Pablo Neruda

Los libros

Libros sagrados y sobados, libros
devorados, devoradores,
secretos,
en las faltriqueras:
Nietzsche, con olor a membrillos,
y subrepticio y subterráneo,
Gorki caminaba conmigo.
Oh aquel momento mortal
en las rocas de Víctor Hugo
cuando el pastor casa a su novia
después de derrotar al pulpo,
y El Jorobado de París
sube circulando en las venas
de la gótica anatomía.
Oh, María, de Jorge Isaacs,
beso blanco en el día rojo
de las haciendas celestes
que allí se inmovilizaron
con el azúcar mentiroso
que nos hizo llorar de puros.

Los libros tejieron, cavaron,
deslizaron su serpentina
y poco a poco, detrás
de las cosas, de los trabajos,
surgió como un olor amargo
con la claridad de la sal
el árbol del conocimiento.

Memorial de Isla Negra, 1964.

Les livres

Livres sacrés et tout écornés, livres
dévorés, dévorants,
secrets,
dans les poches :
Nietzsche sentait le coing,
et comme en fraude et souterrain
Gorki m’accompagnait.
Ô ce moment fatal
où, sur les rochers de Victor Hugo,
le berger marie sa promise
après avoir vaincu la pieuvre
ou lorsque le Bossu de Notre-Dame
circule en volant sur les veines
de la gothique anatomie.
Ô María de Jorge Isaacs,
baiser tout blanc dans le jour rouge
des haciendas célestes
qui s’immobilisèrent
avec ce sucre mensonger
qui nous fit pleurer, nous étions si purs.

Les livres tissèrent, creusèrent,
déroulèrent leur serpentin
et peu à peu, derrière
les choses, les travaux,
surgit comme une odeur amère
et avec la clarté du sel
l’arbre du savoir.

Mémorial de l’Île Noire, Gallimard, 1970. Traduction: Claude Couffon.

Casa de Isla Negra. Jardin.

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