, Las sinsombrero, 2016)

¿No cesará este rayo que me habita
el corazón de exasperadas fieras
y de fraguas coléricas y herreras
donde el metal más fresco se marchita?

¿No cesará esta terca estalactita
de cultivar sus duras cabelleras
como espadas y rígidas hogueras
hacia mi corazón que muge y grita?

Este rayo ni cesa ni se agota:
de mí mismo tomó su procedencia
y ejercita en mí mismo sus furores.

Esta obstinada piedra de mí brota
y sobre mí dirige la insistencia
de sus lluviosos rayos destructores.

El rayo que no cesa, 1936.

Cessera-t-elle un jour cette foudre qui peuple
Mon coeur de féroces fauves exaspérés
Et d’enclumes colériques et forgeronnes
Où même le métal le plus frais se flétrit ?

Cessera-t-elle un jour l’entêtée stalactite
De cultiver enfin ses dures chevelures
Pareilles aux épées et aux bûchers rigides,
Tournées contre mon coeur qui mugit et qui crie ?

Cette foudre n’a de cesse ni ne s’épuise:
C’est en moi-même qu’elle a pris son origine,
Contre moi-même qu’elle exerce ses fureurs.

Cette pierre obstinée, de moi elle jaillit
Et c’est sur moi qu’elle dirige l’insistance
De ses foudres dévastatrices et pluvieuses.

Cet éclair qui ne cesse pas.

(Traduction Yves Aguila)

Sorpresa del trigo (Maruja Mallo). Mai 1936.

Sorpresa del trigo (mayo de 1936) es como el prólogo de mi labor sobre los trabajadores de mar y tierra, compenetración de elementos materiales. El trigo, vegetal universal, símbolo de la lucha, mito terrenal.

Manifestación de creencia que surge de la severidad y la gracia de las dos Castillas, de mi fe materialista en el triunfo de los peces, en el reinado de la espiga.”
Maruja Mallo. Buenos Aires, 31 de julio de 1937.

León Felipe 1884-1968

León Felipe (Walter Reuter y Javier de la Fuente)

Auschwitz ( León Felipe 1884-1968)

A todos los judíos del mundo, mis amigos, mis hermanos.

Estos poetas infernales,
Dante, Blake, Rimbaud …
Que hablen más bajo…
Que toquen más bajo…
¡Que se callen!
Hoy
Cualquier habitante de la tierra
Sabe mucho más del infierno
Que esos tres poetas juntos.
Ya sé que Dante toca muy bien el violín…
¡Oh, el gran virtuoso!
Pero que no pretenda ahora
Con sus tercetos maravillosos
Y sus endecasílabos perfectos
Asustar a ese niño judío
Que está ahí, desgajado de sus padres…
Y solo.
¡Solo!
Aguardando su turno
En los hornos crematorios de Auschwitz.
Dante… tú bajaste a los infiernos
Con Virgilio de la mano
(Virgilio, «gran cicerone»)
Y aquello vuestro de la Divina Comedia
Fue una aventura divertida
De música y turismo.
Esto es otra cosa… otra cosa…
¿Cómo te explicaré?
¡Si no tienes imaginación!
Tú… no tienes imaginación,
Acuérdate que en tu «Infierno»
No hay un niño siquiera…
Y ese que ves ahí…
Está solo
¡Solo! Sin cicerone
Esperando que se abran las puertas de un infierno
Que tú, ¡pobre florentino!,
No pudiste siquiera imaginar.
Esto es otra cosa… ¿cómo te diré?
¡Mira! Éste es un lugar donde no se puede tocar el violín.
Aquí se rompen las cuerdas de todos
Los violines del mundo.
¿Me habéis entendido poetas infernales?
Virgilio, Dante, Blake, Rimbaud…
¡Hablad más bajo!
¡Tocad más bajo!… ¡Chist!…
¡¡Callaos!!
Yo también soy un gran violinista…
Y he tocado en el infierno muchas veces…
Pero ahora, aquí…
Rompo mi violín… y me callo.

¡Oh, este viejo y roto violín! México, Fondo de Cultura Económica, 1965.

Auschwitz

A todos los judíos del mundo, mis amigos, mis hermanos.

Ces poètes de l’enfer,
Dante, Blake, Rimbaud…
Qu’ils parlent moins haut…
Qu’ils jouent moins haut…
Qu’ils se taisent!
Aujourd’hui
N’importe quel habitant de la terre
En sait beaucoup plus sur l’enfer
Que ces trois poètes ensemble.
Oui, je sais que Dante joue très bien du violon.
Ah, quel grand virtuose!
Mais qu’il n’ait pas la prétention
Avec ses merveilleux tercets,
Ses hendécasyllabes parfaits,
D’effrayer cet enfant juif,
Là, arraché à son père et à sa mère…
Et qui est seul.
Tout seul!
À attendre son tour
Devant les fours crématoires d’Auschwitz.
Dante…tu es descendu aux Enfers,
Ta main dans la main de Virgile
(«Grand cicérone», ce Virgile),
Et votre truc, la Divine Comédie,
Ça a été une aventure amusante,
Du tourisme en musique.
Ça, c’est autre chose…autre chose…
Comment t’expliquer?
C’est que tu manques d’imagination!
Toi…tu manques d’imagination,
Souviens-toi que dans ton «Enfer»
Il n’y a pas un seul enfant…
Et celui que tu vois, là,
Il est seul.
Tout seul! Sans cicérone…
À attendre que s’ouvrent les portes d’un enfer
Que toi, mon pauvre Florentin!
Tu n’as même pas pu imaginer.
Ça, c’est autre chose…Comment te dire?
C’est un lieu où se brisent les cordes de tous
Les violons du monde.
Vous m’avez bien compris, poètes de l’enfer?
Virgile, Dante, Blake, Rimbaud…
Parlez moins haut!
Jouez moins haut!… Chut!…
Taisez-vous!
Moi aussi je suis un grand violoniste…
Et j’ai joué en enfer, bien souvent…
Mais ici et maintenant,
Je brise mon violon…et je me tais.

Oh, ce vieux violon cassé! 1965. (Traduction Yves Aguila)
Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 1995.

León Felipe (pseudonyme de Felipe Camino Galicia) est né à Tábara, près de Zamora. Son père est notaire. Après des études de pharmacie, il gère plusieurs officines en Espagne, puis s’engage dans une troupe de comédiens ambulants et parcourt toute l’Espagne. De 1920 à 1922, il vit en Afrique dans l’île de Fernando Poo, en tant qu’administrateur des hôpitaux, puis au Mexique et aux Etats-Unis. Il revient dans son pays natal en 1934 et fait la connaissance du poète chilien Pablo Neruda. C’est un républicain espagnol exilé au Mexique de 1938 à sa mort en 1968. Il y jouera un rôle intellectuel considérable. Son œuvre est souvent associée à celle de Walt Whitman, qu’il traduit.

https://www.youtube.com/watch?v=eU1tIq6qO4U

     

Antico Caffè Greco

Artistes au Café Greco (Ludwig Passini), 1856.

L’antico Caffè Greco (86, via Condotti), situé dans le centre historique de Rome, est menacé de mort. L’actuel décor remonte à 1869. Il s’agit une enfilade de petites salles aux murs pourpres, couverts de tableaux complétées par de petites tables en marbre et de fauteuils de velours.

Ce café a été fondé en 1760 par un grec appelé Nicola della Maddalena. Dans les années 1780, l’âge d’or du Grand Tour, les touristes s’installaient là l’après-midi. La rareté du café sous le régime napoléonien et le blocus continental a permis ici l’invention de son absorption par petites tasses. Ce fut ensuite un lieu de rencontre pour les écrivains et les artistes, très actif au début du XXe siècle. Considéré comme une véritable institution, le Greco a vu défiler des artistes comme Giacomo Casanova, Giacomo Leopardi, Chateaubriand, Stendhal, Goethe, Byron, Franz Liszt, Brahms, John Keats, Charles Dickens, Friedrich Nietzsche, Henry James, Hector Berlioz, Felix Mendelssohn, Georges Bizet, Gogol, Herman Melville, Mark Twain, Arthur Schopenhauer, Ibsen, Guillaume Apollinaire, Giorgio de Chirico, Gabriele D’Annunzio, James Joyce, Thomas Mann, Orson Welles, Pier Paolo Pasolini. Dans les années 1950, il a aussi compté parmi ses clients María Zambrano et Ramón Gaya, exilés à Rome. Il a été classé monument historique en 1953 et a fêté dignement ses 250 ans en 2010 dans son décor en forme de corridor surchargé de peintures.

En novembre 2017, un conflit met son existence en péril. L’Ospedale Israelitico, propriétaire des murs depuis 138 ans, a profité de la fin du bail pour augmenter le loyer de manière exorbitante. Il se trouve en effet dans la rue la plus chère de Rome. Le Greco est situé en face de Bulgari. Une tasse de café, même à 7 euros, ne suffit pas à remplir les caisses comme les rivières de diamants ou les sacs à 5000 euros. Carlo Pellegrini, l’actuel patron du Greco, ne peut pas suivre. Il a lancé une campagne de presse pour la défense de cet établissement.

Je me souviens du poème déchirant écrit par María Zambrano le 21 juin 1958. Elle vit à Rome de 1953 à 1959 avec sa sœur Araceli qui depuis son arrestation par la Gestapo pendant la Seconde Guerre Mondiale souffre de graves problèmes physiques et mentaux.

Café Greco (situación de Araceli lux perpetua) (María Zambrano)

Pensar y no preocuparse.
Actuar sin decidir.
Seguir y no perseguir.
Reposar sin detenerse.

Ofrecer sin calcular.
No aferrarse a la esperanza.
No detenerse en la espera.
Escuchar sin casi hablar.

Respirar en el silencio.
Dejarse quieto flotar.
Perderse yendo hacia el centro.
Hundirse sin respirar.

Cruzar sin mirar fronteras.
Dejar límites atrás.
Recogerse. Abandonarse.
Solo dejarse guiar.
Ser criatura tan solo,
no haber de sacrificar.
Más allá del sacrificio,
cumplida la voluntad,
sin designio ni proyecto,
sin sombra, espejo ni imagen.
Alga en la corriente lenta.
Alga de vida no más.
Hijo. Criatura. Amante.
Alga de amor. Ya no más.
Lejos de toda ribera.
Por el corazón del agua; ya.

María Zambrano. Cuba. Años 40.

Peter Handke – Wim Wenders

Je n’ai pas vu Les Beaux Jours d’Aranjuez (2016), le film de Wim Wenders, tiré d’une pièce de Peter Handke. L’auteur autrichien y fait une brève apparition en jardinier. Les critiques l’avaient très mal reçu.

Reda Kateb qui joue le rôle principal lit un des poèmes d’Antonio Machado que le récent Prix Nobel préfère:

Desnuda está la tierra.

Desnuda está la tierra,
y el alma aúlla al horizonte pálido
como loba famélica. ¿Qué buscas,
poeta, en el ocaso?

¡Amargo caminar, porque el camino
pesa en el corazón! ¡El viento helado,
y la noche que llega, y la amargura
de la distancia!… En el camino blanco

algunos yertos árboles negrean;
en los montes lejanos
hay oro y sangre… El sol murió… ¿Qué buscas,
poeta, en el ocaso?

Soledades, galerías y otros poemas, 1903.

La terre est nue

La terre est nue,
et l’âme hurle à l’horizon pâle
comme une louve famélique.
Que cherches-tu, poète, dans le couchant?

Amère marche, car le chemin
est lourd à mon coeur! Le vent glacé,
et la nuit qui survient, et l’amertume
de la distance!… Sur le chemin blanc

quelques arbres transis font une tache noire;
sur les monts lointains
il y a de l’or et du sang… Le soleil est mort…
Que cherches-tu, poète, dans le couchant?

On peut lire aujourd’hui dans El País un bel article de Pablo de Llano ( El año que el Nobel Peter Handke recorrió los caminos de Soria) qui décrit le séjour de Peter Handke à Soria et son attachement à la Castille, à la Meseta.

https://elpais.com/cultura/2019/10/12/actualidad/1570896056_347333.html

Peter Handke en Soria.

José Emilio Pacheco

José Emilio Pacheco.

El sapo

Es por naturaleza el indeseable
Como persiste en el error
de su viscosidad palpitante
queremos aplastarlo

Trágico impulso humano : destruir
lo mismo al semejante que al distinto

El sapo
hermoso a su manera
lo ve todo
con la serenidad
de quien se sabe destinado al martirio

Le crapaud

Il est par nature l’indésirable
Comme il persiste dans l’erreur
de sa viscosité palpitante
nous préférons l’écraser

Tragique impulsion humaine : détruire
de la même façon le semblable et le différent

Le crapaud
beau à sa façon
voit tout
avec la sérénité
de celui qui se sait destiné au martyre

Le Passé est un aquarium [Irás y no volverás,1980], Éditions de la Différence, Collection Le Fleuve et l’écho, 1991, pp. 94-95. Traduit de l’espagnol (Mexique) par Gérard de Cortanze.

Une belle maison d’édition qui a disparu, malheureusement.

Idea Vilariño 1920-2009

9 poèmes d’Idea Vilariño, traduits en français par Eric Sarner. Ultime anthologie. La Barque, 2017.

Adiós

Adiós.
Salgo como de un traje
estrecho y delicado
difícilmente
un pie
después despacio
el otro,
Salgo como de bajo
un derrumbe
arrastrándome
sorda al dolor
deshecha la piel
y sin ayuda.
Salgo penosamente
al fin
de ese pasado
de ese arduo aprendizaje
de esa agónica vida.

Adieu

Adieu.
Je sors comme d’un costume
étroit et délicat
difficilement
un pied
puis doucement
l’autre.
Je sors comme du dessous
d’un éboulement
en rampant
sourde à la douleur
la peau défaite
et sans personne.
Je sors avec peine
finalement
de ce passé
de ce pénible apprentissage
de cette vie déchirée.

Comparación

Como en la playa virgen
dobla el viento
el leve junco verde
que dibuja
un delicado círculo en la arena
así en mí
tu recuerdo.

Comparaison

Comme sur la plage vierge
le vent plie
le mince roseau vert
qui dessine
dans le sable un cercle délicat
ainsi en moi
le souvenir de toi.

Eso

Mi cansancio
mi angustia
mi alegría
mi pavor
mi humildad
mis noches todas
mi nostalgia del año
mil novecientos treinta
mi sentido común
mi rebeldía.
Mi desdén
mi crueldad y mi congoja
mi abandono
mi llanto
mi agonía
mi herencia irrenunciable y dolorosa
mi sufrimiento
en fin
mi pobre vida.

Voilà

Ma fatigue
mon angoisse
ma joie
ma frayeur
mon humilité
mes nuits toutes
ma nostalgie de l’année
mille neuf cent trente
mon bon sens
ma révolte.
Mon mépris
ma cruauté et ma peine
mon abandon
mes larmes
mon tourment
mon héritage inaliénable et douloureux
ma souffrance
enfin
ma pauvre vie.

La metamorfosis

Entonces soy los pinos
soy la arena caliente
soy una brisa suave
un pájaro liviano delirando en el aire
o soy la mar golpeando de noche
soy la noche.
Entonces no soy nadie.

La métamorphose

Donc je suis les pins
je suis le sable chaud
je suis une brise douce
un oiseau léger délirant dans l’air
ou bien je suis la mer qui cogne la nuit
je suis la nuit.
Donc je ne suis personne.

La noche

La noche no era el sueño
Era su boca
Era su hermoso cuerpo despojado
De sus gestos inútiles
Era su cara pálida mirándome en la sombra
La noche era su boca
Su fuerza y su pasión
Era sus ojos serios
Esas piedras de sombras cayéndose en mis ojos
Y era su amor en mí
Invadiendo tan lenta
Tan misteriosamente.

La nuit

La nuit ce n’était pas le rêve
c’était sa bouche
c’était son beau corps dépouillé
de ses gestes inutiles
c’était son visage pâle me regardant dans l’ombre.
La nuit c’était sa bouche
sa force et sa passion
c’était ses yeux graves
ces pierres d’ombre
qui roulaient dans mes yeux
c’était son amour en moi
une invasion si lente
si mystérieuse

La piel

Tu contacto
Tu piel
Suave fuerte tendida
Dando dicha
Apegada
Al amor a lo tibio
Pálida por la frente
Sobre los huesos fina
Triste en las sienes
Fuerte en las piernas
Blanda en las mejillas
Y vibrante
Caliente
Llena de fuegos
Viva
Con una vida ávida de traspasarse
Tierna
Rendidamente íntima
Así era tu piel
Lo que tomé
Que diste.

La peau

Ton toucher
Ta peau
douce forte tendue
donnant du bonheur
collée
à l’amour au tiède
pâle sur le front
fine sur les eaux
triste sur les tempes
forte dans les jambes
molle dans les joues
et vibrante
chaude
pleine de feux
vive
avec une vie avide de se transpercer
tendre
en soumission intime.
Ainsi était ta peau
ce que j’ai pris
c’est ce que tu as donné.

Puede ser

Puede ser que si vieras Hiroshima
digo Hiroshima mon amour
si vieras
si sufrieras dos horas como un perro
si vieras
cómo puede doler doler quemar
y retorcer como ese hierro el alma
desprender para siempre la alegría
como piel calcinada
y vieras que no obstante
es posible seguir vivir estar
sin que se noten llagas
quiero decir
entonces
puede ser que creyeras
puede ser que sufrieras
comprendieras.

Peut-être

Peut-être que si tu avais vu Hiroshima
je veux dire Hiroshima mon amour
si tu avais vu
si tu avais souffert deux heures comme un chien
si tu avais vu
comment peut souffrir souffrir brûler
et se tordre comme ce bout de fer l’âme
arracher pour toujours le bonheur
comme peau calcinée
et tu aurais vu que pourtant
on peut continuer à vivre à être
sans que les plaies se voient
je veux dire
voilà
peut-être tu aurais cru
peut-être tu aurais souffert
compris.

Sabés

Sabés
dijiste
nunca
nunca fui tan feliz como esta noche.
Nunca. Y me lo dijiste
en el mismo momento
en que yo decidía no decirte
sabés
seguramente me engaño
pero creo
pero ésta me parece
la noche más hermosa de mi vida.

Tu sais

Tu sais
tu as dit
jamais
jamais je n’ai été heureux comme cette nuit.
Jamais. Et tu me l’as dit
à l’instant même
où je décidais moi de ne pas te dire
tu sais
je me trompe sûrement
mais je crois
mais il me semble que c’est
la plus belle nuit de ma vie.

Uno siempre está solo

Uno siempre está solo
pero
a veces
está más solo.

On est toujours seul

On est toujours seul
mais
parfois
encore plus seul.

Antonio Muñoz Molina habla de Idea Vilariño (El País, 8 de marzo de 2008)

https://elpais.com/diario/2008/03/08/babelia/1204936757_850215.html

Idea Vilariño, Poesía completa. Editorial Lumen, Barcelona, 2007.

César Vallejo

Sculpture de César Vallejo réalisée par un artisan de Santiago de Chuco, village natal du poète.

Le 9 octobre 1937, César Vallejo écrit “Alfonso: estás mirándome, lo veo”, poème dédié à son ami Alfonso de Silva Santisteban, compositeur et pianiste de talent qui est mort à Lima le 7 mai 1937 à 34 ans. De 1925 à 1929, ce musicien vit à Paris et fréquente la bohème parisienne des années 20, mais aussi des écrivains péruviens comme César Moro (1903-1956), César Miró (1907-1999), César Vallejo (1892-1938) ou des musiciens comme Theodoro Valcarcel (1902-1942).

Alfonso de Silva dédie à César Miró son dernier poème en 1937: “Me perdono a mí mismo el haber sido solo un intento de Eternidad… Tú eres casi tan bueno como el intento mío de haber sido” (Revue Caretas, 19 décembre 2002).

Alfonso: estás mirándome, lo veo

Alfonso: estás mirándome, lo veo,
desde el plano implacable donde moran
lineales los siempres, lineales los jamases
(Esa noche, dormiste, entre tu sueño
y mi sueño, en la rue de Ribouté)
Palpablemente,
tu inolvidable cholo te oye andar
en París, te siente en el teléfono callar
y toca en el alambre a tu último acto
tomar peso, brindar
por la profundidad, por mí, por ti.

Yo todavía
compro «du vin, du lait, comptant les sous»
bajo mi abrigo, para que no me vea mi alma,
bajo mi abrigo, aquel, querido Alfonso,
y bajo el rayo simple de la sien compuesta;
yo todavía sufro, y tú, ya no, jamás, hermano!
(Me han dicho que en tus siglos de dolor,
amado sér,
amado estar,
hacías ceros de madera. ¿Es cierto?)

En la «boîte de nuit», donde tocabas tangos,
tocando tu indignada criatura su corazón,
escoltado de ti mismo, llorando
por ti mismo y por tu enorme parecido con tu sombra,
monsieur Fourgat, el patrón, ha envejecido.
¿Decírselo? ¿Contárselo? No más,
Alfonso; eso, ya nó!

El hôtel des Ecoles funciona siempre
y todavía compran mandarinas;
pero yo sufro, como te digo,
dulcemente, recordando
lo que hubimos sufrido ambos, a la muerte de ambos,
en la apertura de la doble tumba,
en esa otra tumba con tu sér,
y de ésta de caoba con tu estar,
sufro, bebiendo un vaso de ti, Silva,
un vaso para ponerse bien, como decíamos,
y después, ya veremos lo que pasa…

Es éste el otro brindis, entre tres,
taciturno, diverso
en vino, en mundo, en vidrio, al que brindábamos
más de una vez al cuerpo
y, menos de una vez, al pensamiento.
Hoy es más diferente todavía;
hoy sufro dulce, amargamente,
bebo tu sangre en cuanto a Cristo el duro,
como tu hueso en cuanto a Cristo el suave,
porque te quiero, dos a dos, Alfonso,
y casi lo podría decir, eternamente.

Poemas humanos, 1939.

Alfonso: tu me regardes, je le vois

Alfonso: tu me regardes, je le vois,
depuis le plan implacable où se tiennent
linéaires les toujours, linéaires les jamais.
(Cette nuit, tu as dormi, entre ton songe
et mon songe, rue Ribouté.)
Manifestement,
ton inoubliable métis t’écoute marcher
dans Paris, t’entend garder silence au téléphone
et touche sur le fil ton dernier acte,
devenir dense, porter un toast
à la profondeur, à toi, à moi.

Moi encore
j’achète «du vin, du lait, comptant les sous»
sous mon manteau, pour que mon âme ne me voie pas,
sous ce manteau, cher Alfonso,
et sous le rayon simple de la tempe parée;
moi je souffre encore, et toi, c’est fini, plus jamais, mon frère!
(On m’a dit qu’au cours de tes siècles de souffrance,
être aimé,
être là aimé,
tu faisais des zéros de bois. Est-ce vrai?)

Dans la «boîte de nuit», où tu jouais des tangos,
ta créature indignée faisant sonner son coeur,
escorté de toi-même, pleurant
à cause de toi et de ton énorme ressemblance avec ton ombre,
monsieur Fourgeat, le patron, a vieilli.
Le lui dire? Le lui conter? C’est tout,
Alfonso; cela, c’est fini!
L’hôtel des Écoles est toujours ouvert
et on achète encore des mandarines;
mais moi je souffre, comme je te dis,
doucement, à me rappeler
ce que nous avons souffert tous deux, à notre mort à tous deux,
à l’ouverture de la double tombe,
dans cet autre tombe avec ton être,
et dans celle d’acajou avec ton être-là;
je souffre, en buvant un verre de toi, Silva,
un verre histoire de se sentir bien, comme nous disions,
et après, on verra bien…

Des trois toasts, voici l’autre,
taciturne, différent
en vin, en monde, en verre, que nous portions
plus d’une fois au corps
et, moins d’une fois, à la pensée.
Aujourd’hui, c’est encore plus différent;
aujourd’hui je souffre doucement, amèrement,
je bois ton sang en référence au Christ le dur,
je mange ton os en référence au Christ le doux, Alfonso,
parce que je t’aime deux par deux, Alfonso,
et je pourrais presque le dire, éternellement.

9 octobre 1937

(Traduction: Nicole Réda-Euvremer)