Rafael Cadenas

Rafael Cadenas (José Aymà)

Le poète Rafael Cadenas a obtenu le Prix Cervantès 2022. Il s’agit de la plus prestigieuse récompense littéraire en langue espagnole. C’est la première fois qu’un écrivain vénézuelien est primé.

Rafael Cadenas, poète, essayiste et professeur, est né le 8 avril 1930 à Barquisimeto (État de Lara – Vénezuela). Militant du Parti Communiste du Vénézuela, il a connu la prison à l’époque de la dictature de Marcos Pérez Jiménez (1952-1958). Il a dû s’exiler à Trinidad de 1952 à 1957. Il a fait partie du groupe politique et culturel Tabla Redonda au début des années 60. Il a été professeur à l’Université Centrale du Venezuela. Ses recueils Cuadernos del destierro (1960) et Falsas maniobras (1966) ont été marquants dans son pays et en Amérique Latine.
Dans le second figure son poème le plus célèbre, Derrota, écrit en 1963. C’est le portrait de toute une génération d’intellectuels latino-américains engagés à gauche. Ses œuvres complètes (Obra entera: Poesia y prosa, 1958-1995 ) ont été publiées en 2000 au Mexique par El Fondo de Cultura Económica et en Espagne en 2007 par Pre-textos. Il s’est toujours montré critique face au régime instauré dans son pays par Hugo Chávez (1999-2013) et son successeur Nicolás Maduro. C’est un symbole vivant pour la société vénézuelienne démocratique. Cinq millions de vénézueliens ont choisi l’exil. Le poète est resté et vit toujours à Caracas. Il a toujours manifesté contre la répression du régime, en particulier en 2014 .

Prix national de littérature de son pays (1985)
Prix FIL des langues romanes de Guadalajara (Mexique) (2009)
Prix International de Poésie Ville de Grenade Federico García Lorca en Espagne (2015).
Prix Reina Sofía de Poesie Ibéroamericaine (2018)

Fracaso

Cuanto he tomado por victoria es sólo humo.

Fracaso, lenguaje del fondo, pista de otro espacio más exigente, difícil de entreleer es tu letra.

Cuando ponías tu marca en mi frente, jamás pensé en el mensaje que traías, más precioso que todos los triunfos.
Tu llameante rostro me ha perseguido y yo no supe que era para salvarme.
Por mi bien me has relegado a los rincones, me negaste fáciles éxitos, me has quitado salidas.
Era a mí a quien querías defender no otorgándome brillo.
De puro amor por mí has manejado el vacío que tantas noches me ha hecho hablar afiebrado a una ausente.
Por protegerme cediste el paso a otros, has hecho que una mujer prefiera a alguien más resuelto, me desplazaste de oficios suicidas.

Tú siempre has venido al quite.

Sí, tu cuerpo, escupido, odioso, me ha recibido en mi más pura forma para entregarme a la nitidez del desierto.
Por locura te maldije, te he maltratado, blasfemé contra ti.

Tú no existes.
Has sido inventado por la delirante soberbia.
¡Cuánto te debo!
Me levantaste a un nuevo rango limpiándome con una esponja áspera, lanzándome a mi verdadero campo de batalla, cediéndome las armas que el triunfo abandona.
Me has conducido de la mano a la única agua que me refleja.
Por ti yo no conozco la angustia de representar un papel, mantenerme a la fuerza en un escalón, trepar con esfuerzos propios, reñir por jerarquías, inflarme hasta reventar.
Me has hecho humilde, silencioso y rebelde.
Yo no te canto por lo que eres, sino por lo que no me has dejado ser. Por no darme otra vida. Por haberme ceñido.

Me has brindado sólo desnudez.

Cierto que me enseñaste con dureza ¡y tú mismo traías el cauterio!, pero también me diste la alegría de no temerte.

Gracias por quitarme espesor a cambio de una letra gruesa.
Gracias a ti que me has privado de hinchazones.
Gracias por la riqueza a que me has obligado.
Gracias por construir con barro mi morada.
Gracias por apartarme.
Gracias.

Falsas maniobras 1966.

Échec

Tout ce que j’ai cru victoire n’est que fumée.

Échec, langue de fond, piste d’un autre espace plus exigeant, difficile de lire entre tes lignes.

Quand tu mettais ta marque sur mon front, jamais je n’aurais imaginé que tu m’apportais un message plus précieux que tous les triomphes.
Ta face flamboyante m’a poursuivi et moi je n’ai pas su que c’était pour me sauver.
Pour mon bien tu m’as remisé dans les coins, refusé les succès faciles, fermé les issues.
C’est moi que tu voulais défendre en m’empêchant de briller.
Par pur amour pour moi tu as modelé le vide qui, durant des nuits enfiévrées, m’a fait parler à une absente.
Si tu as toujours donné priorité aux autres, si tu t’es arrangé pour qu’une femme me préfère un homme plus décidé, si tu m’as licencié de postes suicidaires, c’était pour me protéger.

Tu es toujours intervenu à temps.

Qui, ton corps couvert de plaies, de crachats, ton corps odieux m’a reçu dans ma plus simple forme pour me livrer à la transparence du désert.
C’est folie de t’avoir maudit, maltraité, de t’avoir blasphémé.

Tu n’existes pas.
Un orgueil délirant t’a inventé.
Je te dois tant !
En me nettoyant avec une éponge rêche, en me lançant sur mon vrai champ de bataille, en me donnant les armes que le triomphe dédaigne, tu m’as levé au dessus de la mêlée.
Tu m’as pris par la main et conduit à la seule eau qui puisse me refléter.
Grace à toi je ne connais pas l’angoisse de jouer un rôle, de m’accrocher à tout prix à un échelon, de me faire pistonner à la force du poignet, de me battre pour arriver plus haut, de me gonfler jusqu’à éclater.
Tu m’as fait humble, silencieux, rebelle.
Je ne te chante pas pour ce que tu es, mais pour ce que tu ne m’ as pas laissé être. Pour ne m’avoir donné que cette vie-là. Pour m’ avoir restreint.

Tu m’as seulement offert la nudité.

Tu m’as élevé à la dure, c’est vrai. Mais toi-même apportais le cautère. Et le bonheur de ne pas te craindre.

Merci de m’ enlever de l’ épaisseur en l’ échangeant contre des caractères gras.
Merci à toi de m’avoir privé d’enflures.
Merci pour la richesse à laquelle tu m’as contraint.
Merci d’avoir construit ma demeure avec de la boue.
Merci de m’écarter.
Merci.

Fausses manœuvres. Anthologie personnelle. Traduction Daniel Bourdon. Fata Morgana, Montpellier, 2003.

Antonio Machado – Francisco Giner de los Ríos

Manuel et Antonio Machado (José Machado) . 1931.

( Je remercie la Fundación Española Antonio Machado Soria-Madrid)

Antonio Machado, professeur de français à Baeza (Andalousie) écrit le 21 février 1915 ce poème. Son maître, Francisco Giner de los Ríos, fondateur de l’Institution libre d’enseignement ( La Institución Libre de Enseñanza ) vient de mourir à Madrid le 17 février. Le poète a toujours été passionnée par la pédagogie comme on peut le voir dans Juan de Mairena, Sentencias, donaires, apuntes y recuerdos de un profesor apócrifo, publié en 1936 (Juan de Mairena, Sentences, Mots d’esprit, Notes et souvenirs d’un profeseur apocryphe. Gallimard, 1955). L’auteur du livre est censé être un professeur, Juan de Mairena, disciple d’un philosophe, Abel Martín. Il s’adresse à des étudiants qui tantôt écoutent, tantôt participent, avec plus ou moins de maladresse. Juan de Mairena, Abel Martín, sont des personnages imaginaires, des hétéronymes d’Antonio Machado. Cela permet à l’auteur de traiter de sujets divers avec humour et scepticisme. Le combat contre l’ignorance a toujours été une des priorités de sa vie.

Francisco Giner de los Ríos (1839-1915) a, lui, consacré toute sa vie à mettre en pratique les principes pédagogiques de La Institución Libre de Enseñanza qu’il a créée en 1876 : formation d’hommes utiles à la société, mais surtout d’hommes capables d’avoir un idéal ; éducation et reconnaissance explicite de la femme sur un pied d’égalité avec l’homme ; rationalisme, liberté d’éducation et de recherche, liberté de textes et suppression des examens ne supposant qu’un travail de mémorisation. Une école active, neutre et non dogmatique, reposant sur la méthode scientifique et visant à la formation d’hommes complets, ouverts à tous les domaines du savoir humain. Il a dû s’opposer à l’Église et à tous les conservatismes. La dictature franquiste s’est acharnée contre ses disciples.

Francisco Giner de los Ríos, 1881.

A Don Francisco Giner de los Ríos ( Antonio Machado )

Como se fue el maestro,
la luz de esta mañana
me dijo: Van tres días
que mi hermano Francisco no trabaja.
¿Murió? . . . Sólo sabemos
que se nos fue por una senda clara,
diciéndonos: Hacedme
un duelo de labores y esperanzas.
Sed buenos y no más, sed lo que he sido
entre vosotros: alma.
Vivid, la vida sigue,
los muertos mueren y las sombras pasan;
lleva quien deja y vive el que ha vivido.
¡Yunques, sonad; enmudeced, campanas!

Y hacia otra luz más pura
partió el hermano de la luz del alba,
del sol de los talleres,
el viejo alegre de la vida santa.
. . . Oh, sí, llevad, amigos,
su cuerpo a la montaña,
a los azules montes
del ancho Guadarrama.
Allí hay barrancos hondos
de pinos verdes donde el viento canta.
Su corazón repose
bajo una encina casta,
en tierra de tomillos, donde juegan
mariposas doradas . . .
Allí el maestro un día
soñaba un nuevo florecer de España.

Baeza, 21 febrero 1915

Campos de Castilla.

Rascafría. Arboreto Giner de los Ríos.

A Don Francisco Giner de los Ríos

Comme le maître s’en est allé,
la lumière de ce matin
m’a dit : voici trois jours
que mon frère François ne travaille plus.
Est-il mort ?…Nous savons seulement
qu’il nous a quittés par un clair sentier,
en nous disant : menez pour moi
un deuil de labeurs et d’espoirs.
Soyez bons, et c’est tout, soyez ce que je fus
parmi vous : une âme.
Vivez, la vie continue,
les morts se meurent et les ombres passent ;
qui laisse emporte et vit qui a vécu.
Enclumes, résonnez ; cloches, faites silence !

Et vers une autre lumière plus pure
est parti le frère de la lumière de l’aube,
du soleil des ateliers,
le vieillard joyeux à la sainte vie.
… Oh ! Oui, portez, mes amis,
son corps sur la montagne,
sur les monts bleus
du large Guadarrama.
Il y a là de profonds ravins
emplis de pins verts où chante le vent.
Que son coeur repose
sous un chaste chêne-vert,
parmi les champs de thym, où folâtrent
des papillons dorés…
c’est là qu’un jour le maître
rêvait d’un nouvel essor de l’Espagne.

Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.

Rascafría.

La sierra de Guadarrama, massif montagneux entre Ségovie et Madrid, est longue d’environ 80 kilomètres. Elle sert de division naturelle entre les deux plateaux qui constituent le centre de la péninsule Ibérique (la Meseta central). Le pic de Peñalara s’élève à 2 430 mètres.

. Rascafría. Arboreto Giner de los Ríos. Source : https://todosobremadrid.com/

Le directeur de La Institución Libre de Enseñanza, Francisco Giner de los Ríos, et ses disciples Constancio Bernaldo de Quirós et Manuel Bartolomé Cossío ont contribué à la découverte de la sierra et à sa protection. En 1880 est fondée la Sociedad para el Estudio del Guadarrama. En 1883 commencent les premières excursions pédagogiques de l’Institution libre d’enseignement. En 1913 Constancio Bernaldo de Quirós fonde la société des amis de Peñalara et publie de nombreux livres sur ces montagnes. C’est ainsi que s’est développée chez les intellectuels espagnols de l’époque l’amour des montagnes. Antonio Machado consacre de nombreux poèmes à cette sierra de Guadarrama ainsi que Vicente Aleixandre, Rafael Alberti ou Leopoldo María Panero. Le parc national de la Sierra de Guadarrama a été créé en juin 2013. Il a une superficie de 339 km².

Rascafría.

Gisèle Freund – Luis Cernuda

Autoportrait chez elle. Vers 1975.

Nous avons vu samedi 29 octobre l’exposition Gisèle Freund Ce sud si lointain. Photographies d’Amérique latine.

Maison de l’Amérique latine, 217, Boulevard Saint-Germain. 75007 Paris.
Téléphone 00 33 1 49 54 75 00.

https://www.mal217.org/fr/expositions/gisele-freund

Commissaire Juan Álvarez Márquez. Conseiller spécial Juan Manuel Bonet.
(du 21 octobre 2022 au 07 janvier 2023)

Cette exposition est organisée en collaboration avec l’Imec (Institut Mémoires de l’édition contemporaine), installé à l’abbaye d’Ardenne (Calvados), près de Caen, où les archives de Gisèle Freund ont été déposées. Elle a été montrée une première fois en 2021 à Grenade (Espagne) au Centre José Guerrero sous le titre En el Sur tan distante, Gisèle Freund. Elle était présentée sous un format plus réduit (52 tirages posthumes).

Maison de l’Amérique latine, 217, Boulevard Saint-Germain. 75007 Paris.

La Maison de l’Amérique latine met en valeur 72 images, certaines inédites. Elles montrent ses voyages en Amérique latine, les paysages, la vie quotidienne dans les villages et sur les marchés, des scènes de la culture populaire, ses contacts avec des personnalités du monde de l’art, de la littérature, de la politique.

Sophie Gisela Freund est née à Berlin-Schöneberg le 19 décembre 1908. Son père lui offre un appareil Leica lorsqu’elle est adolescente. Elle étudie la sociologie à Francfort avec Norbert Elias. D’origine juive et membre d’un groupe communiste, elle fuit en mai 1933 l’Allemagne nazie. Elle poursuit ses études à la Sorbonne où elle présente, en 1936, sa thèse sur la sociologie de l’image La photographie en France au XIXe siècle. Elle est l’amie d’Adrienne Monnier, libraire-éditrice rue de l’Odéon, et de Sylvia Beach, créatrice de Shakespeare and Company et éditrice d’Ulysse de James Joyce en 1922. Elle côtoie et photographie de nombreux écrivains de l’époque. Elle devient française en 1936 grâce à un mariage blanc (elle divorcera après la guerre). A partir de 1937, Gisèle Freund se revendique comme journaliste reporter. En 1938, elle est l’une des premières à faire des clichés en couleur en utilisant les pellicules Agfacolor.

En 1940, Paris est occupée par les troupes nazies. Gisèle Freund fuit la capitale et se réfugie à Saint-Sozy dans le Lot. Invitée par Victoria Ocampo, la directrice de la revue Sur, elle quitte le midi de la France fin 1941 et embarque de Bilbao à bord d’un navire espagnol, Cabo de Buena Esperanza, à destination Buenos Aires. Elle établit là-bas des liens avec les écrivains proches de la revue. Depuis la capitale argentine, elle effectue plusieurs voyages en Patagonie et en Terre de Feu, en Uruguay, au Chili, au Pérou, en Bolivie, au Brésil et en Équateur, et surtout au Mexique en 1947, 1950 et 1952. Ce pays exercera toujours sur elle une grande fascination. Elle réalise aussi de nombreux reportages pour Time Magazine et Life, pour les journaux argentins La Nación et El Hogar, et mexicain Novedades. Elle fait partie de l’agence Magnum, créée par Robert Capa, de sa fondation de 1947 jusqu’en 1954.

En France, le ministère de la Culture lui décerne en 1980 le grand prix national des Arts pour la Photographie. Elle réalise en 1981 le portrait officiel du président François Mitterrand. En 1991, une grande rétrospective de son œuvre, intitulée Itinéraires, est organisée au Centre Georges-Pompidou.

Elle meurt à Paris le 30 mars 2000 à Paris. Elle est inhumée au cimetière du Montparnasse, tout près de sa maison atelier du 12, rue Lalande.

Femmes de Tehuantepec (Oaxaca-Mexique). 1950-52.

Quelques citations :

Gisèle Freund, Portrait. Entretiens avec Rauda Jamis. Des femmes, Antoinette Fouque. 1991.

« J’ai cru que la photographie était un moyen merveilleux pour que les peuples se connaissent entre eux. Je suis allée jusqu’à la terre de Feu pour photographier les derniers indiens alacalufes. J’ai cru à cette utopie : la connaissance des autres, de leurs différences, comme langage de paix entre les hommes. Car comment s’entre-tuer dès lors que l’autre n’est plus un inconnu ? Ma tâche était donc, pensais-je, de participer à la paix du monde à travers la photographie. »

« Je me souviens par exemple d’Alfonso Reyes, qui habitait une maison remplie de livres du sol au plafond et qui m’avait tout de suite dit : « Tout cela est à vous. » Vraiment les Mexicains étaient très chaleureux. D’ailleurs leur phrase de bienvenue était « Mi casa es tu casa » (« Chez moi c’est chez toi »).

« Les intellectuels mexicains ont une richesse culturelle infinie, beaucoup plus grande que chez les intellectuels français, par exemple. Les Mexicains ont des racines culturelles extraordinaires. Et puis, d’une certaine façon, ils sortent de leurs propres frontières pour accéder à notre culture classique, ce qui leur permet de se tenir au courant des créations et des textes du monde entier. J’ai connu au Mexique des gens extrêmement cultivés. Je n’ai eu aucun mal à en rencontrer qui connaissaient mieux que moi, sans conteste, la littérature française ou allemande. »

« Je ne sortais plus jamais sans mon appareil. Il était devenu mon troisième œil. »

« Je n’ai jamais cessé de vouloir comprendre ce qui se trouvait derrière un visage. »

« Il est rare de plaire à ceux que l’on photographie. C’est une des raisons pour lesquelles je n’ai pas fait du « portrait » ma profession et que je n’ai jamais possédé de studio de photographe. »

« La culture pour un photographe est bien plus importante que la technique. »

« J’ai touché, au Mexique, le coeur de ce monde surnaturel, comme jamais auparavant sur le continent américain. »

L’exposition emprunte son nom à un vers du poème de Luis Cernuda intitulé Quisiera estar solo en el sur, tiré du recueil Un rio, un amor (1929) .

Quisiera estar solo en el sur

Quizá mis lentos ojos no verán más el sur
de ligeros paisajes dormidos en el aire,
con cuerpos a la sombra de ramas como flores
o huyendo en un galope de caballos furiosos.

El sur es un desierto que llora mientras canta,
y esa voz no se extingue como pájaro muerto;
hacia el mar encamina sus deseos amargos
abriendo un eco débil que vive lentamente.

En el sur tan distante quiero estar confundido.
La lluvia allí no es más que una rosa entreabierta;
su niebla misma ríe, risa blanca en el viento.
Su oscuridad, su luz son bellezas iguales.

Toulouse, 20 de abril de 1929.

Un río, un amor, 1929.

Je voudrais être seul dans le Sud

Peut-être mes yeux lents ne verront plus le Sud
Aux légers paysages endormis dans l’espace,
Aux corps comme des fleurs sous l’ombrage des branches
Ou fuyant au galop de chevaux furieux.

Le Sud est un désert qui pleure quand il chante,
Et comme l’oiseau mort, sa voix ne s’éteint pas ;
Vers la mer il dirige ses désirs amers
Ouvrant un faible écho qui vibre lentement.

À ce si lointain Sud je veux être mêlé.
La pluie là-bas n’est rien qu’une rose entr’ouverte ;
Son brouillard même rit, rire blanc dans le vent.
Son ombre, sa lumière ont d’égales beautés.

Un fleuve, un amour. Traduction Jacques Ancet.

Agustina González López, “la Zapatera”

Agustina González López, “la Zapatera” est née le 3 avril 1891 à Grenade dans le quartier de l’Albaicin, l’ancien quartier arabe. Cette écrivaine et activiste politique fit ses études au Real Colegio de Santo Domingo de la ville. Elle s’intéressait particulièrement à l’astronomie et à la médecine. Quand sa mère devint veuve, elle tomba à 13 ans sous le contrôle de ses frères aînés et de ses oncles paternels. Le conseil de famille lui permit la lecture, mais elle était strictement surveillée. Pour échapper à ce contrôle, elle commença à s’habiller en homme. On la considéra rapidement comme folle et hystérique. Elle voyageait seule et entrait dans les cafés et restaurants de la conservatrice et bourgeoise Grenade : “la peor burguesía de España” disait Federico García Lorca.

Elle publia en 1916 un essai Idearium Futurismo où elle prônait une simplification de l’orthographe et la suppresion de 7 lettres : y, c, h, q, v, x, z. « El sistema futurista de eskribir resuelbe las dificultades ortográfikas por lo mismo ke simplifika la ortografía. Este libro ba todo esckrito en futurismo… » (prologue)

En 1919, il y eut des manifestations contre les pratiques des caciques conservateurs locaux auxquelles participèrent Fernando de los Ríos, avocat et futur député socialiste, mais aussi deux groupes féministes la Juventud Universitaria Femenina (Milagro Almenara, pharmacienne fusillée le 2 novembre 1936 elle aussi entre Viznar et Alfacar) et la Agrupación Feminista Socialista (présidée par Agustina González López). Cette association regroupait 200 membres.

Á cette époque, Agustina González López fit la connaissance de Federico García Lorca qui vivait à 100 mètres de chez elle. Elle lui aurait inspiré le personnage de La zapatera prodigiosa (1930) et aussi par certains traits celui d’Amelia dans La casa de Bernarda Alba (1936). Agustina González utilisait le prénom Amelia pour signer certains de ses écrits.

En 1927 et 1928, elle publia deux autres essais Justificación et Las Leyes secretas. Membre de la franc-maçonnerie, elle exprimait sa liberté de pensée, sa conception théosophique de la vie et de la mort, ses idées féministes et progressistes. Elle publiait ses livres à compte d’auteur et les vendait dans son magasin de chaussures, calle de Mesones n°6.

Elle écrivit aussi deux pièces de théâtre Cuando la vida calla et Los prisioneros del espacio.

Elle souhaitait supprimer les frontières, créer une monnaie universelle et en finir avec les famines. Elle créa le Partido Entero Humanista et se présenta aux élections législatives de 1933. Elle obtint seulement 15 voix.

Après le coup d’état franquiste, elle fut emprisonnée, puis transférée à Viznar et fusillée avec deux autres femmes en août 1936. On ne connaît pas exactement la date de sa mort. La légende populaire affirme qu’elle mourut en contemplant les étoiles qu’elle avait tant étudiées. Le fasciste Juan Luis Trescastro Medina (1877 -1954), avocat et membre de la CEDA, se vantait après-guerre dans les bars de Grenade d’avoir tué Federico García Lorca (« le metí dos tiros en el culo, por maricón ») et d’avoir exécuté Agustina González (« por puta »). Elle fut condamnée a posteriori ( juillet 1941) par la justice franquiste et sa famille dut payer une amende de 8 000 pesetas.

Sources :
Enriqueta Barranco Castillo. Agustina González López (1891-1936). Espiritista, teósofa, escritora y política, Editorial Universidad de Granada. 2019.

Javier Arroyo. Kedan suprimidas por konpleto siete konsonantes del kastellano. El País, 17/12/2019.

Juan I. Pérez. Agustina González López, La Zapatera, fusilada por romper moldes. Blog Foro de la Memoria. El Independiente de Granada, 7/09/2019.

Marta Sánchez Gento. La Zapatera, una granaína cruelmente asesinada que inventó el lenguaje del chat en los años 20. La Voz del sur, 15/11/2021.

Manifestation à Grenade. Mai 1931. Agustina González, ‘la Zapatera’ se trouve au centre.

Pablo Neruda – Île de Pâques

Statue de Pablo Neruda (Lucy Lafuente). Valparaíso, Plaza Mena (o de los Poetas).

Le poète chilien Pablo Neruda a célébré l’île de Pâques dans Le Chant Général, son grand poème d’exil publié en 1950. Il l’ a visitée en 1971 pour filmer un documentaire pour la télévision chilienne, Historia y geografía de Pablo Neruda, avant de prendre son poste d’ambasadeur en France. Il a composé le recueil La rosa separada qui ne sera publié qu’après sa mort. Je relis ces poèmes le coeur serré après la destruction de nombreux moaïs lors de l’incendie du 1 octobre, particulièrement sur les flancs du volcan Rano Raraku parcourus en janvier 2018.

III La isla

Antigua Rapa Nui, patria sin voz,
perdónanos a nosotros los parlanchines del mundo:
hemos venido de todas partes a escupir en tu lava,
llegamos llenos de conflictos, de divergencias, de sangre,
de llanto y digestiones, de guerras y duraznos,
en pequeñas hileras de inamistad, de sonrisas
hipócritas, reunidos por los dados del cielo
sobre la mesa de tu silencio.

Una vez más llegamos a mancillarte.

Saludo primero al cráter, a Ranu Raraku, a sus párpados
de légamo, a sus viejos labios verdes:
es ancho, y altos muros lo circulan, lo encierran,
pero el agua allá abajo, mezquina, sucia, negra,
vive, se comunica con la muerte
como una iguana inmóvil, soñolienta, escondida.

Yo, aprendiz de volcanes, conocí,
infante aún, las lenguas de Aconcagua,
el vómito encendido del volcán Tronador,
en la noche espantosa vi caer
la luz del Villarrica fulminando las vacas,
torrencial, abrasando plantas y campamentos,
crepitar derribando peñascos en la hoguera.

Pero si aquí me hubiera dejado mi infancia,
en este volcán muerto hace mil años,
en este Ranu Raraku, ombligo de la muerte,
habría aullado de terror y habría obedecido:
habría deslizado mi vida al silencio,
hubiera caído al miedo verde, a la boca del cráter desdentado,
transformándome en légamo, en lenguas de la iguana.

Silencio depositado en la cuenca, terror
de la boca lunaria, hay un minuto, una hora
pesada como si el tiempo detenido
se fuera a convertir en piedra inmensa:
es un momento, pronto
también disuelve el tiempo su nueva estatua imposible
y queda el día inmóvil, como un encarcelado
dentro del cráter, dentro de la cárcel del cráter,
adentro de los ojos de la iguana del cráter.

La rosa separada, Losada, 1973.

III L’île

Antique Rapa Nui, patrie sans voix,
pardonne aux bavards de ce monde que nous sommes :
nous voici venus de partout pour cracher sur ta lave,
nous arrivons avec notre plein de conflits, d’oppositions, de sang,
de larmes et de digestions, de guerres, de brugnons,
en petits rangs d’inimitié, l’hypocrisie
dans nos sourires, réunis par les dés du ciel
sur l’échiquier de ton silence.

A nouveau revenus pour te souiller.

Je salue d’abord le cratère, Ranu Raraku, ses paupières
de glaise, le vert de ses lèvres anciennes :
spacieux, de hauts murs l’encerclent, l’enserrent,
mais l’eau d’en bas, mesquine, sale, noire,
vit, elle communique avec la mort
comme l’iguane qui ne bouge et somnole en sa cache.

Moi qui fus apprenti en volcans, j’ai connu,
encore enfant, les langues de l’Aconcagua,
la vomissure incandescente du mont Tronador,
une nuit de frayeur, j’ai vu s’abattre
la clarté du Villarrica, foudroyant boeufs et vaches,
son torrent embrasant les plantes, les abris,
crépiter, renversant rocs et rochers dans son brasier.

Pourtant, si mon enfance ici m’avait laissé,
dans ce volcan mort il y a mille ans,
dans ce Ranu Raraku, nombril de la mort,
en hurlant de terreur je me serais soumis :
j’aurais laissé glisser ma vie au milieu du silence,
j’aurais roulé dans la peur verte, la gueule édentée du cratère,
mué en argile, mué en langues de l’iguane.

Silence déposé au creux du creux, terreur
de la bouche lunaire, il est une minute, une heure
lourde comme si le temps arrêté
allait se transformer en pierre immense :
c’est un moment, soudain
le temps dissout sa nouvelle et impossible statue
et le jour demeure immobile, comme un prisonnier
dans le cratère, en cette geôle du cratère,
dans les yeux de l’iguane du cratère.

La rose détachée et autres poèmes. 1979. NRF Poésie/Gallimard n°394. Traduction de Claude Couffon.

Le mardi 4 octobre, deux incendies se sont déclenchés dans l’île de Pâques et ont causé des dommages irréparables à environ 80 moaïs. L’un menaçait les maisons, l’autre, des moaïs. L’équipe de six pompiers s’est concentrée sur l’extinction du premier, tandis que la Corporación Nacional Forestal (Conaf, l’ONF chilien) affrontait le second avec deux gardes forestiers et un camion.

Le feu a ravagé plus de 100 hectares. Il a atteint la zone du volcan Rano Raraku. L’ancienne civilisation indigène fabriquait ses statues dans cette carrière. Ce site abrite 416 de ces sculptures, à différents stades de fabrication.

L’île, aussi appelée Rapa Nui, est située à 3 500 km au large de la côte ouest du Chili. Elle compte 887 moaïs. Ils auraient été sculptées pour la première fois au 13e siècle par les premiers habitants de l’île. Leur taille varie de 2,5 à 9 mètres. Certains peuvent peser jusqu’à 80 tonnes.

Ariki Tepano, directeur de la communauté Ma’u Henua en charge de la gestion et de l’entretien du parc, a qualifié ces dégâts d’« irréparables ». « Les moaïs sont totalement carbonisés. »

Selon le maire de l’île, Pedro Edmunds Paoa, l’incendie ne serait « pas un accident », car « tous les incendies de Rapa Nui sont causés par des êtres humains ». Il a ajouté que « les dégâts causés par l’incendie ne peuvent pas être réparés. La fissuration d’une pierre originale et emblématique ne peut être récupérée, peu importe combien de millions d’euros ou de dollars y sont investis ».

« Cet incendie a été provoqué par les éleveurs de bétail pour les pâturages. Tout l’indique », a déclaré le ministre chilien de l’Agriculture, Esteban Valenzuela. Le total des dommages causés au site n’a pas encore été évalué.

Avant la pandémie, l’île, dont le tourisme est le principal moyen de subsistance, accueillait 160 000 visiteurs par an, à raison de deux vols par jour. Les mesures d’interdiction d’entrée, imposées il y a deux ans pour prévenir le Covid-19, avaient été levées à partir du lundi 1er août. Ces dernières années, le climat subtropical humide et doux de l’île a subi une grande évolution. L’île de Pâques est confrontée à des sécheresses sévères et récurrentes depuis cinq ans. Les précipitations sont de plus en plus rares. Selon l’Unesco, il s’agit de l’un des six sites au monde classé au patrimoine mondial les plus vulnérables au changement climatique et à ses conséquences.

https://www.youtube.com/watch?v=F5EM2ehDokg

Rano Raraku. Janvier 2018.

Luis García Montero – Carlos Castilla del Pino

Je lis régulièrement les chroniques qu’écrit le poète Luis García Montero dans les journaux espagnols El País et Infolibre. Directeur de l’Institut Cervantès depuis 2018, il était aussi le mari de la romancière Almudena Grandes, décédée le 27 novembre 2021.

Il a évoqué le 10 octobre dans El País le recueil d’aphorismes posthumes du psychiatre Carlos Castilla del Pino, Aflorismos Pensamientos póstumos. Tusquets, 2011. L’auteur présente 844 aphorismes, mais il n’utilise pas ce terme. Il préfère celui d’Aflorismos – le verbe aflorar veut dire affleurer, apparaître -. Cela convient mieux à ses pensées qui ne sont pas des propositions fermées.

https://elpais.com/opinion/2022-10-10/aflorismos.html?rel=buscador_noticias

Carlos Castilla del Pino chez lui. Castro del Río (Cordoue) (Julián Rojas) 2004.

Carlos Castilla del Pino est né à San Roque (Cadix) en 1922. Il est décédé dans la province de Cordoue en 2009. Il avait 86 ans. Il a exercé la psychiatrie à Cordoue de 1949 à 1987. Militant antifranquiste, il a écrit deux livres de mémoires : Pretérito imperfecto. Autobiografía (1922-1949) ( Tusquets, 1997) et Casa del olivo. Autobiografía (1949-2003) (Tusquets, 2004). Il était membre de l’Académie Espagnole.

J’ai choisi certains de ces aphorismes :

La felicidad —ya me entiendes— no se encuentra; se construye.

¿La vida? Una de dos: o nos la hacemos o nos la hacen.

No hay que vivir con miedo. Pero eso no quiere decir que haya que hacerse el valiente.

La compasión no mejora el mundo. La solidaridad, sí.

Se confunde al cobarde con el bueno. ¡Qué bueno es! Hasta deja que los demás hagan el mal.

El mundo no es tan estúpido como para tolerar que solo triunfen los malvados.

No hay muerte si no hay olvido.

Convivir, una forma de inteligencia.

Tratar de seguir vivo, es decir, estar en la vida: no solo vivir.

La vejez comienza donde no hay proyecto.

Con la cara se nace; el rostro se hace.

No hagas el mal, porque te lo haces.

No competir es la independencia.

También la desgracia tiene algo de positivo, pero hay que descubrirlo. Lo positivo de la desgracia nos protege de ser irremediablemente desgraciados.

Si tu trabajo te cansa, pero no te aburre, es el tuyo.

Seamos críticos con nosotros mismos. Tratemos de obtener el prestigio interior.

Es tolerable que haya miedo en el vivir, pero vivir con miedo exige tratamiento.

De vez en cuando hay que hacer una cura de abstinencia de la actualidad.

La muerte no es lo último. Lo último es la nada.

Una cosa es estar solos, otra quedarnos solos.

Vivir es el arte de aceptar la indeclinable derrota.

Saber qué no leer: la forma superior del leer.

Releer: la seguridad de no perder el tiempo.

Dios es -sólo- una palabra.

Ser actual, pero no ser moderno.

Uno sobrevive sólo en el recuerdo de los demás. Cuando estos desaparecen, uno ha desaparecido también. No hay inmortalidad: hay memoria.

La historia no la hacemos: nos la hacen.

Precaución: la estupidez no es inofensiva; a veces, hasta contagia.

¿Sabremos morir? ¿Sabremos morir perfectamente? Deberíamos saber morir.

Huyamos del estúpido. Después de aburrirnos nos deja irritados por no haberlo echado a patadas.

Proyecta hasta el último momento. El proyecto ayuda a vivir: distrae de la muerte y permite vivir más; y desde luego mejor.

Federico García Lorca à Cuba

Víctor Amela (1960) est un écrivain et journaliste qui écrit pour le quotidien La Vanguardia de Barcelone depuis 1984. Il a publié en 2018 Yo pude salvar a Lorca (Destino). J’avais apprécié à l’époque ce roman qui respectait la vérité historique. Le biographe du poète de Grenade Ian Gibson avait, lui aussi, défendu le livre et sa précision historique.
Dans une interview publiée dans son journal, Víctor Amela affirmait que le poète de Grenade est le disparu le plus recherché et le plus aimé au monde : « Lorca, ¡el desaparecido más buscado y amado del mundo! » ). Il disait aussi : « La sangre de Lorca no se seca nunca. »
C’est peut-être pour cela qu’il publie aujourd’hui dans la même veine Si yo me pierdo (Destino, 2022). Il évoque les jours passées par Federico à Cuba en 1930 : « Los días más felices de mi vida »
Le poète écrivait à ses parents le 5 avril 1930 : « Esta isla es un paraíso. Cuba. Si yo me pierdo que me busquen en Andalucía o en Cuba. »
Il était parti en Amérique avec son ami, l’homme politique socialiste Fernando de los Ríos en juin 1929. Il connaissait une véritable dépression après sa rupture douloureuse avec son compagnon d’alors, le sculpteur Emilio Alandrén (1906-1944), et les critiques exprimées par ses amis, Luis Buñuel et Salvador Dalí, contre les poèmes du Romancero gitano. Il passa dix mois aux États-Unis. Il assista au krach de la Bourse de New York en octobre 1929 et aux suicides que celui-ci entraîna. Il supporta mal la froideur anglo-saxonne et protestante, la dureté de la modernité capitaliste et le sort des pauvres et des noirs dans ce pays.
Federico García Lorca resta à Cuba 3 mois, du 7 mars au 12 juin 1930, 98 jours exactement. Il produisit beaucoup (des poèmes, sa pièce de théâtre El Público, drame homosexuel où il affirma son identité, des dessins) et se réconcilia avec la vie. Il retrouva sa langue, la lumière, la chaleur, les couleurs. Il apprécia particulièrement la musique des musiciens noirs, le rhum, les glaces et les cocktails de La Havane, la beauté des paysages et celle des hommes et des femmes. Il avait 32 ans.
Il devait donner trois conférences en une semaine, en réalité il en prononça neuf. Il assista aussi à des cérémonies de santería. Il fréquenta les intellectuels cubains (Les 4 enfants de la famille Loynaz : Enrique, Carlos Manuel, Dulce María – Prix Cervantès 1992 – et Flor, mais aussi José Lezama Lima, le futur auteur du mythique roman Paradiso, publié en 1966). Ses conférences eurent beaucoup de succès et il put vivre sa sexualité bien plus librement qu’en Espagne ou aux États-Unis.
Il revint pourtant à Cadix à bord du navire Manuel Arnús le 30 juin 1930. Poeta en Nueva York fut publié en 1940 après sa mort par José Bergamín. Le dernier poème de ce recueil est Son de negros en Cuba qu’il écrivit lors d’un voyage en train qui lui fit traverser toute l’île de La Havane à Santiago fin avril 1930.

Miguel Poveda, Son de negros en Cuba. 2017. Video officielle.

https://www.youtube.com/watch?v=J8YqGl155n0

Autoportrait de Federico García Lorca pour Poeta en Nueva York. 1929-30.

Son de negros en Cuba

Cuando llegue la luna llena iré a Santiago de Cuba,
iré a Santiago,
en un coche de agua negra
iré a Santiago.
Cantarán los techos de palmera
iré a Santiago.
Cuando la palma quiere ser cigüeña,
iré a Santiago
y cuando quiere ser medusa el plátano,
iré a Santiago.
Iré a Santiago
con la rubia cabeza de Fonseca.
Iré a Santiago.
Y con el rosa de Romeo y Julieta
iré a Santiago.
Mar de papel y plata de monedas.
Iré a Santiago.
¡Oh Cuba! ¡Oh ritmo de semillas secas!
Iré a Santiago.
¡Oh cintura caliente y gota de madera!
Iré a Santiago.
Arpa de troncos vivos.Caimán. Flor de tabaco.
Iré a Santiago.
Siempre he dicho que yo iría a Santiago
en un coche de agua negra.
Iré a Santiago.
Brisa y alcohol en las ruedas,
iré a Santiago.
Mi coral en la tiniebla,
iré a Santiago.
El mar ahogado en la arena,
iré a Santiago.
Calor blanco, fruta muerta
iré a Santiago.
¡Oh bovino frescor de cañavera!
¡Oh Cuba! ¡Oh curva de suspiro y barro!
Iré a Santiago.

Publicado en Informaciones, 17 de marzo de 1932.

Poeta en Nueva York, 1940.

Chant nègre de Cuba

Quand viendra la pleine lune j’irai à Santiago de Cuba,
j’irai à Santiago,
dans une calèche d’eau noire
J’irai à Santiago.
Chanteront les toits de palme
J’irai à Santiago.
Quand le palmier veut être cigogne,
j’irai à Santiago.
Et quand veut être méduse le bananier
j’irai à Santiago.
J’irai à Santiago.
Avec la tête blonde de Fonseca.
J’irai à Santiago.
Avec la rose de Roméo et Juliette
j’irai à Santiago.
Ô Cuba ! Ô rythme de graines sèches !
J’irai à Santiago.
Ô ceinture chaude et goutte de bois !
J’irai à Santiago.
Harpe de troncs vivants. Caïman. Fleur de tabac.
J’irai à Santiago.
J’ai toujours dit que j’irais à Santiago
dans une calèche d’eau noire.
J’irai à Santiago.
Brise et alcool dans les roues,
j’irai à Santiago.
Mon corail dans la ténèbre,
j’irai à Santiago.
La mer noyée dans le sable,
j’irai à Santiago.
Chaleur blanche, fruit mort,
j’irai à Santiago.
Ô bovine fraîcheur des champs de canne !
Ô Cuba ! Ô courbe de soupir et de boue !
J’irai à Santiago.

Poète à New York. Poésies III, 1926-1936. Traduction de Pierre Darmangeat.

Le Poète à New York. Fata Morgana. Édition, 2008. Poèmes traduits en 1948 par Guy Levis-Mano. Dessins : Alecos Fassianos.

Federico García Lorca

Federico García Lorca avec ses neveux, Manuel (1932-2013) et Vicenta (Tica) Fernández-Montesinos. Huerta de San Vicente (Grenade). Été 1935. (Eduardo Blanco Amor 1897-1979)

Víctor Fernández a publié le 9 octobre dans le journal La Razón un article où Il évoque la nièce de Federico García Lorca, Tica Fernández-Montesinos dont j’ai déjà parlé dans ce blog (15 décembre 2020).

Tica Fernández-Montesinos: “Claro que me gustaría llevar flores a la tumba de mi tío Federico García Lorca”
Hija de Manuel Fernández-Montesinos y Concha García Lorca, habla de sus recuerdos alrededor del autor de “Poeta en Nueva York”

https://www.larazon.es/cultura/literatura/20221009/pplylwd72rgl7aztnw2eroakw4.html

Vicenta (Tica) Fernández-Montesinos García.

Vicenta (Tica) Fernández-Montesinos García est née à Grenade en décembre 1930. Federico García Lorca, son oncle, a choisi son prénom : elle s’appelle Vicenta comme sa grand-mère.

Tica est la fille aînée de Manuel Fernández-Montesinos Lustau, médecin et maire socialiste de Grenade en 1935, fusillé le 16 août 1936 contre les murs du cimetière de Grenade, et de Concha García Lorca, la sœur du poète. Le même jour, a las cinco de la tarde, des hommes en armes, menés par l’ancien député de droite de Grenade (CEDA), Ramón Ruiz Alonso, arrêtèrent Federico, au domicile de la famille du poète phalangiste, Luis Rosales, calle Angulo n°5. Peu de temps après, il était assassiné quelque part entre Víznar et Alfacar.

Elle eut une petite enfance heureuse dans la maison de campagne de la famille, la Huerta de San Vicente. Mais, elle souffrit d’une très forte otite qui la laissa partiellement sourde. Son l’oncle Federico l’adorait. Il la faisait rire, lui apprit à chanter et à danser. « Fui para tío Federico la hija que no tendría. » dit-elle.

Le mois d’août 1936 bouleversa la vie de cette famille aisée de la Vega de Grenade. Elle avait cinq ans et sept mois quand les fascistes assassinèrent son père et son oncle.

Ses grands-parents et sa mère durent s’exiler à New York. Ils y arrivèrent le 30 juillet 1940. Quand il partit de Bilbao à bord du Marqués de Comillas, son grand-père Federico García Rodríguez dit: “No quiero volver a ver este jodío país en mi vida”. Il mourut le 15 septembre 1945 à 86 ans.

Tica fit des études de philologie anglaise dans de prestigieux établissements libéraux des États-Unis et revint en 1952 à Madrid. Elle travailla pour la maison d’édition Aguilar qui employaient de nombreux anciens républicains. Elle se maria avec le peintre de Séville Antonio de Casas puis divorça, eut deux fils (Miguel, Claudio) et sept petits-enfants.

En 2011, elle a publié ses souvenirs Notas deshilvanadas de una niña que perdió la guerra (Comares) et en 2017 la suite El sonido del agua en las acequias (Dauro) .

Elle a aujourd’hui 91 ans, bientôt 92, et vit dans une maison de retraite dans les environs de Madrid. Víctor Fernández nous dit qu’elle est la dernière personne encore en vie à avoir connu de près le poète.

« Claro que me gustaría llevarle flores a mi tío a su tumba. Pero no tengo con quién. No sé dónde está. Eso es un misterio. Es el misterio. ». Elle ajoute : « Me gustaría llevarle flores a mi tío Federico ».

Joan Margarit

Poema de l’últim refugi

Abans em concentrava escoltant
el pensament enmig de qualsevol estrèpit.
Ara, m’és tan difícil.
No estic cansat de viure: estic cansat
de les veus que al voltant ressonen buides.
Però sé on continua l’alegria:
si no m’he perdut mai cap paradís,
no em perdré ara el més auster,
aquest on al poema ja no hi queda
gairebé rastre de literatura.
Reconec aquest lloc, l’he buscat sempre.
L’últim refugi, el de la soledat.

Es perd el senyal. Barcelona, Proa, 2012. Col lecció “Óssa menor”

Retiradas

Antes, incluso en medio de un estrépito,
podía concentrarme en un poema.
Ahora me resulta más difícil.
No estoy cansado de vivir: lo estoy
de tantas voces que a mi alrededor
resuenan huecas.
Sé dónde continúa la alegría:
si nunca me he perdido un paraíso,
no iré a perderme ahora el más austero,
ese donde el poema no le queda
apenas rastro de literatura.
Reconozco el lugar, es el mismo de siempre.
El último refugio, el de la soledad.

Todos los poemas (1975-2015). Austral, 2018.

Le poète Joan Margarit est né le 11 mai 1938 à Sanaüja (Lérida) en Catalogne. il est mort le 16 février 2021 à Sant Just Desvern dans sa maison de la banlieue de Barcelone. Architecte, professeur et poète, il écrivait principalement en catalan. Il a obtenu le Prix Cervantès, le Prix Nobel des langues castillanes en 2019.

«Soy un poeta catalán, pero también castellano, coño» avait-il affirmé en 2019 en déposant ses archives à l’Instituto Cervantes de Madrid.

Madrid. Instituto Cervantes. Calle de Alcalá n°49. Edificio de las Cariátides (o antiguo Banco Español del Río de la Plata) (Antonio Palacios Ramilo-Joaquín Otamendi) 1911-1918.

Antonio Machado

Antonio Machado. Miranda de Ebro (Castilla y León).

Le grand poète espagnol Antonio Machado est né le 26 juillet 1875 à Séville. Il quitte l’Andalousie avec ses parents le 8 septembre 1883. Il a été formé à Madrid à partir de 1883 par l’Institution libre d’enseignement (La Institución Libre de Enseñanza), célèbre tentative pédagogique moderne et laïque qui a profondément marqué l’Espagne de la fin du XIX ème siècle et du début du XX ème. En 1907, Antonio Machado obtient une place de professeur de français à Soria. Il y rencontre Leonor Izquierdo Cuevas, avec laquelle il se marie le 30 juillet 1909. Il a 34 ans, Leonor 15 seulement. Elle meurt de tuberculose le 1 août 1912. Très affecté, le poète quitte Soria pour ne jamais y retourner. Il obtient sa mutation à Baeza, dans la province de Jaén (Andalousie), où il reste jusqu’en 1919. Entre 1919 et 1932, il est professeur de français à Ségovie, près de Madrid. En 1931, avec ses amis progressistes il proclame la République dans cette ville de Castille et hisse le drapeau républicain sur l’hôtel de ville au son de La Marseillaise. Á partir de 1932, il réside à Madrid. Lorsqu’éclate la Guerre civile en juillet 1936, Antonio Machado est à Madrid. Il met sa plume au service de la République. Il écrit un poème qui évoque l’exécution de Federico Garcia Lorca (El crimen fue en Granada). En novembre 1936, il est évacué avec sa mère, Ana Ruiz, et deux de ses frères, Joaquin et José, à Valence, puis en 1938 à Barcelone. Le 22 janvier 1939, ils sont contraints de fuir vers la France. Arrivé à Collioure, à quelques kilomètres de la frontière, Antonio Machado meurt épuisé le 22 février 1939, trois jours avant sa mère. Il est enterré à Collioure, tandis que la tombe de Leonor se trouve à Soria (Cementerio del Espino).

Gerardo Diego disait d’Antonio Machado : « Hablaba en verso y vivía en poesía »

Leonor Izquierdo le jour de son mariage le 30 juillet 1909.

CXXVII. Otro viaje

Ya en los campos de Jaén,
amanece. Corre el tren
por sus brillantes rieles,
devorando matorrales,
alcaceles,
terraplenes, pedregales,
olivares, caseríos,
praderas y cardizales,
montes y valles sombríos.
Tras la turbia ventanilla,
pasa la devanadera
del campo de primavera.
La luz en el techo brilla
de mi vagón de tercera.
Entre nubarrones blancos,
oro y grana;
la niebla de la mañana
huyendo por los barrancos.
¡Este insomne sueño mío!
¡Este frío
de un amanecer en vela!…
Resonante,
jadeante,
marcha el tren. El campo vuela.
Enfrente de mí, un señor
sobre su manta dormido;
un fraile y un cazador
—el perro a sus pies tendido—.
Yo contemplo mi equipaje,
mi viejo saco de cuero;
y recuerdo otro viaje
hacia las tierras del Duero.
Otro viaje de ayer
por la tierra castellana
—¡pinos del amanecer
entre Almazán y Quintana!—
¡Y alegría
de un viajar en compañía!
¡Y la unión
que ha roto la muerte un día!
¡Mano fría
que aprietas mi corazón!
Tren, camina, silba, humea,
acarrea
tu ejército de vagones,
ajetrea
maletas y corazones.
Soledad,
sequedad.
Tan pobre me estoy quedando
que ya ni siquiera estoy
conmigo, ni sé si voy
conmigo a solas viajando.

Campos de Castilla, 1912.

CXXVII Autre voyage

Sur les campagnes de Jaén,
voici que le soleil se lève.
Le train sur ses rails
brillants s’élance,
dévorant des buissons,
des champs d’orge,
des terre-pleins, des pierres,
des oliveraies et des fermes,
des prés et des chardons,
des monts et de sombres vallons.
Par-delà la trouble fenêtre
passe l’écheveau
de la campagne du printemps.
La lumière brille au plafond
de mon wagon de troisième.
Entre de gros nuages blancs,
l’or et la pourpre ;
le brouillard du matin
fuyant dans les ravins.
Oh ! sommeil d’insomnie,
oh ! le froid
du matin, dans l’éveil !…
Résonnant,
haletant,
va le train. La campagne vole.
En face de moi, un monsieur
sur sa couverture endormi ;
un moine et un chasseur
– son chien étendu à ses pieds. –
Moi, je contemple mon bagage,
mon vieux sac de cuir ;
et je me souviens d’un autre voyage
vers les terres du Douro.
Un autre voyage d’hier
en terre de Castille
– oh ! Les pins de l’aurore
entre Almazán et Quintana ! –
Et la joie
de voyager en compagnie !
Et l’union
que la mort un jour a brisée !
Oh ! main froide qui serre
mon coeur !
Chemine, train,
siffle, fume,
transporte,
ton armée de wagons,
bourlinguant
valises et coeurs.
Oh ! Solitude,
sécheresse.
Me voici pauvre, si pauvre,
que je ne suis même plus
avec moi, ni ne sais si je suis
avec moi tout seul voyageant.

Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.

Soria. A un olmo seco (Á un orme desséché). Poème écrit à Soria en 1912.