Bertolt Brecht – Cécile Vargaftig

Lecture de En URSS avec Gide. Mon journal de Cécile Vargaftig. Arthaud, 2021.

Le livre reconstruit le voyage d’André Gide en URSS du 16 juin au 23 août 1936. “Le contemporain capital” est accompagné de Pierre Herbart, Eugène Dabit, Louis Guilloux, Jef Last et Jacques Schiffrin. Eugène Dabit meurt à l’hôpital de Sébastopol le 21 août 1936 (de scarlatine, de typhus exanthématique?). A son retour, Gide publie Retour de l’URSS (Gallimard, novembre 1936) dans lequel il dénonce le stalinisme. 150 000 exemplaires vendus en quelques semaines. « Que le peuple des travailleurs comprenne qu’il est dupé par les communistes, comme ceux-ci le sont aujourd’hui par Moscou » Retouches à mon « Retour de l’U.R.S.S. » paraît en juin 1937 et se veut une réponse aux critiques et aux injures dont Gide a été victime après la parution de son récit. « Du haut en bas de l’échelle sociale reformée, les mieux notés sont les plus serviles, les plus lâches, les plus inclinés, les plus vils. Tous ceux dont le front se redresse sont fauchés ou déportés l’un après l’autre. Peut-être l’armée rouge reste-t-elle un peu à l’abri ? Espérons-le ; car bientôt, de cet héroïque et admirable peuple qui méritait si bien notre amour, il ne restera plus que des bourreaux, des profiteurs et des victimes. »

Cécile Vargaftig, qui est aussi scénariste, est la fille du poète communiste Bernard Vargaftig (1934-2012), membre du PCF de 1951 à 1984 et proche de Louis Aragon. Elle se remémore l’histoire familiale et sa relation au père. En août 2009, Bernard Vargaftig, pris de bouffées délirantes, est interné d’abord trois semaines à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, puis transféré à l’hôpital psychiatrique de Montfavet-Avignon. Il est mort le 27 janvier 2012.

En URSS avec Gide est construit en brefs chapitres. Une cinquantaine de dates le rythment.

« Je crois que ce livre est né d’une collusion, dans mon esprit (…), de la folie de mon père et de la fiction communiste. »

“… et j’ai l’impression que c’est seulement aujourd’hui, en écrivant ce livre, que je peux enfin clore l’étrange dialogue de sourds que fut notre vie ensemble, avec nos différences et nos différends.”

” Aucune vie ne peut juger aucune autre vie. Aucun temps ne peut juger aucun autre temps.”

Deux critiques intéressantes sont parues récemment dans Le Monde des Livres (27 janvier 2021) et dans L’Humanité (4 février 2021):

https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/01/27/en-urss-avec-gide-mon-journal-de-cecile-vargaftig-echos-toujours-sensibles-du-voyage-d-andre-gide-en-union-sovietique_6067810_3260.html

https://www.humanite.fr/la-chronique-litteraire-de-jean-claude-lebrun-cecile-vargaftig-y-voir-plus-clair-699686

Cécile Vargaftig évoque deux célèbres poèmes de Bertolt Brecht.

Bertolt Brecht. (Adolf Hoffmeister), 1961.

A ceux qui viendront après nous

I
Vraiment, je vis en de sombre temps!
Un langage sans malice est signe
De sottise, un front lisse
D’insensibilité. Celui qui rit
N’a pas encore reçu la terrible nouvelle.
Que sont donc ces temps, où
Parler des arbres est presque un crime
Puisque c’est faire silence sur temps de forfaits!
Celui qui là-bas traverse tranquillement la rue
N’est-il donc plus accessible à ses amis
Qui sont dans la détresse?
C’est vrai: je gagne encore de quoi vivre.
Mais croyez-moi: c’est pur hasard. Manger à ma faim,
Rien de ce que je fais ne m’en donne le droit.
Par hasard je suis épargné. (Que ma chance me quitte et je suis perdu.)
On me dit: mange, toi, et bois! Sois heureux d’avoir ce que tu as!
Mais comment puis-je manger et boire, alors
Que j’enlève ce que je mange à l’affamé,
Que mon verre d’eau manque à celui qui meurt de soif?
Et pourtant je mange et je bois.
J’aimerais aussi être un sage.
Dans les livres anciens il est dit ce qu’est la sagesse:
Se tenir à l’écart des querelles du monde
Et sans crainte passer son peu de temps sur terre.
Aller son chemin sans violence
Rendre le bien pour le mal
Ne pas satisfaire ses désirs mais les oublier
Est aussi tenu pour sage.
Tout cela m’est impossible:
Vraiment, je vis en de sombres temps!

II
Je vins dans les villes au temps du désordre
Quand la famine y régnait.
Je vins parmi les hommes au temps de l’émeute
Et je m’insurgeai avec eux.
Ainsi se passa le temps
Qui me fut donné sur terre.
Mon pain, je le mangeais entre les batailles,
Pour dormir je m’étendais parmi les assassins.
L’amour, je m’y adonnais sans plus d’égards
Et devant la nature j’étais sans indulgence.
Ainsi se passa le temps
Qui me fut donné sur terre.
De mon temps, les rues menaient au marécage.
Le langage me dénonçait au bourreau.
Je n’avais que peu de pouvoir. Mais celui des maîtres
Était sans moi plus assuré, du moins je l’espérais.
Ainsi se passa le temps
Qui me fut donné sur terre.
Les forces étaient limitées. Le but
Restait dans le lointain.
Nettement visible, bien que pour moi
Presque hors d’atteinte.
Ainsi se passa le temps
Qui me fut donné sur terre.

III
Vous, qui émergerez du flot
Où nous avons sombré
Pensez
Quand vous parlez de nos faiblesses
Au sombre temps aussi
Dont vous êtes saufs.
Nous allions, changeant de pays plus souvent que de souliers,
A travers les guerres de classes, désespérés
Là où il n’y avait qu’injustice et pas de révolte.
Nous le savons:
La haine contre la bassesse, elle aussi
Tord les traits.
La colère contre l’injustice
Rend rauque la voix. Hélas, nous
Qui voulions préparer le terrain à l’amitié
Nous ne pouvions être nous-mêmes amicaux.
Mais vous, quand le temps sera venu
Où l’homme aide l’homme,
Pensez à nous
Avec indulgence.

Poèmes – Tome 6. Poèmes d’exil, poèmes ne figurant pas dans des recueils, chansons et poèmes extraits des pièces (1941-1947).

Questions que se pose un ouvrier qui lit

Qui a construit Thèbes aux sept portes ?
Dans les livres, on donne les noms des rois.
Les rois ont-ils traîné les blocs de pierre ?
Babylone, détruite plusieurs fois,
Qui tant de fois l’a reconstruite ? Dans quelles maisons
De Lima la dorée logèrent les ouvriers du bâtiment ?
Quand la muraille de Chine fut terminée,
Où allèrent ce soir-là les maçons ? Rome la grande
Est pleine d’arcs de triomphe. De qui
Les Césars ont-ils triomphé ? Byzance la tant chantée,
N’avait-elle pour ses habitants
Que des palais? Même en la légendaire Atlantide,
La nuit où la mer l’engloutit, ils hurlaient
Ceux qui se noyaient, ils appelaient leurs esclaves.

Le jeune Alexandre conquit les Indes.
Seul?
César vainquit les Gaulois.
N’avait-il pas à ses côtés au moins un cuisinier?

Quand sa flotte fut coulée, Philippe d’Espagne
Pleura. Personne d’autre ne pleurait?
Frédéric II gagna la guerre de sept ans.
Qui, à part lui était gagnant?

À chaque page une victoire.
Qui cuisinait les festins?
Tous les dix ans un grand homme.
Les frais, qui les payait?

Autant de récits,
Autant de questions.

Histoires d’almanach. 1949. Traduction de Maurice Régnault.

Antonio Machado y Soria

Soria. Cerro de los Moros desde el castillo y la ermita de San Saturio (J. C. Hervás).

La spéculation immobilière menace les paysages qui entourent Soria et qu’ ont immortalisés les poètes Antonio Machado et Gustavo Adolfo Bécquer. Voir la pétition lancée par notre amie Carmen Heras Uriel.

https://www.change.org/p/el-pueblo-de-soria-que-el-ayuntamiento-de-soria-no-permita-urbanizar-los-parajes-que-inspiraron-a-machado/u/28504678?cs_tk=AtmvLHZp3p9kAnYVI2AAAXicyyvNyQEABF8BvIrK_XTRxurhhfEexcWCzw8%3D&utm_campaign=82a84e68b9c346c2b27503ef4ff5de00&utm_content=initial_v0_4_0&utm_medium=email&utm_source=petition_update&utm_term=cs

Julio Llamazares.

Julio Llamazares a publié dans le journal El País hier un bel article qui rappelle l’importance de la préservation de cet endroit magnifique: Paisaje y memoria.

https://elpais.com/opinion/2021-02-05/paisaje-y-memoria.html

“Decía alguien que los paisajes no existen hasta que los colonizan los escritores o los pintores y esa curva de ballesta que el río Duero traza a los pies de Soria es el ejemplo más claro de que es así. La mirada de Antonio Machado compuso ese lugar para nosotros y ya siempre será como él lo cantó en sus versos, impregnado el paisaje de la emoción que a él le produjo y que es ya patrimonio de todos independientemente de su propiedad real. El paisaje es memoria y como tal nos pertenece a todos, y más en el caso de que constituya un patrimonio cultural y estético, como es el de Soria para su suerte.

Hasta el Romanticismo el paisaje era el decorado del teatro de la vida de los hombres, el telón el fondo del escenario que para nada o muy poco influía en la obra, pero hoy ya sabemos que el paisaje es algo más y lo sabemos por personas como Machado, gente que entendió muy pronto que el paisaje es el alma de las personas, el espejo que refleja sus emociones y sus deseos y que los guarda cuando desaparecen.” (Julio Llamazares)

Antonio Machado. Campos de Castilla. Fac-similé de la couverture de l’édition de 1912.

Campos de Soria (Antonio Machado)

                I

Es la tierra de Soria, árida y fría.
Por las colinas y las sierras calvas,
verdes pradillos, cerros cenicientos,
la primavera pasa
dejando entre las hierbes olorosas
sus diminutas margaritas blancas.

La tierra no revive, el campo sueña.
Al empezar abril está nevada
la espalda del Moncayo;
el caminante lleva en su bufanda
envueltos cuello y boca, y los pastores
pasan cubiertos con sus luengas capas.

                II

Las tierras labrantías,
como retazos de estameñas pardas,
el huertecillo, el abejar, los trozos
de verde oscuro en que el merino pasta,
entre plomizos peñascales, siembran
el sueño alegre de infantil Arcadia.
En los chopos lejanos del camino,
parecen humear las yertas ramas
como un glauco vapor -las nuevas hojas-
y en las quiebras de valles y barrancas
blanquean los zarzales florecidos,
y brotan las violetas perfumadas.

                III

Es el campo ondulado, y los caminos
ya ocultan los viajeros que cabalgan
en pardos borriquillos,
ya al fondo de la tarde arrebolada
elevan las plebeyas figurillas,
que el lienzo de oro del ocaso manchan.
Mas si trepáis a un cerro y veis el campo
desde los picos donde habita el águila,
son tornasoles de carmín y acero,
llanos plomizos, lomas plateadas,
circuídos por montes de violeta,
con las cumbre de nieve sonrosada.

                IV

¡ Las figuras del campo sobre el cielo !
Dos lentos bueyes aran
en un alcor, cuando el otoño empieza,
y entre las negras testas doblegadas
bajo el pesado yugo,
pende un cesto de juncos y retama,
que es la cuna de un niño;
y tras la yunta marcha
un hombre que se inclina hacia la tierra,
y una mujer que en las abiertas zanjas
arroja la semilla.
Bajo una nube de carmín y llama,
en el oro fluido y verdinoso
del poniente, las sombras se agigantan.

                V

La nieve. En el mesón al campo abierto
se ve el hogar donde la leña humea
y la olla al hervir borbollonea.
El cierzo corre por el campo yerto,
alborotando en blancos torbellinos
la nieve silenciosa.
La nieve sobre el campo y los caminos
cayendo está como sobre una fosa.
Un viejo acurrucado tiembla y tose
cerca del fuego; su mechón de lana
la vieja hila, y una niña cose
verde ribete a su estameña grana.
Padres los viejos son de un arriero
que caminó sobre la blanca tierra
y una noche perdió ruta y sendero,
y se enterró en las nieves de la sierra.
En torno al fuego hay un lugar vacío,
y en la frente del viejo, de hosco ceño,
como un tachón sombrío
– tal el golpe de un hacha sobre un leño -.
La vieja mira al campo, cual si oyera
pasos sobre la nieve. Nadie pasa.
Desierta la vecina carretera,
desierto el campo en torno de la casa.
La niña piensa que en los verdes prados
ha de correr con otras doncellitas
en los días azules y dorados,
cuando crecen las blancas margaritas.

                VI

¡ Soria fría, Soria pura,
cabeza de Extremadura,
con su castillo guerrero
arruinado, sobre el Duero;
con sus murallas roídas
y sus casas denegridas !

¡ Muerta ciudad de señores,
soldados o cazadores;
de portales con escudos
de cien linajes hidalgos,
y de famélicos galgos,
de galgos flacos y agudos,
que pululan
por las sórdidas callejas,
y a la medianoche ululan,
cuando graznan las cornejas !

¡ Soria fría ! La campana
de la Audiencia da la una.
Soria, ciudad castellana
¡ tan bella ! bajo la luna.

                VII

¡ Colinas plateadas,
grises alcores, cárdenas roquedas
por donde traza el Duero
su curva de ballesta
en torno a Soria, oscuros encinares,
ariscos pedregales, calvas sierras,
caminos blancos y álamos del río,
tardes de Soria, mística y guerrera,
hoy siento por vosotros, en el fondo
del corazón, tristeza,
tristeza que es amor ! ¡ Campos de Soria
donde parece que las rocas sueñan,
conmigo vais ! ¡Colinas plateadas,
grises alcores, cárdenas roquedas !…

                 VIII

He vuelto a ver los álamos dorados,
álamos del camino en la ribera
del Duero, entre San Polo y San Saturio,
tras las murallas viejas
de Soria – barbacana
hacia Aragón, en castellana tierra -.

Estos chopos del río, que acompañan
con el sonido de sus hojas secas
el son del agua cuando el viento sopla,
tienen en sus cortezas
grabadas iniciales que son nombres
de enamorados, cifras que son fechas.

¡ Álamos del amor que ayer tuvisteis
de ruiseñores vuestras ramas llenas;
álamos que seréis mañana liras
del viento perfumado en primavera;
álamos del amor cerca del agua
que corre y pasa y sueña,
álamos de las márgenes del Duero,
conmigo váis, mi corazón os lleva !

                IX

¡ Oh, sí ! Conmigo vais, campos de Soria,
tardes tranquilas, montes de violeta,
alamedas del río, verde sueño
del suelo gris y de la parda tierra,
agria melancolía
de la ciudad decrépita,
me habéis llegado al alma,
¿o acaso estabais en el fondo de ella ?
¡ Gente del alto llano numantino
que a Dios guardáis como cristianas viejas,
que el sol de España os llene
de alegría, de luz y de riqueza !

Campos de Castilla. 1912.

Terres de Soria

I

La terre de Soria est aride et froide.
Sur les collines et les sierras pelées
sur les vertes prairies, sur les coteaux de cendre,
le printemps passe
laissant entre les herbes odorantes
ses minuscules pâquerettes blanches.

La terre ne revit pas, la campagne songe.
Quand arrive avril, le flanc du Moncayo
de neige est recouvert ;
le voyageur a le cou et la bouche
enveloppés dans son écharpe et les bergers
passent revêtus de leurs longues capes.

II

Les terres de labour
comme des morceaux d’étamine brune,
le potager, la ruche, les carrés
de vert sombre où paissent les moutons
au milieu de rochers de plomb sèment
un rêve joyeux d’enfantine Arcadie.
Sur les peupliers éloignés du chemin
des branches raides semblent s’élever
comme une vapeur glauque – les feuilles nouvelles –
et dans les fentes des vallées et des ravins
les ronceraies en fleur sont toutes blanches
et poussent les violettes parfumées.

III

Dans les champs ondulés, les chemins
tantôt cachent les voyageurs
montant de petits ânes gris,
tantôt sur le fond du soir rougeoyant
élèvent des silhouettes plébéiennes
qui sur la toile d’or du couchant se détachent.
Mais si vous grimpez sur une colline et que du haut
des pics où habite l’aigle vous regardez les champs,
tout n’est que chatoiement de carmin et d’acier,
plaines couleur de plomb, mamelons argentés,
cernés de montagnes violettes,
aux cimes enneigées de rose.

IV

Les silhouettes des champs sur le ciel !
Deux bœufs labourent lentement
sur un coteau, quand commence l’automne.
Entre les deux têtes noires
penchées sur le joug pesant
pend un panier de jonc et de genêt
qui est le berceau d’un enfant ;
et derrière l’attelage marchent
un homme incliné vers le sol
et une femme qui dans les sillons ouverts
jettent la semence.
Sous un nuage de carmin et de flamme,
dans l’or fluide et verdoyant
du couchant, les ombres grandissent démesurément.

V

La neige. Dans l’auberge sur la campagne ouverte
on voit l’âtre où fument les bûches
et où la marmite bouillonne.
La bise court sur les champs gelés,
soulevant en blancs tourbillons
la neige silencieuse.
Sur les champs et sur les chemins
la neige tombe comme sur une fosse.
Blotti près du feu un vieil homme
tremble et tousse, la vielle file
sa touffe de laine, et une fillette
coud un galon vert à sa bure grenat.
Les vieux sont les parents d’un muletier
qui cheminait sur la terre blanche,
et une nuit perdit la route et le sentier
et s’ensevelit dans les neiges de la sierra.
Près du feu il y a une place vide,
et sur le front renfrogné du vieillard,
comme une tache sombre,
– telle sur un tronc la marque de la hache – .
La vieille regarde la campagne comme si elle entendait
des pas sur la neige. Nul ne passe.
La route voisine, déserte.
Déserte la campagne autour de la maison.
La fillette songe qu’avec ses amies
sur les vertes prairies elle ira courir
dans les jours bleus et dorés,
quand pousseront les blanches marguerites.

VI

Soria du froid, Soria pure,
capitale d’Estrémadure,
avec son château guerrier
tombant en ruine, sur le Douro,
avec ses murailles rongées
et ses maisons toutes noircies !

Morte cité de grands seigneurs,
soldats ou bien chasseurs;
aux porches ornés d’écussons
de cent lignées faméliques,
aux lévriers maigres et fins
qui pullulent
le long des ruelles sordides,
et qui à la minuit hululent,
lorsque croassent les corneilles !

Soria du froid ! La cloche sonne
une heure au tribunal.
Soria, cité castillane,
si belle ! Sous la lune.

VII

Collines argentées,
coteaux grisâtres, rocailles violacées
où le Douro dessine
sa courbe d’arbalète
autour de Soria, obscures chênaies,
champs de cailloux, sauvages, sierras pelées,
chemins tout blancs, peupliers du rivage,
soirs de Soria, mystique et guerrière,
aujourd’hui je ressens pour vous au fond du coeur
une tristesse,
une tristesse qui est amour! Champs de Soria
où l’on dirait que rêvent les rochers,
je vous emporte en moi ! Collines argentées,
coteaux de gris, rochers de pourpre !…

VIII

Je suis revenu voir les peupliers dorés,
Peupliers du chemin sur le rivage
du Douro, entre San Polo et San Saturio,
au-delà des vieilles murailles
de Soria – barbacane tournée
vers l’Aragon, en terre castillane.

Ces peupliers de la rivière, qui accompagnent
du bruissement de leurs feuilles sèches
le son de l’eau, quand le vent souffle,
ont sur l’écorce,
gravées, des initiales qui sont des noms
d’amoureux, des chiffres qui sont des dates.
Peupliers de l’amour dont les branches hier
étaient remplies de rossignols;
peupliers qui serez demain les lyres
du vent parfumé au printemps;
peupliers de l’amour près de l’eau
qui coule, passe et songe,
peupliers des berges du Douro,
vous êtes en moi, mon coeur vous emporte !

IX

Oui, vous êtes en moi, campagnes de Soria,
soirs tranquilles, monts de violette,
allées de peupliers le long de la rivière,
Oh ! Verte rêverie du sol gris et de la terre brune
âcre mélancolie
de la ville décrépite,
vous êtes parvenus jusqu’au fond de mon âme
ou bien vous étiez là, peut-être, tout au fond ?
Gens du haut plateau de Numance
qui gardez Dieu ainsi que vieilles chrétiennes,
que le soleil d’Espagne vous emplisse
de joie, de lumière, de richesses !

Poésies. Paris, Gallimard, 1980. Traduction: Sylvie Léger, Bernard Sesé.

(Pour Julia, née le 3 février 2021 à Burgos, et Gabriel, attendu cette semaine à Madrid.)

Ludwig Wittgenstein – Georg Trakl

Ludwig Wittgenstein. 1930.

Ludwig Wittgenstein est né à Vienne le 26 avril 1889. C’est le plus jeune d’une famille de huit enfants. Ses grands-parents, d’origine juive, viennent de Westphalie et s’installent à Vienne. Ils se convertissent au protestantisme. Son père Karl (1847-1913) fait fortune dans l’industrie sidérurgique et devient un des plus riches industriels d’Autriche. Sa mère, Leopoldine Kalmus (1850-1926), est catholique. Tous deux sont musiciens. Mécènes des avant-gardes, ils reçoivent chez eux de grands artistes de l’époque (Johannes Brahms, Gustav Mahler, Bruno Walter). Les trois sœurs et les quatre frères de Ludwig possèdent tous des dons artistiques et intellectuels. Sa famille ne le juge pas, lui, très doué. Il fréquente une école technique privée à Linz. Parmi les élèves de sa classe durant l’année solaire 1904-05: Adolf Hitler.

Ludwig fait des études d’ingénieur en mécanique à la Technische Hochschule de Berlin (1906), puis se spécialise en aéronautique à l’Université de Manchester (1908). Il s’inscrit ensuite au Trinity College de Cambridge (1912). Il y fait la connaissance de Bertrand Russell qui devient son ami. Il s’intéresse alors particulièrement aux mathématiques pures et à leurs fondements.

En 1913, à la mort de Karl Wittgenstein, la fortune familiale est divisée entre son épouse et ses six enfants encore vivants. Ludwig Wittgenstein se retire alors dans la solitude d’un fjord en Norvège. Il construit de ses mains, à flanc de colline, une cabane en bois d’où il puise de l’eau dans le lac, avec un treuil et un seau. Skoldjen, le premier village, 200 habitants, est à plusieurs heures, en barque l’été ou à pied sur le lac gelé. Il choisit de distribuer anonymement 100 000 couronnes à des artistes autrichiens (l’architecte Adolf Loos, le peintre Oskar Kokoschka, les poètes Rainer Maria Rilke, Else Lasker-Schüler et Georg Trakl entre autres) et le reste de sa part à ses frères et soeurs. Il commence à écrire, dans un isolement presque total. Il continuera à tenir des carnets de notes pendant la guerre de 1914-1918. Il sert alors dans l’armée autrichienne à titre d’engagé volontaire.

Le 27 juillet 1914, Ludwig Wittgenstein autorise Ludwig von Ficker, l’ami et le protecteur de Georg Trakl, à donner 20 000 couronnes au poète en les prenant sur la somme de 100 000 couronnes qu’il a mise à sa disposition. Ficker organise une rencontre entre Trakl et Wittgenstein, en service sur un bateau qui patrouille sur la Vistule, non loin de Cracovie. Mais Trakl n’a pas le temps de profiter de cette générosité. Il meurt, dans la nuit du 2 au 3 novembre 1914, d’une overdose de cocaïne à l’hôpital militaire de Cracovie, deux jours avant l’arrivée du philosophe. «Mais qui donc pouvait-il être?» se demandera Rainer Maria Rilke, juste après la mort de Georg Trakl, sans parvenir à répondre à cette question.

Ludwig Wittgenstein devient jardinier au monastère de Hütteldorf, en Basse-Autriche. Il cultive des légumes et des roses. Mais il y a trop de monde à son goût. Il retourne dans sa cabane en Norvège, au bord du fjord. Il revient plus tard en Autriche et se fait engager comme instituteur dans des villages de montagne de 1920 à 1926.

Margarethe Stonborough (Gustav Klimt). 1905. Munich, Neue Pinakothek.

En 1927-1928, il est de retour à Vienne. Á la demande de sa sœur, Margarethe Stonborough (1882-1958), il fait les plans de la Maison Wittgenstein. Il la construit avec les architectes Jacques Groag et Paul Engelmann (1891-1965), tous deux élèves d’Adolf Loos. C’est un bâtiment de style moderniste, inspiré par l’anti-ornementalisme pratiqué et théorisé par Adolf Loos.

Vienne. Parkgasse 18. Maison Wittgenstein, 1928 (Jacques Groag-Paul Engelmann), aujourd’hui Institut culturel bulgare.

En 1927, sous la pression du philosophe Moritz Schlick (1882-1936), un des chefs de file du Cercle de Vienne, il recommence à s’intéresser à la philosophie et sa pensée prend un tour nouveau. Il revient à Cambridge en 1929. Il enseigne la philosophie au Trinity College, avec quelques interruptions, de 1930 jusqu’en 1947. Ludwig Wittgenstein acquiert la nationalité anglaise en 1938. Il entre incognito dans les services médicaux britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est garçon de salle, puis aide-infirmier. Il meurt d’un cancer à Cambridge le 29 avril 1951, à 62 ans.

Formule du Tractatus Logico-philosophicus, publié en 1921 en allemand et en 1922 en anglais: « Ce qu’on ne peut dire, il faut le taire.» (“Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen.”)

Julien Duvivier – Damia

Vu hier soir sur Arte le film La Tête d’un homme ( 1933 ) de Julien Duvivier, d’après le roman de Georges Simenon publié en 1931. C’est la troisième adaptation cinématographique d’un roman de cet auteur après La Nuit du carrefour ( 1932 ) de Jean Renoir et Le Chien jaune ( 1932 ) de Jean Tarride. Le film a un peu vieilli, mais on y voit la patte de Julien Duvivier qui est un bon metteur en scène.

( Distribution: Harry Baur. Valéry Inkijinoff. Alexandre Rignault. Gaston Jacquet. Gina Manès. Missia. Line Noro. Damia. )

https://www.arte.tv/fr/videos/092952-000-A/la-tete-d-un-homme/

Le film évoque le quartier de Montparnasse dans les années 30. La Brasserie La Coupôle du roman devient L’Éden dans le film. On sent dans ce film la noirceur et le pessimisme caractéristiques des films de ce metteur en scène. On trouve très souvent des portraits de femmes particulièrement cyniques. Jean Radek, l’ancien étudiant en médecine, tuberculeux et sans ressources, est inspiré du personnage de Raskolnikov dans Crime et Châtiment de Dostoïevski.
Le jeu des acteurs est encore marqué par certains tics du cinéma muet.

Jean Renoir a dit au sujet de Duvivier : « Si j’étais architecte et devais construire un monument du cinéma, je placerais une statue de Duvivier au-dessus de l’entrée. Ce grand technicien, ce rigoriste, était un poète. » Ingmar Bergman et Orson Welles admiraient aussi Duvivier.

Georges Simenon n’avait pas l’air très content de l’adaptation de ses romans à l’écran à cette époque même si Julien Duvivier était un de ses amis.

« Un petit secret pour ceux qui ne sont pas au courant. Moi-même, à ce moment-là, nouveau venu dans le cinéma, j’ai été surpris quand j’ai vu, alors que mon coupable montait l’escalier de son hôtel meublé, une porte large ouverte et, couché sur un lit miteux, Damia, qui devait devenir une de mes grandes amies, qui chantait une chanson. Qu’est-ce qu’une chanson venait faire dans ce film, qui n’avait rien de folâtre ni de sentimental ? Je me le suis demandé jusqu’à ce qu’un initié me renseigne. En dehors de ce qu’il touchait du producteur, le metteur en scène recevait un pourcentage, chaque fois que le film était projeté, de la SACEM, qui s’occupait surtout des musiciens et des chanteurs. » ( Point-virgule, Dictée du 17 août 1977 )

Pendant cinq ans, Simenon n’accorda aucun droit cinématographique sur ses œuvres.

Damia.

J’ai été ému cependant par l’apparition de la grande chanteuse Damia ( 1889-1978 ), la tragédienne de la chanson, qui apparaît en chanteuse camée, égrenant une « complainte » désespérée.

Complainte. (Paroles: Julien Duvivier. Musique: Jacques Dallin.)

Pour connaître un jour l’étreinte
Qui rive éternellement
J’ai tout quitté, tout, sans crainte
Et suis partie follement
Mais j’ai cherché le visage
De l’amour que j’ai rêvé
Sur chaque être de passage
Et je ne l’ai pas trouvé

Et traînant
Âprement
L’épouvante d’être seule
Dans la foule
Qui me roule
Seule comme en un linceul
Poursuivant
Le néant
D’amours sans lendemains
Sans caresses
Sans tendresse
J’ai vécu mon destin
Et la nuit
M’envahit
Tout est brume
Tout est gris

Un jour, berçant ma chimère
Je connus, lorsque tu vins
Que mon bonheur sur la Terre
Tu le tenais dans tes mains
Mais sans comprendre ma fièvre
La détresse de mes cris
Je n’aperçus sur tes lèvres
Qu’un sourire de mépris

Et vivant
Âprement
L’épouvante de te voir
Dans la houle
De la foule
Fuir avec mon seul espoir
Poursuivant
Le néant
D’amours sans lendemains
Sans caresses
Sans tendresse
J’ai repris mon destin
Et la nuit
M’envahit
Tout est brume
Tout est gris

https://www.youtube.com/watch?v=P48sUr3cGRs

Damia était admirée par des écrivains comme Jean Cocteau ou Robert Desnos. Plus tard, des cinéastes comme Jean Eustache, Aki Kaurismäki ou Claude Chabrol ont refait entendre ses chansons. Un jardin porte son nom à paris dans le XI ème arrondissement.

Je me souviens particulièrement du rôle des chansons dans les films de Jean Eustache ( La Maman et la Putain. 1973 ). Il ne les utilise pas comme un fond sonore. Elles sont étroitement liées à l’action. Ce metteur en scène connaissait par coeur les chansons populaires de Charles Trénet ( Douce France ), Édith Piaf ( Les amants de Paris ), Fréhel ( La chanson des fortifs ), Damia ( Un souvenir ) , Lucienne Delyle ( Mon Amant de Saint-Jean ).

Jardin Damia. Paris XI.

Georg Trakl 1887 – 1914

Georg Trakl (Max von Esterles 1870-1947) 1913.

Grodek

Le soir, les forêts automnales résonnent
D’armes de mort, les plaines dorées,
Les lacs bleus, sur lesquels le soleil
Plus lugubre roule, et la nuit enveloppe
Des guerriers mourants, la plainte sauvage
De leur bouches brisées.
Mais en silence s’amasse sur les pâtures du val
Nuée rouge qu’habite un dieu en courroux
Le sang versé, froid lunaire ;
Toutes les routes débouchent dans la pourriture noire.
Sous les rameaux dorés de la nuit et les étoiles
Chancelle l’ombre de la sœur à travers le bois muet
Pour saluer les esprits des héros, les faces qui saignent ;
Et doucement vibrent dans les roseaux les flûtes sombres de l’automne.
Ô deuil plus fier ! Autels d’airain !
La flamme brûlante de l’esprit, une douleur puissante la nourrit aujourd’hui,
Les descendants inengendrés.

Septembre-octobre 1914.

Crépuscule et déclin suivi de Sébastien en rêve. NRF. Poésie/Gallimard. 1972. Traduction: Marc Petit et Jean-Claude Schneider.

Grodek

Am Abend tönen die herbstlichen Wälder
Von tödlichen Waffen, die goldnen Ebenen
Und blauen Seen, darüber die Sonne
Düstrer hinrollt; umfängt die Nacht
Sterbende Krieger, die wilde Klage
Ihrer zerbrochenen Münder.
Doch stille sammelt im Weidengrund
Rotes Gewölk, darin ein zürnender Gott wohnt
Das vergoßne Blut sich, mondne Kühle;
Alle Straßen münden in schwarze Verwesung.
Unter goldnem Gezweig der Nacht und Sternen
Es schwankt der Schwester Schatten durch den schweigenden Hain,
Zu grüßen die Geister der Helden, die blutenden Häupter;
Und leise tönen im Rohr die dunkeln Flöten des Herbstes.
O stolzere Trauer! ihr ehernen Altäre
Die heiße Flamme des Geistes nährt heute ein gewaltiger Schmerz,
Die ungebornen Enkel.

Le poète Georg Trakl est né le 3 février 1887 à Salzbourg (Autriche-Hongrie, aujourd’hui en Autriche). C’est le plus grand des poètes expressionnistes. Il est le contemporain de Rainer Maria Rilke (1875-1926) et de Hugo von Hoffmansthal (1874-1929).

Ce poème est le dernier qu’il ait écrit. Il figure avec Lamentation, dans la dernière lettre adressée de Cracovie, le 27 octobre 1914, à son ami Ludwig von Ficker (1880-1967) qui dirige Der Brenner, revue qu’il a fondée en 1910. La bataille de Grodek, en Galicie, (6-11 septembre 1914) se solde par une défaite autrichienne devant les Russes. Trakl, qui s’est engagé comme pharmacien militaire en 1910, soigne les blessés. Le 7 octobre, il fait une tentative de suicide.
«Je suis en observation à l’hôpital militaire de Cracovie pour troubles mentaux. Ma santé est en péril et je sombre très souvent dans une tristesse indicible.»
«Je me sens presque déjà de l’autre côté du monde.»
Il lit aussi ce poème à son ami lorsque celui-ci qui vient lui rendre visite à l’hôpital les 24 et 25 octobre. Cette dénonciation de la guerre est son véritable testament lyrique. Ces images de souffrance et de folie meurtrière sont pour lui la confirmation définitive, la manifestation réelle de ses visions apocalyptiques.
Il meurt le 3 novembre 1914 à Cracovie (Autriche-Hongrie, aujourd’hui en Pologne), d’une paralysie cardiaque due à l’absorption de cocaïne.

William Butler Yeats 1865 – 1939

Portrait de W. B. Yeats. 1908. (John Singer Sargent). Collection privée.

Le poète et dramaturge irlandais William Butler Yeats est né le 13 juin 1865 à Sandymount (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, aujourd’hui comté de Dublin en Irlande). C’est le fils de l’avocat et peintre John Butler Yeats (1839–1922). Il est à l’origine du renouveau de la littérature irlandaise (Irish Literary Revival ou Renouveau de la Littérature Irlandaise), mais aussi engagé dans la lutte nationaliste. Il est sénateur de l’État libre d’Irlande (Seanad Éireann) de 1922 à 1928. Il reçoit le Prix Nobel de Littérature en 1923. Il quitte la politique en 1930 et se retire dans le sud de la France. Il meurt le 28 janvier 1939 à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes).

L’île sur le Lac, à Innisfree

Que je me lève et je parte, que je parte pour Innisfree,
Que je me bâtisse là une hutte, faite d’argile et de joncs.
J’aurai neuf rangées de haricots, j’aurai une ruche
Et dans ma clairière je vivrai seul, devenu le bruit des abeilles.

Et là j’aurai quelque paix car goutte à goutte la paix retombe
Des brumes du matin sur l’herbe où le grillon chante,
Et là minuit n’est qu’une lueur et midi est un rayon rouge
Et d’ailes de passereaux déborde le ciel du soir.

Que je me lève et je parte, car nuit et jour
J’entends clapoter l’eau paisible contre la rive.
Vais-je sur la grand route ou le pavé incolore,
Je l’entends dans l’âme du cœur.

Quarante-cinq poèmes, suivi de La Résurrection. Hermann, 1989 pour la traduction française de Yves Bonnefoy . 1993 NRF. Poésie/ Gallimard, Paris, p. 39.

The lake isle of Innisfree

I will arise and go now, and go to Innisfree,
And a small cabin build there, of clay and wattles made :
Nine bean-rows will I have there, a hive for the honeybee,
And live alone in the bee-loud glade.

And I shall have some peace there, for peace comes dropping slow,
Dropping from the veils of the morning to where the cricket sings ;
There midnight’s all a glimmer, and noon a purple glow,
And evening full of the linnet’s wings.

I will arise and go now, for always night and day
I hear lake water lapping with low sounds by the shore;
While I stand on the roadway, or on the pavements grey,
I hear it in the deep heart’s core.

1888. publié dans le National Observer le 13 décembre 1890.

The Countess Kathleen and Various Legends and Lyrics. 1892.

Ce poème en trois quatrains a été composé en 1888. Il évoque l’une des îles inhabitées du lac Lough Gill (Loch Gile en gaélique), dans le comté de Sligo, au nord-ouest de la République d’Irlande, un endroit où Yeats passait ses vacances quand il était enfant.

Le poète a raconté la génèse de ce texte: «Mon père m’avait lu un passage du Walden de Thoreau et j’eus alors l’idée de vivre un jour dans une chaumière sur une petite île du nom d’Innisfree.» Il a expliqué qu’il voulait vivre dans cette île comme le faisait Henry David Thoreau (1817-1862) dont l’œuvre majeure, Walden ou la Vie dans les bois (1854), est une réflexion sur l’économie, la nature et la vie simple menée à l’écart de la société, écrite lors d’une retraite de deux années dans une cabane en bois, bâtie de ses mains, au bord de l’étang de Walden à quelques kilomètres de Concord (Massachussets).

Le poème est venu à Yeats alors qu’il marchait dans Fleet Street, à Londres. Il avait le mal du pays et a entendu un léger bruit d’eau venant d’une fontaine dans laquelle dansait une boule de bois. Cela lui a rappelé l’eau du lac.

Lough Gill et Innisfree.

Federico García Lorca

Federico García Lorca.

Éste es el prólogo

Dejaría en este libro
toda mi alma.
Este libro que ha visto
conmigo los paisajes
y vivido horas santas.

¡Qué pena de los libros
que nos llenan las manos
de rosas y de estrellas
y lentamente pasan!

¡Qué tristeza tan honda
es mirar los retablos
de dolores y penas
que un corazón levanta!

Ver pasar los espectros
de vidas que se borran,
ver al hombre desnudo
en Pegaso sin alas,

ver la vida y la muerte,
la síntesis del mundo,
que en espacios profundos
se miran y se abrazan.

Un libro de poesías
es el otoño muerto:
los versos son las hojas
negras en tierras blancas.

Y la voz que los lee
es el soplo del viento
que los hunde en los pechos,
-entrañables distancias-.

El poeta es un árbol
con frutos de tristeza
y con hojas marchitas
de llorar lo que ama.

El poeta es el médium
de la Naturaleza
que explica su grandeza
por medio de palabras.

El poeta comprende
todo lo incomprensible,
y a cosas que se odian,
él, amigas las llama.

Sabe que los senderos
son todos imposibles,
y por eso de noche
va por ellos en calma.

En los libros de versos,
entre rosas de sangre,
van desfilando las tristes
y eternas caravanas

que hicieron al poeta
cuando llora en las tardes,
rodeado y ceñido
por sus propios fantasmas.

Poesía es amargura,
miel celeste que mana
de un panal invisible
que fabrican las almas.

Poesía es lo imposible
hecho posible. Arpa
que tiene en vez de cuerdas
corazones y llamas.

Poesía es la vida
que cruzamos con ansia
esperando al que lleva
sin rumbo nuestra barca.

Libros dulces de versos
son los astros que pasan
por el silencio mudo
al reino de la Nada,
escribiendo en el cielo
sus estrofas de plata.

¡Oh, qué penas tan hondas
y nunca remediadas,
las voces dolorosas
que los poetas cantan!

Dejaría en el libro
este toda mi alma…

Asquerosa (luego Valderrubio) , 7 de agosto de 1918.
Otros poemas sueltos.

Il s’agit du premier manifeste poétique de Federico García Lorca. Il l’a rédigé en 1918 et se considère écrivain et poète depuis peu. En 1944, Antonio Gallego Morell a publié ce texte dans la revue La Estafeta Literaria (n.º 16). Federico l’ avait écrit sur un exemplaire des Poesías Completas d’Antonio Machado (Ediciones de la Residencia de Estudiantes) qu’il avair remis à Antonio Gallego Burín (1895-1961), son ami d’alors. Celui-ci sera maire de Grenade et gouverneur civil de la province sous le franquisme. Cette version du texte est celle des Oeuvres complètes, publiées par Aguilar en 1968. Une autre version, légèrement différente, se trouve dans les archives de la famille du poète. Celui-ci avait l’habitude de recopier plusieurs fois ses poèmes.

Federico García Lorca ne portait pas dans son coeur la bourgeoisie rance de sa ville.

«Diálogo con García Lorca». 10 de junio de 1936. Diario El Sol. Encuentro entre el periodista , pintor, dibujante y caricaturista catalán Luis Bagaría i Bou (1882-1940). y Federico García Lorca.

“¿Tú crees que fue un momento acertado devolver las llaves de tu tierra granadina?

Fue un momento malísimo aunque digan lo contrario en las escuelas. Se perdieron una civilización admirable, una poesía, una astronomía, una arquitectura y una delicadeza únicas en el mundo para dar paso a una ciudad pobre, acobardada; a una “tierra del chavico”, donde se agita actualmente la peor burguesía de España.”