
Dans Los nombres de Feliza (Alfaguara, 2025), la biographie romancée de Juan Gabriel Vásquez, un des personnages évoqués est Jorge Gaitán Durán.
Cet écrivain était un célèbre poète et journaliste colombien. Il faisait partie du groupe des Cuadernícolas avec Fernando Charry Lara, Álvaro Mutis, Rogelio Echavarría, Guillermo Payán Archer, Jaime Ibáñez, Maruja Vieira et Fernando Arbeláez.
Il fonda la revue Mito avec l’essayiste Hernando Valencia Goelkel (1928-2004). Entre mai 1955 et juin 1962, ils publièrent 42 numéros. Cette revue eut une grand influence sur la littérature colombienne. Elle publia, entre autres, des auteurs comme Alfonso Reyes, Gabriel García Márquez (Pas de lettre pour le colonel en 1958), Octavio Paz, Jorge Luis Borges, Julio Cortázar, Eduardo Cote Lamus, Carlos Fuentes, Alejandra Pizarnik.
Jorge Gaitán Durán participa au mouvement de la jeunesse colombienne favorable à la candidature du libéral Jorge Eliécer à la présidence de la République. Ce dernier fut assassiné le 9 avril 1948 à Bogotá.
Il voyagea en Europe en 1950 (France, Italie, Espagne, Belgique, Pays-bas, Union Soviétique) et en l’Asie (Chine). Pendant ces voyages, il rencontra Nazim Hikmet, José Manuel Caballero Bonald, Vicente Aleixandre, Mao Tse Toung. Il épousa Dina Moscovici qu’il connut en Italie. Leur fille, Paula, naquit à Paris en novembre 1952. Le couple divorça en 1958. Jorge Gaitán Durán vécut ensuite avec la sculptrice Feliza Bursztyn (1933-1982)
Ses écrits sur Sade en 1955 firent scandale dans son pays : Sade contemporáneo (Diálogo entre un sacerdote y un moribundo) et Monsieur Le Six – Marqués de Sade (préface de Gilbert Lely).
Il publia les œuvres poétiques suivantes :
1946 Insistencia en la tristeza.
1947 Presencia del hombre.
1951 Asombro.
1959 Amantes.
1962 Si mañana despierto (Anthologie)
Le 21 juin 1962, il mourut à 38 ans dans un accident d’avion. Le vol Air France 117 qui reliait Paris à Santiago via Lisbonne, Santa Maria (Açores), Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), Bogota et Lima s’écrasa lors de l’atterrissage en Guadeloupe sur le morne du Dos d’Âne à Deshaies. Bilan : 113 morts.

La revue Érudit (Volume 45, numéro 3 (261), septembre 2003, La poesía tiene la palabra) a publié deux poèmes traduits en français de cet auteur.
Se juntan desnudos (Jorge Gaitán Durán)
Dos cuerpos que se juntan desnudos
Solos en la ciudad donde habitan los astros
Inventan sin reposo al deseo.
No se ven cuando se aman, bellos
O atroces arden como dos mundos
Que una vez cada mil años se cruzan en el cielo.
Solo en la palabra, luna inútil, miramos
Cómo nuestros cuerpos son cuando se abrazan,
Se penetran, escupen, sangran, rocas que se destrozan,
Estrellas enemigas, imperios que se afrentan.
Se acarician efímeros entre mil soles
Que se despedazan, se besan hasta el fondo,
Saltan como dos delfines blancos en el día,
Pasan como un solo incendio por la noche.
Amantes, 1959.
Unis dans la nudité
Deux corps nus qui s’entrelacent
Seuls dans la ville habitée par les astres
Sans repos ils inventent le désir.
Sans se voir quand ils s’aiment, dans leur beauté
Ou dans l’horreur, ils brûlent comme deux mondes
Qui traversent le ciel une fois tous les mille ans.
Seulement dans le mot, lune inutile, nous voyons
Comment sont nos corps lorsqu’ils s’étreignent,
Se pénètrent, crachent, saignent, des roches qui se fracassent.
Étoiles ennemies, empires qui s’affrontent.
Ils se caressent éphémères entre mille soleils
Qui se déchirent, s’embrassent jusqu’aux abîmes.
Sautent comme des dauphins blancs en plein jour.
Ils passent comme un incendie seul au milieu de la nuit.
Amantes (Jorge Gaitan Duran)
Somos como son los que se aman.
Al desnudarnos descubrimos dos monstruosos
Desconocidos que se estrechan a tientas,
Cicatrices con que el rencoroso deseo
Señala a los que sin descanso se aman :
El tedio, la sospecha que invencible nos ata
En su red, como en la falta dos dioses adúlteros.
Enamorados como dos locos,
Dos astros sanguinarios, dos dinastías
Que hambrientas se disputan un reino,
Queremos ser justicia, nos acechamos féroces,
Nos engañamos, nos inferimos las viles injurias
Con que el cielo afrenta a los que se aman.
Solo para que mil veces nos incendie
El abrazo que en el mundo son los que se aman
Mil veces morimos cada dia.
Amantes, 1959.
Amants
Nous sommes comme ceux qui s’aiment.
Nous dénudant nous découvrons deux inconnus
Monstrueux qui s’étreignent à tâtons.
Cicatrices par lesquelles le désir rancunier
Révèle ceux qui s’aiment sans repos :
L’ennui, le soupçon qui invincible nous attrape
Dans son filet, comme dans la faute deux dieux adultères.
Amoureux comme deux fous,
Deux astres sanguinaires, deux dynasties
Qui affamées se disputent un règne,
Nous voulons être la justice, nous nous harcelons féroces,
Nous nous dupons, nous lançant de viles injures
Avec lesquelles le ciel punit ceux qui s’aiment.
Seulement pour que mille fois nous enflamme
L’étreinte qui dans le monde est à ceux qui s’aiment
Mille fois nous mourons chaque jour.
