Un coin de table. (Détail: Arthur Rimbaud) 1872. Paris, Musée d’ Orsay.
Beauté. Mélancolie. L’un des plus beaux poèmes de la langue française.
Sensation
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Mars 1870.
Poésies.
Le portrait que réalise Henri Fantin-Latour du jeune poète de Charleville est, avec la célèbre photo faite par Étienne Carjat, la représentation de Rimbaud la plus connue et reproduite. Peint en février ou mars 1872. Il n’avait pas encore 18 ans.
O muro é branco e bruscamente sobre o branco do muro cai a noite.
Há uma cavalo próximo do silêncio, uma pedra fria sobre a boca, pedra cega de sono.
Amar-te-ia se viesses agora ou inclinasses o teu rosto sobre o meu tão puro e tão perdido, ó vida.
Matéria solar, 1980.
II
Le mur est blanc
et brusquement
sur le blanc du mur tombe la nuit.
Il y a un cheval proche du silence,
une pierre froide sur la bouche,
pierre aveuglée de sommeil.
Je t’aimerais si tu venais maintenant,
si tu penchais
ton visage sur le mien tellement pur
et tellement perdu,
ô vie.
Matière solaire, 1980.
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
VII
Conhecias o verâo pelo cheiro,
o silêncio antiquíssimo
do muro, o furor das cigarras,
inventavas a luz acidulada
a prumo, a sombra breve
onde o rapazito adormecera,
o brilho das espáduas.
E o que te cega, o sol da pele.
Matéria Sola, 1980
VII
Tu connaissais l’été à son odeur,
le silence très ancien
du mur, l’ardeur des cigales,
tu inventais la lumière acidulée
tombant à pic, l’ombre brève
où le gamin s’était endormi,
le brillant des épaules.
C’est ce qui t’aveugle, le soleil de la peau.
Matière solaire, 1980.
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
XXXVI
Pela manhâ de junho é que eu iria
pela última vez.
Iria sem saber onde a estrada leva.
E a sede.
Matéria solar, 1980
XXXVI
Par un matin de juin je m’en irai
pour la dernière fois.
Je m’en irai sans savoir où mène la route.
Ni la soif.
Matière solaire, 1980.
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
X
Essa mulher, a doce melancolia
dos seus ombros, canta.
O rumor
da sua voz entra-me pelo sono,
é muito antigo.
Traz o cheiro acidulado
da minha infância chapinhada ao sol.
O corpo leve quase de vidro.
O Peso da Sombra (1982)
X
Cette femme, la douce mélancolie
de ses épaules, chante.
La rumeur
de sa voix me pénètre en plein sommeil,
elle est très ancienne.
Et m’apporte l’odeur acidulée
de mon enfance s’ébrouant au soleil.
Le corps léger presque de verre.
Le poids de l’ombre, 1982
(Traduction: Michel Chandeigne, Patrick Quillier, Maria Antónia Câmara Manuel)
Eugénio de Andrade, «Da palavra ao silêncio», Rosto Precario, Porto, Fundaçã o Eugénio de Andrade, 1995 (1 ère éd.1979) p. 37-38.
«En
ce temps-là […]
j’ai appris qu’il y avait
très peu de choses
absolument
nécessaires. Ce sont ces choses que
mes
vers aiment et exaltent. La terre et l’eau, la lumière et le vent
deviennent consubstantiels pour faire corps avec
tout
l’amour dont ma poésie est capable. Mes racines plongent depuis
l’enfance dans le monde
le
plus élémentaire. Je garde de ce temps le goût
pour une architecture
extrêmement claire et dénudée, que mes poèmes s’emploient à
réfléchir; l’amour pour la blancheur de la
chaux à laquelle se mêle invariablement, dans
mon
esprit,
le chant dur des
cigales;
une préférence
pour le langage parlé,
presque réduit aux paroles nues et nettes d’un cérémonial
archaïque. […] [La] pureté dont on a tant parlé à propos de ma
poésie, c’est simplement de la passion, passion
pour
les
choses
de la terre, dans
leur
forme la plus ardente
et
non encore consumée.»
Eugenio
de Andrade (né José Fintinhas) est né le 19 janvier 1923 à Póvoa
de Atalaia, (Province de Beira Baixa, Portugal). Il est issu d’une
famille de paysans. Il vit à Lisbonne de 1932 à 1943. Il s’installe
à Porto en 1950 et fait une carrière d’inspecteur au ministère
de la Santé. Il commence à publier des plaquettes à 16 ans et son
œuvre est célébrée à partir de 1948. Mais, malgré sa célébrité,
Eugénio de Andrade est resté un homme solitaire, fuyant les
mondanités et les apparitions publiques.
Traducteur, auteur d’anthologies, romancier et poète, son œuvre est traduite en une douzaine de langues.
Il a reçu le Prix de l’Association internationale des critiques littéraires (1986), le Grand Prix de poésie de l’Association portugaise des écrivains (1989) et le prix Camões de la littérature portugaise en 2001. Il est mort à Porto le 13 juin 2005 des suites d’une très longue maladie neurologique. Traductions françaises.
(La
plupart de ses œuvres ont été publiées en édition bilingue aux
Éditions de la Différence.)
Vingt-sept poèmes, traduit par Michel Chandeigne. Typographie Michel Chandeigne, 1983.
Matière
solaire,
traduit par Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne, et Patrick
Quiller, La Différence, 1986. Les
Poids de l’ombre,
traduit par Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne, et Patrick
Quiller, La Différence, 1986. Blanc
sur blanc,
traduit par Michel Chandeigne, La Différence, 1988.
Ecrits de la terre, traduit par Michel Chandeigne; La Différence, 1988. L’Autre nom de la terre traduit par Michel Chandeigne et Nicole Siganos, La Différence, 1990. Versants du regard et autres poèmes en prose, traduit par Patrick Quillier, La Différence, 1990.
Trente poèmes. Porto, 1992. Office de la patience, traduit par Michel Chandeigne, Orfeu-Livraria Portuguesa, 1995. Le Sel de la langue, traduit par Michel Chandeigne, La Différence, 1999.
A l’approche des eaux, traduit par Michel Chandeigne. La Différence, 2000. Les Lieux du feu, traduit par Michel Chandeigne, L’Escampette 2001. Matière solaire, suivi de Le poids de l’ombre et de Blanc sur blanc. Traduit du portugais par Michel Chandeigne, Patrick Quillier et Maria Antonia Camara Manuel, Poésie / Gallimard, 2004 n°395.
Fue en España donde mi generación aprendió que uno puede tener razón y ser derrotado.
Albert Camus
Existen muchas formas de perder una guerra. Puede perderse por faltas de adhesiones por abuso de fuerza por el macabro redoble de monedas contra las mesas de altos gabinetes. Una guerra se puede perder por omisión. Y es posible perder una guerra de todas las maneras.
Eso ocurrió en España. Como era de esperar, Goliat vence a David. Pablo Neruda dijo: Mirad mi casa muerta, mirad España rota. Mis abuelos no dijeron nada. Comprendieron muy bien que era hablar o vivir. Fueron pariendo en silencio a sus hijos, el silencio que arrulla los nombres de los mártires.
Muchos años pasaron
pero lo nuevoviejo no cesó de amamantar
el silencio con ira.
Ese silencio enfermo engordó tanto
que su enorme barriga es un acantilado
donde se estrella cada día la verdad.
Fue en España donde mi generación aprendió que una guerra también puede perderse mucho antes de nacer.
Matria (Visor, Madrid, 2018; 2ª ed. 2019)
Raquel Lanseros es una poeta española nacida en 1973 en Jerez de la Frontera (Andalucía). Su libro Matria ha sido galardonado en abril 2019 con el Premio de la Crítica 2018 que otorga anualmente la Asociación Española de Críticos Literarios (AECL) al mejor libro de poesía. Desde 2018 es profesora de Didáctica de la Lengua y Literatura en la Universidad de Zaragoza.
Albert Camus sera une des rares voix de protestation après l’explosion de la bombe atomique d’Hiroshima (6 mai 1945).
Combat, 8 août 1945. Éditorial.
Le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de chose. C’est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d’information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique.
On nous apprend, en effet, au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase: la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.
En attendant, il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d’aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d’idéalisme impénitent, ne songera à s’en étonner.
Les découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu’elles sont, annoncées au monde pour que l’homme ait une juste idée de son destin. Mais entourer ces terribles révélations d’une littérature pittoresque ou humoristique, c’est ce qui n’est pas supportable.
Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu’une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d’être définitive. On offre sans doute à l’humanité sa dernière chance. Et ce peut-être après tout le prétexte d’une édition spéciale. Mais ce devrait être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence.
Au reste, il est d’autres raisons d’accueillir avec réserve le roman d’anticipation que les journaux nous proposent. Quand on voit le rédacteur diplomatique de l’Agence Reuter annoncer que cette invention rend caducs les traités ou périmées les décisions mêmes de Potsdam, remarquer qu’il est indifférent que les Russes soient à Koenigsberg ou la Turquie aux Dardanelles, on ne peut se défendre de supposer à ce beau concert des intentions assez étrangères au désintéressement scientifique.
Qu’on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction d’Hiroshima et par l’effet de l’intimidation, nous nous en réjouirons. Mais nous nous refusons à tirer d’une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider plus énergiquement encore en faveur d’une véritable société internationale, où les grandes puissances n’auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu définitif par le seul effet de l’intelligence humaine, ne dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.
Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison.
Actuelles. Chroniques 1944-1948, Œuvres complètes, tome II, Éditions Gallimard.
Deux des passages les plus célèbres de Gatsby le magnifique (The Great Gatsby) en version originale et dans certaines traductions françaises.
The Great Gatsby, 1925.
«In my younger and more vulnerable years my father gave me some advice that I’ve been turning over in my mind ever since. “Whenever you feel like criticizing any one,” he told me, “just remember that all the people in this world haven’t had the advantages that you’ve had.»
«Quand j’étais plus jeune, c’est-à-dire plus vulnérable, mon père me donna un conseil que je ne cesse de retourner dans mon esprit: – Quand tu auras envie de critiquer quelqu’un, songe que tout le monde n’a pas joui des mêmes avantages que toi » (Traduction 1926 Victor Llona, première version. Edition Simon Kra)
«Quand j’étais plus jeune, c’est-à-dire plus vulnérable, mon père me donna un conseil que je ne cesse de retourner dans mon esprit: — Quand tu auras envie de critiquer quelqu’un, songe que tout le monde n’a pas joui des mêmes avantages que toi.» (Traduction 1946 Victor Llona, deuxième version. Edition Grasset; rééd. Livre de Poche)
«J’étais très jeune encore et d’autant plus influençable, le jour où mon père m’a donné un certain conseil qui n’a jamais cessé de m’occuper l’esprit. — Quand tu es sur le point de critiquer quelqu’un, m’a-t-il dit, souviens-toi simplement que sur terre tout le monde ne jouit pas des mêmes avantages que toi.» (Traduction 1990 Jacques Tournier. Livre de poche)
«Quand j’étais plus jeune et plus influençable, mon père m’a donné un conseil que je n’ai cessé de méditer depuis. «Chaque fois que tu as envie de critiquer quelqu’un, me dit-il, souviens-toi seulement que tout le monde n’a pas bénéficié des mêmes avantages que toi.” » (Traduction 2011 Julie Wolkenstein. POL)
«Quand j’étais plus jeune et plus vulnérable, mon père, un jour, m’a donné un conseil que je n’ai pas cessé de retourner dans ma tête. / “Chaque fois que tu seras tenté de critiquer quelqu’un, m’a-t-il dit, songe d’abord que tout un chacun n’a pas eu en ce bas monde les mêmes avantages que toi.”» (Traduction 2012 Philippe Jaworski. Gallimard)
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” Gatsby believed in the green light, the orgastic future that year by year recedes before us. It eluded us then, but that’s no matter – tomorrow we will run faster, stretch out our arms further… And one fine morning…
– So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past.”
” Gatsby croyait en la lumière verte, l’extatique avenir qui d’année en année recule devant nous. Il nous a échappé ? Qu’importe ! Demain nous courrons plus vite, nos bras s’étendront plus loin… Et un beau matin…
C’est ainsi que nous avançons, barques luttant contre un courant qui nous rejette sans cesse vers le passé.” (Traduction Victor Liona 1926 Edition Simon Kra puis 1946 Edition Grasset; rééd. Livre de Poche)
” Gatsby avait foi en cette lumière verte, en cet avenir orgastique qui chaque année recule devant nous. Pour le moment, il nous échappe. Mais c’est sans importance. Demain, nous courrons plus vite, nous tendrons les bras plus avant… Et, un beau matin…
Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé.” (Traduction Jacques Tournier 1990. Livre de poche)
” Gatsby croyait à la lumière verte, à cet orgasme imminent qui, année après année, reflue avant que nous l’ayons atteint. Nous avons échoué cette fois-ci, mais cela ne fait rien : demain nous serons plus rapides, nous étendrons nos bras plus loin – et, un beau matin…
C’est ainsi que nous nous débattons, comme des barques contre le courant, sans cesse repoussés vers le passé.” (Traduction Julie Wolkenstein, POL 2011)
« Gatsby croyait en la lumière verte, en l’avenir orgastique qui, d’année en année, recule devant nous. Il nous échappé cette fois? Peu importe…Demain, nous courrons plus vite, nous tendrons les bras plus loin…Et un beau matin… C’est ainsi que nous avançons, barques à contre-courant, sans cesse ramenés vers le passé.» (Traduction 2012 Philippe Jaworski. Gallimard.)
Livre de Poche. 1990. (Traduction Jacques Tournier )
Miquel Martí i Pol jeune. Can Clarà. 23 septembre 1951.
Metamorfosi
De tant en tant la mort i jo som u:
mengem el pa de la mateixa llesca,
bevem el vi de la mateixa copa
o compartim amicalment les hores
sense dir res, llegint el mateix llibre.
De tant en tant la mort, la meva mort,
se’m fa present quan sóc tot sol a casa.
Aleshores parlem tranquil·lament
del que passa pel món i de les noies
que ja no puc haver. Tranquil·lament
parlem la mort i jo d’aquestes coses.
De tant en tant – només de tant en tant –
és la mort la que escriu els meus poemes
i me’ls llegeix, mentre jo faig de mort
i l’escolto en silenci, que és tal com
vull que escolti la mort quan jo lleigeixo.
De tant en tant la mort i jo som u :
la meva mort i jo som u, i el temps
s’esfulla lentament i el compartim,
la mort i jo, sense fer escarafalls,
dignament, que diríem per entendre’ns.
Després les coses tornen al seu lloc
I cadascú reprèn la seva via.
Quadern de vacances, 1976.
Métamorphose
Parfois la mort et moi ne faisons qu’un :
nous mangeons la même tranche de pain
et buvons le vin de la même coupe,
en bons amis nous partageons les heures
sans rien dire, lisant le même livre.
Parfois, je suis tout seul à la maison,
et voilà que la mort, ma mort, m’est présente.
Nous discutons alors tranquillement
des événements du monde et des filles
que je ne peux avoir. Tranquillement
nous parlons, la mort et moi, de cela.
Parfois — et seulement à ce moment —
c’est elle, la mort, qui écrit mes poèmes
et me les lit quand je tiens lieu de mort,
je l’écoute en silence, c’est ainsi
qu’elle doit m’écouter lorsque je lis.
Parfois la mort et moi ne faisons qu’un.
Ma mort et moi ne faisons qu’un, le temps
s’effeuille lentement et nous le partageons,
la mort et moi, sans faire de manières,
dignes, si je puis m’exprimer ainsi.
Puis les choses se remettent à leur place
et chacun reprend son chemin.
Je
dors toujours les fenêtres ouvertes
J’ai dormi comme un homme
seul
Les sirènes à vapeur et à air comprimé ne m’ont pas
trop réveillé
Ce matin je me penche par la fenêtre
Je
vois
Le ciel
La mer
La gare maritime par
laquelle j’arrivais de New-York en 1911
La baraque du
pilotage
Et
A gauche
Des fumées des cheminées des
grues des lampes à arc à contre-jour
Le premier tram grelotte
dans l’aube glaciale
Moi j’ai trop chaud
Adieu
Paris
Bonjour
soleil
Feuilles de route, 1924.
Réveil
Je suis nu
J’ai déjà pris mon bain
Je me frictionne à l’eau de Cologne
Un voilier lourdement secoué passe dans mon hublot
Il fait froid ce matin
Il y a de la brume
Je range mes papiers
J’établis un horaire
Mes journées seront bien remplies
Je n’ai pas une minute à perdre
J’écris
Feuilles de route, 1924.
Lettre
Tu m’as dit si tu m’écris
Ne tape pas tout à la machine
Ajoute une ligne de ta main
Un mot un rien oh pas grand chose
Oui oui oui oui oui oui oui oui
Ma Remington est belle pourtant
Je l’aime beaucoup et travaille bien
Mon écriture est nette est claire
On voit très bien que c’est moi qui l’ai tapée
Il y a des blancs que je suis seul à savoir faire
Vois donc l’oeil qu’à ma page
Pourtant, pour te faire plaisir j’ajoute à l’encre
Deux trois mots
Et une grosse tache d’encre
Pour que tu ne puisses pas les lire.
Rafael Alberti évoque la figure de Ramón dans La arboleda perdida. Il critique ses prises de position franquistes, mais reconnaît son génie.
La arboleda perdida. Tercer libro (1931-1977). 1987.
«Ramón Gómez de la Serna vive muy aislado, casi oculto, en la ciudad de Buenos Aires desde el inicio de nuestra guerra civil. Yo, a pesar de que lo admiraba de verdad, me pasé muchos años sin saludarlo, debido a su tonto e innecesario franquismo, que lo alejó de sus más grandes amigos. Ramón se aburría hasta el infinito -él, tan bullanguero y sacamuelas- en la Argentina sin su tertulia cafetera de Pombo, en la que había sido su dirigente inagotable y genial. Un día, un hermano, por cierto comunista, de su mujer, la delicada y muy hermosa escritora hebrea Luisa Sofovich, me dijo que Ramón vivía muy triste, sin ver a nadie, desesperado, tan lejos de Madrid, preguntándome tímidamente si a mí no me importaría verlo. Me emocionó la petición. Nunca habíamos comprendido el franquismo de Ramón, digno, en verdad, de aquel personaje de su novela Gustavo el incongruente, pues al principio de la guerra, allá en su soledad argentina, Ramón había escrito greguerías laudatorias dedicadas a Ramón Franco, el aviador, creyendo que se trataba del generalísimo. ¡Gran ramonada esta ramoniana confusión de Ramón! Cuando por fin fui a verlo, Ramón me recibió sentado ante la mesa de su comedor, como si estuviera oficiando en su amada tertulia pombiana, iluminándosele la ancha cara de chispero goyesco, hablando alegremente, casi a gritos, y levantándose, a veces, lo mismo que en el cuadro que Gutiérrez Solana le pintó, rodeado de los más famosos contertulios. De pronto, Ramón alzó una mano, ofreciéndole el dedo índice doblado a su mujer, como si fuese el saltadero de una jaula, invitándola muy cariñosamente: “Apoye usted, mi pajarito, sus patitas en este dedo”. Luisa, prendiendo dos de los suyos sobre el que le ofrecía Ramón, estuvo así todo el tiempo que duró la visita. En un momento que Ramón aspiró una bocanada de humo que yo solté de mi pipa, me preguntó por el tabaco que fumaba. “Dunhill”, le dije. Muy serio entonces, me sentenció, rotundo: “¡Cáncer! Mi hermano fumaba esos tabacos. Y se murió. Hay que fumar el que yo fumo: La hija del toro de América“. Y a continuación se preparó una pipa con aquel horrible tabaco, que levantó una fumarola como la del Vesubio, despidiendo un fuerte olor a yerbajos secos, mezclado con el de las cerillas que había dejado dentro del hogar de su pipa, ya que aquel tabaco -afirmaba- tenía mejor sabor mezclado con ellas.
Más tarde, y ya muerto Ramón, le dediqué este soneto impuntuado, en el que quise dar, todo revuelto, lo que fue para mí el gran inventor de las greguerías:
Por qué franquista tú torpe ramón
elefante ramón payaso harina
ramón zapato alambre golondrina
solana madrid pombo pin pan pon
ramón senos ramón chapeaumelón
tío-vivo ramón pipa pamplina
sacamuelas trapero orina esquina
y con de en por sin sobre tras ramón
ramón columpio múltiple vaivén
descabezado tonto ten sin ten
ramón orquesta solo de trombón
ramón timón tampón titiritero
incongruente inverosímil pero
ramón genial ramón solo ramón.
… Pero le dije a Ramón que Juan Ramón Jiménez estaba en Buenos Aires. Habían sido en otro tiempo muy amigos. Discretamente, Juan Ramón me insinuó que quería verlo, que se lo preguntara. Ramón dijo que sí. Al día siguiente, yo acompañé al poeta de Huelva con su mujer, Zenobia, a casa de Ramón. La escalera del piso donde vivía arrancaba del zaguán. Cuando llegamos, Ramón esperaba en el rellano de su piso al lado de Luisita. “¡Un momento!”, gritó a Juan Ramón, sin más saludo. “¡Un momento! ¿Puedes explicarme, antes de subir, por qué escribes Dios sin mayúscula últimamente? A Dios le han quitado ya todo en la tierra. Y ahora vienes tú y le quitas lo último que le quedaba: la mayúscula. Promete que se la devolverás”. A Juan Ramón le temblaba la barba. Balbució algo que no entendí. Y me fui detrás de él y de Zenobia, cerrando la puerta de la calle suavemente.»
Ramón
está escondido,
vive en su gruta
como un oso de azúcar.
Sale sólo de noche
y trepa por las ramas
de la ciudad, recoge
castañas tricolores,
piñones erizados,
clavos de olor, peinetas de tormenta,
azafranados abanicos muertos,
ojos perdidos en las bocacalles,
y vuelve con su saco
hasta su madriguera trasandina
alfombrada con largas cabelleras
y orejas celestiales.
Vuelve lleno de miedo
al golpe de la puerta,
al ímpetu
espacial de los aviones,
al frío que se cuela desde España,
a las enredaderas, a los hombres,
a las banderas, a la ingeniería.
Tiene miedo de todo.
Allí en su cueva
reunió los alimentos
migratorios
y se nutre de claridad sombría
y de naranjas.
De pronto
sale un fulgor, un rayo
de su faro
y el haz ultravioleta
que encerraba
su frente
nos ilumina el diámetro y la fiesta,
nos muestra el calendario
con Viernes más profundos,
con Jueves como el mar vociferante,
todo repleto, todo
maduro con sus orbes,
porque el revelador del universo
Ramón se llama y cuando
sopla en su flor de losa, en su trompeta,
acuden manantiales,
muestra el silencio sus categorías.
Oh Rey Ramón,
monarca
mental,
director
ditirámbico
de la interrogadora poesía,
pastor de las parábolas
secretas, autor
del alba y su
desamparado
cataclismo,
poeta
presuroso
y espacioso,
con tantos sin embargos
con tantos ojos ciegos,
porque
viéndolo todo
Ramón se irrita
y se desaparece,
se confunde en la bruma
del calamar lunario
y el que todo lo dice
y puede
saludar lo que va y lo que viene,
de pronto
se inclina hacia anteayer, da un cabezazo
contra el sol de la historia,
y de ese encuentro salen chispas negras
sin la electricidad de su insurgencia.
Escribo en Isla Negra,
construyo
carta y canto.
El día estaba roto
como la antigua estatua
de una diosa marina
recién sacada de su lecho frío
con lágrimas y légamo,
y junto al movimiento
descubridor
del mar y sus arenas,
recordé los trabajos
del Poeta,
la insistencia radiante de su espuma,
el venidero viento de sus olas.
Y a Ramón
dediqué
mis himnos matinales,
la culebra de mi caligrafía,
para cuando
salga
de su prolija torre de carpincho
reciba la serena
magnitud de una ráfaga de Chile
y que le brille al mago el cucurucho
y se derramen todas sus estrellas.
Navegaciones y regresos, Buenos Aires: Losada, 1959.