Je n’ai pas vu Les Beaux Jours d’Aranjuez (2016), le film de Wim Wenders, tiré d’une pièce de Peter Handke. L’auteur autrichien y fait une brève apparition en jardinier. Les critiques l’avaient très mal reçu.
Reda Kateb qui joue le rôle principal lit un des poèmes d’Antonio Machado que le récent Prix Nobel préfère:
Desnuda está la tierra.
Desnuda está la tierra, y el alma aúlla al horizonte pálido como loba famélica. ¿Qué buscas, poeta, en el ocaso?
¡Amargo caminar, porque el camino pesa en el corazón! ¡El viento helado, y la noche que llega, y la amargura de la distancia!… En el camino blanco
algunos yertos árboles negrean; en los montes lejanos hay oro y sangre… El sol murió… ¿Qué buscas, poeta, en el ocaso?
Soledades, galerías y otros poemas, 1903.
La terre est nue
La terre est nue, et l’âme hurle à l’horizon pâle comme une louve famélique. Que cherches-tu, poète, dans le couchant?
Amère marche, car le chemin est lourd à mon coeur! Le vent glacé, et la nuit qui survient, et l’amertume de la distance!… Sur le chemin blanc
quelques arbres transis font une tache noire; sur les monts lointains il y a de l’or et du sang… Le soleil est mort… Que cherches-tu, poète, dans le couchant?
On peut lire aujourd’hui dans El País un bel article de Pablo de Llano ( El año que el Nobel Peter Handke recorrió los caminos de Soria) qui décrit le séjour de Peter Handke à Soria et son attachement à la Castille, à la Meseta.
Jeudi 10 août 2019, le Nobel de littérature a été décerné à la Polonaise Olga Tokarczuk et le Nobel 2019 à l’autrichien Peter Handke. Je ne connaissais la première que de nom.
«Être un étranger, c’est être libre. Avoir derrière soi un grand espace, une steppe, un désert. Avoir derrière soi la forme de la lune pareille à un berceau, le chant assourdissant des cigales, l’air qui sent bon la peau de melon, le bruissement du scarabée qui, le soir, quand le ciel devient complètement rouge, sort chasser dans le sable. Posséder sa propre histoire, non destinée à tous, son propre récit écrit avec les traces laissées derrière soi.» Les livresde Jakob.
Oeuvres traduites:
Dieu, le temps, les hommes et les anges, Éditions Robert Laffont, «Pavillons. Domaine de l’Est», 1998. Maison de jour, maison de nuit, Éditions Robert Laffont, «Pavillons. Domaine de l’Est», 2001, Récits ultimes, Lausanne, Éditions Noir sur Blanc, «Littérature étrangère» 2007. Les Pérégrins, Lausanne, Éditions Noir sur Blanc, «Littérature étrangère», 2010, Sur les ossements des morts, Lausanne, Éditions Noir sur Blanc, «Littérature étrangère», 2012, Les Livres de Jakób, Lausanne, Éditions Noir sur Blanc, 2018, 1040 p. Les Enfants verts, Lille, Éditions La Contre Allée, «Fictions d’Europe», 2016,
Peter Handke, lui, est bien connu. Il a été aussi très critiqué pour ses positions politiques sur la guerre en ex-Yougoslavie. J’ai lu dans les années 80 L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty (1970) La Courte Lettre pour un long adieu (1972) Le Malheur indifférent (1972) La Femme gauchère (1976) Histoire d’enfant (1981) Essai sur la fatigue (1989), livres le plus souvent traduits par Georges-Arthur Goldschmidt. Je me souviens de sa collaboration féconde avec le Wim Wenders de la grande époque : L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty, 1972. (scénario et roman), Faux Mouvement, 1975 (scénario). Les Ailes du désir, 1987 (scénario – coauteur du synopsis).
Il a décrit avec talent les paysages de la Castille, et particulièrement ceux de la province de Soria, où il a vécu un temps. Il vit maintenant à Chaville dans la région parisienne.
Peter Handke.
En 1996, Patrick Modiano a dédié son roman Du plus loin de l’oubli à Peter Handke. Au printemps 2006, il est parmi les premiers premiers à signer la pétition “Ne censurez pas l’oeuvre de Peter Handke” et à apporter son soutien à l’écrivain autrichien. Celui-ci a traduit en allemand Une jeunesse et La petite Bijou.
Épigraphe de La courte lettre pour un long adieu:
Karl Philipp Moritz, Anton Reiser.
«Et jadis, comme par un matin chaud mais gris ils allèrent devant la porte de la ville, Iffland dit que c’était le temps qu’il fallait pour partir et le temps semblait si voyageur, le ciel si près de la terre, les objets tout autour si sombres! Comme si on ne devait être attentif qu’à la route sur laquelle on voulait cheminer.»
Sculpture de César Vallejo réalisée par un artisan de Santiago de Chuco, village natal du poète.
Le 9 octobre 1937, César Vallejo écrit “Alfonso: estás mirándome, lo veo”, poème dédié à son ami Alfonso de Silva Santisteban, compositeur et pianiste de talent qui est mort à Lima le 7 mai 1937 à 34 ans. De 1925 à 1929, ce musicien vit à Paris et fréquente la bohème parisienne des années 20, mais aussi des écrivains péruviens comme César Moro (1903-1956), César Miró (1907-1999), César Vallejo (1892-1938) ou des musiciens comme Theodoro Valcarcel (1902-1942).
Alfonso de Silva dédie à César Miró son dernier poème en 1937: “Me perdono a mí mismo el haber sido solo un intento de Eternidad… Tú eres casi tan bueno como el intento mío de haber sido” (Revue Caretas, 19 décembre 2002).
Alfonso: estás mirándome, lo veo
Alfonso: estás mirándome, lo veo,
desde el plano implacable donde moran
lineales los siempres, lineales los jamases
(Esa noche, dormiste, entre tu sueño
y mi sueño, en la rue de Ribouté)
Palpablemente,
tu inolvidable cholo te oye andar
en París, te siente en el teléfono callar
y toca en el alambre a tu último acto
tomar peso, brindar
por la profundidad, por mí, por ti.
Yo todavía
compro «du vin, du lait, comptant les sous»
bajo mi abrigo, para que no me vea mi alma,
bajo mi abrigo, aquel, querido Alfonso,
y bajo el rayo simple de la sien compuesta;
yo todavía sufro, y tú, ya no, jamás, hermano!
(Me han dicho que en tus siglos de dolor,
amado sér,
amado estar,
hacías ceros de madera. ¿Es cierto?)
En la «boîte de nuit», donde tocabas tangos,
tocando tu indignada criatura su corazón,
escoltado de ti mismo, llorando
por ti mismo y por tu enorme parecido con tu sombra,
monsieur Fourgat, el patrón, ha envejecido.
¿Decírselo? ¿Contárselo? No más,
Alfonso; eso, ya nó!
El hôtel des Ecoles funciona siempre
y todavía compran mandarinas;
pero yo sufro, como te digo,
dulcemente, recordando
lo que hubimos sufrido ambos, a la muerte de ambos,
en la apertura de la doble tumba,
en esa otra tumba con tu sér,
y de ésta de caoba con tu estar,
sufro, bebiendo un vaso de ti, Silva,
un vaso para ponerse bien, como decíamos,
y después, ya veremos lo que pasa…
Es éste el otro brindis, entre tres,
taciturno, diverso
en vino, en mundo, en vidrio, al que brindábamos
más de una vez al cuerpo
y, menos de una vez, al pensamiento.
Hoy es más diferente todavía;
hoy sufro dulce, amargamente,
bebo tu sangre en cuanto a Cristo el duro,
como tu hueso en cuanto a Cristo el suave,
porque te quiero, dos a dos, Alfonso,
y casi lo podría decir, eternamente.
Poemas humanos, 1939.
Alfonso: tu me regardes, je le vois
Alfonso: tu me regardes, je le vois,
depuis le plan implacable où se tiennent
linéaires les toujours, linéaires les jamais.
(Cette nuit, tu as dormi, entre ton songe
et mon songe, rue Ribouté.)
Manifestement,
ton inoubliable métis t’écoute marcher
dans Paris, t’entend garder silence au téléphone
et touche sur le fil ton dernier acte,
devenir dense, porter un toast
à la profondeur, à toi, à moi.
Moi encore
j’achète «du vin, du lait, comptant les sous»
sous mon manteau, pour que mon âme ne me voie pas,
sous ce manteau, cher Alfonso,
et sous le rayon simple de la tempe parée;
moi je souffre encore, et toi, c’est fini, plus jamais, mon frère!
(On m’a dit qu’au cours de tes siècles de souffrance,
être aimé,
être là aimé,
tu faisais des zéros de bois. Est-ce vrai?)
Dans la «boîte de nuit», où tu jouais des tangos,
ta créature indignée faisant sonner son coeur,
escorté de toi-même, pleurant
à cause de toi et de ton énorme ressemblance avec ton ombre,
monsieur Fourgeat, le patron, a vieilli.
Le lui dire? Le lui conter? C’est tout,
Alfonso; cela, c’est fini!
L’hôtel des Écoles est toujours ouvert
et on achète encore des mandarines;
mais moi je souffre, comme je te dis,
doucement, à me rappeler
ce que nous avons souffert tous deux, à notre mort à tous deux,
à l’ouverture de la double tombe,
dans cet autre tombe avec ton être,
et dans celle d’acajou avec ton être-là;
je souffre, en buvant un verre de toi, Silva,
un verre histoire de se sentir bien, comme nous disions,
et après, on verra bien…
Des trois toasts, voici l’autre, taciturne, différent en vin, en monde, en verre, que nous portions plus d’une fois au corps et, moins d’une fois, à la pensée. Aujourd’hui, c’est encore plus différent; aujourd’hui je souffre doucement, amèrement, je bois ton sang en référence au Christ le dur, je mange ton os en référence au Christ le doux, Alfonso, parce que je t’aime deux par deux, Alfonso, et je pourrais presque le dire, éternellement.
Le miroir de âme. Traduit de l’allemand par Charles Leblanc. 2012. Editions José Corti.
«Un couteau sans lame, auquel manque le manche.»
«Potence avec paratonnerre.»
«Le rêve est une vie»
«Efforce-toi de ne pas être de ton temps.»
«L’homme aime la société, quand même ce ne serait que celle d’une chandelle allumée.»
«Il avait donné des noms à ses deux pantoufles.»
«Cet homme avait tant d’intelligence qu’il n’était presque plus bon à rien dans le monde.»
«Si vous faites peindre une cible sur la porte de votre jardin, vous pouvez être certain que l’on tirera dessus.»
«Que l’homme soit la plus noble des créatures, voilà qui se laisse aussi prouver par le fait qu’aucune autre ne lui a contesté cette affirmation.»
«Parmi les plus grandes découvertes qu’ait faites la raison humaine ces derniers temps il y a, selon moi, l’art de juger les livres sans les avoir lus.»
«Un livre est comme un miroir; si un singe s’y mire, d’évidence il n’y verra point un apôtre. Nous n’avons nulle parole pour parler de sagesse à l’abruti. Il est déjà sage celui qui comprend cela.»
«La plus divertissante des surfaces de cette terre est, pour nous, le visage humain»
«Si un livre et une tête se heurtent et que cela sonne creux, le son provient-il toujours du livre?»
«Le chien est l’animal le plus vigilant, pourtant il dort toute la journée!»
«L’homme vivrait heureux s’il s’occupait aussi peu des affaires d’autrui que des siennes!»
«Il y a vraiment bien des hommes qui ne lisent que pour ne point penser.»
«Les sabliers ne nous rappellent point seulement le rapide cours du temps, mais à la fois la poussière où nous tomberons un jour.»
Présentation de l’auteur sur le site des Editions Corti.
«Né en 1742, passa, depuis l’âge de 21 ans, toute sa vie à l’université de Göttingen, d’abord comme étudiant, puis comme professeur de sciences mathématiques et physiques, chargé plus spécialement de la physique expérimentale.
Il fit deux voyages en Angleterre qui l’influencèrent durablement. Il mourut en 1799. Esprit éclairé, novateur dans le domaine de l’électricité, Lichtenberg ne doit pas sa renommée posthume aux “figures” qui, en physique, portent son nom, mais à ses carnets intimes, dans lesquels il jetait, pêle-mêle, ses idées et ses observations sans intention de les publier jamais : “Éveiller la méfiance envers les oracles : tel est mon but”.
Ce bossu magnifique, dont le corps était ainsi conformé que même un piètre artiste, dans la noirceur, l’aurait mieux dessiné, vit si clairement dans son âme que l’on peut se servir de ses maximes comme d’autant de lanternes magiques pour mieux lire en soi-même.
Esprit anticlérical, il croyait que l’homme recherche la liberté là où elle le rendrait malheureux et qu’il la répudie là où elle ferait sa félicité, en adhérant aveuglément aux opinions d’autrui. Pour lui, le despotisme religieux et de système était le plus effroyable de tous.
Universitaire ironisant contre l’université — “aujourd’hui, disait-il, on cherche partout à répandre le savoir, qui sait si dans quelques siècles, il n’y aura pas des universités pour rétablir l’ancienne ignorance?”, il savait que l’académie réduit l’intellect à écrire des livres sur d’autres livres. D’un collègue, il nota: “Il était encore pendu à l’université du lieu comme un lustre magnifique qui, cependant, n’aurait plus donné de lumière depuis vingt ans”. Mais avant tout, Lichtenberg, admiré de Goethe, de Kant, de Kierkegaard, de Nietzsche, de Tolstoï, fut un humaniste, l’un de ces hommes qui savent qu’une pièce de trois sous vaut et vaudra toujours mieux qu’une larme.»
Livro do Desassossego por Bernardo Soares, 1982. «Aquilo que, creio, produz em mim o sentimento profundo, em que vivo, de incongruência com os outros, e que a maioria pensa com a sensibilidade, e eu sinto com o pensamento. Para o homem vulgar, sentir é viver e pensar é saber viver. Para mim, pensar é viver e sentir não é mais que o alimento de pensar. É curioso que, sendo escassa a minha capacidade de entusiasmo, ela é naturalmente mais solicitada pelos que se me opõem em temperamento do que pelos que são da minha espécie espiritual. A ninguém admiro, na literatura, mais que aos clássicos, que são a quem menos me assemelho. A ter que escolher, para leitura única, entre Chateaubriand e Vieira, escolheria Vieira sem necessidade de meditar. Quanto mais diferente de mim alguém é, mais real me parece, porque menos depende da minha subjectividade. E é por isso que o meu estudo atento e constante é essa mesma humanidade vulgar que repugno e de quem disto. Amo-a porque a odeio. Gosto de vê-la porque detesto senti-la. A paisagem, tão admirável como quadro, é em geral incómoda como leito.» 13-4-1930
Le livre de l’intranquillité de Bernardo Soares. Première partie. L’indifférent. 73. Traduction de Françoise Laye. Christian Bourgois éditeur. 1988. « Ce qui produit en moi, me semble-t-il, ce sentiment profond dans lequel je vis, de discordance avec les autres, c’est que la plupart des gens pensent avec leur sensibilité, et que moi je sens avec ma pensée. Pour l’homme ordinaire, sentir c’est vivre, et penser, c’est savoir vivre. Pour moi, c’est penser qui est vivre, et sentir n’est rien d’autre que l’aliment de la pensée. Il est curieux de constater que, ma capacité d’enthousiasme étant assez limitée, elle est, spontanément, plus sollicitée par ceux qui sont de tempérament opposé au mien, que par ceux qui appartiennent à mon espèce spirituelle. Je n’admire personne en littérature, davantage que les classiques, qui sont certes ceux à qui je ressemble le moins. Si j’avais à choisir, pour unique lecture, entre Vieira et Chateaubriand, c’est Vieira que je choisirais sans avoir à réfléchir longuement. Plus un homme est différent de moi, plus il me paraît réel, précisément parce qu’il dépend moins de ma subjectivité. Et c’est pourquoi mon étude attentive, constante, porte sur cette même humanité banale qui me répugne et dont je me sens si éloigné. Je l’aime parce que je la hais. J’aime à la voir parce que je déteste la sentir. Les paysages, si admirables en tant que tableaux, font en général des lits détestables.»
Libro del desasosiego. “ Aquello que creo produce en mí el sentimiento profundo, en el que vivo, de incongruencia con los otros, es que la mayoría piensa con la sensibilidad y yo siento con el pensamiento. Para el hombre vulgar, sentir es vivir y pensar es saber vivir. Para mí, pensar es vivir y sentir no es más que el alimento del pensar. Es de notar que siendo escasa en mí la capacidad de entusiasmo, ésta es más solicitada por quienes se me oponen en temperamento que por los que son de mi misma especie espiritual. A nadie admiro más en literatura que a los clásicos, que son a quienes menos me parezco. Si tuviera que escoger, entre Chateaubriand o Vieira, escogería a Vieira sin pensarlo dos veces. Cuanto más diferente es alguien de mí, más real me parece, porque depende menos de mi subjetividad. De ello se deriva que mi estudio constante y atento sea esa humanidad habitual que me repugna y de la que me alejo. La amo porque la odio. Me gusta verla porque detesto sentirla. El paisaje, tan admirable como cuadro, no puede ser más incómodo como lecho.»
La malle de l’écrivain devant sa bibliothèque anglaise.
La lecture du roman d’Ersi Sotiropoulos Ce qui reste de la nuit, Stock, 2016, m’ a remis en mémoire les poèmes de Constantin Cavafy, particulièrement La ville. La traduction de Dominique Grandmont me paraît plus satisfaisante que celle de Marguerite Yourcenar, la première et la plus connue.
Le poète grec a fait un bref séjour de trois jours à Paris en juin 1897 avec son frère John.
La Ville
Tu as dit: «J’irai par une autre terre, j’irai par une autre mer. Il se trouvera bien une autre ville, meilleure que celle-ci. Chaque effort que je fais est condamné d’avance; et mon cœur—tel un mort—y gît enseveli. Jusqu’à quand mon esprit va-t-il endurer ce marasme? Où que mes yeux se tournent, où que se pose mon regard, je vois se profiler ici les noirs décombres de ma vie dont après tant d’années je n’ai fait que ruines et gâchis».
Tu ne trouveras pas d’autres lieux, tu ne trouveras pas d’autres mers.
La ville te suivra partout. Tu traîneras
dans les mêmes rues. Et tu vieilliras dans les mêmes quartiers;
c’est dans ces mêmes maisons que blanchiront tes cheveux.
Toujours à cette ville tu aboutiras. Et pour ailleurs—n’y compte pas—
il n’y a plus pour toi ni chemin ni navire.
Pas d’autre vie: en la ruinant ici,
dans ce coin perdu, tu l’as gâchée sur toute la terre.
Traduction Dominique Grandmont, En attendant les barbares et autres poèmes, Gallimard, 2008.
John Donne; Copie d’un tableau d’ Isaac Oliver (1567-1617). 1616. Londres, National Portrait Gallery..
John Donne est né le 22 janvier 1572 à Londres. Ce poète et prédicateur anglais est considéré comme le chef de file de la poésie métaphysique anglaise.
Il est élevé au sein d’une famille catholique. Sa mère, Elizabeth, est la fille de John Heywood, un proche parent de Thomas More (1478-1535). En 1593, son frère cadet, Henry, meurt de fièvre en prison. Il y a été enfermé pour avoir hébergé illégalement un prêtre. Sous le règne d’Élisabeth I (1558-1603), la persécution des catholiques est courante.
John Donne veut faire carrière dans les services de l’État et fait des études de droit. Étant catholique, il ne peut pas obtenir de diplôme. Mais, dans les années 1590, avant ou peu après la mort de son frère, il se convertit à l’anglicanisme.
En 1598, il devient le secrétaire du Garde des Sceaux, Thomas Egerton (lord Ellesmere). Bien qu’il soit très estimé par son protecteur, celui-ci le renvoie en 1601, pour avoir épousé en secret sa nièce, Ann More, agée de dix-sept ans.
Destitué, un temps emprisonné, John Donne partage alors avec sa femme, quatorze années très difficiles où se succèdent les œuvres de circonstance pour gagner la faveur de personnages influents. Ils ont douze enfants.
Il célèbre l’amour charnel en disant les choses crûment, mais sans jamais exclure la dimension spirituelle de l’union des amants.
Il est ordonné prêtre en 1615 et devient prédicateur à Lincoln’s Inn (1616-1621), puis doyen de la cathédrale Saint-Paul (1621). John Donne acquiert, grâce à ses Sermons, une grande renommée. En 1617, la mort de sa femme va accroître son obsession de la mort mais aussi sa ferveur religieuse. Il meurt le 31 mars 1631 après avoir prononcé devant Charles I (1625-1649) sa dernière prédication, «Le Duel de la mort».
Samuel Johnson, en 1744, dans The Lives of the Poets, regroupa les poètes métaphysiques anglais tels que George Herbert, Andrew Marvell, Thomas Traherne, Richard Crashaw ou Henry Vaughan sous le nom d’«École de Donne».
Sa poésie a été admirée, entre autres, par William Butler Yeats (Prix Nobel de Littérature 1923) et Thomas Stearns Eliot, (Prix Nobel de Littérature 1948)
Reste, ô ma douce, ne te lève pas! (John Donne)
Reste, ô ma douce, ne te lève pas!
La Lumière qui brille vient de tes yeux;
Ce n’est pas le jour qui perce; c’est mon cœur qui est percé,
Parce que toi et moi devons nous séparer
Reste, ou sinon toute joie chez moi mourra
Et périra dans sa prime enfance.
C’est vrai, c’est le jour: Que pourrait-ce être d’autre? Ô, vas-tu disparaître à mes yeux? Pourquoi devrions-nous nous éloigner parce qu’il fait jour? Nous sommes-nous couchés parce qu’il faisait nuit? L’Amour, qui en dépit de l’obscurité, nous conduisit ici, Devrait, en dépit du jour, nous garder unis.
La Lumière n’a pas de langue, mais elle est tout regard
Si elle pouvait parler aussi bien qu’espionner,
Sa langue ne pourrait être pire
Que de dire: “Je me sens bien ici, je resterais volontiers
J’aime tant mon coeur et mon honneur
Que je ne m’éloignerais pas de lui qui les a tous les deux”
En résulte-t-il que tu dois arrêter tes activités?
Oh! c’est la pire des plaies de l’amour!
La pauvreté, le faible d’esprit, les fripouilles, l’amour peut
Les admettre, mais pas l’homme -à-ses-affaires,
Celui qui fait des affaires et fait l’amour, fait les deux
mal, comme l’homme marié qui court la prétentaine.
(Traduction française: Gilles de Sèze.)
Stay, O sweet, and do not rise!
Stay, O sweet, and do not rise!
The light that shines comes from thine eyes;
The day breaks not: it is my heart,
Because that you and I must part.
Stay! or else my joys will die,
And perish in their infancy.
‘Tis true, ’tis day: what though it be? O, wilt thou therefore rise from me? Why should we rise because ’tis light? Did we lie down because ’twas night? Love, which in spite of darkness brought us hither, Should in despite of light keep us together.
Light hath no tongue, but is all eye.
If it could speak as well as spy,
This were the worst that it could say:
That, being well, I fain would stay,
And that I lov’d my heart and honour so,
That I would not from him, that had them, go.
Must business thee from hence remove?
Oh, that’s the worse disease of love!
The poor, the fool, the false, love can
Admit, but not the busied man.
He, which hath business, and makes love, doth do
Such wrong, as when a married man doth woo.
Portrait de John Donne (artiste inconnu) vers 1595. Londres, National Portrait Gallery.
No Man is an Island
No man is an island entire of itself; every man is a piece of the continent, a part of the main; if a clod be washed away by the sea, Europe is the less, as well as if a promontory were, as well as any manner of thy friends or of thine own were; any man’s death diminishes me, because I am involved in mankind. And therefore never send to know for whom the bell tolls; it tolls for thee.
(Version: anglais ancien)
No man is an Iland, intire of itselfe; every man
is a peece of the Continent, a part of the maine;
if a Clod bee washed away by the Sea, Europe
is the lesse, as well as if a Promontorie were, as
well as if a Manor of thy friends or of thine
owne were; any mans death diminishes me,
because I am involved in Mankinde;
And therefore never send to know for whom
the bell tolls; It tolls for thee.
MEDITATION XVII. Devotions upon Emergent Occasions, 1624.
Nul homme n’est une île,
complète en elle-même;
chaque homme est un morceau du continent, une part de l’ensemble;
si un bout de terre est emporté par la mer, l’Europe
en est amoindrie, comme si un promontoire l’était,
comme si le manoir de tes amis ou le tien l’était.
La mort de chaque homme me diminue,
car je suis impliqué dans l’humanité.
N’envoie donc jamais demander pour qui la cloche sonne:
elle sonne pour toi.
Méditations en temps de crise. Rivages, 2002. Traduit de l’anglais par Franck Lemonde.
Federico García Lorca. Huerta de San Vicente, Granada 1932.
Seis poemas galegos de Federico García Lorca. Estos poemas, escritos directamente en gallego, surgen de los viajes realizados por el poeta a Galicia desde 1931. Fueron escritos entre 1932 y 1934 y publicados en 1935 en Santiago de Compostela por la Editorial Nós, fundada en 1927 por Ángel Casal. Se trata de un homenaje al paisaje y a la lengua de Galicia.
El poeta granadino era admirador de Rosalía de Castro, de Eduardo Pondal y Manuel Curros Enríquez, así como de los poetas medievales gallegos Martín Codax y Meendiño, y de los portugueses Luís de Camões o Gil Vicente. Tenía también en Madrid varios amigos gallegos: el musicólogo Jesús Bal y Gay, los poetas Eugenio Montes y Serafín Ferro y el joven Ernesto Pérez Guerra, quien ejerció una gran influencia sobre él. En 1933, éste le presentó a Eduardo Blanco Amor, quien dos años después se encargó de la publicación de los Seis poemas galegos.
La publicación de los poemas fue anunciada por la revista Nós, en su número de mayo-junio de 1935, entre las «nuevas obras publicadas» de la editorial. El colofón del libro lleva, sin embargo, fecha del 27 de diciembre de 1935. Blanco Amor prologó la edición.
Lorca inicia y cierra la serie de poemas con dos homenajes a la ciudad de Santiago de Compostela.
«Madrigal á cidade de Santiago» («Madrigal a la ciudad de Santiago»), dedicado a Martínez Barbeito.
«Romaxe de Nosa Señora da Barca» («Romería de Nuestra Señora de la Barca»)
«Cántiga do neno da tenda» («Cántiga del niño de la tienda») dedicada a Ernesto Pérez Guerra, habla del sentimiento de los emigrantes
«Noiturnio do adoescente morto» («Nocturno del adolescente muerto»)
«Canzón de cuna pra Rosalía Castro, morta» («Canción de cuna para Rosalía Castro, muerta»)
«Danza da lúa en Santiago» («Danza de la luna en Santiago»)
Danza da lúa en Santiago
¡Fita aquel branco galán,
olla seu transido corpo!
É a lúa que baila
na Quintana dos mortos.
Fita seu corpo transido
negro de somas e lobos.
Nai: A lúa está bailando
na Quintana dos mortos.
¿Quén fire potro de pedra
na mesma porta do sono?
¡É a lúa! ¡É a lúa
na Quintana dos mortos!
¿Quén fita meus grises vidros
cheos de nubens seus ollos?
¡É a lúa! ¡É a lúa
na Quintana dos mortos!
Déixame morrer no leito
soñando con froles dóuro.
Nai: a lúa está bailando
na Quintana dos mortos.
¡Ai filla, co ar do céo
vólvome branca de pronto!
Non é o ar, é a triste lúa
na Quintana dos mortos.