Guillaume Apollinaire

Portrait (prémonitoire) de Guillaume Apollinaire. Printemps 1914. Paris, Centre Georges Pompidou.

11 novembre 2020. La Première Guerre mondiale (1914-1918) était encore très présente et marquante dans les lectures de ma génération. Premier livre de poche lu vers 1963-1964: À l’Ouest, rien de nouveau (1929) de Erich Maria Remarque . 1968-1969. Année de Terminale: Voyage au bout de la nuit (1932) de Louis-Ferdinand Céline. Surtout la première partie. L’auteur qualifie la guerre d’« abattoir international en folie ». Comme Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou, le poème d’Apollinaire peut nous réconforter dans cette période de confinement.

La Jolie rousse

Me voici devant tous un homme plein de sens
Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître
Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour
Ayant su quelquefois imposer ses idées
Connaissant plusieurs langages
Ayant pas mal voyagé
Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie
Blessé à la tête trépané sous le chloroforme
Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte
Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir
Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre
Entre nous et pour nous mes amis
Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention
De l’Ordre et de l’Aventure

Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu
Bouche qui est l’ordre même
Soyez indulgents quand vous nous comparez
À ceux qui furent la perfection de l’ordre
Nous qui quêtons partout l’aventure
Nous ne sommes pas vos ennemis
Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines
Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité

Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait
Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir
Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières
De l’illimité et de l’avenir
Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés
Voici que vient l’été la saison violente
Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps
Ô Soleil c’est le temps de la Raison ardente
Et j’attends
Pour la suivre toujours la forme noble et douce
Qu’elle prend afin que je l’aime seulement
Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant
Elle a l’aspect charmant
D’une adorable rousse

Ses cheveux sont d’or on dirait
Un bel éclair qui durerait
Ou ces flammes qui se pavanent
Dans les roses-thé qui se fanent

Mais riez riez de moi
Hommes de partout surtout gens d’ici
Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire
Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire
Ayez pitié de moi.

Calligrammes, Poèmes de la paix et de la guerre 1913-1916. Mercure de France, 15 avril 1918.

Voltaire – Le fanatisme

Paris. Square Honoré Champion. Statue de Voltaire (Léon Drivier).

Dictionnaire philosophique portatif, 1764.

«Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend ses songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances; il pourra bientôt tuer pour l’amour de Dieu.
Barthélemy Diaz fut un fanatique profès. Il avait à Nuremberg un frère, Jean Diaz, qui n’était encore qu’enthousiaste luthérien, vivement convaincu que le pape est l’Antéchrist, ayant le signe de la bête. Barthélemy, encore plus vivement persuadé que le pape est Dieu en terre, part de Rome pour aller convertir ou tuer son frère: il l’assassine; voilà du parfait: et nous avons ailleurs rendu justice à ce Diaz.
Polyeucte, qui va au temple, dans un jour de solennité, renverser et casser les statues et les ornements, est un fanatique moins horrible que Diaz, mais non moins sot. Les assassins du duc François de Guise, de Guillaume prince d’Orange, du roi Henri III, du roi Henri IV, et de tant d’autres, étaient des énergumènes malades de la même rage que Diaz.
Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n’allaient point à la messe. Guyon, Patouillet, Chaudon, Nonotte, l’ex-jésuite Paulian, ne sont que des fanatiques du coin de la rue, des misérables à qui on ne prend pas garde: mais un jour de Saint-Barthélemy ils feraient de grandes choses.
Il y a des fanatiques de sang-froid: ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n’ont d’autre crime que de ne pas penser comme eux; et ces juges-là sont d’autant plus coupables, d’autant plus dignes de l’exécration du genre humain, que, n’étant pas dans un accès de fureur comme les Clément, les Chastel, les Ravaillac, les Damiens, il semble qu’ils pourraient écouter la raison.
Il n’est d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal; car dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes; la religion, loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. Ces misérables ont sans cesse présent à l’esprit l’exemple d’Aod qui assassine le roi Églon; de Judith qui coupe la tête d’Holopherne en couchant avec lui; de Samuel qui hache en morceaux le roi Agag; du prêtre Joad qui assassine sa reine à la porte aux chevaux, etc. Ils ne voient pas que ces exemples, qui sont respectables dans l’Antiquité, sont abominables dans le temps présent: ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne.
Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage: c’est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre.
Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant?
Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J’ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de saint Pâris, s’échauffaient par degrés parmi eux: leurs yeux s’enflammaient, tout leur corps tremblait, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits.
Oui, je les ai vus ces convulsionnaires, je les ai vus tendre leurs membres et écumer. Ils criaient: « Il faut du sang.» Ils sont parvenus à faire assassiner leur roi par un laquais, et ils ont fini par ne crier que contre les philosophes.
Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils ressemblent à ce Vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nommerait. Il n’y a eu qu’une seule religion dans le monde qui n’ait pas été souillée par le fanatisme, c’est celle des lettrés de la Chine. Les sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède ; car l’effet de la philosophie est de rendre l’âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité. Si notre sainte religion a été si souvent corrompue par cette fureur infernale, c’est à la folie des hommes qu’il faut s’en prendre.»

Claude Vigée

(Je remercie Colette W. et Léon-Marc L.)

Claude Vigée.

Le poète Claude Vigée est décédé le 2 octobre à Paris.

Claude Vigée (de son vrai nom Claude André Strauss) est né à Bischwiller (Bas-Rhin) le 3 janvier 1921 dans une famille juive établie en Alsace. Son enfance se passe dans une région où on parlait surtout le dialecte alsacien. Le dialecte bas-alémanique sera donc sa première langue. Il n’apprendra le français qu’à l’école, à l’âge de six ans. Il fait ses études secondaires au collège classique de Bischwiller, puis au lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg. En 1938, il est évacué, puis expulsé d’Alsace avec sa famille à la suite de l’occupation nazie. Étudiant en médecine, il participe à l’organisation de la résistance juive (Action juive) à Toulouse contre l’occupation hitlérienne et le gouvernement de Vichy d’octobre 1940 à fin 1942. Il publie ses premiers vers dans la revue résistante Poésie 42 de Pierre Seghers. Réfugié aux États-Unis au début de 1943, il se marie après la guerre avec sa cousine Évelyne Meyer, et termine son doctorat en langues et littératures romanes en 1947.
Il enseigne la littérature française aux États-Unis, puis à l’Université hébraïque de Jérusalem (Israel) de 1960 à 1984.
Depuis 2001, Claude et Evy Vigée étaient installés à Paris.
Claude Vigée a choisi son nom dans les années 40 “Comme mon aïeul Jacob sortant du gué du Yabbok vainqueur, mais blessé, après le combat avec l’ange, « je boîte, mais vie j’ai -, moi aussi !» Désormais, Claude Vigée sera mon nom, celui d’un poète juif” (Cité in Anne Mounic, La poésie de Claude Vigée, l’Harmattan, 2005, p. 61)

«Qu’est-ce donc que la poésie?»

«Un feu de camp abandonné
qui fume longuement dans la nuit d’été
sur la montagne déserte».

En 1978, une anthologie de ses poèmes est publiée dans la collection Poètes d’aujourd’hui (éditions Seghers).

La meilleure introduction à son œuvre est l’anthologie publiée en poche en 2013: L’homme naît grâce au cri, poésies choisies (1950-2012), Points Seuil. 336 pages, 7,8 euros. Édition établie, présentée et annotée par Anne Mounic.

On peut aussi trouver une édition complète de son oeuvre sur papier bible: Mon heure sur la terre. Éditions Galaade. 2008. Poésies complètes, 1936-2008.

La grande Passacaille


Écoute le roulement des galets dans la mer!
Hors les murs nus de l’être prolongeant
la hantise de la musique muette,
soudain murmurent en nous les flûtes du crépuscule.
Dans le passage de notre souffle mortel
les mots tracent le sens que nous espérions rencontrer
en explorant du regard
chaque soir chaque matin qui hennit en plein ciel –
la bouche ouverte boit
le vent pluvieux toujours resurgissant,
le vent qui vient d’ailleurs
et porte en soi comme une absence
le silence pareil au germe jaillissant
hors du commencement sans visage et sans lieu:
respirer de nouveau, plonger dans le temps fabuleux des noces
où s’étreignent le jour et la nuit emmêlés.
Afflux divin du livre qui en porte le rythme
comme une lame de fond arrachée au ventre de la mer,
chevaux d’écume dansant, caracolant, puis tout à coup
se cabrant pour jouir
jusqu’à la crête mortelle et blanchissante du ressac.

Juillet 2001 – septembre 2002.

Danser vers l’abîme, in Dans le Creuset du Vent, Essais, Poésie, entretiens, Parole et Silence, 2003, p. 161.

Michael Lonsdale – Albert Camus

Michael Lonsdale. Paris, Mai 1988.

L’acteur franco-britannique Michael Lonsdale est décédé le 21 septembre 2020 à Paris, il avait 89 ans. Il avait lu en 2008 L’Etranger (1942), la première oeuvre d’Albert Camus parue en livre-audio chez Ecoutez Lire/Gallimard. Le début du roman peut être écouté gratuitement sur ce lien.

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Ecoutez-lire/L-Etranger3?fbclid=IwAR1rJ8QmJIV-kDLf59lexpNQtC3cA37u4AftGetbuzfLRNNRBP_IVSyz6I0

“Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.
L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus à deux heures et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.”

Luis Cernuda

Luis Cernuda (Gregorio Prieto), 1939.

Luis Cernuda, poète espagnol, républicain et homosexuel, de la Génération de 1927, est né le 21 septembre 1902 à Séville. Exilé en 1938 au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et enfin au Mexique, il est mort sans revoir son pays le 5 novembre 1963 à Mexico. Il avait 61 ans.

He venido para ver

He venido para ver semblantes
Amables como viejas escobas,
He venido para ver las sombras
Que desde lejos me sonríen.

He venido para ver los muros
En el suelo o en pie indistintamente,
He venido para ver las cosas,
Las cosas soñolientas por aquí.

He venido para ver los mares
Dormidos en cestillo italiano,
He venido para ver las puertas,
El trabajo, los tejados, las virtudes
De color amarillo ya caduco.

He venido para ver la muerte
Y su graciosa red de cazar mariposas,
He venido para esperarte
Con los brazos un tanto en el aire,
He venido no sé por qué;
Un día abrí los ojos: he venido.

Por ello quiero saludar sin insistencia
A tantas cosas más que amables:
Los amigos de color celeste,
Los días de color variable,
La libertad del color de mis ojos;

Los niñitos de seda tan clara,
Los entierros aburridos como piedras,
La seguridad, ese insecto
Que anida en los volantes de la luz.

Adiós, dulces amantes invisibles,
Siento no haber dormido en vuestros brazos.
Vine por esos besos solamente;
Guardad los labios por si vuelvo.

29 de abril de 1931. Poème publié pour la première fois dans la célèbre anthologie de Gerardo Diego: Poesía española: antología 1915-1931. Madrid, 1932.
Los placeres prohibidos, 1931. Ce recueil de Luis Cernuda ne sera publié que dans La realidad y el deseo, 1936.

Je suis venu pour voir

Je suis venu pour voir les têtes
Aimables comme un vieux balai,
Je suis venu pour voir les ombres
Qui me sourient dans le lointain.

Je suis venu pour voir les murs
Qui s’élèvent ou s’effondrent, peu importe,
Je suis venu pour voir les choses,
La rêverie des choses qui nous entourent.

Je suis venu pour voir les mers
Bercées dans leur ronde nacelle,
Je suis venu pour voir les portes,
Le travail, les toitures, les vertus
À la robe jaunie, déjà fanée.

Je suis venu pour voir la mort
Et son divertissant filet de papillons,
Je suis venu pour t’attendre,
Les bras tant soit peu écartés,
Je suis venu qui sait pourquoi;
Un jour, j’ouvris les yeux: je suis venu.

C’est pourquoi, je veux saluer sans insistance
Tant et tant de choses aimables:
Les amis de couleur bleu ciel,
Les jours aux couleurs changeantes,
La liberté aux couleurs de mes yeux;

Les garçonnets de soie si claire,
Les enterrements ennuyeux comme la pierre,
La sécurité, cet insecte
Qui niche au creux des plis de la lumière.

Adieu, mes tendres amants invisibles,
Que n’ai-je pu dormir entre vos bras.
Je ne suis venu que pour vos baisers;
Gardez vos lèvres prêtes, si jamais je reviens.

Les plaisirs interdits. Presse Sorbonne Nouvelle. 2010. Traduction: Françoise ÉTIENVRE, Serge SALAÜN, Zoraida CARANDELL, Laurie-Anne LAGET, Melissa LECOINTRE.

Enrique Irazoqui

Enrique Irazoqui.

Enrique Irazoqui qui avait joué le rôle du Christ dans L’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini (1964) est mort à Cadaqués le 16 septembre 2020. il avait 76 ans. Ce militant communiste, fils d’un père espagnol et d’une mère italienne, était allé en Italie pour y rencontrer les antifascistes italiens afin de les sensibiliser à la lutte antifranquiste et obtenir des fonds pour le syndicat étudiant clandestin qu’il dirigeait à Barcelone (Sindicato Democrático de Estudiantes). Il rencontra Pier Paolo Pasolini par l’intermédiaire d’Elsa Morante en février 1964. Quand le metteur en scène d’Accatone le vit, il s’ approcha de lui et dit « È lui [C’est lui ! ]» Il lui proposa le rôle de Jésus. Enrique Irazoqui refusa dans un premier temps, puis accepta ensuite. La rencontre de Pier Paolo Pasolini, Elsa Morante, Natalia Ginzburg, Alberto Moravia, alors qu’il n’avait que 19 ans, fut une expérience marquante de sa vie. Il fit des études d’économie politique, puis de littérature espagnole et devint professeur aux États-Unis (Minnesota). Cétait un passionné du jeu d’échecs. Il avait joué aux échecs à Cadaqués avec Marcel Duchamp et John Cage.

Vicent Andrés Estellés

Statue de Vicent Andrés Estellés (Teresa Cháfer) . Burjassot (Communauté de Valence). Plaza Emilio Castelar.

Vicent Andrés Estellés est né le 4 septembre 1924 à Burjassot (Communauté de Valence). Il est issu d’un milieu modeste, ses parents sont boulangers. Son père, analphabète, veut que son fils étudie. Vicent Andrés Estellés fera des études de journalisme dans le Madrid de l’après-guerre.  Á partir de 1948, il collabore au journal Las Provincias, dont il deviendra le rédacteur en chef. Il est mort à Valence à 68 ans le 27 mars 1993. Ce poète espagnol, d’expression valencienne,  a été chanté par Ovidi Montllor, Maria del Mar Bonet, Raimon entre autres. D’après Joan Fuster, c’est « le meilleur poète valencien des trois derniers siècles, un nouvel Ausiàs March du XXe siècle ».

Els amants

La carn vol carn (Ausiàs March)

No hi havia a València dos amants com nosaltres.

Feroçment ens amàvem des del matí a la nit.
Tot ho recorde mentre vas estenent la roba.
Han passat anys, molts anys; han passat moltes coses.
De sobta encara em pren aquell vent o l’amor
i rodolem per terra entre abraços i besos.
No comprenem l’amor com un costum amable,
com un costum pacífic de compliment i teles.
Es desperta, de sobta, com un vell huracà,
i ens tomba en terra els dos, ens ajunta, ens empeny.
Jo desitjava, a voltes, un amor educat
i en marxa el tocadiscos, negligentment besant-te,
ara un muscle i després el peçó d’una orella.
El nostre amor és un amor brusc i salvatge,
i tenim l’enyorança amarga de la terra,
d’anar a rebolcons entre besos i arraps.
Què voleu que hi faça! Elemental, ja ho sé.
Ignorem el Petrarca i ignorem moltes coses.
Les Estances de Riba i les “Rimas” de Bécquer.
Després, tombats en terra de qualsevol manera,
comprenem que som bàrbars, i que això no deu ser,
que no estem en l’edat, i tot això i allò.

No hi havia a València dos amants com nosaltres,
car d’amants com nosaltres en són parits ben pocs

Llibre de les meravelles, 1956-58, publié en 1971.

Les amants

La chair convoite la chair (Ausiàs March)

Il n’y avait pas à Valence deux amants comme nous.

Nous nous aimions férocement du matin au soir.
Je me souviens de tout cela pendant que tu étends le linge.
Des années ont passé, beaucoup d’années; il s’est passé beaucoup de choses.
Soudain aujourd’hui encore le vent de jadis ou l’amour m’envahissent
et nous roulons par terre dans l’étreinte et les baisers.
Nous n’entendons pas l’amour comme une coutume aimable,
comme une habitude pacifique faite d’obligations et de beau linge
( et que le chaste M. López-Picó nous en excuse ).
Il s’eveille en nous, soudain, comme un vieil ouragan,
et il nous fait tomber tous deux par terre, nous rapproche, nous pousse.
Je souhaitais, parfois, un amour bien poli
et le tourne-disques en marche, et moi qui t’embrasse négligemment,
d’abord l’épaule et ensuite le lobe d’une oreille.
Notre amour est un amour brusque et sauvage,
et nous avons la nostalgie amère de la terre,
de nous rouler dans les baisers et les coups d’ongles.
Que voulez-vous que j’y fasse. Elémentaire, je sais.
Nous ignorons Petrarque et nous ignorons beaucoup de choses.
Les Estances de Riba et les Rimas de Becquer.
Après affalés par terre n’importe comment,
rous comprenons que nous sommes des barbares, et que ce ne sont pas des manières,
que nous n’avons plus l’âge, et ceci et cela.

Il n’y avait pas à Valence deux amants comme nous,
Car des amants comme nous on n’en fait pas tous les jours.

Livres des merveilles. Beuvry. Maison de la Poésie Nord. Pas-de-Calais, 2004.

Poème publié aussi sur ce blog le 27 mars 2018.

Francesc Boix

Francesc Boix après la libération du camp de Mauthausen.

Francesc Boix i Campo est né le 31 août 1920 à Barcelone. Il est mort prématurément le 4 juillet 1951 à Paris, sa santé ayant été fragilisée par la déportation. Photographe et républicain espagnol, il s’exile en France en 1939. Il s’engage dans l’armée française en 1940 et est fait prisonnier. Il est déporté au camp de concentration de Mauthausen le 27 janvier 1941. En tant que photographe de métier, il est affecté au service d’identification du camp. Au péril de sa vie, il dérobe plus de 2000 photographies effectuées.
Il témoigne le matin du 28 janvier 1946 au procès de Nuremberg. Il apporte quelques-unes de ces photos, comme preuves accusatrices contre des membres importants du corps militaire du Troisième Reich. Il est enterré au cimetière parisien de Thiais. Le 16 juin 2017, ses restes sont transférés au Père-Lachaise.

Ernst Kaltenbrunner au côté de Himmler lors d’ une visite du Camp de concentration de Mauthausen. Une des photos présentées par Francesc Boix lors du procès de Nuremberg. Kaltenbrunner prétendit qu’il s’agissait d’un montage. Boix sortit alors les négatifs.

Edith Aron – Julio Cortázar

Édith Aron.

Edith Aron est décédée à Londres le 25 mai 2020. Elle avait 96 ans. Julio Cortázar avait utilisé certains aspects de sa personnalité pour construire le personnage de La Sibylle (La Maga) dans son roman Marelle (Rayuela. 1963).

Elle était née dans une famille juive à Hombourg en Sarre en 1923, mais avait émigré avec sa mère en Argentine avant la Seconde Guerre Mondiale. Elle vécut toute sa jeunesse à Buenos Aires. Elle avait rencontré l’écrivain argentin en 1950 dans le bateau qui les menait en France. Elle revenait alors en Europe pour revoir son père qui avait survécu en France à la guerre.

Elle épousa le peintre britannique John Bergin en 1968. Ils eurent une fille Joanna, chanteuse et photographe. Édith Aron et John Bergin vécurent en Argentine, puis en Angleterre. Ils se séparèrent en 1976. Elle traduisit Julio Cortázar en allemand, mais aussi Jorge Luis Borges, Octavio Paz et Silvina Ocampo. Elle vivait dans un petit appartement du quartier St. John’s Wood à Londres.

Rayuela. 1963.

«¿Encontraría a la Maga? Tantas veces me había bastado asomarme, viniendo por la rue de Seine, al arco que da al Quai de Conti, y apenas la luz de ceniza y olivo que flota sobre el río me dejaba distinguir las formas, ya su silueta delgada se inscribía en el Pont des Arts, a veces andando de un lado a otro, a veces detenida en el pretil de hierro, inclinada sobre el agua. Y era tan natural cruzar la calle, subir los peldaños del puente, entrar en su delgada cintura y acercarme a la Maga que sonreía sin sorpresa, convencida como yo de que un encuentro casual era lo menos casual en nuestras vidas, y que la gente que se da citas precisas es la misma que necesita papel rayado para escribirse o que aprieta desde abajo el tubo de dentífrico.»

“Horacio y la Maga no tenían nada que ver, él analizaba demasiado todo, ella sólo vivía”.

Elle disait: “Yo no soy La Maga. Yo soy mi propia persona”.

Marelle (Rayuela) a été publié en France chez Gallimard en 1967. Traduction: Laure Guille-Bataillon et Françoise Rosset. Réédition: Collection L’Imaginaire n° 51, Gallimard 1979.

Juan Marsé

Juan Marsé chez lui à Barcelone en 2016 (Consuelo Bautista).

Le grand romancier espagnol, Juan Marsé, est mort à l’Hospital Sant Pau de Barcelone samedi 18 juillet. Il avait 87 ans.

Mario Vargas Llosa a déclaré: “Marsé est un des meilleurs auteurs de langue espagnole. Son oeuvre a rendu sa dignité au réalisme littéraire en s’ouvrant au langage de la rue et en triturant férocement les lieux communs.”

Il n’est pas suffisamment connu en France, mais ses romans ont marqué ma génération. Il a été traduit essentiellement chez Christian Bourgois.

Ses trois meilleurs romans sont selon moi:

  • Últimas tardes con Teresa (1966, Seix Barral), Premio Biblioteca Breve.
  • La oscura historia de la prima Montse (1970, Seix Barral).
  • Si te dicen que caí (1973, Novaro), Premio México de Novela.
  • Teresa l’après-midi, traduit par Jean-Marie Saint-Lu, Paris, Christian Bourgois, 1993.
  • L’Obscure Histoire de la cousine Montse, traduit par Michèle Gazier, Paris, Le Sycomore, 1981 ; réédition, Paris, Christian Bourgois, 1989 ; réédition dans une nouvelle traduction de Jean-Marie Saint-Lu, Paris, Éditions Points, coll. « Points » n° P2786, 2012.
  • Adieu la vie, adieu l’amour, traduit par Claude Bleton, Paris, Christian Bourgois, 1992.

Juan Marsé, né Juan Faneca Roca, a perdu sa mère à la naissance. Il a été adopté par le couple Marsé. À treize ans, il travaille comme apprenti joaillier. L’ enfance de Juan Marsé a été marqué par la faim, le froid, le marché noir…et le cinéma. Son chef d’oeuvre (Si te dicen que caí) a été écrit en 1973, mais interdit par la censure en Espagne. Le roman a été primé et publié au Mexique. Il ne sera édité en Espagne, qu’après la mort de Franco en 1975. Juan Marsé recrée la vie à Barcelone après la Guerre civile. L’action se situe vers 1944. L’auteur utilise les aventis, histoires racontées par les enfants des familles de vaincus des quartiers de Barcelone (Carmelo, Guinardó, Gràcia). Si te dicen que caí est à l’origine un vers de l’hymne phalangiste Cara al sol que le romancier catalan utilise dans un sens ironique.

Il a reçu le Prix Cervantes en 2008.

Léon-Marc Lévy a cité dans le Club de la Cause Littéraire ce passage d’ Últimas tardes con Teresa qui décrit Manolo Reyes, el Pijoaparte (Bande à part). Ce jeune charnego, typique des classes populaires et marginales de Barcelone, veut séduire Teresa, belle jeune fille blonde, étudiante issue de la haute bourgeoisie catalane.

«Aquéllos fueron, en realidad, sus únicos juguetes de la infancia, juguetes que nunca había de romper ni relegar al cuarto de los trastos viejos. El chico creció guapo y despierto, con una rara disposición para la mentira y la ternura. (…) De su diario trato con el hambre le quedó una luz animal en los ojos y una especial manera de ladear la cabeza que sólo los imbéciles confundían con la sumisión. Muy pronto conoció de la miseria su verdad más arrogante y más útil: no es posible librarse de ella sin riesgo de la propia vida. Así desde niño necesitó la mentira lo mismo que el pan y el aire que respiraba. Tenía la fea costumbre de escupir a menudo; sin embargo, si se le observaba detenidamente, se notaba en su manera de hacerlo (los ojos repentinamente fijos en un punto del horizonte, un total desinterés por el salivazo y por el sitio donde iba a parar, una íntima y secreta impaciencia en la mirada) esa resolución firme e irrevocable, hija de la rabia, que a menudo inmoviliza el gesto de campesinos a punto de emigrar y de algunos muchachos de provincias que ya han decidido huir hacia las grandes ciudades.»

Teresa, l’après-midi . Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu.

“En fait, ce furent là les seuls jouets de son enfance, des jouets qu’il ne devait jamais casser ni mettre au rebut. Il grandit en beauté et en intelligence, avec une disposition rare pour le mensonge et la tendresse. […] De son contact quotidien avec la faim il lui resta une lueur animale dans les yeux et une façon particulière de pencher la tête que seuls les imbéciles prenaient pour de la soumission. Très vite, il connut la vérité la plus arrogante et la plus utile de la misère: qu’il n’est pas possible de s’en délivrer sans risquer sa vie. Ainsi, dès son enfance, il eut besoin de mensonge autant que de pain, autant que de l’air qu’il respirait. Il avait la vilaine habitude de cracher souvent; cependant, si on l’observait attentivement, on remarquait dans sa façon de faire (les yeux fixant soudain un point de l’horizon, un complet désintérêt pour son jet de salive et pour l’endroit où il atterrissait, une intime et secrète impatience dans le regard) cette résolution ferme et irrévocable, fille de la rage, qui souvent fige le visage des paysans sur le point d’émigrer et de certains jeunes provinciaux qui ont pris la décision de s’enfuir un jour vers les grandes villes.”

Quelques citations de l’auteur: «A partir de cierta edad, la felicidad es un referente que está en el pasado.”

“La felicidad es un objetivo circunstancial relacionado con determinados momentos muy concretos, muy fácilmente identificables. Existen formas de felicidad; las puedo precisar sin ninguna dificultad. Para mí, por ejemplo, puede ser incluso una cosa tan sencilla como una canción de Cole Porter en el momento oportuno, casi siempre imprevisto. Y por supuesto una novela de Stevenson o una película de John Ford. Y claro está, la felicidad está relacionada con el amor y con muchísimas otras cosas poco duraderas o poco estables en el tiempo. Pero en términos generales no es algo que me haya obsesionado nunca. Y tampoco me siento particularmente infeliz. Las contrariedades y las adversidades de la vida me parecen lo más natural del mundo; algo ineludible. De todas maneras, yo creo que los momentos más felices de la vida se dan cuando uno consigue dejar de pensar en sí mismo.”

“Durante el franquismo me jodieron los padres y en la democracia me jodieron los hijos, pero siempre me jodieron los mismos.”

Entrevista. El País 5 de febrero de 2011.

“La literatura es un ajuste de cuentas con la vida, porque la vida no suele ser como la esperábamos. Uno busca un sentido a todo esto y a la vez un vago placer estético. ¿Por qué tomarnos tanto trabajo si la literatura no puede cambiar el mundo, no influye en la mejora de nada, ni siquiera cuando denuncia los peores crímenes de la humanidad? No lo sé, pero su origen y su fin está en dar testimonio, tanto de las pesadillas como de los sueños felices de todos nosotros.»

Un día volveré, 1982.

«El olvido es una estrategia del vivir.»

“Nos están cocinando a todos en la olla podrida del olvido, si bien algunos, por si acaso, aún mantenemos el dedo en el gatillo de la memoria.”