August Sander -Persécutés / persécuteurs, des hommes du XX ème siècle

August Sander à Kuchhausen v 1956-58

Je connais depuis assez longtemps August Sander (1876-1964) , l’un des pères du style documentaire. J’ai dans ma bibliothèque un petit coffret publié par Fnac Galeries en 1980. J’ai vu une exposition de ses photos, il y a quelques années à Madrid lors de PhotoEspaña.

En 1910, ce photographe, fils de mineur, établit son studio à Cologne. En 1919, il renonce à une carrière de portraitiste commercial. Il conçoit son projet Hommes du XX ème siècle, une Comédie Humaine en photos. Il s‘agit, pour lui, de faire l’inventaire social de l’Allemagne de son temps. Seul, il parcourt l’Allemagne. Contemporain du Leica, il utilise pourtant presque toujours un appareil photographique à plaque. Il lui arrive de travailler dans la rue, mais ne vole jamais une photo. En 1929, il publie à Cologne un premier livre Le Visage de ce temps, un choix de 60 portraits des Hommes du XX ème siècle. Il est préfacé par le romancier Alfred Döblin qui édite la même année son chef d’oeuvre, Berlin Alexanderplatz. Celui-ci qualifie la méthode du photographe de «photographie comparée». Walter Benjamin le remarque aussi et affirme: «Tout à coup, le visage humain a pris sur la pellicule, une nouvelle, une incomparable signification. Il ne s’agissait plus de portrait. Mais de quoi s’agissait-il donc!»

Ces silhouettes, ces visages, évoquent la société allemande de la République de Weimar au III ème Reich. Son projet n’est pas directement politique, même s’il a subi l’influence des artistes du groupe Kölner Progressive. Son fils Erich, étudiant en philosophie, né en 1903, est membre du Parti socialiste ouvrier d’Allemagne; lui, plutôt socialiset et pacifiste. Dès 1936, les nazis interdisent son livre et détruisent 50 000 clichés conservés dans son studio de Cologne. Les négatifs seront, heureusement, sauvés. A partir de 1938, il se met à réaliser des photographies d’identité de Juifs persécutés, de travailleurs étrangers et de prisonniers politiques. La plupart n’ont pas été publiées de son vivant, mais ses héritiers continuent d’explorer cette oeuvre riche de 40 000 images. Ils ont aussi retrouvé dans leurs archives des portraits de leaders nazis, d’officiers SS ou de membres des jeunesses hitlériennes. Les bourreaux sont aujourd’hui confrontés à leurs victimes.

Son fils, Erich est arrêté en 1934 et condamné à dix ans de prison pour «haute trahison». Il obtient le poste de photographe officiel de la prison où il réalise de très beaux portraits de prisonniers politiques, montrées aussi dans l’exposition. Il meurt le 23 mars 1944, peu avant la fin de sa peine, d’une appendicite non soignée.

Le projet d’August Sander a donc été modifié. Il a ajouté quatre catégories: prisonniers politiques, travailleurs immigrés, nationaux-socialistes et persécutés. Ceux-ci, les Juifs de sa ville, Cologne, ne fixent pas l’objectif. Ils regardent déjà ailleurs. La plupart des 16 000 Juifs de Cologne disparaîtront dans les camps.

Ces images inédites ont été, pour la plupart, tirées à l’occasion de cette exposition impressionnante au mémorial de la Shoah. Elle s’achève sur le cliché du masque mortuaire d’Erich Sander que son père avait accroché dans son bureau.

Quelque citations de cet artiste: «Dans chaque visage d’homme, son histoire est écrite de la façon la plus claire. L’un sait la lire, l’autre non. La vie y laisse immanquablement ses traces»

«Si moi, August Sander, je prétends voir les choses comme elles sont et non comme elles devraient ou pourraient être, que l’on m’en excuse, mais je ne peux faire autrement» (1927)

Il qualifie la photographie par trois mots: «Voir, observer, penser»

«August Sander -Persécutés / persécuteurs, des hommes du XX ème siècle» Mémorial de la Shoah 17, rue Geoffroy l’Asnier 75004-Paris. Commissaires : Sophie Nagiscarde et Marie-Edith Agostini.

http://www.memorialdelashoah.org/

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