Monument à Paul Verlaine, 1911. Paris, Jardin du Luxembourg. (Auguste de Niederhausern , dit Rodo de Niederhausern 1863-1913).
Chanson d’automne
Les sanglots longs Des violons De l’automne Blessent mon coeur D’une langueur Monotone.
Tout suffocant Et blême, quand Sonne l’heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure ;
Et je m’en vais Au vent mauvais Qui m’emporte Deçà, delà, Pareil à la Feuille morte.
Poèmes saturniens, 1866.
J. m’ a rappelé hier ce poème si connu. Il a été chanté par Charles Trenet, Georges Brassens, Léo Ferré et d’autres. Il traîne dans ma tête ce matin.
” Sa première strophe, légèrement altérée, a été utilisée par Radio Londres au début du mois de juin 1944 pour ordonner aux saboteurs ferroviaires du réseau VENTRILOQUIST de Philippe de Vomécourt, agent français du Special Operations Executive, de faire sauter leurs objectifs. Il s’agissait d’un message parmi les 354 qui furent alors adressés aux différents réseaux du SOE en France. Ces vers de Verlaine étaient destinés à VENTRILOQUIST uniquement, chaque réseau ayant reçu des messages spécifiques.
Le 1er juin, « Les sanglots longs des violons d’automne » indique aux saboteurs membres du réseau de se tenir prêts. Le 5 juin, à 21 h 15, sont envoyées les deuxièmes parties des messages, ordonnant le passage à l’acte : pour VENTRILOQUIST, il s’agit de « Bercent mon cœur d’une langueur monotone ». Il est à noter que les deux messages reçus par VENTRILOQUIST diffèrent du texte de Verlaine, qui écrit « de l’automne » et « blessent » (Radio Londres aurait remplacé « blessent » par « bercent » sous l’influence de la version mise en musique et chantée par Charles Trenet en 1941).
Une légende tenace, popularisée dans les années 1960 par le journaliste Cornelius Ryan, présente ce message en deux parties comme l’annonce qui aurait été faite à l’ensemble de la Résistance française que le débarquement de Normandie aurait lieu dans les heures suivantes. En référence à cette légende, les deux premières strophes du poème de Verlaine sont présentes sur l’avers de la pièce de 2 euros commémorative française émise en 2014 à l’occasion de la célébration du 70e anniversaire du débarquement de Normandie le 6 juin 1944. ” (Wikipédia)
Premier recueil poétique de Paul Verlaine publié à compte d’auteur en 1866 chez l’éditeur Alphonse Lemerre.
Je viens de lire sur le blog de Pierre Assouline, La République des Livres, la traduction récente que Line Amsellem vient de publier chez Allia du plus célèbre poème des Sonnets de l’amour obscur.
Tengo miedo a perder la maravilla de tus ojos de estatua y el acento que de noche me pone en la mejilla la solitaria rosa de tu aliento.
Tengo pena de ser en esta orilla tronco sin ramas, y lo que más siento es no tener la flor, pulpa o arcilla, para el gusano de mi sufrimiento.
Si tú eres el tesoro oculto mío, si eres mi cruz y mi dolor mojado, si soy el perro de tu señorío,
no me dejes perder lo que he ganado y decora las aguas de tu río con hojas de mi otoño enajenado.
Sonetos del amor oscuro. Publié dans la revue Cancionero. Valladolid. 1943.
Sonnet de la douce plainte
J’ai la crainte de perdre le prodige de tes yeux de statue, et cette touche que me met sur la joue pendant la nuit la solitaire rose de ton souffle.
Je suis triste d’être sur cette rive un tronc sans branche, et plus encor me coûte de n’avoir pas la fleur, pulpe ou argile, pour le ver rongeur par lequel je souffre.
Si tu es mon bien caché, mon trésor, si tu es ma croix, ma douleur mouillée, et si je suis le chien de ta couronne,
fais que je garde ce que j’ai gagné et de ta rivière les eaux décore de feuilles de mon automne emporté.
Sonnets de l’amour obscur. Traduction Line Amselem. Éditions Allia, 2024.
il est intéressant de la comparer avec celles d’André Belamich et d’Yves Véquaud.
Line Amsellem, agrégée d’espagnol, maître de conférences à l’université polytechnique Hauts-de-France, a publié chez Allia d’autres traductions de Federico García Lorca.
Jeu et théorie du duende, Paris, Allia, 2008,
Las Nanas infantiles, Paris, Allia, 2009. Réédité sous le titre Les Berceuses, Paris, Allia, 2018
Je lis les Maximes et autres pensées remarquables des moralistes français de François Dufay (Éditions Jean-Claude Lattès, 1998. CNRS Éditions, 2009).
Pascal (« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. ») me renvoie au poème de Baudelaire Le gouffre.
Le gouffre
Á Théophile Gautier
Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant. – Hélas ! tout est abîme, action, désir, rêve, Parole ! et sur mon poil qui tout droit se relève Maintes fois de la Peur je sens passer le vent.
En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève, Le silence, l’espace affreux et captivant… Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.
J’ai peur du Sommeil comme on a peur d’un grand trou Rempli de vague horreur, menant on ne sait où ; Je ne vois qu’Infini par toutes les fenêtres,
Et mon esprit, toujours du vertige hanté, Jalouse du Néant l’insensibilité. – Ah ! ne jamais sortir des Nombres et des Êtres !
Trois poèmes publiés dans L’Artiste, 1 mars 1862.
Baudelaire publie dans la revue L’Artiste du 1 mars 1862 trois poèmes : La Lune offensée, La Voix et Le Gouffre. Le Gouffre sera repris dans La Revue nouvelle le 1 mars 1864, puis dans Le Parnasse contemporain le 31 mars 1866.
On peut aussi rapprocher ce poème d’un texte d’Hygiène (Écrits septembre 1862 – novembre 1863).Oeuvres complètes de Baudelaire. Tome II Bibliothèque de la Pléiade, 2024. Page 373.
« Au moral comme au physique, j’ai toujours eu la sensation du gouffre, non seulement du gouffre du sommeil, mais du gouffre de l’action, du rêve, du souvenir, du désir, du regret, du remords, du beau, du nombre, etc. J’ai cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur. Maintenant j’ai toujours le vertige et aujourd’hui, [23 janvier 1862], j’ai subi un singulier avertissement, j’ai senti passer sur moi le vent de l’aile de l’Imbécilité. »
Les Fleurs du Mal, 1890. Edité par Edmond Deman. Bruxelles, 1891. Eau-forte. Planche n°VI. ” Sur le fond de mes nuits, Dieu, de son doigt savant, dessine un cauchemar multiforme et sans trêve “
François Dufay est né le 15 décembre 1962 à Suresnes (Hauts-de-Seine). Normalien, agrégé de lettres modernes, il était écrivain et journaliste (Le Point, l’Express). Il est mort accidentellement à 46 ans, le 25 février 2009 à Molines-en-Queyras (Hautes-Alpes). Il passait des vacances avec sa famille dans les Alpes, quand il a été fauché par une voiture. Il a été tué sur le coup.
On peut aussi lire de lui : Le voyage d’automne : octobre 1941, des écrivains français en Allemagne. Paris, Plon, 2000. Le soufre et le moisi : la droite littéraire après 1945 : Chardonne, Morand et les Hussards. Paris, Perrin, 2006.
Il me faut relire quelques poèmes d’Antonio Machado el Bueno. Il doit se promener quelque part, peut-être Parque del Oeste à Madrid, près du Paseo del Pintor Rosales. Il attend de voir Guiomar…
” He andado muchos caminos. J’ai connu beaucoup de chemins. “
Je n’aime pas trop la traduction de ce poème.
II. He andado muchos caminos
He andado muchos caminos he abierto muchas veredas ; he navegado en cien mares y atracado en cien riberas.
En todas partes he visto caravanas de tristeza, soberbios y melancólicos borrachos de sombra negra.
Y pedantones al paño que miran, callan y piensan que saben, porque no beben el vino de las tabernas.
Mala gente que camina y va apestando la tierra…
Y en todas partes he visto gentes que danzan o juegan, cuando pueden, y laboran sus cuatro palmos de tierra.
Nunca, si llegan a un sitio preguntan a dónde llegan. Cuando caminan, cabalgan a lomos de mula vieja.
Y no conocen la prisa ni aun en los días de fiesta. Donde hay vino, beben vino, donde no hay vino, agua fresca.
Son buenas gentes que viven, laboran, pasan y sueñan, y un día como tantos, descansan bajo la tierra.
Soledades, 1907.
Madrid, Parque del Oeste.
J’ai connu beaucoup de chemins
J’ai connu beaucoup de chemins, j’ai tracé beaucoup de sentiers, navigué sur cent océans, et accosté à cent rivages.
Partout j’ai vu des caravanes de tristesse, de fiers et mélancoliques ivrognes à l’ombre noire.
et des cuistres, dans les coulisses, qui regardent, se taisent et se croient savants, car ils ne boivent pas le vin des tavernes.
Sale engeance qui va cheminant et empeste la terre…
Et partout j’ai vu des gens qui dansent ou qui jouent, quand ils le peuvent, et qui labourent leurs quatre empans de terre.
Arrivent-ils quelque part, jamais ne demandent où ils sont. Quand ils vont cheminant, ils vont sur le dos d’une vieille mule,
ils ne connaissent point la hâte, pas même quand c’est jour de fête. S’il y a du vin, ils en boivent, sinon ils boivent de l’eau fraîche.
Ce sont de braves gens qui vivent, qui travaillent, passent et rêvent, et qui un jour comme tant d’autres reposent sous la terre.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 1981. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.
PS. Manuel propose ” mauvaises gens ” plutôt que sale engeance qui a une connotation presque raciste. je suis d’accord avec lui… Je ne retrouve pas dans la traduction française la simplicité, la sagesse populaire qu’exprime Machado.
Pilar de Valderrama (1889-1979), celle que Machado appelle Guiomar.
J’ai vu dans la nuit La cime aiguë de la montagne ; J’ai vu la plaine noyée au loin Dans la clarté d’une lune invisible J’ai vu, tournant la tête, Les pierres noires amoncelées, Ma vie tendue comme une corde, Début et fin, L’ultime instant Mes mains.
“ Comme sombre celui qui porte les grandes pierres.’’ Ces pierres je les ai soulevées autant que je l’ai pu Ces pierres je les ai aimées autant que je l’ai pu Ces pierres, mon destin. Par mon sol même mutilé Par ma tunique même supplicié, Par mes dieux même condamné, Ces pierres. Je sais qu’ils ne peuvent savoir, mais moi Qui tant de fois ai pris La voie qui mène du meurtrier à la victime De la victime au châtiment Du châtiment au nouveau meurtre : A tâtons Dans la pourpre intarissable Le soir de ce retour Quand se mirent à siffler les Erinnyes Parmi l’herbe rare J’ai vu les serpents et les vipères entrelacés Lovés sur la race maudite Notre destin.
Voix jaillies de la pierre, du sommeil Plus sourdes ici où s’assombrit le monde, Souvenir de l’effort s’enracinant dans le rythme De pieds oubliés frappant le sol. Corps engloutis dans les assises De l’autre temps, nus. Yeux Fixés, fixés sur un point Que tu cherches à discerner mais en vain – L’âme Qui lutte pour devenir ton âme.
Le silence même n’est plus à toi En ce lieu où les meules ont cessé de tourner.
Octobre 1935.
Poèmes 1933-1955 suivis de Trois poèmes secrets. NRF Poésie/Gallimard n°229.1989. Traduction : Jacques Lacarrière, Egérie Mavraki.
Je viens de finir le livre de Yannis Kiourtsakis : Camus et Séféris, Une affaire de lumière. La tête à l’envers, 2024. Je cite ici les dernières pages (74 et 75). On les retrouve aussi sur le site Terre de femmes (la revue de poésie & de critique d’Angèle Paoli)
Telle est pour Camus comme pour Séféris, la triade sacrée, œuvre de la nature ou de la divinité, peu importe. Et à l’image de cette œuvre, la créature qu’est l’être humain est conçue par eux, loin de tout humanisme abstrait, dans sa présence la plus concrète, la plus charnelle, la plus humble. Parions donc, avec Camus, pour la renaissance. Deux incidents, tout à fait menus, mais qu’ils prennent soin de narrer l’un et l’autre, nous y aideront :
Juin 1958. Camus et ses amis français déjeunent, après leur baignade, en plein air dans une taverne de Samos. Un groupe « de beaux enfants » viennent les observer. « L’une des petites filles, Matina, aux yeux dorés, touche, écrit-il, mon cœur ». Quand les amis quittent la taverne, Matina vient près de la voiture, et alors, note Camus, « je prends sa petite main ».
Novembre 1967. Séféris déjeune en compagnie près de la mer dans un village du Magne. Son attention est attirée par une petite vieille, mince, agile, vivace, qui marche au loin très vite en faisant jouer sa canne en l’air, sans s’y appuyer. « C’est ma tante, elle a 102 ans », dit un des convives. Cette apparition hante, il ne sait pourquoi, son esprit pendant plusieurs jours ; et il finit par écrire : « Cette créature est restée dans ma mémoire comme un don de Dieu. »
C’est à la lumière de tels faits, apparemment insignifiants, mais ô combien significatifs, que j’aimerais clore cet essai en lisant les deux pensées suivantes. Séféris – conférence sur Dante (1966) : « S’il est vrai que l’enfer c’est les autres, comme l’affirme l’un de nos maîtres penseurs, il est non moins vrai que le paradis c’est les autres. Et les autres sont aussi nous-mêmes […] Paradis et enfer ne peuvent, je crois, être séparés, et, si nous le pouvons, ne mettons pas en pièces l’âme humaine.»
Camus, Retour à Tipasa : « Il y a seulement de la malchance à ne pas être aimé ; il y a du malheur à ne point aimer. Nous tous, aujourd’hui mourons de ce malheur. »
Georges Séféris (Giorgios Stylianou Séfériadès) est un des grands poètes grecs contemporains. Il est né à Smyrne (aujourd’hui Izmir en Turquie) le 29 février 1900.
Son père est professeur d’université et un traducteur renommé.
Georges Séféris suit sa famille à Athènes en 1914 où il termine sa scolarité secondaire. Il fait ensuite des études de droit et de littérature à Paris. Il y reste jusqu’en 1924.
Il s’engage dans la carrière diplomatique en 1926. En 1941, il s’exile avec le gouvernement grec libre pour échapper à l’occupation nazie. Il est envoyé dans divers pays pendant la Seconde Guerre mondiale. Il sert son pays en Crète, au Caire, en Afrique du Sud, en Turquie et au Moyen-Orient.
Il est ambassadeur à Londres de 1957 à 1962. Il prend sa retraite en 1962. Il retourne alors à Athènes et se consacre entièrement à son oeuvre.
Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1963. Après le coup d’état militaire du 21 avril 1967, il fait une déclaration publique contre la junte des colonels.
Il meurt à Athènes le 20 septembre 1971. 30 000 personnes suivent son cercueil le lendemain et font de ses obsèques une manifestation spontanée contre la dictature.
Bibliographie
Journal 1945-1951. Traduction : Lorand Gaspar. Mercure de France, 1973.
Essais, Hellénisme et création. Traduction : Denis Kohler. Mercure de France, 1987.
Poèmes (1933-1955) suivi de Trois poèmes secrets. NRF Poésie/Gallimard n°229. 1989. Traduction : Jacques Lacarrière, Égérie Mavraki, Yves Bonnefoy et Lorand Gaspar.
Six Nuits sur l’Acropole. Traduction Gilles Ortlieb. Calmann-Lévy, 1994. Le bruit du temps, 2013.
Journées 1925-1944. Traduction Gilles Ortlieb. Le bruit du temps, 2021.
Les poèmes. Traduction Michel Volkovitch. Le miel des anges, 2023.
L’écrivain chilien Antonio Skármeta est mort mardi 15 octobre à l’âge de 83 ans. il est né le 7 novembre 1940 à Antofagasta, dans le nord du Chili. Il a étudié la philosophie à l’université du Chili, où il a travaillé des années plus tard comme professeur à la faculté de philosophie et comme metteur en scène de théâtre. Après le coup d’Etat militaire d’Augusto Pinochet en 1973, il s’est exilé en Argentine puis en Allemagne, où il a été ambassadeur du Chili dans les années 2000. Il a aussi animé un programme culturel à la télévision chilienne, El show de los libros, de 1992 à 2002. Il est surtout connu comme auteur de Ardiente paciencia (1985) (Une ardente patience, Le Seuil 1985. Traduction de François Maspero) Ce roman a été adapté au cinéma en 1994 sous le titre Le Facteur (Il postino) par Michael Radford avec Massimmo Troisi et Philippe Noiret, dans le rôle de Pablo Neruda. Skármeta avait réalisé lui-même en 1983 une première version de cette histoire. Sa pièce de théâtre, El plebiscito, a été le point de départ du film de Pablo Larraín No (2012) qui évoque la participation d’un jeune publicitaire à la campagne en faveur du « non » lors du référendum chilien de 1988. Celui-ci a marqué la fin de la dictature militaire d’Augusto Pinochet et a ouvert la voie à la transition démocratique chilienne.
Le titre Ardiente paciencia rappelle le poème de Rimbaud que Neruda avait évoqué lorsqu’il avait reçu le Prix Nobel de Littérature en 1971 :
” Hace hoy cien años exactos, un pobre y espléndido poeta, el más atroz de los desesperados, escribió esta profecía: A l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides Villes. (Al amanecer, armados de una ardiente paciencia entraremos en las espléndidas ciudades.)
Yo creo en esa profecía de Rimbaud, el vidente. Yo vengo de una oscura provincia, de un país separado de todos los otros por la tajante geografía. Fui el más abandonado de los poetas y mi poesía fue regional, dolorosa y lluviosa. Pero tuve siempre confianza en el hombre. No perdí jamás la esperanza. Por eso tal vez he llegado hasta aquí con mi poesía, y también con mi bandera.
En conclusión, debo decir a los hombres de buena voluntad, a los trabajadores, a los poetas, que el entero porvenir fue expresado en esa frase de Rimbaud: solo con una ardiente paciencia conquistaremos la espléndida ciudad que dará luz, justicia y dignidad a todos los hombres.
Así la poesía no habrá cantado en vano. “
Adieu ¯¯¯¯¯¯¯¯
L’automne, déjà ! – Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, – loin des gens qui meurent sur les saisons.
L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l’ivresse, les mille amours qui m’ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment… J’aurais pu y mourir… L’affreuse évocation ! J’exècre la misère.
Et je redoute l’hiver parce que c’est la saison du comfort !
Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée !
Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !
Suis-je trompé ? la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ?
Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?
¯¯¯¯¯¯¯¯
Oui l’heure nouvelle est au moins très-sévère.
Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent, – des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. – Damnés, si je me vengeais !
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.
Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, – j’ai vu l’enfer des femmes là-bas ; – et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
J’écoute en podcast Le Book Club de Marie Richeux sur France Culture. Elle nous fait découvrir la bibliothèque de personnalités diverses. (Grande invention les podcasts !). Il s’agit ici de la bibliothèque de l’historien de l’art et philosophe Georges Didi-Huberman. Il nous fait suivre la présence des anges dans les pages de Walter Benjamin, Franz Kafka, Charles Baudelaire et D.H. Lawrence. Vers la fin de l’émission, il lit le poème Réversibilité.
Réversibilité (Charles Baudelaire)
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse, La honte, les remords, les sanglots, les ennuis, Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits Qui compriment le coeur comme un papier qu’on froisse ? Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse ?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine, Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel, Quand la Vengeance bat son infernal rappel, Et de nos facultés se fait le capitaine ? Ange plein de bonté connaissez-vous la haine ?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres, Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard, Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard, Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ? Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides, Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment De lire la secrète horreur du dévouement Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avide ? Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ?
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières, David mourant aurait demandé la santé Aux émanations de ton corps enchanté ! Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières, Ange plein de bonheur, de joie et de lumières !
Les Fleurs du mal, 1857.
” Baudelaire avait adressé ce poème, anonymement, le 3 mai 1853, à Mme Sabatier. il lui fait cet envoi de Versailles, où il se trouve alors, avec Philoxène Boyer… Baudelaire a donné comme titre à ce poème un terme emprunté au lexique théologique de Joseph de Maistre. ” (Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade I. Notes.)
Georges Didi-Huberman : “Le titre de ce poème Réversibilité, c’est un mot philosophique, c’est un mot qui nous dit que dans tout désir et dans tout espoir, il y a une inquiétude et une angoisse. Réversibilité, c’est ce mélange. Freud avait ce terme extrêmement fort en disant ce sentiment d’inquiétante étrangeté qu’on a quand on se sent très mal à l’aise. Par exemple, quand on est dans un endroit dont on se dit, qu’on a déjà été là quelque part, c’est-à-dire qu’il y a une familiarité, mais c’est extrêmement angoissant. Freud dit très bien que tout ça, c’est lié à l’angoisse infantile, l’angoisse des enfants.”
Angelus Novus (Paul Klee). 1920. Jérusalem, Musée d’israël. Exposition L’ironie à l’oeuvre 6 avril – 1 août 2016 au centre Pompidou. La photo n’est pas bonne, mais je l’ai prise avec émotion en avril 2016.
Le poète Jacques Réda est décédé le 30 septembre à l’âge de 95 ans.
« Le désespoir n’existe pas pour un homme qui marche. ».
Lire ou relire :
Amen, récitatif, la tourne. Poésie Gallimard N° 221. 1988.
Les ruines de Paris. Poésie Gallimard N° 268. 1993.
Hors les murs. Poésie Gallimard N° 358. 2001.
Leçons de l’arbre et du vent. Gallimard Blanche. 2023.
Il est une forêt sans borne où je voudrais M’enfoncer, en mourant, loin de la médecine Qui m’impose pour vivre une foule d’extraits Chimiques. J’y prendrais tout doucement racine, Jusqu’au jour où, non moins en douceur, j’entrerais D’abord aussi fragile et fin qu’une houssine, Quitte de mes devoirs et de mes intérêts, Dans l’absence de temps où l’Arbre se dessine Sans crayon ni pastel, sanguine ni pinceau. Vite, j’y deviendrais vigoureux arbrisseau. Puis l’artiste inconnu qui conçut la rosée. Et la houle des monts et les yeux des vivants Me laisserait songer tout au fond du musée Végétal où, distraits, viennent errer les vents.
J’ai reçu hier le magnifique livre de Juan Ramón Jiménez (1881-1958), Guerra en España: Prosa y verso (1936-1954). Athenaica Ediciones. 2024. 1065 pages.
Une première édition de cet ouvrage fut élaborée et éditée par le poète Ángel Crespo (1926-1995) en 1985. Il faut rappeler qu’il s’agit du traducteur en espagnol du Livro do Desassossego de Fernando Pessoa pour Seix Barral (1984). Cette édition fut reprise par Soledad González Ródenas en 2009. Celle d’avril 2024 est encore plus complète. Elle a travaillé comme Ángel Crespo sur les archives du poète conservées à Puerto Rico.
De son vivant, Juan Ramón Jiménez avait commencé à réunir des aphorismes, des poèmes, des traductions, des articles, des conférences, des manifestes, des critiques, des lettres, des entretiens, des brouillons, des notes, des photos, des articles de journaux. Dans son idée, cet énorme collage sur la guerre et l’exil permettrait de transmettre son expérience du conflit et sa lutte incessante contre ses ennemis.
On oublie trop souvent que le Prix Nobel de Littérature 1956 fut un poète engagé aux côtés de La République, contre la Guerre et contre le Franquisme.
“Todo cambia… Las cosas y las personas, pero hay algo que es permanente: la vocación de libertad. Jamás he sido político en el mezquino sentido de simple afiliación a partidos. Me he educado con Cossío, con Giner, con aquellos grandes hombres de la Institución Libre de Enseñanza y al espíritu de los maestros le sigo siendo fiel…Lo demás, no importa…Lo esencial es vivir con decencia entre personas honradas y en un régimen de libertad.”
Pour le moment, je n’ai pu que le feuilleter. J’y ai trouvé une belle traduction du poème de Baudelaire La musique.
La Musique
La musique souvent me prend comme une mer ! Vers ma pâle étoile, Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther, Je mets à la voile ;
La poitrine en avant et les poumons gonflés Comme de la toile, J’escalade le dos des flots amoncelés Que la nuit me voile ;
Je sens vibrer en moi toutes les passions D’un vaisseau qui souffre ; Le bon vent, la tempête et ses convulsions
Sur l’immense gouffre Me bercent. D’autres fois, calme plat, grand miroir De mon désespoir !
Les Fleurs du mal. 1861.
La música
La música me coje a veces como la mar! A mi pálida estrella, bajo un techo de bruma o en una vasta atmósfera yo me hago a la vela.
El pecho adelantado y llenos los pulmones lo mismo que la lona, escalo el lomo de la ola amontonada que la noche me borra.
Siento vibrar en mí la pasión multiforme de un navío que sufre; la bonanza, la tempestad y sus convulsiones
sobre la inmensa cava me mecen. ¡ Y otra vez calma plena, ancho espejo, de mi desesperanza!
Traduction : Juan Ramón Jiménez.
Juan Ramón Jiménez a traduit tout au long de sa vie des poètes comme Ibsen, Verlaine, Moréas, Pierre Louÿs, Leopardi, Shelley, Shakespeare, Trelawny. Robert Frost, Yeats, Synge, Mallarmé, Blake, Eliot, Goethe, Baudelaire, Santayana, Ezra Pound et Edgar A. Poe, entre autres.