Germaine Richier 1902-1959

Germaine Richier dans son atelier (Agnès Varda). Paris, 30 novembre 1955.

Exposition Germaine Richier au centre Georges-Pompidou, Paris 4e du 1 mars au 12 juin et du 12 juillet au 5 novembre au Musée Fabre de Montpellier.

Nous l’avons vue samedi 4 mars. Elle est très complète puisque presque 200 œuvres (sculptures, gravures, dessins) sont exposées. Je ne connaissais cette artiste que par les sculptures présentées habituellement au quatrième étage du centre (Musée national d’Art moderne). Je trouvais impressionnant Le Christ d’Assy I, petit de 1950.

On peut admirer pour la première fois à Paris le véritable Christ d’Assy, modelé en bronze, l’un de ses chefs-d’œuvre. Il avait créé une importante polémique au début des années 1950 auprès des catholiques traditionalistes les plus conservateurs, et même au Vatican dans l’entourage du pape Pie XII. Il se trouve exposé d’habitude dans l’ église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy (Haute-Savoie). Il avait été décroché d’avril 1951 à 1969.

Les premières salles montrent des têtes de plâtre et de bronze, réalistes, qui lui ont assuré ses premiers succès. On voit davantage son originalité dans les sculptures des années 40 et 50. La figure humaine est déformée, décharnée, écorchée. Elle joue des hybridations avec les mondes animal et végétal (L’Homme-forêt, 1945, et sa branche d’olivier). Elle sculpte des colosses expressionnistes (L’Orage, 1947, l’Ouragane, 1949). Comme Picasso, elle réutilise des débris métalliques, un morceau de mur de brique, des morceaux de céramique, des bouts de bois, des coquillages, des os. Elle sertit dans le plomb des morceaux de verre coloré. A partir de 1951, elle travaille avec des amis peintres et introduit la couleur dans ses sculptures (Maria Helena Vieira da Silva. La Ville, 1952. Zao Wou-Ki. L’Échelle, 1956) .

L’Échelle, 1956 (+Zao Wou-Ki). Collection particulière.

Biographie

Elle est née le 16 septembre 1902 à Grans (Bouches-du-Rhône). Elle vit à partir de 1904 avec sa famille près de Montpellier, dans la propriété du Prado à Castelnau-le-Lez, au milieu des vignes et de la garrigue. Dès l’enfance, elle est fascinée par les insectes de cette campagne méditerranéenne. A partir de 1926, elle étudie à l’École des Beaux-arts de Montpellier. Elle y apprend la technique de la taille directe.

Elle se rend ensuite à Paris. Antoine Bourdelle l’accueille dans son atelier particulier en octobre 1926. Elle y rencontre son premier mari, sculpteur lui aussi, Otto Bänninger (1897-1973) . Elle l’épouse en 1929, puis divorce en 1951. En 1933, le couple s’installe 36 avenue de Châtillon (aujourd’hui avenue Jean Moulin), dans le 14e arrondissement.

Elle passe la Seconde Guerre mondiale à Zürich en Suisse. Elle revient vivre à Paris en octobre 1946.

Des écrivains comme Georges Limbour, Francis Ponge, André Pieyre de Mandiargues, Jean Grenier, Jean Cassou, Dominique Rolin, Alain Jouffroy, Jean Paulhan, Franz Hellens ont écrit après-guerre de beaux textes sur elle.

En 1956, c’est la première artiste femme exposée de son vivant au Musée national d’art moderne.

Ses œuvres des années 50 peuvent être comparées à celles d’Alberto Giacometti.

Elle est morte à Montpellier le 31 juillet 1959 d’un cancer du sein. Elle avait 56 ans.

Quelques citations de Germaine Richier :

« Le but de la sculpture, c’est d’abord la joie de celui qui la fait. On doit y sentir sa main, sa passion. »

« J’ai commencé à introduire la couleur dans mes statues en y incrustant des blocs de verre colorés où la lumière jouait par transparence. Ensuite, j’ai demandé à des peintres de peindre sur l’écran qui sert de fond à certaines de mes sculptures. Maintenant, je mets la couleur moi-même. Dans cette affaire de couleurs, j’ai peut-être tort, j’ai peut-être raison. Je n’en sais rien. Ce que je sais en tous les cas, c’est que ça me plaît. La sculpture est grave, la couleur est gaie. J’ai envie que mes statues soient gaies, actives. Normalement, une couleur sur de la sculpture ça distrait. Mais, après tout, pourquoi pas ? »

« La sculpture s’accroche à des volumes géométriques. Cette géométrie sert à relier et à assagir les choses. C’est une compensation aux excès. »

« La sculpture est un lieu. »

« J’invente plus facilement en regardant la nature, sa présence me rend indépendante. »

« Je pense qu’il fallait partir des racines des choses. Or, la racine, c’est la racine de l’arbre. C’est peut-être un membre d’un insecte. »

« Ce qui, à mon avis, caractérise la sculpture, c’est la façon dont elle renonce à la forme solide et compacte. (…) Une forme vit tant qu’elle ne recule pas devant l’expression. »

« Je suis plus sensible à un arbre calciné qu’à un pommier en fleurs. »

Don Quichotte. 1950-51. Collection Pinault.

Deux jugements significatifs :

Alain Jouffroy. Au Musée d’art moderne : Germaine Richier. Arts, 10-16 octobre 1956.

« il faut regarder le visage du Don Quichotte. Nul élément anatomique n’y est réellement présent. Et pourtant, tout le visage de Don Quichotte est là ; on le reconnaît dans cette face rocheuse, on l’y reconnaît aussi parfaitement qu’on « voit » un visage dans le dessin d’une falaise, ou dans la craquelure d’un mur. Il est là et cela montre bien que l’image d’une œuvre d’art se fait dans l’esprit de celui qui la contemple, et qu’elle une hallucination, et non une perception normale. »

Helena Vieira da Silva. Robert Couturier, Alberto Giacometti, Vieira da Silva : Adieu à Germaine Richier. Tribune de Lausanne, 9 août 1959.

« Je ne sais pas si tout le monde saisira l’importance de ce que je vais affirmer : son Christ est, à ma connaissance, l’unique Christ des grandes époques de l’art chrétien. Pour moi, ce fait, seulement, est d’une grandeur qui tient du miracle. » Paris, le 3 août 1959.

Christ d’Assy . 1950. Assy, Église Notre-Dame-de Toute-Grâce (Haute-Savoie).

Henri Matisse

Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 30. Exposition du 1 mars au 29 mai 2023 au Musée de l’Orangerie.

https://www.musee-orangerie.fr/fr/agenda/expositions/matisse-cahiers-dart-le-tournant-des-annees-30

Visite de l’exposition Matisse avec J. et P. le jour de l’ouverture. Le public était nombreux, à l’entrée et dans les premières salles. La deuxième salle a retenu particulièrement mon attention car elle évoque le voyage du peintre à Tahiti.

Fenêtre à Tahiti (Tahiti I). 1935. Nice, Musée Matisse.

Henri Matisse (1869-1954) fait ce voyage en 1930. Il a plus de 60 ans. Il recherche une autre lumière, un autre espace. Il écrit à Florent Fels : “J’irai vers les îles pour regarder sous les tropiques la nuit et la lumière de l’aube qui ont sans doute une autre densité. “Le peintre voyage peu d’habitude. Lorsqu’il part, c’est pour ressentir le monde et les êtres. Le voyage lui rend une forme de liberté, de nouveauté.

Il quitte Paris pour New York le 19 mars. Cette ville le fascine : « Si je n’avais pas l’habitude de suivre mes décisions jusqu’au bout, je n’irais pas plus loin que New York, tellement je trouve qu’ici c’est un nouveau monde : c’est grand et majestueux comme la mer – et en plus on sent l’effort humain. » (Pierre Schneider, Matisse, Paris, Flammarion, 1994)

Il traverse en train les États-Unis et embarque à San Francisco le 21 mars. Il arrive à Tahiti le 29 mars. Il s’installe à Papeete dans une chambre de l’hôtel Stuart, face au front de mer.

Il ne peint pas. Il se contente de dessiner et de prendre des photos. Il s’imprègne des lumières et observe la nature et les couleurs.

Pendant ce voyage, il rencontre le réalisateur allemand Friedrich Wilhelm Murnau (1888-1931) qui filme Tabou. Matisse assistera à la projection du film l’année suivante.

https://www.youtube.com/watch?v=JRh60w9tzsU

Pendant ce séjour de trois mois, il visitera l’atoll d’Apataki et de Fakarava de l’archipel des Tuamotu. Il est de retour en France le 16 juillet 1930.

Il a engrangé des souvenirs et des sensations. Il est revenu avec de nouvelles lumières, de nouvelles formes qui resurgiront dans son art une dizaine d’années plus tard . Son trait s’est épuré. Il a obtenu une simplification progressive de la ligne. Aragon dira : « Sans Tahiti, Matisse ne serait pas Matisse ».

Fenêtre à Tahiti (Tahiti II). 1935-36. Le Cateau Cambrésis, Musée départemental Matisse.

« L’optimisme de Matisse, c’est le cadeau qu’il fait à notre monde malade, l’exemple à ceux-là donné qui se complaisent dans le tourment. »

Henri Matisse à Tahiti (Friedrich Wilhelm Murnau ?). 1930. Issy-les-Moulineaux, Archives Henri Matisse.

Luis García Montero – Antonio Machado

Aujourd’hui, Luis García Montero évoque dans Infolibre le printemps, la guerre et Antonio Machado…

https://www.infolibre.es/opinion/columnas/verso-libre/primavera_129_1436782.html

Le poète est mort en exil à Collioure (Pyrénées Orientales) le 22 février 1939 des suites d’une pneumonie. Il avait 64 ans.

García Montero renvoie dans cet article à un poème écrit par Machado pendant la Guerre Civile. Celui-ci vécut avec sa famille de novembre 1936 à avril 1938 Villa Amparo (Rocafort, petit village agricole qui se trouve à sept kilomètres de Valence), dans la Huerta. Il écrivit là de nombreux articles pour la presse et quelques poèmes au service de la cause républicaine.

Rocafort. Villa Amparo. Sculpture métallique qui représente le poète, inspirée par un dessin de Ramón Gaya.

La primavera (Antonio Machado)

Más fuerte que la guerra -espanto y grima-
cuando con torpe vuelo de avutarda
el ominoso trimotor se encima
y sobre el vano techo se retarda,

hoy tu alegre zalema el campo anima,
tu claro verde el chopo en yemas guarda.
Fundida irá la nieve de la cima
al hielo rojo de la tierra parda.

Mientras retumba el monte, el mar humea,
da la sirena el lúgubre alarido,
y en el azul el avión platea,

¡cuán agudo se filtra hasta mi oído,
niña inmortal, infatigable dea,
el agrio son de tu rabel florido!

Poesías de guerra. Ediciones Asomante, San Juan de Puerto Rico. 1961.

Le printemps

Plus fort que la guerre — angoisse et frayeur —
quand de son lourd vol d’échassier
monte dans le ciel le trimoteur funeste
et que sur le toit inutile il s’attarde,

aujourd’hui ton salut joyeux anime la campagne,
le peuplier dans ses bourgeons garde ton vert clair.
La neige des sommets, fondue, s’écoulera
vers la glace rouge des terres brunes.

Tandis que tonne la montagne, fume la mer,
la sirène lance son hurlement lugubre,
et l’avion dans l’azur scintille,

comme parvient, aigu, à mon oreille,
mon enfant immortelle, inlassable déesse,
l’aigre son de ton rebec fleuri !

Poésies de la guerre (1936-1939).

Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre. Traduction : Sylvie Léger et Bernard Sesé Paris, Gallimard, 1973 ; NRF Poésie/ Gallimard n°144.

J’ai relu un autre poème plus ancien qui parle aussi du printemps.

La primavera besaba (Antonio Machado)

La primavera besaba
suavemente la arboleda
y el verde nuevo brotaba
como una verde humareda.

Las nubes iban pasando
sobre el campo juvenil…
Yo vi en las hojas temblando
las frescas lluvias de abril.

Bajo ese almendro florido,
todo cargado de flor
-recordé-, yo he maldecido
mi juventud sin amor.

Hoy, en mitad de la vida.
me he parado a meditar…
¡Juventud nunca vivida,
quién te volviera a soñar!

Soledades, 1903.

Le printemps doucement (Antonio Machado)

Le printemps doucement
posait sur les arbres un baiser,
et le vert nouveau jaillissait
comme une verte fumée.

Les nuages passaient
sur la campagne juvénile…
J’ai vu sur les feuilles trembler
les fraîches pluies d’avril.

Dessous l’amandier fleuri,
tout chargé de fleurs,
— je m’en souviens —, j’ai maudit
ma jeunesse sans amour.

Aujourd’hui, au milieu de la vie,
je me suis arrêté pour méditer…
Oh ! jeunesse jamais vécue,
que ne puis-je encor te rêver !

Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre. Traduction: Sylvie Léger et Bernard Sesé Paris, Gallimard, 1973; NRF Poésie/ Gallimard n°144.

Dessin de Ramón Gaya. Machado traversant la acequia de Montcada, près de Villa Amparo, Rocafort.

Sayed Haider Raza 1922 – 2016

Sayed Haider Raza dans son atelier à Bombay. 1948.

Samedi 18 février. Découverte du peintre indien Sayed Haider Raza (1922-2016) que je ne connaissais pas du tout. Le Centre Pompidou présente jusqu’au 15 mai 2023 une exposition de près de 100 œuvres de cet artiste, sur papier et sur toile.

Elle suit de manière chronologique l’évolution de cet artiste : paysages expressionnistes au début, compositions abstraites à la fin. Il naît le 22 février 1922 à Barbaria dans l’actuel état du Madhya Pradesh en Inde dans une famille musulmane. Il fait des études à la prestigieuse école Sir J.J. School of Arts de Bombay (aujourd’hui Mumbai). Il fonde avec d’autres peintres de sa génération (Francis Newton Souza 1924-2002, Maqbool Fida Husain 1915 – 2011) le Progressive Artists’ Group. Il rencontre en 1948 le photographe Henri Cartier-Bresson qui devient son ami. En 1950, il se rend à Paris grâce à une bourse du gouvernement français. Il est élève à l’école des Beaux-Arts. Il expose assez rapidement dans les galeries parisiennes, et de 1955 à 1971 à la galerie Lara Vincy. Il rentre dans son pays natal en 2011 et meurt le 23 juillet 2016 à 94 ans.

L’exposition montre essentiellement des œuvres de 1950 à 1990. J’ai surtout aimé les aquarelles du début et ses œuvres des années 50 et 60 qui sont d’une grande intensité chromatique : rouges vifs, ocres jaunes, verts et bleus moins soutenus.

Bombay vue depuis la colline Malabar. 1948. New Delhi, Collection Kiran Nadar Museum of Art.

Philippe Dagen dans Le Monde du 18 février émet beaucoup de réserves : « L’idée est bonne, la réalisation moins. Non qu’elle soit trop abrégée : une centaine d’œuvres sur papier et sur toile – parfois très mal encadrées par leurs propriétaires – se succèdent dans un ordre chronologique. Mais le déséquilibre est flagrant entre les premières décennies et les deux dernières. Il y en a bien trop du début et pas assez ensuite, alors que la dernière période est celle où Raza affronte de plus en plus l’abstraction géométrique, celle des avant-gardes occidentales et, conjointement, celle, symbolique, de l’hindouisme et du bouddhisme se rejoignant dans le tantrisme. »

« Les couleurs, qui ne perdent le plus souvent rien de leur intensité, sont posées en touches appuyées. La composition, de moins en moins assujettie au paysage, s’organise par nuées de taches. Les formats s’agrandissent, sans atteindre l’ampleur des toiles contemporaines de Zao Wou-ki, ni des Américains pour lesquels il manifeste de l’intérêt, Hans Hofmann, Mark Rothko ou Sam Francis. Ces toiles, regardées aujourd’hui, sont très fortement datées et manquent par trop de singularité. »

« Celle-ci [sa singularité] se manifeste d’abord de façon discontinue, puis plus résolue quand Raza commence à ordonner la surface picturale par des bandes parallèles, des carrés et des rectangles jointifs ou emboîtés, des losanges et des cercles, ceux-ci le plus souvent noirs. Ainsi s’approche-t-il de l’art des miniatures rajput et des peintures tantriques. Dans des toiles telles que Maa (1981) ou Saurashtra (1983), Raza trouve sa tonalité propre. La géométrie s’étend jusqu’aux bords de la toile, mais sans tomber dans l’orthogonal strict. Les lignes s’interrompent, les angles ne sont pas tous droits, ni les parallèles parfaites. Les surfaces colorées ne sont pas non plus uniformes, mais semblent flotter ou glisser. Ce sont les chefs-d’œuvre de l’exposition, et leur réussite se voit d’autant mieux que les abstractions strictement régulières de spirales et de cercles concentriques qui les suivent n’ont ni la même vibration ni la même inventivité. »

Maa (Mère). 1981. The Raza Foundation.
Sans titre. 1956. Mumbai, Piramal Museum of Art.

Il critique pour finir l’absence dans l’exposition d’oeuvres de Janine Mongillat (1930-2002) qu’il a rencontrée aux Beaux-Arts et épousée en 1959.

Saurashtra. 1983. New Delhi, Collection Kiran Nadar Museum of Art.

Cette exposition me semble pourtant réussie, car elle permet de faire connaître cet artiste à un large public.

L’Affiche rouge

Le 21 février 1944, les membres du groupe FTP-MOI de Missak Manouchian sont fusillés au Mont Valérien

La liste suivante des 23 membres du groupe Manouchian exécutés par les Allemands signale par la mention (AR) les dix membres que les Allemands ont fait figurer sur l’affiche rouge:
– Celestino Alfonso (AR), Espagnol, 27 ans.
– Olga Bancic, Roumaine, 32 ans (seule femme du groupe, décapitée en Allemagne le 10 mai 1944).
– Joseph Boczov (József Boczor; Wolff Ferenc) (AR), Hongrois, 38 ans, Ingénieur chimiste.
– Georges Cloarec, Français, 20 ans.
– Rino Della Negra, Italien, 19 ans.
– Thomas Elek (Elek Tamás), (AR) Hongrois, 18 ans. Étudiant.
– Maurice Fingercwajg (AR), Polonais, 19 ans.
– Spartaco Fontano (AR), Italien, 22 ans.
– Jonas Geduldig, Polonais, 26 ans.
– Emeric Glasz [Békés (Glass) Imre], Hongrois, 42 ans. Ouvrier métallurgiste.
– Léon Goldberg, Polonais, 19 ans.
– Szlama Grzywacz (AR), Polonais, 34 ans.
– Stanislas Kubacki, Polonais, 36 ans.
– Cesare Luccarini, Italien, 22 ans.
– Missak Manouchian (AR), Arménien, 37 ans.
– Armenak Arpen Manoukian, Arménien, 44 ans.
– Marcel Rajman (AR), Polonais, 21 ans.
– Roger Rouxel, Français, 18 ans.
– Antoine Salvadori, Italien, 24 ans.
– Willy Schapiro, Polonais, 29 ans.
– Amédéo Usséglio, Italien, 32 ans.
– Wolf Wajsbrot (AR), Polonais, 18 ans.
– Robert Witchitz (AR), Français, 19 ans.

Missak Manouchian était un héros de la résistance. Il a été exécuté il y a 79 ans. Nous sommes nombreux à le demander : il doit entrer entrer au Panthéon.

Le Groupe Manouchian, le 21 Février 1944

Joseph Epstein, dit Colonel Gilles, le supérieur hiérarchique de Missak Manouchian, est arrêté le même jour que lui lors d’un rendez-vous à la gare d’Evry-Petit-Bourg le 16 novembre 1943. Il est torturé pendant plusieurs mois, puis fusillé au fort du Mont-Valérien avec 28 autres résistants, le 11 avril 1944.

Thierry Frémaux – Bertrand Tavernier

Bertrand Tavernier. Festival de Saint-Sébastien. 24 Septembre 2013 (Javier Hernández ).

Je viens de terminer la lecture de Si nous avions su que nous l’aimions tant, nous l’aurions aimé davantage de Thierry Frémaux. Éditions Grasset, octobre 2022. Plutôt qu’un essai biographique consacré à Bertrand Tavernier (1941-2021), il s’agit d’une ode à l’amitié entre deux hommes de générations différentes, d’un exercice d’admiration.

Thierry Frémaux est directeur de l’Institut Lumière de Lyon (1995), délégué général du festival de Cannes (2007) et président de l’association Frères Lumière. Il a obtenu sa maîtrise d’histoire à Lyon II avec un mémoire consacré aux débuts de la revue Positif, fondée en mai 1952 par quatre étudiants du Lycée du parc à Lyon.

J’ai retenu une phrase : « Une vie bien remplie, rend-elle la mort plus acceptable ? »

Depuis le 9 mai 2005, Bertrand Tavernier publiait grâce à la SACD (société des auteurs et compositeurs dramatiques) et son directeur général Pascal Rogard, un blog appelé « dvdblog ». Ces chroniques lui permettaient de mettre en avant les films de patrimoine qu’il aimait, sortis en DVD ou Blu-ray, ainsi qu’à l’occasion ses coups de cœurs littéraires et musicaux. Il tiendra ces chroniques jusqu’à son décès le 25 mars 2021 à Sainte-Maxime.

https://www.tavernier.blog.sacd.fr/

Bertrand Tavernier a publié tout au long de sa carrière de nombreux articles et entretiens dans les revues de cinéma : Présence du cinéma, Cinéma, les Cahiers du cinéma et Positif. Sa première critique dans Positif datait de 1960 et portait sur Temps sans pitié de Joseph Losey. Le thème des rapports père-fils est aussi celui de son premier film, L’Horloger de Saint-Paul. Il avait publié un dernier article dans cette revue en mai 2020 (n°711) : Éloge d’un ami, Didier Bezace 1946-2020. Il rendait hommage à cet excellent acteur et metteur en scène, décédé le 11 mars 2020 qui avait joué dans trois de ses films : L 627 (1992), Ça commence aujourd’hui (1999) et Quai d’Orsay (2013) .

Le dernier film de fiction de Bertrand Tavernier est justement Quai d’Orsay. Il avait adapté la bande dessinée d’Abel Lanzac et Christophe Blain : Quai d’Orsay. L’intrigue de Quai d’Orsay était une caricature du Ministère des Affaires étrangères et racontait l’expérience particulière d’Arthur Vlaminck, un jeune fonctionnaire engagé dans l’équipe du cabinet d’un certain Alexandre Taillard de Worms (fortement inspiré par Dominique de Villepin). Raphael Personnaz incarnait le jeune héros et Thierry Lhermitte le ministre.

Bertrand Tavernier (Christophe Blain).

Raimon

Raimon. Barcelona, Poblenou. 1963. (Oriol Maspons 1928 – 2013)

Al vent (Al viento), c’est le titre d’une célèbre chanson de l’auteur-compositeur valencien Raimon (Ramón Pelegero Sanchis – Játiva, 1940). Elle a été composée en 1959 et enregistrée sur son premier disque Raimon: Al Vent, La Pedra, Som, A Cops en février 1963, il y a soixante ans. Cette chanson est devenue dans les années 60 et 70 le symbole de l’opposition au franquisme en Espagne. L’auteur tentait de transmettre les désirs de liberté de la jeunesse espagnole. Il a composé cette chanson lors d’un voyage en Vespa entre sa ville natale Játiva (Xàtiva) et Valence où il faisait des études d’histoire. Les paroles parlent de la recherche de la lumière, de la paix et de dieu avec une minuscule. Elle exprime l’esprit de liberté de la jeunesse. Il s’agit d’un cri, d’une proclamation reprise maintes fois par les jeunes espagnols dans les années 60 et 70. Elle a échappé à la censure car il s’agissait d’une chanson existentielle, et non directement politique comme plus tard Diguem no ou Jo vinc d’un silenci.

Concert de Raimon à l’ Université Complutense de Madrid. Faculté de sciences politiques et d’économie. 18 mai 1968. (Juan Santiso).

60 anys d’Al vent, La col·lecció d’art de Raimon i Annalisa, c’est le titre d’une exposition inaugurée le 16 février 2023 à la Casa de l’Ensenyança – Museu de Bellas Artes de Xàtiva. Elle durera jusqu’au 20 mars. C’est la première manifestation organisée par La Fundació Raimon i Annalisa, créée par le chanteur et son épouse pour mettre en valeur le legs de cet artiste. Les 62 oeuvres proposées proviennent de la collection du chanteur et de sa femme. Elles ont été créées par des artistes qui ont été le plus souvent des amis de l’auteur (Andreu Alfaro, Joan Miró, Artur Heras, Antoni Tàpies, Juan Genovés, Josep Guinovart, Manuel Boix, Josep Armengol, Eduardo Chillida, Julio González). Cette institution, Centro Raimon de Actividades Culturales – CRAC de Xàtiva, sera hébergée à l’avenir dans le monastère de Santa Clara de Játiva qui est en cours de restauration.

Al vent

Al vent

La cara al vent
El cor al vent
Les mans al vent
Els ulls al vent
Al vent del món
I tots
Tots plens de nit
Buscant la llum
Buscant la pau
Buscant a déu
Al vent del món

La vida ens dóna penes
Ja el nàixer és un gran plor
La vida pot ser eixe plor
Però nosaltres

Al vent
La cara al vent
El cor al vent
Les mans al vent
Els ulls al vent
Al vent del món

I tots
Tots plens de nit
Buscant la llum
Buscant la pau
Buscant a déu
Al vent del món
Buscant a déu
Al vent del món

https://www.youtube.com/watch?v=qHgaLK2c_6E

Logo de la fondation.

Carlos Saura 1932 – 2023

Carlos Saura, le dernier metteur en scène classique du cinéma espagnol, est mort le 10 février 2023 chez lui à Collado Mediano (Madrid) à 91 ans. Il était né à Huesca (Aragon) le 4 janvier 1932.

Je me souviens particulièrement de ses films des années 60 et 70.

1966 La caza.
1967 Peppermint frappé.
1969 La madriguera.
1970 El jardín de las delicias.
1973 Ana y los lobos.
1974 La prima Angélica.
1976 Cria cuervos.
1977 Elisa, vida mía.
1978 Los ojos vendados.
1979 Mamá cumple cien años.

C’était aussi un excellent photographe. Je me rappelle en 2017 une belle exposition de ses œuvres au Musée Cerralbo de Madrid, Carlos Saura. España años 50, dans le cadre du festival PhotoEspaña. On pouvait voir des photos de Madrid, Cuenca, Sanabria, des villages de Castille et de l’Andalousie de cette époque. Cette Espagne encore essentiellement rurale paraît loin de la réalité actuelle, mais nous l’avons connue enfant. Le regard de Carlos Saura fait preuve d’empathie envers ce peuple travailleur qui a subi les désastres de la Guerre Civile et une après-guerre interminable.

“ El fotógrafo es como un bacalao, que produce un montón de huevos para que madure uno solo ”.

Luis Cernuda

Torremolinos. Mirador de Sansueña. Luis Cernuda.

Le poète Luis Cernuda arrive par bateau à New York en septembre 1947. Il a quitté l’Espagne le 14 février 1938. C’est un exilé qui a passé dix ans en Grande-Bretagne. Il a subi les difficultés de la Seconde Guerre mondiale (pénuries, bombardements). Il va rejoindre le Mount Holyoke College (Massachusetts), établissement d’enseignement supérieur pour jeunes filles. Son amie Concha de Albornoz (1900-1972) lui a obtenu un poste de professeur. Il y enseigne de 1947 à 1952. L’arrivée à New York lui procure une forte émotion. Une nouvelle vie s’ouvre à lui après son expérience britannique qu’il a supporté avec difficulté. Il écrit en 1956 le poème en prose La llegada, publié dans l’édition de 1963 d’Ocnos. Nous trouvons dans ce texte la présentation classique de New York. Le poète met en valeur la belle architecture géométrique de la ville (« la línea de rascacielos sobre el mar, esbozo en matices de sutileza extraordinaria, un rosa, un lila, un violeta como los de la entraña en el caracol marino, todos emergiendo de un gris básico graduado desde el plomo al perla. »), mais insiste aussi sur la réalité sociale qui asphyxie l’individu. Cet aspect est bien mis en valeur par les démarches bureaucratiques auxquelles les autorités douanières le soumettent. Ces sentiments contradictoires sont résumés par l’antithèse : «ciudad abrupta y maravillosa»

La llegada

Despierto mucho antes del amanecer, levantado, duchado y vestido, listo el equipaje, te sentaste en el salón vacío. Todo, salones, pasillos y cubierta del buque, estaba desierto. Tras de los ventanales sólo el negror confundido del mar y del ciclo, aunque del mar se distinguiera siempre su trueno, apenas apercibido ya, con la medio costumbre adquirida en los días de travesía y la zozobra impaciente de la llegada a tierra y ciudad nuevas, aunque imaginadas de antiguo. La luz se fue haciendo y parecía que faltaba bastante para divisar la costa.

Sentado por largo espacio de espaldas a la hilera de ventanales, un presentimiento te hizo volver de pronto la cabeza. Ya estaba allí: la línea de rascacielos sobre el mar, esbozo en matices de sutileza extraordinaria, un rosa, un lila, un violeta como los de la entraña en el caracol marino, todos emergiendo de un gris básico graduado desde el plomo al perla. La cresta de los edificios contra el cielo y el borde contiguo del cielo estaban marcados de amarillo por un sol invisible, y a un lado y a otro ese eje de luz se oscurecía con noche y con mar en lo más alto y lo más bajo del horizonte.

Cuántas veces lo habías visto en el cine. Pero ahora eran la costa y la ciudad reales las que aparecían ante ti; sin embargo, qué aire de irrealidad tenían. ¿Eras tú quien estaba allí? ¿Estaba ante ti la ciudad que esperabas? Parecía tan hermosa, más hermosa que todo lo supuesto antes en imagen e imaginación; tanto, que temías fuera a desvanecerse como espejismo, que el buque estaba aún en camino, que no ibas a llegar nunca, condenado a vagar indefinidamente, alma desencarnada, entre el abismo ventoso del aire y el abismo furioso del agua.

Mas era la realidad: las molestias innumerables con que los hombres han sabido y tenido que rodear los actos de la vida (pasaportes, permisos, turnos de espera, examen policíaco, aduana) te lo probaron de manera tajante. Y más de siete horas después, terminado el acoso del animal humano, pudiste salir libre, del cobertizo de la aduana en el muelle a la luz del mediodía: al fin pisabas la ciudad que entreviste, fabulosa como un leviatán, surgiendo del mar de amanecida.

Parecía ahora tan trivial, igual en calles pardas y casas sórdidas a aquella Escocia aborrecible, dejada atrás hacía años. Pero eran sólo los suburbios; la ciudad verdadera estaba adentro, toda tiendas con escaparates brillantes y tentadores, como juguetes en día de reyes o día del santo, empavesada de banderas bajo un cielo otoñal claro que encendía los colores, alegre con la alegría envidiable de la juventud sin conciencia. Y te adentraste por la ciudad abrupta, maravillosa, como si tendiera hacia ti la mano llena de promesas.

Ocnos, 1963.

Luis Cernuda a intitulé Ocnos un recueil de 31 poèmes en prose, publié en 1942 à Londres. Il y recrée avec mélancolie et désespoir ses souvenirs d’enfance et d’adolescence de Séville depuis son exil à Glasgow (Écosse). Le livre aura deux autres éditions en 1949 (46 poèmes), à Madrid, et en 1963 à Xalapa (Mexique) (63 poèmes). Il y ajoute chaque fois de nouvelles expériences de son exil. Luis Cernuda est mort à México le 5 novembre 1963 quelques jours avant de recevoir les premiers exemplaires de l’édition définitive dont il avait corrigé les épreuves. Il existe une traduction en français de Jacques Ancet. Elle a été publiée par Les Cahiers des Brisants en 1987.

                                                                                                                                                     

Francesc Tosquelles 1912 – 1994 – Paul Éluard

Francesc Tosquelles soulevant une sculpture d’Auguste Forestier. Saint-Alban, 1947.

Du 28 septembre 2022 au 27 mars 2023 au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía de Madrid (Bâtiment Sabatini, 3 ème étage), on peut voir une exposition passionnante et peu commune : Francesc Tosquelles Como una máquina de coser en un campo de trigo. Elle a été présentée d’abord aux Abattoirs de Toulouse (14 octobre 2021-6 mars 2022), puis au Centre de Culture Contemporaine de Barcelone (8 avril-28 août 2022).

Francesc Tosquelles est un psychiatre espagnol. Il est né à Reus (Catalogne) le 22 août 1912 et décédé à Granges-sur-Lot le 25 septembre 1994. Il a exercé d’abord à l’Institut Pere Mata de Reus. Catalaniste, marxiste, militant du Bloc ouvrier et paysan (BOC), puis du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM), c’est un grand connaisseur de la psychanalyse. Barcelone est dans les années trente la Vienne espagnole. Pendant la Guerre Civile, il exerce comme médecin capitaine dans des hôpitaux de campagne près du front (Sarineña, Guadalajara). Il doit s’exiler en 1939. En France, il est enfermé comme tant d’autres républicains espagnols dans le camp de concentration de Septfonds (Tarn-et-Garonne). Il travaille ensuite à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère) de 1940 à 1962. D’abord employé comme infirmier, il doit refaire sa formation, le gouvernement français ne reconnaissant pas ses diplômes espagnols. Après avoir franchi tous les échelons de la hiérarchie hospitalière, il devient psychiatre et est nommé médecin directeur de l’hôpital en 1953. Il occupait en réalité la fonction depuis au moins dix ans. Pendant la guerre, il y a à Saint-Alban environ 900 malades. La population du bourg n’est, elle, que de 2000 à 3000 habitants. Á l’époque de la République espagnole, il a déjà abordé les racines sociales de la maladie mentale et humanisé l’institution psychiatrique. En France, il développe une pratique radicalement novatrice, mêlant l’exercice clinique, la politique et la culture. Il réussit à nourrir ses malades alors que le médecin de Lyon Max Lafont rappelle dans son livre (L’Extermination douce : la mort de 40 000 malades mentaux dans les hôpitaux psychiatriques en France, sous le Régime de Vichy. AREFPPI, Toulouse, 1987) que 40 000 malades mentaux sont morts de faim dans les asiles de l’Hexagone pendant la Guerre. Il est à l’origine avec Lucien Bonnafé (1912-2003) de la psychothérapie institutionnelle. Tous deux ont en 1942 fondé La Société du Gévaudan.

Le titre de l’exposition évoque la célèbre phrase de Lautréamont : « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie. » (Les Chants de Maldoror, 1869), reprise souvent par le mouvement surréaliste. Francesc Tosquelles a fait de l’artisanat, de l’écriture, de l’art, du cinéma, du théâtre des instruments essentiels de la thérapie. Il a voulu relier la terre, le travail collectif, l’imagination et la nature. Des poètes comme Paul Éluard (Souvenirs de la maison des fous, 1946) et Tristan Tzara (Parler seul, 1948-50) se sont refugiés là pendant la guerre ainsi que des résistants et des Juifs. Ces activités ont donné naissance après-guerre à la notion d’art brut. Jean Dubuffet a acheté à Saint-Alban en septembre 1945 les premières œuvres d’art brut (celles d’Auguste Forestier 1887-1958 et Marguerite Sirvins 1890-1957, internés dans ce centre). Jean Oury, Frantz Fanon, Roger Gentis, Félix Guattari sont aussi passés par Saint-Alban. Les malades ont imprimé la thèse de Jacques Lacan De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité (1932) à l’imprimerie du club.

On trouve dans l’exposition des documents, des photographies, des enregistrements dans lesquels Tosquelles expose sa conception de la pratique psychiatrique. On peut voir aussi des œuvres créées par des artistes et des malades mentaux de l’hôpital de Saint-Alban provenant de la Collection de l’Art Brut de Lausanne et d’autres collections particulières.

Maison (Auguste Forestier) 1934. LaM, Villeneuve d’Ascq.

Je conseille le livre récent de Joana Masó : Tosquelles. Curar las instituciones. Arcadia/ Atmarcadia, 2022.

On peut aussi écouter les émissions de France-Culture : Á Barcelone, une exposition consacrée à François Tosquelles, figure majeure de l’histoire de la psychiatrie (6 minutes) du 6 juin 2022.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaire-a-suivre/a-barcelone-une-exposition-consacree-a-francois-tosquelles-figure-majeure-de-l-histoire-de-la-psychiatrie-7147706

Saint-Alban, lieu d’hospitalité (1/2) : Un asile à l’abri de la folie du monde (28 minutes) du 4 mai 2020.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/saint-alban-lieu-d-hospitalite-1-2-un-asile-a-l-abri-de-la-folie-du-monde-8206154

Saint-Alban, lieu d’hospitalité (2/2) : Une révolution psychiatrique (28 minutes) du 4 mai 2020.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/saint-alban-lieu-d-hospitalite-2-2-une-revolution-psychiatrique-4342133

Francesc Tosquelles était hétérodoxe, excentrique, éclectique, mais aussi pragmatique. Il ne manquait pas d’humour.

“Los maestros que tenemos son los enfermos, no tenemos otro maestro, todos los demás maestros elaboran teorías”.

“El miedo a morir vestidos lo tenemos todos”.

“El inconsciente no existe, insiste pero no existe”.

“El genio catalán es surrealista genéticamente, nunca se sabe si hablamos en serio o desbarramos, hay que desbarrar.”.

“Cuando nos paseamos por el mundo, lo que cuenta no es la cabeza, son los pies. Saber dónde pisas”.

“El exilio se inscribe en los pies, porque son los que cruzan las fronteras”.

« Un malade va d’un espace à l’autre, il ne peut pas rester à l’arrêt, l’important, c’est son trajet. L’important est de se libérer de l’oppression : le droit au vagabondage, c’est le premier droit du malade. »

« La Société du Gévaudan produit, produit et produit, et, à ce moment-là, il est impossible de dire qui est le fait de quoi et le fait de qui, tellement la réalité du travail collégial à Saint-Alban a été profonde. Vraiment, le producteur, c’est la Société du Gévaudan. »

« Pour préparer les lendemains qui chantent, on parlait alors psychiatrie, on révisait les concepts de base et les types d’action possibles. On analysait l’hôpital psychiatrique, et on disait, entre blague et sérieux, que l’hôpital, c’était un marquisat, le territoire d’un marquis. La structure du médecin-chef était celle du châtelain, avec les classes sociales étagées, les infirmiers, les malades…»

« Une institution, c’est un lieu d’échanges, c’est un lieu où le commerce, c’est-à-dire les échanges, devient possible. Donc le problème pour moi, à Saint-Alban, était simplement de faire que dans l’hôpital soit possible qu’il existe des institutions : d’où l’accent qu’on a mis sur le club comme un appareil qui permettait de faire éclater l’établissement classique et de faciliter qu’il survienne à sa place un ensemble de lieux institutionnels. »

« Je pense que lorsque tu poses les bases d’une psychothérapie, institutionnelle ou non, on part toujours d’une feuille blanche, d’une page blanche. Tu invites quelqu’un à utiliser une feuille de dessin. »

« L’action du psychothérapeute n’est pas celle de faire le pape, mais de tendre des ponts. Parce que la caractéristique du malade – mais aussi de celui qui est bien – est d’être sur une berge, puis sur une autre, mais d’oublier le pont. »

« Rien ne va jamais de soi. Le travail n’est jamais terminé qui transforme un établissement de soins en institution, une équipe soignante en collectif. C’est l’élaboration constante des moyens matériels et sociaux, des conditions conscientes et inconscientes d’une psychothérapie. Et celle-ci n’est pas le fait des seuls médecins ou spécialistes, mais d’un agencement complexe où les malades eux-mêmes ont un rôle primordial. »

” L’isolement est au cœur du problème de l’origine de la maladie et au cœur de cette démarche thérapeutique. »

Pour conclure, voici un poème de Paul Éluard, écrit à Saint-Alban en 1943.

Le cimetière des fous

Ce cimetière enfanté par la lune
Entre deux vagues de ciel noir
Ce cimetière archipel de mémoire
Vit de vents fous et d’esprits en ruine

Trois cents tombeaux réglés de terre nue
Pour trois cents morts masqués de terre
Des croix sans nom corps du mystère
La terre éteinte et l’homme disparu

Les inconnus sont sortis de prison
Coiffés d’absence et déchaussés
N’ayant plus rien à espérer
Les inconnus sont morts dans la prison

Leur cimetière est un lieu sans raison

Asile de Saint-Alban, 1943.

Le lit la table. Éditions des Trois Collines, Genève, 1944.

Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère). Ancien cimetière de l’Hôpital désaffecté. On y trouve une stèle avec le poème de Paul Eluard.