Guillaume Apollinaire et Jacqueline sur la terrasse de l’appartement, 202 bd St-Germain. Paris (VIIème arr.), 1918. Bibliothèque historique de la Ville de Paris.
J’ai déjà fait allusion à ce poème très apprécié par Julien Gracq (En lisant, en écrivant). Voir la note du 29 juillet 2018. Merci à C.W.
Marie
Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C’est la maclotte qui sautille
Toutes les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie
Les masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu’elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux
Les brebis s’en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux d’argent
Des soldats passent et que n’ai-je
Un coeur à moi ce coeur changeant
Changeant et puis encor que sais-je
Sais-je où s’en iront tes cheveux
Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s’en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l’automne
Que jonchent aussi nos aveux
Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s’écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine
Tu cuerpo ya para siempre tendido, Rachel Corrie, en la tierra que te llora.
La excavadora lo abatió en el surco de la impiedad sobre la tierra roja.
Bajo el metal del odio atravesante la luz. Nunca supiste de la sombra.
Tu cabello solar alumbra el aire, tu mejilla nos honra.
Este otro surco dejo, Rachel Corrie, en tu paz, tu memoria.
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Ton corps à présent étendu, pour toujours,
Rachel Corrie, sur la terre qui te pleure.
La pelleteuse t’a jetée dans le sillon
de l’impiété sur le rouge de la terre.
Sous la haine et son métal tu as traversé
la lumière. Tu n’as jamais rien su de l’ombre.
Ta chevelure solaire illumine l’air,
ta joue est notre honneur.
Je laisse cet autre sillon, Rachel Corrie, dans ta paix, dans ta mémoire.
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Madrid, para una elegía Ogne lingua per certo verria meno… Inferno, XXVIII, 4
Pasan trenes en marzo atestados de lágrimas,
palabras o susurros bajo un cielo dormido,
mejillas presurosas que de pronto se tornan
amasijo de hierros en el alba.
Claridad de la sangre. En el crepúsculo se juntaron los rostros silenciosos. En todos los paraguas del dolor repicaba la piedad de la lluvia.
Ogne lingua per certo verria meno… Inferno, XXVIII, 4
Passent des trains en mars plein à craquer de larmes,
des mots, des murmures sous le sommeil du ciel,
des joues précipitées qui brusquement deviennent
un amas de métal à l’aube.
Le sang et sa clarté. Au crépuscule se sont serrés, silencieux, les visages, Sur les parapluies de la douleur crépitait la pitié de la pluie.
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Gerberas amarillas
en las ventanas: manos
abiertas, breves
soles multiplicados.
Son una ofrenda, fuertes contra el peso del día, puro poder de la luz. Son la luz misma.
Amarillo, naranja,
camino de su fin,
frescor confabulado
en la ventana ― flores
de qué tumba, son lágrimas del sol, dentadas, pinnatisectas, omnia mors poscit, omnia mors poscit.
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Gerberas jaunes
à la fenêtre: des
mains ouvertes, de brefs
soleils multipliés.
C’est une offrande, forte,
contre le poids du jour,
pur pouvoir de lumière.
C’est la lumière même.
Du jaune, de l’orange,
en chemin vers leur fin,
fraîcheur de connivence
à la fenêtre – fleurs
de quelle tombe, larmes du soleil, dentelées, pinnées, omnia mors poscit, omnia mors poscit.
Poèmes traduits de l’espagnol par Jacques Ancet qui est né le 14 juillet 1942 à Lyon. Études secondaires et supérieures dans cette même ville. “Lecteur” de français à l’Université de Séville, puis agrégé d’espagnol. A enseigné pendant plus de trente dans les classes préparatoires aux Grandes Écoles littéraires et commerciales avant de se consacrer à son travail d’écrivain et de traducteur près d’Annecy où il réside. Prix Nelly Sachs 1992, Prix Rhône-Alpes du Livre 1994.
J’ai lu ces derniers jours un recueil de poèmes d’Andrés Sánchez Robayna, illustré par Antoni Tàpies: Sur une confidence de la mer grecque précédé de Correspondances. Éditions Gallimard 2005. Les traductions en français sont de Jacques Ancet. 20 + 12 poèmes en tout. Ces poèmes se situent dans la lignée de ceux de José Ángel Valente (1929-2000).
Andrés Sánchez Robayna est né à Santa Brígida (Grande Canarie) le 17 décembre 1952. Ce poète est professeur de littérature espagnole à l’Université de La Laguna (Tenerife). Spécialiste de la littérature du Siècle d’Or espagnol, il est auteur d’ essais et traducteur. Il a publié des textes de poètes de langue anglaise (Wallace Stevens, William Wordsworth) française (Paul Valéry), portugaise (Haroldo de Campos, Oswald de Andrade) et catalane (Joan Brossa, Salvador Espriu, Ramón Xirau, Josep Palau i Fabre).
Recueils de poèmes: – Día de aire (Tiempo de efigies). El Ancla en la Ribera, 1970. – Clima. Edicions del Mall, 1978. – Tinta. Edicions del Mall, 1981. – La roca. Edicions del Mall, 1984. – Palmas sobre la losa fría. Cátedra, 1989. – Fuego blanco. Àmbit Serveis Editorials, 1992. – Sobre una piedra extrema. Ave del Paraíso Ediciones, 1995. – Inscripciones. Ediciones La Palma, 1999. – El libro, tras la duna. Pre-Textos, 2002. – Sobre una confidencia del mar griego: precedido de Correspondencias, en colaboración con Antoni Tàpies. Huerga y Fierro Editores, 2005. – La sombra y la apariencia. Tusquets, 2010. Anthologies et œuvres réunies: – Poemas 1970-1985. Edicions del Mall, 1987. – Poemas 1970-1995. Vuelta, 1997. – Poemas 1970-1999. Galaxia Gutenberg, 2000. – En el cuerpo del mundo: obra poética (1970-2002). Galaxia Gutenberg-Círculo de Lectores, 2003. – Ideas de existencia. Antología poética, 1970-2002. Aldus, 2006. – El espejo de tinta. Antología poética, 1970-2010. Ed. de J. F. Ruiz Casanova. Cátedra, Letras Hispánicas, 2012. – Al cúmulo de octubre. Antología poética, 1970-2015. Visor, 2015.
Journal: – La inminencia. Diarios 1980-1995. Fondo de Cultura Económica, 1996. – Días y mitos. Diarios, 1996-2000. Fondo de Cultura Económica, 2002. – Mundo, año, hombre. Diarios, 2001-2007. Fondo de Cultura Económica, 2016.
Jacques Ancet. Présentation:
“…Sur une confidence de la mer grecque est le prolongement direct du livre précédent, El libro, tras la duna (Le livre, derrière la dune, 2000-2001), long poème qui se présente non seulement comme une exploration de la mémoire personnelle, mais comme une plongée dans une mémoire plus vaste à la fois sociale, culturelle et cosmique. ici aussi, c’est à un dialogue que nous avons affaire: celui de l’expérience historique et individuelle, de l’ombre et de la lumière, de l’espace et du temps, du multiple et de l’un. ” Le dialogue avec le peintre catalan Antoni Tàpies (1923-2012) a été très fructueux (8 illustrations).
Je dois signaler particulièrement certains poèmes: “Tu cuerpo ya para siempre tendido” qui évoque Rachel Corrie, militante pacifiste nord-américaine écrasée par les chars israéliens; “Madrid, para una elegía” qui rappelle les attentats terroristes du 11 mars 2004 à Madrid; “Gerberas amarillas en las ventanas” qui évoque le poète Juan Ramón Jiménez, enterré dans le cimetière de sa ville natale, Moguer.
Pier Paolo Pasolini devant la tombe d’Antonio Gramsci vers 1970. Cimetière non catholique du Testaccio à Rome.
Je suis une force du Passé
Je suis une force du Passé. À la tradition seule va mon amour. Je viens des ruines, des églises, des retables, des bourgs abandonnés sur les Apennins ou les Préalpes, là où ont vécu mes frères. J’erre sur la Tuscolane comme un fou, sur l’Appienne comme un chien sans maître. Ou je regarde les crépuscules, les matins sur Rome, la Ciociaria, l’univers, tels les premiers actes de l’Après-Histoire auxquels j’assiste, par privilège d’état-civil, du bord extrême d’un âge enseveli. Monstrueux est l’homme né des entrailles d’une femme morte. Et moi, fœtus adulte, plus moderne que tous les modernes, je rôde en quête de frères qui ne sont plus.
Poésie en forme de rose. Rivages, 2015. Traduit de l’italien par René de Ceccatty.
Io sono una forza del Passato
Io sono una forza del Passato.
Solo nella tradizione è il mio amore.
Vengo dai ruderi, dalle chiese,
dalle pale d’altare, dai borghi
abbandonati sugli Appennini o le Prealpi,
dove sono vissuti i fratelli.
Giro per la Tuscolana come un pazzo,
per l’Appia come un cane senza padrone.
O guardo i crepuscoli, le mattine
su Roma, sulla Ciociaria, sul mondo,
come i primi atti della Dopostoria,
cui io assisto, per privilegio d’anagrafe,
dall’orlo estremo di qualche età
sepolta. Mostruoso è chi è nato
dalle viscere di una donna morta.
E io, feto adulto, mi aggiro
più moderno di ogni moderno
a cercare fratelli che non sono più.
Orson Welles (le réalisateur) lit le poème à un journaliste dans La Ricotta de Pier Paolo Pasolini, troisième épisode du film à sketchs RoGoPag (1963), les autres réalisateurs étant Roberto Rosselini, Jean-Luc Godard et Ugo Gregoretti. Le poème est lu par le romancier et poète Giorgio Bassani (1916-2000) (la voix d’Orson Welles dans le film de Pier Paolo Pasolini). Giorgio Bassani est notamment connu pour son roman Le Jardin des Finzi-Contini, adapté au cinéma en 1970 par Vittorio De Sica.
Un coin de table. (Détail: Arthur Rimbaud) 1872. Paris, Musée d’ Orsay.
Beauté. Mélancolie. L’un des plus beaux poèmes de la langue française.
Sensation
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Mars 1870.
Poésies.
Le portrait que réalise Henri Fantin-Latour du jeune poète de Charleville est, avec la célèbre photo faite par Étienne Carjat, la représentation de Rimbaud la plus connue et reproduite. Peint en février ou mars 1872. Il n’avait pas encore 18 ans.
O muro é branco e bruscamente sobre o branco do muro cai a noite.
Há uma cavalo próximo do silêncio, uma pedra fria sobre a boca, pedra cega de sono.
Amar-te-ia se viesses agora ou inclinasses o teu rosto sobre o meu tão puro e tão perdido, ó vida.
Matéria solar, 1980.
II
Le mur est blanc
et brusquement
sur le blanc du mur tombe la nuit.
Il y a un cheval proche du silence,
une pierre froide sur la bouche,
pierre aveuglée de sommeil.
Je t’aimerais si tu venais maintenant,
si tu penchais
ton visage sur le mien tellement pur
et tellement perdu,
ô vie.
Matière solaire, 1980.
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
VII
Conhecias o verâo pelo cheiro,
o silêncio antiquíssimo
do muro, o furor das cigarras,
inventavas a luz acidulada
a prumo, a sombra breve
onde o rapazito adormecera,
o brilho das espáduas.
E o que te cega, o sol da pele.
Matéria Sola, 1980
VII
Tu connaissais l’été à son odeur,
le silence très ancien
du mur, l’ardeur des cigales,
tu inventais la lumière acidulée
tombant à pic, l’ombre brève
où le gamin s’était endormi,
le brillant des épaules.
C’est ce qui t’aveugle, le soleil de la peau.
Matière solaire, 1980.
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
XXXVI
Pela manhâ de junho é que eu iria
pela última vez.
Iria sem saber onde a estrada leva.
E a sede.
Matéria solar, 1980
XXXVI
Par un matin de juin je m’en irai
pour la dernière fois.
Je m’en irai sans savoir où mène la route.
Ni la soif.
Matière solaire, 1980.
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
X
Essa mulher, a doce melancolia
dos seus ombros, canta.
O rumor
da sua voz entra-me pelo sono,
é muito antigo.
Traz o cheiro acidulado
da minha infância chapinhada ao sol.
O corpo leve quase de vidro.
O Peso da Sombra (1982)
X
Cette femme, la douce mélancolie
de ses épaules, chante.
La rumeur
de sa voix me pénètre en plein sommeil,
elle est très ancienne.
Et m’apporte l’odeur acidulée
de mon enfance s’ébrouant au soleil.
Le corps léger presque de verre.
Le poids de l’ombre, 1982
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
Eugénio de Andrade, «Da palavra ao silêncio», Rosto Precario, Porto, Fundaçã o Eugénio de Andrade, 1995 (1 ère éd.1979) p. 37-38.
«En
ce temps-là […]
j’ai appris qu’il y avait
très peu de choses
absolument
nécessaires. Ce sont ces choses que
mes
vers aiment et exaltent. La terre et l’eau, la lumière et le vent
deviennent consubstantiels pour faire corps avec
tout
l’amour dont ma poésie est capable. Mes racines plongent depuis
l’enfance dans le monde
le
plus élémentaire. Je garde de ce temps le goût
pour une architecture
extrêmement claire et dénudée, que mes poèmes s’emploient à
réfléchir; l’amour pour la blancheur de la
chaux à laquelle se mêle invariablement, dans
mon
esprit,
le chant dur des
cigales;
une préférence
pour le langage parlé,
presque réduit aux paroles nues et nettes d’un cérémonial
archaïque. […] [La] pureté dont on a tant parlé à propos de ma
poésie, c’est simplement de la passion, passion
pour
les
choses
de la terre, dans
leur
forme la plus ardente
et
non encore consumée.»
Eugenio
de Andrade (né José Fintinhas) est né le 19 janvier 1923 à Póvoa
de Atalaia, (Province de Beira Baixa, Portugal). Il est issu d’une
famille de paysans. Il vit à Lisbonne de 1932 à 1943. Il s’installe
à Porto en 1950 et fait une carrière d’inspecteur au ministère
de la Santé. Il commence à publier des plaquettes à 16 ans et son
œuvre est célébrée à partir de 1948. Mais, malgré sa célébrité,
Eugénio de Andrade est resté un homme solitaire, fuyant les
mondanités et les apparitions publiques.
Traducteur, auteur d’anthologies, romancier et poète, son œuvre est traduite en une douzaine de langues.
Il a reçu le Prix de l’Association internationale des critiques littéraires (1986), le Grand Prix de poésie de l’Association portugaise des écrivains (1989) et le prix Camões de la littérature portugaise en 2001. Il est mort à Porto le 13 juin 2005 des suites d’une très longue maladie neurologique. Traductions françaises.
(La
plupart de ses œuvres ont été publiées en édition bilingue aux
Éditions de la Différence.)
Vingt-sept poèmes, traduit par Michel Chandeigne. Typographie Michel Chandeigne, 1983.
Matière
solaire,
traduit par Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne, et Patrick
Quiller, La Différence, 1986. Les
Poids de l’ombre,
traduit par Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne, et Patrick
Quiller, La Différence, 1986. Blanc
sur blanc,
traduit par Michel Chandeigne, La Différence, 1988.
Ecrits de la terre, traduit par Michel Chandeigne; La Différence, 1988. L’Autre nom de la terre traduit par Michel Chandeigne et Nicole Siganos, La Différence, 1990. Versants du regard et autres poèmes en prose, traduit par Patrick Quillier, La Différence, 1990.
Trente poèmes. Porto, 1992. Office de la patience, traduit par Michel Chandeigne, Orfeu-Livraria Portuguesa, 1995. Le Sel de la langue, traduit par Michel Chandeigne, La Différence, 1999.
A l’approche des eaux, traduit par Michel Chandeigne. La Différence, 2000. Les Lieux du feu, traduit par Michel Chandeigne, L’Escampette 2001. Matière solaire, suivi de Le poids de l’ombre et de Blanc sur blanc. Traduit du portugais par Michel Chandeigne, Patrick Quillier et Maria Antonia Camara Manuel, Poésie / Gallimard, 2004 n°395.
Fue en España donde mi generación aprendió que uno puede tener razón y ser derrotado.
Albert Camus
Existen muchas formas de perder una guerra. Puede perderse por faltas de adhesiones por abuso de fuerza por el macabro redoble de monedas contra las mesas de altos gabinetes. Una guerra se puede perder por omisión. Y es posible perder una guerra de todas las maneras.
Eso ocurrió en España. Como era de esperar, Goliat vence a David. Pablo Neruda dijo: Mirad mi casa muerta, mirad España rota. Mis abuelos no dijeron nada. Comprendieron muy bien que era hablar o vivir. Fueron pariendo en silencio a sus hijos, el silencio que arrulla los nombres de los mártires.
Muchos años pasaron
pero lo nuevoviejo no cesó de amamantar
el silencio con ira.
Ese silencio enfermo engordó tanto
que su enorme barriga es un acantilado
donde se estrella cada día la verdad.
Fue en España donde mi generación aprendió que una guerra también puede perderse mucho antes de nacer.
Matria (Visor, Madrid, 2018; 2ª ed. 2019)
Raquel Lanseros es una poeta española nacida en 1973 en Jerez de la Frontera (Andalucía). Su libro Matria ha sido galardonado en abril 2019 con el Premio de la Crítica 2018 que otorga anualmente la Asociación Española de Críticos Literarios (AECL) al mejor libro de poesía. Desde 2018 es profesora de Didáctica de la Lengua y Literatura en la Universidad de Zaragoza.
Miquel Martí i Pol jeune. Can Clarà. 23 septembre 1951.
Metamorfosi
De tant en tant la mort i jo som u:
mengem el pa de la mateixa llesca,
bevem el vi de la mateixa copa
o compartim amicalment les hores
sense dir res, llegint el mateix llibre.
De tant en tant la mort, la meva mort,
se’m fa present quan sóc tot sol a casa.
Aleshores parlem tranquil·lament
del que passa pel món i de les noies
que ja no puc haver. Tranquil·lament
parlem la mort i jo d’aquestes coses.
De tant en tant – només de tant en tant –
és la mort la que escriu els meus poemes
i me’ls llegeix, mentre jo faig de mort
i l’escolto en silenci, que és tal com
vull que escolti la mort quan jo lleigeixo.
De tant en tant la mort i jo som u :
la meva mort i jo som u, i el temps
s’esfulla lentament i el compartim,
la mort i jo, sense fer escarafalls,
dignament, que diríem per entendre’ns.
Després les coses tornen al seu lloc
I cadascú reprèn la seva via.
Quadern de vacances, 1976.
Métamorphose
Parfois la mort et moi ne faisons qu’un :
nous mangeons la même tranche de pain
et buvons le vin de la même coupe,
en bons amis nous partageons les heures
sans rien dire, lisant le même livre.
Parfois, je suis tout seul à la maison,
et voilà que la mort, ma mort, m’est présente.
Nous discutons alors tranquillement
des événements du monde et des filles
que je ne peux avoir. Tranquillement
nous parlons, la mort et moi, de cela.
Parfois — et seulement à ce moment —
c’est elle, la mort, qui écrit mes poèmes
et me les lit quand je tiens lieu de mort,
je l’écoute en silence, c’est ainsi
qu’elle doit m’écouter lorsque je lis.
Parfois la mort et moi ne faisons qu’un.
Ma mort et moi ne faisons qu’un, le temps
s’effeuille lentement et nous le partageons,
la mort et moi, sans faire de manières,
dignes, si je puis m’exprimer ainsi.
Puis les choses se remettent à leur place
et chacun reprend son chemin.
Je
dors toujours les fenêtres ouvertes
J’ai dormi comme un homme
seul
Les sirènes à vapeur et à air comprimé ne m’ont pas
trop réveillé
Ce matin je me penche par la fenêtre
Je
vois
Le ciel
La mer
La gare maritime par
laquelle j’arrivais de New-York en 1911
La baraque du
pilotage
Et
A gauche
Des fumées des cheminées des
grues des lampes à arc à contre-jour
Le premier tram grelotte
dans l’aube glaciale
Moi j’ai trop chaud
Adieu
Paris
Bonjour
soleil
Feuilles de route, 1924.
Réveil
Je suis nu
J’ai déjà pris mon bain
Je me frictionne à l’eau de Cologne
Un voilier lourdement secoué passe dans mon hublot
Il fait froid ce matin
Il y a de la brume
Je range mes papiers
J’établis un horaire
Mes journées seront bien remplies
Je n’ai pas une minute à perdre
J’écris
Feuilles de route, 1924.
Lettre
Tu m’as dit si tu m’écris
Ne tape pas tout à la machine
Ajoute une ligne de ta main
Un mot un rien oh pas grand chose
Oui oui oui oui oui oui oui oui
Ma Remington est belle pourtant
Je l’aime beaucoup et travaille bien
Mon écriture est nette est claire
On voit très bien que c’est moi qui l’ai tapée
Il y a des blancs que je suis seul à savoir faire
Vois donc l’oeil qu’à ma page
Pourtant, pour te faire plaisir j’ajoute à l’encre
Deux trois mots
Et une grosse tache d’encre
Pour que tu ne puisses pas les lire.