David Goldblatt

David Goldblatt

Le photographe sud-africain David Goldblatt (1930-2018) est mort le 25 juin à 88 ans. Ses photographies sont un témoignage de la vie quotidienne en Afrique du Sud non seulement sous l’Apartheid, introduit en 1948, mais aussi depuis la fin du régime ségrégationniste. Le Centre Pompidou venait de lui consacrer une rétrospective du 27 février au 7 mai 2018 que j’avais vue avec grand intérêt. Jusqu’à la fin des années 1990, toutes ses photographies étaient en noir et blanc.Il avait reçu le prix Henri Cartier-Bresson en 2009 et le prix Cornell Capa en 2013.

Le fils du fermier avec sa bonne d’enfants, ferme de Heimweeberg, environs de Nietverdiend, Marico Bushveld, province du Nord-Ouest 1964.

Lisons donc Simone Weil sans la récupérer par de médiocres instrumentalisations!

Simone Weil

Le Monde, 23/06/2018

«Lisons donc Simone Weil sans la récupérer par de médiocres instrumentalisations!»

Spécialistes reconnus de l’œuvre de la philosophe, Robert Chenavier, Olivier Mongin et Jean-Louis Schlegel s’insurgent dans une tribune au «Monde» contre la récupération de l’auteur de «L’Enracinement» par la droite conservatrice et les intellectuels antimodernes.

La philosophe Simone Weil (1909-1943) serait-elle en passe de devenir la nouvelle muse des politiques conservatrices? Au service de cette cause est souvent et presque seul cité d’elle, dans les livres et revues qui revendiquent le nouveau conservatisme, son livre posthume publié par Albert Camus en 1949, L’Enracinement (Yann Raison du Cleuziou, «Le renouveau conservateur en France», Esprit, octobre 2017).

Selon Le Monde du 16 février, M. Wauquiez, entre autres, cite volontiers dans ses interventions, outre Marcel Gauchet et Régis Debray, ce livre et son auteure. Dans Le Monde du 5 décembre 2017, Bérénice Levet faisait même de Laurent Wauquiez le «candidat de l’enracinement»! Dans cette ligne, il emprunterait à la philosophe décédée en 1943 deux de ses thèmes préférés: le patriotisme et l’«identité française». Cette interprétation est, selon nous, tout à fait abusive.

Quasi blasphématoire
Certes, on ne désavouera pas Levet quand elle résume la position de la philosophe en écrivant que l’«enracinement est inscription […] dans une histoire, dans des histoires même», dans des «communautés d’appartenance qui se conjuguent au pluriel» et sont «dépositaires de récits, de traditions, de significations».

En coupant les racines, le déracinement provoque en effet la perte des «milieux naturels» – qui sont des milieux de vie pour l’homme et pas seulement des «environnements». Pour Simone Weil, constituent de tels «milieux naturels» «la patrie, les milieux définis par la langue, par la culture, par un passé historique commun, la profession, la localité…» (Œuvres complètes, Gallimard, t. V, vol. 2, p. 104).

Sauf que L’Enracinement, livre complexe, est aussi une longue dénonciation du fait que la France précisément a, au cours de son histoire, enlevé leur sens aux collectivités qui correspondaient à des territoires, des régions, des langues, des traditions. Collectivités d’autant plus nécessaires que la patrie est une communauté imparfaite (mélange de juste et d’injuste), qui a aussi besoin des influences extérieures pour se réformer.

Dès lors, le patriotisme ne peut se justifier que par son rôle protecteur des différents milieux dont les hommes ont un besoin vital. Parler d’une «France éternelle», à célébrer et à défendre comme un bloc intangible, fermé à toute nouveauté, est une expression quasi blasphématoire pour Simone Weil.

Fausse route
La France est chose purement temporelle et terrestre, et il importe de présenter la patrie «comme une chose belle et précieuse, mais d’une part imparfaite, d’autre part très fragile, exposée au malheur, qu’il faut chérir et préserver». Ce «sentiment de tendresse poignante» pour une patrie toujours imparfaite et fragile, toujours exposée, lui paraît «autrement chaleureux que celui de la grandeur nationale» lancé à la figure de ceux qu’on veut rejeter.

Levet fait aussi fausse route quand elle présente l’«autre thème que Laurent Wauquiez emprunte à la philosophe»: l’identité. Pour Simone Weil, l’enracinement n’est précisément pas une identité, car l’«enracinement et la multiplication des contacts sont complémentaires.»Est-ce du moins de cette sorte d’identité ouverte qu’il s’agit chez Laurent Wauquiez? Manifestement non.

Quand ce «républicain» déclare, lors d’un meeting tenu dans les Alpes-Maritimes, que la France doit retrouver son «identité», menacée dans «certains quartiers» par une «juxtaposition de communautés où le salafisme a remplacé l’adoration de la République française» (Le Monde du 27 octobre), il est aux antipodes de L’Enracinement. En effet, jamais Simone Weil n’a employé un tel langage. Jamais elle n’aurait admis – et encore moins prôné – une quelconque «adoration de la République française»: elle considérait cela comme de l’idolâtrie.

«L’identité française», dit de son côté Levet, il faut se donner la peine de l’acquérir. Apprendre l’histoire de la France, la connaître, mais pas seulement – il faut l’aimer». Certes, mais l’expression «identité française» n’apparaît jamais chez Simone Weil.

Courants politiques rétrogrades
L’Enracinement est très exactement une contre-histoire de la France (sous la monarchie absolue, sous le jacobinisme républicain, sous la IIIe République, que Simone Weil ne prise guère…). Une contre-histoire dans laquelle sont littéralement flétries la «grandeur» (valeur qui est un héritage romain qu’elle déteste), la gloire, la conquête par le pouvoir central de tous les territoires qui représentaient un haut lieu de civilisation (l’Occitanie par exemple), pour ne laisser à «aimer» que l’Etat, sans oublier cette entreprise par excellence de déracinement qu’a été la colonisation.

M. Wauquiez, que l’on sache, ne partage d’aucune façon tout ou partie de cette contre-histoire.

Lisons donc Simone Weil (dont l’œuvre ne se réduit pas, loin de là, à L’Enracinement) sans la récupérer par de médiocres instrumentalisations. Les courants politiques rétrogrades n’ont toujours voulu retenir que L’Enracinement, interprété à leur aune. Ils préfèrent oublier celle qui était avant tout sensible au malheur des humains, l’auteure, en 1934, des Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale.

Sa pensée n’est pas un système. Elle a une fonction de «nettoyage philosophique» de la politique. Elle est plus subtile, inquiète et excessive que les mots d’ordre bien calés (et intéressés) qu’on lui prête. Empêchons qu’un «weilisme» vulgaire ne devienne une vulgate des contresens sur ses intuitions dérangeantes. Apprenons à «ne pas se laisser bourrer le crâne»– «c’est déjà quelque chose», ajoutait-elle.

Les signataires de cette tribune sont: Robert Chenavier, directeur de la publication des «Cahiers Simone Weil»; Olivier Mongin, membre de l’Association pour l’étude de la pensée de Simone Weil et Jean-Louis Schlegel, codirecteur de la rédaction de la revue «Esprit».

Louis Aragon

Louis Aragon (Man Ray) 1925.

Louis Aragon vécut une intense histoire d’amour du début de l’année 1926 à la fin de l’année 1928 avec Nancy Cunard (1896-1965), riche héritière anglaise. mais aussi poète. Elle connaissait tous les écrivains anglais importants de son époque.  L’essentiel de la deuxième partie du Roman inachevé (1956) est consacré à cette femme extraordinaire. Elsa Triolet disait: “On parle toujours des poèmes que Louis a écrits pour moi. Mais les plus beaux étaient pour Nancy.” Aragon la nommait Nane, mais aussi l'”Abeille” (“busy bee”). Cette femme l’a particulièrement marquée et l’a fait souffrir comme personne. Les conflits réguliers entre les deux amants entre 1926 et 1928 les menèrent à la rupture. Les milieux fréquentés par Nancy, l’inégalité de fortune, la difficulté de s’en tenir à une stricte égalité sentimentale et sexuelle l’expliquent aussi. De plus, Nancy rencontrera en 1928 à Venise Henry Crowder, un pianiste de jazz en tournée. Se sentant abandonné, Aragon fera début de septembre une tentative de suicide dans un hôtel de Venise. Il sera sauvé de justesse.

On retient souvent de Nancy Cunard la personnalité hors-normes et sa liberté sexuelle totale. On parle moins de l’oeuvre qu’elle a accomplie tout au long de sa vie trépidante.

Poème à crier dans les ruines

Tous deux crachons tous deux
Sur ce que nous avons aimé
Sur ce que nous avons aimé tous deux
Si tu veux car ceci tous deux
Est bien un air de valse et j’imagine
Ce qui passe entre nous de sombre et d’inégalable
Comme un dialogue de miroirs abandonnés
A la consigne quelque part Foligno peut-être
Ou l’Auvergne la Bourboule
Certains noms sont chargés d’un tonnerre lointain
Veux-tu crachons tous deux sur ces pays immenses
Où se promènent de petites automobiles de louage
Veux-tu car il faut que quelque chose encore
Quelque chose
Nous réunisse veux-tu crachons
Tous deux c’est une valse
Une espèce de sanglot commode
Crachons crachons de petites automobiles
Crachons c’est la consigne
Une valse de miroirs
Un dialogue nulle part
Écoute ces pays immenses où le vent
Pleure sur ce que nous avons aimé
L’un d’eux est un cheval qui s’accoude à la terre
L’autre un mort agitant un linge l’autre
La trace de tes pas Je me souviens d’un village désert
A l’épaule d’une montagne brûlée
Je me souviens de ton épaule
Je me souviens de ton coude
Je me souviens de ton linge
Je me souviens de tes pas
Je me souviens d’une ville où il n’y a pas de cheval
Je me souviens de ton regard qui a brûlé
Mon cœur désert un mort Mazeppa qu’un cheval
Emporte devant moi comme ce jour dans la montagne
L’ivresse précipitait ma course à travers les chênes martyrs
Qui saignaient prophétiquement tandis
Que le jour faiblissait sur des camions bleus
Je me souviens de tant de choses
De tant de soirs
De tant de chambres
De tant de marches
De tant de colères
De tant de haltes dans des lieux nuls
Où s’éveillait pourtant l’esprit du mystère pareil
Au cri d’un enfant aveugle dans une gare-frontière
Je me souviens
Je parle donc au passé Que l’on rie
Si le cœur vous en dit du son de mes paroles
Aima Fut Vint Caressa
Attendit Épia les escaliers qui craquèrent
0 violences violences je suis un homme hanté
Attendit attendit puits profonds
J’ai cru mourir d’attendre
Le silence taillait des crayons dans la rue
Ce taxi qui toussait s’en va crever ailleurs
Attendit attendit les voix étouffées
Devant la porte le langage des portes
Hoquet des maisons attendit
Les objets familiers prenaient à tour de rôle
Attendit l’aspect fantomatique Attendit
Des forçats évadés Attendit
Attendit Nom de Dieu
D’un bagne de lueurs et soudain
Non Stupide Non
Idiot
La chaussure a foulé la laine du tapis
Je rentre à peine
Aima aima aima mais tu ne peux pas savoir combien
Aima c’est au passé
Aima aima aima aima aima
Ô violences
Ils en ont de bonnes ceux
Qui parlent de l’amour comme d’une histoire de cousine
Ah merde pour tout ce faux-semblant
Sais-tu quand cela devient vraiment une histoire
L’amour
Sais-tu
Quand toute respiration tourne à la tragédie
Quand les couleurs du jour sont ce que les fait un rire
Un air une ombre d’ombre un nom jeté
Que tout brûle et qu’on sait au fond
Que tout brûle
Et qu’on dit Que tout brûle
Et le ciel a le goût du sable dispersé
L’amour salauds l’amour pour vous
C’est d’arriver à coucher ensemble
D’arriver
Et après Ha ha tout l’amour est dans ce
Et après
Nous arrivons à parler de ce que c’est que de
Coucher ensemble pendant des années
Entendez-vous
Pendant des années
Pareilles à des voiles marines qui tombent
Sur le pont d’un navire chargé de pestiférés
Dans un film que j’ai vu récemment
Une à une
La rose blanche meurt comme la rose rouge
Qu’est-ce donc qui m’émeut à un pareil point
Dans ces derniers mots
Le mot dernier peut-être mot en qui
Tout est atroce atrocement irréparable
Et déchirant Mot panthère Mot électrique
Chaise
Le dernier mot d’amour imaginez-vous ça
Et le dernier baiser et la dernière
Nonchalance
Et le dernier sommeil Tiens c’est drôle
Je pensais simplement à la dernière nuit
Ah tout prend ce sens abominable
Je voulais dire les derniers instants
Les derniers adieux le dernier soupir
Le dernier regard
L’horreur l’horreur l’horreur
Pendant des années l’horreur

Crachons veux-tu bien
Sur ce que nous avons aimé ensemble
Crachons sur l’amour
Sur nos lits défaits
Sur notre silence et sur les mots balbutiés
Sur les étoiles fussent-elles
Tes yeux
Sur le soleil fût-il
Tes dents
Sur l’éternité fût-elle
Ta bouche
Et sur notre amour
Fût-il
TON amour
Crachons veux-tu bien

La grande gaieté (1929).

Nancy Cunard (Man Ray) v 1925.

John Cornford 2

John Cornford 1934.

L’évocation du poète anglais John Cornford me renvoie à la petite collection Maspéro, éditée par les Éditions Maspero entre 1967 et 1982, date de vente de la maison d’édition. Cette collection fut essentielle dans notre formation après 1968. J’en possède une vingtaine de titres. Leur couverture pastel les rend immédiatement identifiables. Je tiens particulièrement aux deux tomes du Romancero de la résistance espagnole. Ce sont deux recueils en édition bilingue, publiés par Dario Puccini en Italie en 1960 et en 1967 en France. On y trouve, entre autres, un poème de John Cornford.

To Margot Heinemann (John Cornford)

Heart of the heartless world,
Dear heart, the thought of you
Is the pain at my side,
The shadow that chills my view.

The wind rises in the evening,
Reminds that autumn’s near.
I am afraid to lose you,
I am afraid of my fear.

On the last mile to Huesca,
The last fence for our pride,
Think so kindly, dear, that I
Sense you at my side.

And if bad luck should lay my strength
Into the shallow grave,
Remember all the good you can;
Don’t forget my love.

A Margot Heinemann

Coeur du monde sans coeur,
cher coeur, la pensée de toi
est l’épine à mon flanc,
l’ombre qui glace ma vue.

Le vent se lève dans le soir,
rappelant l’automne proche.
J’ai peur de te perdre,
j’ai peur de ma peur.

Au dernier mile avant Huesca,
dernière barrière à notre orgueil,
songe, mon amour, avec tant de douceur
que je te sente auprès de moi.

Et si la malchance couchait ma force
en la tombe peu profonde,
rappelle-toi tout le bien possible;
n’oublie pas mon amour.

(Traduit par Michèle Mangin)

A Margot Heinemann

Alma del mundo desalmado,
alma mía, tu recuerdo
es el dolor que siento en mi costado,
la sombra que ensombrece cuanto veo.

Al atardecer se alza el viento
a recordarnos que el otoño viene,
yo, yo tengo miedo a perderte,
y tengo miedo a mi miedo.

Camino de Huesca, en el último tramo,
última barrera para nuestro honor,
tan tiernamente pienso en ti, mi amor,
como si tú estuvieras a mi lado.

Y si la suerte acaba con mi vida
dentro de una fosa mal cavada,
acuérdate de toda nuestra dicha;
no olvides que yo te amaba.

(Traduction de José Agustín Goytisolo)

La traduction espagnole me semble meilleure que la française.

L’historien Eric Hobsbawm (1917-2012) écrit que Margot Heinemann (1913-1992) fut la personne qui eut le plus d’influence sur lui.

La municipalité de Lopera, dans la province de Jaén en Andalousie, a inauguré en 1999 un Jardín de los poetas ingleses où se trouve un monument en hommage à Ralph Fox, John Cornford et aux brigadistes morts lors de la bataille de décembre 1936.

Lopera (Jaén) Jardín de los Poetas Ingleses Monumento dedicado a los brigadistas (Jacobo Gálvez) 1999

John Cornford 1

J’ai acheté cette semaine chez Gibert le roman de Javier Reverte, Banderas en la niebla. J’avais lu avec interêt il y quelque temps El tiempo de los héroes (2013), qui évoquait la figure du général républicain espagnol, Juan Modesto (1906-1969). Ce nouveau roman traite des combats sur le front d’Andalousie pendant la Guerre Civile espagnole et bien sûr de la bataille de Lopera (Jaén) qui se déroula du 27 au 29 décembre 1936. Des centaines de brigadistes de la XIV Brigade Internationale moururent alors. Parmi eux se trouvaient les poètes anglais Ralph Fox (1900-1936) et John Cornford (1915-1936). Dans son épilogue, Javier Reverte nous dit que plusieurs poèmes ont été écrits en mémoire du jeune poète John Cornford, arrière-petit-fils de Charles Darwin. Il se réfère surtout à un poème de José María Valverde (1926-1996) qui aurait situé la bataille de Lopera dans la province de Cordoue et non dans celle de Jaén. Il commet lui-même une erreur puisqu’il confond José María Valverde et un poète bien plus important, José Ángel Valente (1929-2000) qui fait partie de la Génération de 1950.

John Cornford, 1936 (José Ángel Valente)

                           Only in constant action was his constant certainty found.
                           He will throw a longer shadow as time recedes.

John Cornford, veintiún años
ametrallados sobre el aire
en que han nacido estas palabras.

El corazón de los fusiles
siguió latiendo inútilmente
cuando ya nunca alcanzaría
el rastro claro tu sangre.

Esto fue en Córdoba, en diciembre
en las montañas, combatiendo.

Después cayó, como dijiste,
la noche larga sobre Europa.
Los poetas retrocedieron
a su pasión consolatoria
y aquellas horas de amistad
en un ejército del pueblo
fueron borradas con la cola
subrepticia de la tristeza
en el tumulto repentino.

Así pasó, en efecto, todo.
Los años treinta en estampida
with the unnemployed demonstrators
carring «the coffin» to the Station.
Palidecieron los retratos.
Cedió el viento y se fue el público
y cundió la desesperanza.

Otros cayeron,
Entre el humo
de las ruinas y otras cosas
no apaciguadas por el tiempo
se levanta tu cuerpo joven.
De tú a tú puedes hablarnos
John Cornford, hermano nuestro,
de tú a tú como se hablan
en la verdad los hombres vivos.

Al rehacer aquella hora
cuento despacio tus palabras.
La inteligencia aún se pasea
en tren de lujo por los versos
mientras espera que otros caigan
para sentir horror de pronto.

Mas para ti solo fue uno
el camino de la certeza.
No quisiste huir de la vida
con el disfraz del pensamiento.

Así estás igual a ti mismo
con la pasión que aquí te trajo.
Un solo acto de vida y muerte,
la fe y el verso un solo acto.
Ametrallados, no vencidos,
Veintiún años, en diciembre,
Córdoba sola, un solo acto
tu juventud y la esperanza.

Obra poética 1. Punto cero (1953-1976)

José Ángel Valente en su casa de Almería.

Pequeño vals vienés (Federico García Lorca)

Federico García Lorca Columbia University (María Antonieta Rivas y dos amigos sin identificar) Otoño de 1929.

En Viena hay diez muchachas,
un hombro donde solloza la muerte
y un bosque de palomas disecadas.
Hay un fragmento de la mañana
en el museo de la escarcha.
Hay un salón con mil ventanas.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals con la boca cerrada.

Este vals, este vals, este vals,
de sí, de muerte y de coñac
que moja su cola en el mar.

Te quiero, te quiero, te quiero,
con la butaca y el libro muerto,
por el melancólico pasillo,
en el oscuro desván del lirio,
en nuestra cama de la luna
y en la danza que sueña la tortuga.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals de quebrada cintura.

En Viena hay cuatro espejos
donde juegan tu boca y los ecos.
Hay una muerte para piano
que pinta de azul a los muchachos.
Hay mendigos por los tejados.
Hay frescas guirnaldas de llanto.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals que se muere en mis brazos.

Porque te quiero, te quiero, amor mío,
en el desván donde juegan los niños,
soñando viejas luces de Hungría
por los rumores de la tarde tibia,
viendo ovejas y lirios de nieve
por el silencio oscuro de tu frente.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals del “Te quiero siempre”.

En Viena bailaré contigo
con un disfraz que tenga
cabeza de río.
¡Mira qué orilla tengo de jacintos!
Dejaré mi boca entre tus piernas,
mi alma en fotografías y azucenas,
y en las ondas oscuras de tu andar
quiero, amor mío, amor mío, dejar,
violín y sepulcro, las cintas del vals.

Poeta en Nueva York, 1940.

Enrique Morente y los Lagartija Nick en Omega.

https://www.youtube.com/watch?v=gqwjjgDIkfE

Fondation Giacometti

Institut Giacometti , 5 Rue Schoelcher, XIV. Hôtel particulier de Paul Follot (1912).

Ouverture au public de l’institut Giacometti le lundi 26 juin 2018 au 5, rue Victor-Schœlcher, Paris XIVe.

Du 26 juin au 16 septembre 2018, exposition inaugurale: L’atelier d’Alberto Giacometti vu par Jean Genet.

Ouvert sur réservation en ligne par créneau horaire.

Alberto Giacometti (1901-1966) a vécu et travaillé de 1926 à 1966, dans un tout petit atelier au 46, rue Hippolyte-Maindron (XIVe arrondissement), un modeste atelier d’artisan de 24 m², avec mezzanine, au rez-de-chaussée d’une cour. Le confort était spartiate. Pas de cuisine et des toilettes dans la cour. Giacometti y emménage le 1er décembre 1926. De nationalité suisse, il est arrivé à Paris en janvier 1922 pour suivre les cours d’Antoine Bourdelle (1861-1929)  à l’Académie de la Grande Chaumière.

L’Institut Giacometti  est installé dans l’ancien hôtel particulier de l’artiste-décorateur Paul Follot (1877-1941), près du cimetière du Montparnasse. Cette maison de 350 m², classée aux monuments historiques depuis 2000, a été dessinée par un des pères de l’ Art déco français, beau-frère du grand couturier Paul Poiret (1879-1944). Construite entre 1910 et 1913 avec le concours de l’architecte Pierre Selmersheim, des mosaïques  ornent la porte d’entrée et forment un bandeau le long de la façade. Les ferronneries sont attribuées à Edgar Brandt. L’architecte contemporain Pascal Grasso a été chargé de le réaménager tout en conservant ses décors historiques.

L’atelier de Giacometti a été reconstitué au rez-de-chaussée.

Portrait de Jean Genet 1954-55. Paris, Centre Georges Pompidou.

Blaise Pascal

Le jeune Pascal résolvant un problème (Augustin Moreau-Vauthier 1831-1893) 1888. Paris, Collège de France (don de la famille du sculpteur en 1937).

Blaise Pascal est né le 19 juin 1623 à Clermont-Ferrand). Il est mort le 19 août 1662 à Paris.

Pensées (Pensée 172 B)

« Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l’arrêter comme trop prompt: si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu’il nous afflige ; et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver.

Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent; et, si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.»

Robert Desnos – Céline

Robert Desnos

La Sonate au clair de lune (H. Bordeaux)
Les murs sont bons (H. Bordeaux)
Les Beaux draps (L.-F. Céline)
Oeuvres (P.-L. Courier)

” Le courrier qui, souvent, fait bien les choses, m’apporte en même temps deux volumes d’Henry Bordeaux et un livre de M. L.-F. Céline. Ainsi j’ai le choix entre la restriction et l’indigestion. C’est qu’en effet ces deux auteurs ont plus d’un point commun. Leur clientèle est, à peu près, la même et l’excès de l’un correspond aux déficiences de l’autre. Je trouve chez tous deux le besoin d’écrire pour ne pas dire grand’chose. Mais que penser de la vertu sans passion que nous propose M. Bordeaux et de la passion sans vertu que nous recommande M. Céline ? En vérité, si le premier a le souffle court, le second n’a pas de souffle du tout : il est boursouflé et voilà tout. Ses colères sentent le bistro et en cela il est, comme beaucoup d’hommes de lettres, intoxiqué par la moleskine et le zinc. Tout ici est puéril chez l’académicien comme chez son confrère et ce sera un utile sujet de méditation pour nos descendants que la coexistence de ces deux écrivains identiques, d’expression différente.
Je n’ai jamais, pour ma part, pu lire jusqu’au bout un seul de leurs livres. L’ennui, l’ennui total me force à dormir dès les premières pages. Et tous les deux représentent les éléments principaux de notre défaite par l’injustice même de leurs succès. Ah ! qu’un écrivain comme Bernanos donne des leçons à l’un de foi religieuse et à l’autre de férocité ! Mais Bernanos est un « monsieur » et il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec lui pour l’aimer et l’admirer. Tandis que les colères de Céline évoquent les fureurs grotesques des ivrognes, tandis que la morale de M. Bordeaux ferait exalter le vice en tant qu’école de vertu. Brave homme l’un, brave gars l’autre ? Je veux bien… Mais à quoi bon… à quoi bon les lire? Je vois bien pour qui ils écrivent. Je ne vois pas pourquoi.
Mais le même courrier m’apportait en même temps l’admirable édition par M. Maurice Allem des Oeuvres complètes de Paul-Louis Courier. Cette collection de la Pléiade est un chef-d’oeuvre. Je vais faire des économies pour me la procurer. Lisible, pratique, savante sans pédanterie, c’est un des motifs d’orgueil les plus légitimes de l’édition française.
Mais aussi quel réconfort que de lire Courier (que j’ai omis de citer la semaine dernière dans une liste hâtive d’écrivains militaires dont il est précisément l’exemple le plus typique)! La phrase est directe, simple, savante, fleurie sans être ornée. Elle va droit au but comme une flèche. Elle fait appel à toutes les ressources de la langue. Comme je comprends que Stendhal ait aimé ces opuscules où quatre ou cinq pages en disent plus que les pesants volumes de M. Céline, déplorable disciple d’Honoré d’Urfé, de M. Céline qui écrit gras exactement comme on écrivait précieux au XVIIè siècle. Je voudrais que tous les Français lisent Courier. C’est une école de civisme et, pour employer un mot cher à Corneille, d’esprit républicain. Je retrouve en lui le goût de la justice et du droit qui caractérise les Français. C’est ce goût qui fait notre valeur et justifie l’existence de notre nation. Oui, nous aimons les procès mais, en conséquence, nous aimons les lois, les lois justes et nous sommes tous plus ou moins experts en lois. Au surplus, Paul-Louis Courier apprend moins à penser qu’à s’exprimer. Et cela est bien, car nous avons suffisamment de sources de pensée en France. On a dit qu’il devait ce style vif et délié à l’emploi des vers blancs, aux citations – elles sont nombreuses – dont son oeuvre est semée. Cette caractéristique, nous la retrouvons dans un style bien différent et bien admirable aussi: celui de Michelet. Mais les vers blancs de Courier semblent empruntés à une tragédie classique et ceux de Michelet à un drame romantique. Arrêtons-nous ici, cela nous entraînerait trop loin… Mais lisez Paul-Louis Courier, je vous promets de belles surprises. ”

Robert DESNOS, Aujourd’hui (Interlignes), 3 mars 1941

Sommation
L’an mille neuf cent quarante et un, le 4 mars, à la requête de M. Louis Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline, demeurant à Paris, 11, rue Marsollier (2 ème) etc.
J’ai, Lucien Poré, huissier près du Tribunal civil de la Seine, etc. (…) Que, dans le numéro dudit journal (Aujourd’hui), en date du lundi 3 mars 1941, etc. a paru un article «Interlignes», etc. Pourquoi j’ai, huissier susdit et soussigné, fait sommation… d’avoir à insérer… la réponse ci-dessous transcrite :

“Monsieur le Rédacteur en chef,
Votre collaborateur Robert Desnos est venu dans votre numéro 3 du 3 mars 1941 déposer sa petite ordure rituelle sur les « Beaux draps ». Ordure bien malhabile si je la compare à tant d’autres que mes livres ont déjà provoquées – un de mes amis détient toute une bibliothèque de ces gentillesses. Je ne m’en porte pas plus mal, au contraire, de mieux en mieux. M. Desnos me trouve ivrogne, « vautré sur moleskine et sous comptoirs », ennuyeux à bramer moins que ceci… pire que cela…Soit ! Moi je veux bien, mais pourquoi M. Desnos ne hurle-t-il pas plutôt le cri de son cœur, celui dont il crève inhibé… « Mort à Céline et vivent les Juifs ! » M. Desnos mène, il me semble, campagne philoyoutre ( et votre journal ) inlassablement depuis juin. Le moment doit être venu de brandir enfin l’oriflamme. Tout est propice. Que s’engage-t-il, s’empêtre-t-il dans ce laborieux charabia ?… Mieux encore, que ne publie-t-il, M. Desnos, sa photo grandeur nature face et profil, à la fin de tous ses articles ?
La nature signe toutes ses œuvres – « Desnos », cela ne veut rien dire.
Va-t-on demander au serpent ce qu’il pense de la mangouste ? Ses sentiments sont bien connus, naturels, irrémédiables, ceux de M. Desnos aussi. Le tout est un peu de franchise. Voici tout ce qu’il m’importait de faire savoir à vos lecteurs, réponse que je vous prie d’insérer, en même lieu et place, dans votre prochain numéro.
Veuillez agréer, je vous prie, monsieur le Rédacteur en chef, l’assurance de mes parfaits sentiments. ”
L.-F. Céline

Lui déclarant, etc.
Dont acte sous toutes réserves, etc. Le tout conformément à la loi. Coût : soixante dix-huit francs quarante centimes.

Nous avons communiqué la sommation ci-dessus à notre collaborateur Robert Desnos, dont nous publions les quelques lignes suivantes :

” La réponse de M. Louis Destouches, dit « Louis-Ferdinand Céline », est trop claire pour qu’il soit nécessaire de commenter chaque phrase. Au surplus, les lecteurs n’auront qu’à se référer à mon article de lundi dernier. Je crois utile cependant de souligner la théorie originale suivant laquelle un « critique littéraire » n’a qu’une alternative : ou crier «Mort à Céline ! » ou crier : « Mort aux Juifs ! ». C’est là une formule curieuse et peu mathématique dont je tiens à laisser la responsabilité à M. Louis Destouches, dit « Louis-Ferdinand Céline ». Robert Desnos dit « Robert Desnos »

Céline

Robert Desnos pendant la Seconde Guerre Mondiale

Robert Desnos à Terezin (entre le 8 mai et le 4 juin 1945).

Robert Desnos fait  « la drôle de guerre  » comme sergent en Lorraine. Il stigmatise « les bobards de ceux qui, pour éviter la fascisation de la France, laisseraient volontiers Hitler triompher. On se demande s’ils sont fous » (Lettre du 11 janvier 1940). Il est lucide en juin 1940 et affirme déjà ce que sera son attitude pendant l’Occupation : « Il faut prendre les événements sérieusement mais pas désespérément (…). Les Allemands instituent une nouvelle règle du jeu et la jouent rigidement. Maintenant, nous allons tricher. » (Lettre à Youki du 7 juin 1940) Prisonnier, il pense à l’avenir et relativise la défaite : « Il faut mettre les choses au pire. C’est-à-dire victoire d’Hitler et garder de côté nos espoirs, sûr: puissance de l’Angleterre; possible: attitude des USA; douteux: intervention des URSS. (…) L’histoire d’un pays vivant est faite de cela [les défaites] et quant aux pertes de territoires elles sont la rançon de l’activité et de la vie (…). Non ce qui importe c’est le degré de vassalité auquel nous serons réduits et partant de combien nos libertés seront hypothéquées et notre vie sociale diminuée. En ce sens il nous faudra du courage mais je suis dès maintenant sûr d’en sortir en deux ou trois ans. » (Lettre du 3 juillet 1940)

Il est démobilisé le 22 août. Il rentre à Paris et débute comme chef des informations au quotidien Aujourd’hui, commandité par Roger Capgras. Ses rédacteurs en chef sont Henri Jeanson et Robert Perrier. L’espoir d’y maintenir une certaine liberté de parole est de courte durée. En effet,  Henri Jeanson est arrêté en novembre, ayant refusé de publier des articles favorables à la loi sur le « statut des Juifs », adoptée le 3 octobre par Vichy, ainsi qu’à l’entrevue de Montoire du 24 octobre. A partir du 3 décembre, le journal est contrôlé par les Allemands. Georges Suarez, qui sera fusillé le 9 novembre 1944 pour faits de collaboration, devient son directeur politique. En accord avec Jeanson, Desnos reste au journal comme « courriériste littéraire ». Il dispose d’un salaire fixe, d’un Ausweis professionnel qui lui permet de circuler la nuit et capte des informations recueillies au journal avant censure. Désormais, il peut « tricher » . Dans les articles qu’il publie, il n’abdique pas ses idées: « Si je n’écris pas tout ce que je pense, je pense tout ce que j’écris », écrit-il à François Mauriac le 3 janvier 1941. Dès le 14 septembre 1940, il a fustigé l’esprit de délation qui règne dans Paris par un article intitulé « J’irai le dire à la Kommandantur. » Dans sa chronique du 3 mars 1941, il n’épargne pas Les Beaux draps de Céline qui le 7 mars suivant fait insérer par sommation d’huissier une protestation dans laquelle Desnos est accusé de mener une « campagne philoyoutre » et d’être juif lui-même : « Que ne publie-t-il, M. Desnos, sa photo grandeur nature, face et profil, à la fin de tous ses articles? . » Le 16 septembre 1942, Desnos critique sans aménité la traduction des Poèmes d’Edgar Poe par Pierre Pascal, rédacteur du journal pronazi L’ Appel. Ce dernier envoie une lettre vengeresse à Suarez et à Desnos. Il traite le poète d’ « antifasciste, enjuivé, perdu de tout ». En avril 1942, Robert Desnos gifle Alain Laubreaux, journaliste fasciste et antisémite à Je suis partout, qui jouera un rôle déterminant en 1944 dans sa déportation.  En 1943, il ne publie que des critiques de disques, mais restera dans le journal jusqu’à son arrestation.

Après la « rafle du Vel d’hiv », en juillet 1942, il s’engage dans le réseau de renseignement «  Agir » , créé par Michel Hollard. Du 25 juillet 1942 au 22 février 1944, il transmet des informations recueillies au journal, fabrique de fausses pièces d’identité pour les membres du réseau et des Juifs en difficulté et cache chez lui des réfractaires au STO ou des résistants. A l’automne 1943, le réseau est menacé par l’infiltration d’agents doubles. Par l’intermédiaire de Jacques Prévert, Desnos rencontre André Verdet, membre du réseau Combat, venu de la zone Sud pour constituer un groupe d’action immédiate. Il accepte d’apporter son concours à ce groupe, tout en continuant à appartenir à Agir. En février 1944, les deux réseaux sont démantelés.

Le 22 février, un coup de téléphone l’avertit de l’arrivée imminente de la Gestapo chez lui, mais Desnos refuse de fuir de crainte qu’on emmène Youki, sa compagne, qui se droguait à l’éther. Interrogé rue des Saussaies, il est envoyé à la prison de Fresnes. Il y reste du 22 février au 20 mars. Il est ensuite transféré au camp de Compiègne. Le 27 avril, le poète fait partie d’un convoi de mille sept cents hommes, le fameux convoi dit « Pucheu », direction Auschwitz où il arrive le 30 avril au soir. Il est ensuite emmené à Buchenwald. Il y est le 14 mai et repart deux jours plus tard pour Flossenbürg. Le convoi qui ne compte plus qu’un millier d’hommes y arrive le 25 mai. Les 2 et 3 juin, un groupe de quatre-vingt-cinq hommes, dont Desnos, est acheminé vers le camp de Flöha, en Saxe. Les prisonniers fabriquent des carlingues de Messerschmitt 109. Le 14 avril 1945, le camp est évacué. Beaucoup de prisonniers meurent épuisés par les marches forcées ou sont abattus par les gardiens. Le 7-8 mai, les rescapés – dont Desnos – arrivent au camp de concentration de Terezín (Theresienstadt) en Tchécoslovaquie.

Là, les survivants sont abandonnés dans des cellules de fortune ou expédiés au Revier, l’infirmerie. Les poux pullulent, le typhus fait rage. Les SS prennent la fuite.  L’ Armée rouge et les partisans tchèques pénètrent dans le camp. Plusieurs semaines après la libération, un étudiant tchèque, Joseph Stuna consulte la liste des malades et lit: « Robert Desnos, né en 1900, nationalité française . »  Il sait qui est Desnos, car il connaît les surréalistes, a lu André Breton et Paul Éluard. Avec l’aide de l’infirmière Aléna Tesarova, qui parle bien le français, il retrouve le poète et le veille. Desnos aurait appelé ce moment son « matin le plus matinal ». Le 8 juin 1945, à 5 h 30 du matin, Robert Desnos meurt du typhus. Il avait 44 ans. Son corps sera incinéré. Ses cendres seront remises à la France et déposées dans le caveau familial au cimetière Montparnasse.

Source: Desnos, Oeuvres, Gallimard, Quarto 1999. Edition présentée et commentée par Marie-Claire Dumas.