Idea Vilariño – Alfredo Zitarrosa

Je relis les poèmes d’Idea Vilariño publiés dans Vuelo ciego (Colección Visor de Poesía) 2004.

Cette poétesse triste, désespérée a bien vécu 88 ans. Elle a été professeure, traductrice, poétesse, une intellectuelle du XX ème siècle en somme. Militante de gauche, ses textes ont été chantés par Los Olimareños (Los orientales et Ya me voy pa’ la guerrillas), Alfredo Zitarrosa (1936-1989) (La canción y el poema), Daniel Viglietti (1939-2017) (A una paloma).

Je me souviens de la fin des années 70, de l’arrivée de jeunes chiliens, argentins, uruguayens fuyant les dictatures sanglantes du Cône sud et trouvant refuge en Europe. Idea Vilariño, elle, ne pouvait plus enseigner dans son pays.

La canción y el poema (o La canción) (Idea Vilariño-Alfredo Zitarrosa)

Hoy que el tiempo ya pasó,
hoy que ya pasó la vida,
hoy que me río si pienso,
hoy que olvidé aquellos días,
no sé por qué me despierto
algunas noches vacías
oyendo una voz que canta
y que, tal vez, es la mía.

Quisiera morir –ahora– de amor,
para que supieras
cómo y cuánto te quería,
quisiera morir, quisiera… de amor,
para que supieras…

Algunas noches de paz,
–si es que las hay todavía–
pasando como sin mí
por esas calles vacías,
entre la sombra acechante
y un triste olor de glicinas,
escucho una voz que canta
y que, tal vez, es la mía.

Quisiera morir –ahora– de amor,
para que supieras
cómo y cuánto te quería;
quisiera morir, quisiera… de amor,
para que supieras…

1972.

https://www.youtube.com/watch?v=zGDpyWovAmA

Alfredo Zitarrosa, 1994.

Idea Vilariño 1920 – 2009

Idea Vilariño. 1954.

Ya no

Ya no será
ya no
no viviré contigo
no criaré a tu hijo
no coseré tu ropa
no te tendré de noche
no te besaré al irme
nunca sabrás quién fui
por qué me amaron otros.
No llegaré a saber
por qué ni cómo nunca
ni si era de verdad
lo que dijiste que era
ni quién fuiste
ni qué fui para ti
ni cómo hubiera sido
vivir juntos
querernos
esperarnos
estar.
Ya no soy más que yo
para siempre y tú
ya
no serás para mí
más que tú. Ya no estás
en un día futuro
no sabré dónde vives
con quién
ni si te acuerdas.
No me abrazarás nunca
como esa noche
nunca.
No volveré a tocarte.
No te veré morir.

Poemas de amor, 1957.

Idea Vilariño est une poétesse uruguayenne, née à Montevideo (Uruguay) le 18 août 1920. Elle est éduquée dans une famille de classe moyenne. La musique et la littérature y étaient très présentes. Son père, Leandro Vilariño (1892-1944), était un poète anarchiste. Comme ses frères Azul et Numen et ses soeurs Alma et Poema, elle étudie la musique et pratique le piano et le violon. Sa mère, Josefina Romani, était une grande lectrice de littérature européenne. À 16 ans, une maladie la sépare de sa famille et la rend plus sensible et fragile.

Très jeune, elle commence à écrire et publie sa première œuvre, La Suplicante en 1945. Elle enseigne la littérature dans l’enseignement secondaire de 1952 au Coup d’État de 1973. En 1985, elle reprend l’enseignement à la Faculté des Sciences humaines et de l’éducation.

Dans son pays, elle appartient à la Génération de 45 (ou Génération critique) avec Juan Carlos Onetti, Mario Benedetti, Sarandy Cabrera, Carlos Martínez Moreno, Ángel Rama, Carlos Real de Azúa, Carlos Maggi, Alfredo Gravina notamment. Elle écrit dans des revues littéraires comme Clinamen, Número, Marcha, La Opinión, Brecha, Asir et Texto Crítico.

Plusieurs de ses livres parlent de son intense amour pour Juan Carlos Onetti qu’elle rencontre en 1950 dans un café du centre de Montevideo lors d’une réunion des écrivains qui participaient à la revue Número. Leur relation est longue et tumultueuse. Onetti dédie Los adioses en 1954 “A Idea Vilariño”. En 1957, Idea Vilariño fait de même avec Poemas de amor qui évoque l’indécision d’Onetti et leur séparation. Le romancier se marie alors avec sa quatrième épouse, la violoniste Dorothea Muhr. Leur correspondance ne cesse qu’avec le décès de Juan Carlos Onetti à Madrid le 30 mai 1994.
Idea Vilariño, elle, meurt à Montevideo le 28 avril 2009 à 88 ans.

Poésie

  • La suplicante (1945)
  • Cielo, Cielo (1947)
  • Paraíso perdido (1949)
  • Por aire sucio (1950)
  • Nocturnos (1955)
  • Poemas de amor (1957)
  • Pobre Mundo (1966)
  • Poesía (1970)
  • No (1980)
  • Canciones (1993)
  • Poesía 1945 – 1990 (1994)
  • Poesía completa (2002). Barcelone, Éd. Lumen, 2008. https://www.youtube.com/watch?v=x8zvOFERF4w

Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud (Manuel Luque de Soria dit « Luque »). Revue Les Hommes d’aujourd’hui, janvier 1888.

(Gracias a David Rey Fernández)

Paul Verlaine publie ce sonnet, dans le numéro du 5 au 12 octobre 1883 de la revue Lutèce.

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombres; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges;
– O l’Oméga, rayon violet de Ses yeux!

Poésies.

Manuscrit autographe du poème Voyelles. 1871-72. Charleville-Mézières, Musée Rimbaud.

Charles Baudelaire

Charles Baudelaire (Etienne Carjat). Bruxelles, 1865.

CHANT D’AUTOMNE

                            I        

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts!
J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l’hiver va rentrer dans mon être: colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon coeur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.

J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? – C’était hier l’été; voici l’automne!
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

                              II

J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

Et pourtant aimez-moi, tendre cœur! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant;
Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère
D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.

Courte tâche! La tombe attend; elle est avide!
Ah! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,
De l’arrière-saison le rayon jaune et doux!

Les Fleurs du mal, 1857.

Adieu, vive clarté (1998) est un récit roman autobiographique de Jorge Semprún qui se déroule pendant la période précédant sa déportation au camp de concentration de Buchenwald.

Comte de Lautréamont. Isidore Ducasse.

Carte de visite représentant peut-être Isidore Ducasse (1847-1870). Portrait exécuté à Tarbes en 1867 par le studio Blanchard, place Maubourguet.

«Vieil océan, ô grand célibataire, quand tu parcours la solitude solennelle de tes royaumes flegmatiques, tu t’enorgueillis à juste titre de ta magnificence native, et des éloges vrais que je m’empresse de te donner. Balancé voluptueusement par les molles effluves de ta lenteur majestueuse, qui est le plus grandiose parmi les attributs dont le souverain pouvoir t’a gratifié, tu déroules, au milieu d’un sombre mystère, sur toute ta surface sublime, tes vagues incomparables, avec le sentiment calme de ta puissance éternelle. Elles se suivent parallèlement, séparées par de courts intervalles. À peine l’une diminue, qu’une autre va à sa rencontre en grandissant, accompagnées du bruit mélancolique de l’écume qui se fond, pour nous avertir que tout est écume. (Ainsi, les êtres humains, ces vagues vivantes, meurent l’un après l’autre, d’une manière monotone; mais sans laisser de bruit écumeux). L’oiseau de passage se repose sur elles avec confiance, et se laisse abandonner à leurs mouvements, pleins d’une grâce fière, jusqu’à ce que les os de ses ailes aient recouvré leur vigueur accoutumée pour continuer le pèlerinage aérien. Je voudrais que la majesté humaine ne fût que l’incarnation du reflet de la tienne. Je demande beaucoup, et ce souhait sincère est glorieux pour toi. Ta grandeur morale, image de l’infini, est immense comme la réflexion du philosophe, comme l’amour de la femme, comme la beauté divine de l’oiseau, comme les méditations du poète. Tu es plus beau que la nuit. Réponds-moi, océan, veux-tu être mon frère? Remue-toi avec impétuosité… plus… plus encore, si tu veux que je te compare à la vengeance de Dieu; allonge tes griffes livides, en te frayant un chemin sur ton propre sein… c’est bien. Déroule tes vagues épouvantables, océan hideux, compris par moi seul, et devant lequel je tombe, prosterné à tes genoux. La majesté de l’homme est empruntée; il ne m’imposera point: toi, oui. Oh!quand tu t’avances, la crête haute et terrible, entouré de tes replis tortueux comme d’une cour, magnétiseur et farouche, roulant tes ondes les unes sur les autres, avec la conscience de ce que tu es, pendant que tu pousses, des profondeurs de ta poitrine, comme accablé d’un remords intense que je ne puis pas découvrir, ce sourd mugissement perpétuel que les hommes redoutent tant, même quand ils te contemplent, en sûreté, tremblants sur le rivage, alors, je vois qu’il ne m’appartient pas, le droit insigne de me dire ton égal. C’est pourquoi, en présence de ta supériorité, je te donnerais tout mon amour (et nul ne sait la quantité d’amour que contiennent mes aspirations vers le beau), si tu ne me faisais douloureusement penser à mes semblables, qui forment avec toi le plus ironique contraste, l’antithèse la plus bouffonne que l’on ait jamais vue dans la création: je ne puis pas t’aimer, je te déteste. Pourquoi reviens-je à toi, pour la millième fois, vers tes bras amis, qui s’entr’ouvrent, pour caresser mon front brûlant, qui voit disparaître la fièvre à leur contact! Je ne connais pas la destinée cachée; tout ce qui te concerne m’intéresse. Dis-moi donc si tu es la demeure du prince des ténèbres. Dis-le moi… dis-le moi, océan (à moi seul, pour ne pas attrister ceux qui n’ont encore connu que les illusions), et si le souffle de Satan crée les tempêtes qui soulèvent tes eaux salées jusqu’aux nuages. Il faut que tu me le dises, parce que je me réjouirais de savoir l’enfer si près de l’homme. Je veux que celle-ci soit la dernière strophe de mon invocation. Par conséquent, une seule fois encore, je veux te saluer et te faire mes adieux! Vieil océan, aux vagues de cristal… Mes yeux se mouillent de larmes abondantes, et je n’ai pas la force de poursuivre; car, je sens que le moment est venu de revenir parmi les hommes, à l’aspect brutal; mais… courage! Faisons un grand effort, et accomplissons, avec le sentiment du devoir, notre destinée sur cette terre. Je te salue, vieil océan!»

Les Champs de Maldoror. Chant premier, 1869.

Portrait du Comte de Lautréamont (Félix Vallotton), Le Livre des masques (vol. II, 1898) de Remy de Gourmont.

Edgar Morin – Antonio Machado

Edgar Morin cite ces jours-ci sur son compte Twitter quelques vers du poème d’Antonio Machado Yo voy soñando caminos.

Il a beaucoup écrit. J’aime bien parmi ses livres: – Journal de Plozévet, Bretagne, 1965, Paris, L’Aube, 2001.

Vidal et les siens (avec Véronique Grappe-Nahoum et Haïm Vidal Séphiha), Paris, Le Seuil, 1989.

Á 98 ans, sa vitalité suscite l’admiration. Il publie à la rentrée: Les souvenirs viennent à ma rencontre, Paris, Fayard, 2019. On le voit à la radio, à la télévision.

« Mon premier acte politique fut d’intégrer une organisation libertaire, Solidarité internationale antifasciste, pour préparer des colis à destination de l’Espagne républicaine. » Pour une politique de civilisation , La pensée de midi, Actes Sud, vol. 7, no 1,‎ 1er mars 2002.

XI. Yo voy soñando caminos

Yo voy soñando caminos
de la tarde. ¡Las colinas
doradas, los verdes pinos,
las polvorientas encinas!…
¿Adónde el camino irá?
Yo voy cantando, viajero
a lo largo del sendero…
-La tarde cayendo está-.
“En el corazón tenía
la espina de una pasión;
logré arrancármela un día;
ya no siento el corazón.”
Y todo el campo un momento
se queda, mudo y sombrío,
meditando. Suena el viento
en los álamos del río.
La tarde más se oscurece;
y el camino que serpea
y débilmente blanquea,
se enturbia y desaparece.
Mi cantar vuelve a plañir;
“Aguda espina dorada,
quién te pudiera sentir
en el corazón clavada.”
Soledades (1899-1907)

Poema publicado por primera vez en 1906 en la revista Ateneo con el nombre de Ensueños.

XI

Je m’en vais rêvant par les chemins

du soir. Les collines
dorées, les pins verts
les chênes poussiéreux! …
Où peut-il aller, ce chemin?
Je m’en vais chantant, voyageur
Le long du sentier…

Le jour s’incline lentement.
«Devant mon cœur était clouée
l’épine d’une passion;
un jour j’ai pu me l’arracher:
Je ne sens plus mon cœur.»
Et toute la campagne un instant
demeure, muette et sombre,
pour méditer. Le vent retentit
dans les peupliers de la rivière.
Mais le soir s’obscurcit encore;
et le chemin qui tourne, tourne,
et blanchit doucement,
se trouble et disparaît.
Mon chant recommence à pleurer:
«Epine pointue et dorée,

Ah! si je pouvais te sentir
Dedans mon cœur clouée.»

Solitudes (Traduction Bernard Sesé)

Antonio Machado.

Francisco de Quevedo 1580 – 1645

Portrait de Francisco de Quevedo (attribué à Juan van der Heyden). (Copie d’un tableau perdu de Diego Velázquez). Madrid, Institut Valencia de Don Juan.

Francisco Gómez de Quevedo Villegas y Santibáñez Cevallos est né, probablement, le 14 septembre 1580 à Madrid. Il est mort le 8 septembre 1645 à Villanueva de los Infantes (Ciudad Real). Cet écrivain du Siècle d’or est l’une des figures les plus importantes et les plus complexes de la littérature espagnole. Il a manié toutes les formes littéraires. Sa force se retrouve dans ses poèmes et surtout dans quelques sonnets qui font partie des sommets de la poésie espagnole classique.

Jorge Luis Borges parle de cet auteur dans Otras inquisiciones (1952) Obras completas (Tomo II 1952-1972) Barcelona, Emecé Editores, 2000.

https://borgestodoelanio.blogspot.com/2017/05/jorge-luis-borges-quevedo.html

On peut lire en Poésie/ Gallimard Les Furies et les Peines. 102 sonnets magnifiquement traduits par Jacques Ancet.

Trois exemples célèbres:

Amor constante más allá de la muerte

Cerrar podrá mis ojos la postrera
sombra, que me llevare el blanco día,
y podrá desatar esta alma mía
hora a su afán ansioso lisonjera;

mas no, de esotra parte en la ribera
dejará la memoria, en donde ardía;
nadar sabe mi llama la agua fría,
y perder el respeto a ley severa;

Alma a quien todo un Dios prisión ha sido,
venas que humor a tanto fuego han dado,
medulas que han gloriosamente ardido,

su cuerpo dejarán no su cuidado;
serán ceniza, mas tendrán sentido.
Polvo serán, mas polvo enamorado.

El Parnaso español, 1648.

Amour constant au-delà de la mort

Clore pourra mes yeux l’ombre dernière
Que la blancheur du jour m’apportera,
Cette âme mienne délier pourra
l’Heure, à son vœu brûlant prête à complaire;

Mais point sur la rive de cette terre
N’oubliera la mémoire, où tant brûla;
Ma flamme sait franchir l’eau et son froid,
Manquer de respect à la loi sévère.

Âme dont la prison fut tout un Dieu,
Veines au flux qui nourrit un tel feu,
Moelle qui s’est consumée, glorieuse,

Leur corps déserteront, non leur tourment;
Cendre seront, mais sensible pourtant;
Poussière aussi, mais poussière amoureuse.

Definición de Amor

Es hielo abrasador, es fuego helado,
es herida que duele y no se siente,
es un soñado bien, un mal presente,
es un breve descanso muy cansado.

Es un descuido que nos da cuidado,
un cobarde con nombre de valiente,
un andar solitario entre la gente,
un amar solamente ser amado.

Es una libertad encarcelada,
que dura hasta el postrero paroxismo;
enfermedad que crece si es curada.

Éste es el niño Amor, éste es su abismo.
¿Mirad cuál amistad tendrá con nada
el que en todo es contrario de sí mismo!
Pour définir l’amour : sonnet amoureux

Pour définir l’amour : sonnet amoureux

C’est la glace qui brûle, un feu glacé,
une plaie douloureuse et qu’on ne sent,
c’est un bien dont on rêve, un mal présent,
c’est une trêve courte et accablée.

C’est un oubli qu’on ne peut oublier,
c’est un lâche qui prend nom de vaillant,
c’est marcher solitaire entre les gens,
ce n’est qu’aimer de se sentir aimé.

C’est une liberté prise en ses liens
et prolongée jusqu’au délire ultime,
un mal qui croît plus il reçoit de soins.

Tel est l’enfant amour, tel son abîme :
quelle amitié aura-t-il avec rien,
qui est en tout contradiction intime !

Signifícase la propria brevedad de la vida,
sin pensar y con padecer, salteada de la muerte

¡Fue sueño ayer; mañana será tierra!
¡Poco antes, nada; y poco después, humo!
¡Y destino ambiciones, y presumo
apenas punto al cerco que me cierra!

Breve combate de importuna guerra,
en mi defensa soy peligro sumo;
y mientras con mis armas me consumo
menos me hospeda el cuerpo, que me entierra.

Ya no es ayer; mañana no ha llegado;
hoy pasa, y es, y fue, con movimiento
que a la muerte me lleva despeñado.

Azadas son la hora y el momento,
que, a jornal de mi pena y mi cuidado,
cavan en mi vivir mi monumento.


QUI REPRESENTE LA BRIEVETE DE SA PROPRE VIE

Hier fut songe, et demain sera terre:
rien peu avant, et peu après fumée.
Et moi plein d’ambitions, de vanité,
à peine un point du cercle qui m’enserre!

Brève mêlée d’une importune guerre,
je suis pour moi le suprême danger.
Et tandis que je sombre tout armé,
moins m’abrite mon corps qu’il ne m’enterre.

Hier n’est plus; demain s’annonce à peine;
Le jour passe, il est, il fut, mouvement
qui vers la mort précipité m’entraîne.

Chaque heure est la pelle, chaque moment
Qui pour un prix de tourments et de peines,
Creuse au cœur de ma vie mon monument.

Ángel González 1925 – 2008

Ángel González.

El otoño se acerca

El otoño se acerca con muy poco ruido:
apagadas cigarras, unos grillos apenas,
defienden el reducto
de un verano obstinado en perpetuarse,
cuya suntuosa cola aún brilla hacia el oeste.

Se diría que aquí no pasa nada,
pero un silencio súbito ilumina el prodigio:
ha pasado
un ángel
que se llamaba luz, o fuego, o vida.

Y lo perdimos para siempre.

Otoños y otras luces. 2001.

Ángel González Muñiz est né le 6 septembre 1925 à Oviedo (Asturies).

Son enfance est fortement marquée par la mort de son père, professeur de sciences et de pédagogie à l’école normale d’Oviedo en 1927 alors qu’il n’a que dix-huit mois. Sa situation familiale s’aggrave encore lorsque, pendant la Guerre civile espagnole, son frère Manuel est fusillé par les franquistes en novembre 1936. Son autre frère, Pedro, républicain aussi, doit s’exiler. Sa soeur Maruja ne peut plus exercer son métier d’institutrice.

La tuberculose l’empêche de terminer ses études de droit. Il devient ensuite fonctionnaire, puis professeur de littérature espagnole contemporaine aux États-Unis.

il fait partie du groupe de poètes appelé «Génération de 50» ou «Génération du milieu du siècle», avec entre autres José Ángel Valente, Jaime Gil de Biedma, Carlos Barral, José Agustín Goytisolo et José Manuel Caballero Bonald.

En 1985, il reçoit le prix Prince des Asturies de littérature. En janvier 1996, il est élu membre de l’Académie royale espagnole. La même année, il obtient le Prix Reine Sofía de Poésie ibéroaméricaine.

Il meurt le 12 janvier 2008 d’une insuffisance respiratoire à l’âge de 82 ans.

Son ami, le poète Luis García Montero, a publié en 2008 Mañana no será lo que Dios Quiera, une biographie romancée d’Ángel González à partir des conversations qu’il a eues avec lui à la fin de sa vie.

Ángel González con su madre María Muñiz y su hermana Maruja. 1934.

Aimé Césaire 1913 – 2008

Aimé Césaire à l’ENS. Promotion 1935.

En 1982, Aimé Césaire fait paraître au Seuil son dernier recueil de poésie publié: Moi, laminaire… Cet ensemble en trois parties est un bilan de son oeuvre poétique et de sa confrontation à la vie et à l’histoire. Un bilan désenchanté, même s'”il n’est pas question de livrer le monde aux assassins de l’aube”.

Calendrier lagunaire

J’habite une blessure sacrée
j’habite des ancêtres imaginaires
j’habite un vouloir obscur
j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable
j’habite un voyage de mille ans
j’habite une guerre de trois cents ans
j’habite un culte désaffecté
entre bulbe et caïeu j’habite l’espace inexploité
j’habite du basalte non une coulée
mais de la lave le mascaret
qui remonte la valleuse à toute allure
et brûle toutes les mosquées
je m’accommode de mon mieux de cet avatar
d’une version du paradis absurdement ratée
-c’est bien pire qu’un enfer-
j’habite de temps en temps une de mes plaies
chaque minute je change d’appartement
et toute paix m’effraie

Tourbillon de feu
ascidie comme nulle autre pour poussières
de mondes égarés
ayant craché volcan mes entrailles d’eau vive
je reste avec mes pains de mots et mes minerais secrets
j’habite donc une vaste pensée
mais le plus souvent je préfère me confiner
dans la plus petite de mes idées
ou bien j’habite une formule magique
les seuls premiers mots
tout le reste étant oublié
j’habite l’embâcle
j’habite la débâcle
j’habite le pan d’un grand désastre
j’habite souvent le pis le plus sec
du piton le plus efflanqué -la louve de ces nuages-
j’habite l’auréole des cactacées
j’habite un troupeau de chèvres tirant sur la tétine
de l’arganier le plus désolé
à vrai dire je ne sais plus mon adresse exacte
bathyale ou abyssale
j’habite le trou des poulpes
je me bats avec un poulpe pour un trou de poulpe
frère n’insistez pas
vrac de varech
m’accrochant en cuscute
ou me déployant en porana
c’est tout un
et que le flot roule
et que ventouse le soleil
et que flagelle le vent
ronde bosse de mon néant

la pression atmosphérique ou plutôt l’historique
agrandit démesurément mes maux
même si elle rend somptueux certains de mes mots

Moi laminaire… 1982. Éditions du Seuil.

Pablo Neruda et le Winnipeg II

Niños pasajeros del Winnipeg 1939.

“Que la crítica borre toda mi poesía, si le parece. Pero este poema, que hoy recuerdo, no podrá borrarlo nadie.” Confieso que he vivido. Memorias. 1974.

Misión de amor (Pablo Neruda)

Yo los puse en mi barco.

Era de día y Francia
su vestido de lujo
de cada día tuvo aquella vez,
fue
la misma claridad de vino y aire
su ropaje de diosa forestal.
Mi navío esperaba
con su remoto nombre “Winnipeg”
Pero mis españoles no venían
de Versalles,
del baile plateado,
de las viejas alfombras de amaranto,
de las copas que trinan
con el vino,
no, de allí no venían,
no, de allí no venían.
De más lejos,
de campos de prisiones,
de las arenas negras
del Sahara,
de ásperos escondrijos
donde yacieron
hambrientos y desnudos,
allí a mi barco claro,
al navío en el mar, a la esperanza
acudieron llamados uno a uno
por mí, desde sus cárceles,
desde las fortalezas
de Francia tambaleante
por mi boca llamados
acudieron,
Saavedra, dije, y vino el albañil,
Zúñiga, dije, y allí estaba,
Roces, llamé, y llegó con severa sonrisa,
grité, Alberti! y con manos de cuarzo
acudió la poesía.

Labriegos, carpinteros,
pescadores,
torneros, maquinistas,
alfareros, curtidores:
se iba poblando el barco
que partía a mi patria.
Yo sentía en los dedos
las semillas
de España
que rescaté yo mismo y esparcí
sobre el mar, dirigidas
a la paz
de las praderas.

Yo reúno (Pablo Neruda)

Qué orgullo el mío cuando
palpitaba
el navío
y tragaba
más y más hombres, cuando
llegaban las mujeres
separadas
del hermano, del hijo, del
amor,
hasta el minuto mismo
en que
yo
los reunía,
… y el sol caía sobre el mar
y sobre
aquellos
seres desamparados
que entre lágrimas locas,
entrecortados nombres,
besos con gusto a sal,
sollozos que se ahogaban,
ojos que desde el fuego sólo
aquí se
encontraron;
de nuevo aquí nacieron
resurrectos,
vivientes,
y era mi poesía la bandera
sobre tantas congojas,
la que desde el navío los llamaba
latiendo y acogiendo
los legados
de la descubridora
desdicha,
de la madre remota
que me otorgó la sangre y la palabra.

Memorial de Isla Negra, Primera edición, Buenos Aires, Editorial Losada, 1964

El exilio español en Chile a bordo del Winnipeg cumple 80 años. (El Diario, 02/09/2019)

https://www.eldiario.es/internacional/exilio-espanol-Chile-Winnipeg-aceitunas_0_937906749.html

Isla Negra. Casa de Pablo Neruda. Los Españoles del Winnipeg.