Pierre Michon

Pierre Michon. 2017.

Albin Michel a réuni en 2007 trente entretiens avec Pierre Michon : Le roi vient quand il veut. Propos sur la littérature (Le Livre de Poche n° 31892. 2010). L’inspiration vient quand elle veut. La dernière publication consistante de Pierre Michon, Les Onze, date de 2009.

La Grande Beune (Gallimard, Collection Folio n°4345, 2006) est sorti chez Verdier en décembre 1995. Verdier a publié le 23 mars le dyptique Les deux Beune. Une suite donc, plus de 27 ans plus tard. On y retrouve Pierre, le narrateur-instituteur, Mado, sa fiancée, Hélène, l’aubergiste, Yvonne, la buraliste, Jean le Pêcheur, Jeanjean, l’agriculteur… J’ai relu pour l’occasion La Grande Beune cette semaine, La Petite ce sera pour plus tard. Verdier a mis le début du texte sur son site. Cela donne envie…

https://editions-verdier.fr/wp-content/uploads/2023/02/les_deux_beune_extrait.pdf

« Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu’on les invente ; seules m’emportent les apparitions. Celle-ci me mit à l’instant d’abominables pensées dans le sang. C’est peu dire que c’était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c’était du lait. C’était large et riche comme Là-Haut les houris, vaste mais étranglé, avec une taille serrée ; si les bêtes ont un regard qui ne dément par leur corps, c’était une bête ; si les reines ont une façon à elles de porter sur la colonne d’un cou une tête pleine mais pure, clémente mais fatale, c’était la reine. Ce visage royal était nu comme un ventre : là-dedans les yeux très clairs qu’ont miraculeusement des brunes à peau blanche, cette blondeur secrète sous le poil corbeau, cette énigme que rien, si d’aventure vous possédez ces femmes, ni les robes soulevées, ni les cris, ne dénoue. Elle avait entre trente et quarante ans. Tout en elle était connaissance du plaisir, celui sans doute qu’on entend d’habitude, mais celui aussi qu’elle dispensait à tous, à elle-même, à rien quand elle était seule et ne se voyait plus, seulement en posant là le gras de ses doigts, en tournant un peu la tête et alors les sequins d’or qu’elle avait aux oreilles touchaient sa joue, en vous regardant ou en regardant ailleurs, et ce plaisir était vif comme une plaie ; elle savait cela ; elle portait cela avec vaillance, avec passion. Allons, on ne peut en parler ; non, ça n’est pas né de l’argile : c’est comme le battement furieux de milliers d’ailes en tempête et il n’y a pas pourtant de matière plus comble, plus lourde, plus enferrée dans son poids. Le poids de ce mi-corps somme toute gracile en dépit de l’évasement des seins était considérable. Des paquets de cigarettes bien rangés derrière elle l’auréolaient. Je ne voyais pas sa jupe ; c’était pourtant là derrière le comptoir, démesuré, insoulevable. La pluie brusque dehors fouettait les vitres : je l’entendais crépiter sur cette chair intacte. »

« L’accouplement est un cérémonial – s’il ne l’est pas c’est un travail de chien. »

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