Retrato de Juan Ramón Jiménez (Joaquín Sorolla), 1903.
Victor Hugo et Juan Ramón Jiménez. Peu de points communs entre les deux poètes à première vue. Pourtant, El viaje definitivo de J.R.J., relu aujourd’hui, me rappelle la thématique de Soleils couchants de Victor Hugo, posté hier.
Juan Ramón Jiménez est né le 23 décembre 1881 au numéro 2 de la calle de la Ribera à Moguer (Huelva). Il a notamment développé l’idée de la «poésie pure» avec un lyrisme très intellectuel. Son récit poétique le plus célèbre Platero y yo, sous-titré Elegía andaluza, a été publié en 1917.
Quand il arrive à Madrid en 1903, il contacte la Institución Libre de Enseñanza fondée par Francisco Giner de los Ríos (1839-1915). Cette institution a été créée pour défendre la liberté d’enseignement en dehors de tout dogme religieux. Elle se veut un complément éducatif à l’université et souhaite former les enfants des classes dirigeantes libérales. En 1913, Juan Ramón Jiménez loge à la Residencia de Estudiantes de Madrid, calle Fortuny n°14. Elle a été créée en 1910, puis déménage en 1915 sur la Colina los Chopos (Pinar, 21-23). Ce dernier nom fut donné par Juan Ramón Jiménez lui-même. Le poète andalou fera aménager el Jardín de Adelfas et sera aussi le responsable des publications de l’institution en 1914-1915.
Juan Ramón Jiménez, connu pour son mauvais caractère, eut pourtant une grande influence sur les poètes de la Génération de 1927. En 1936, il soutient la République en accueillant plusieurs orphelins dans une de ses maisons. Il ne se sent pas en sûreté à Madrid. Avec l’aide de Manuel Azaña, le Président de la République, lui et sa femme parviennent à partir de la capitale par la voie diplomatique. Il s’installe à Washington comme attaché aux affaires culturelles. Agé et malade, il reçoit le Prix Nobel de Littérature le 25 octobre 1956.
El viaje definitivo (Juan Ramón Jiménez)
Y yo me iré. Y se quedarán los pájaros cantando. Y se quedará mi huerto con su verde árbol, y con su pozo blanco.
Todas las tardes el cielo será azul y plácido,
y tocarán, como esta tarde están tocando,
las esquilas del campanario.
Se morirán aquellos que me amaron
y el pueblo se hará nuevo cada año;
y lejos del bullicio distinto, sordo, raro
del domingo cerrado,
del coche de las cinco, de las barcas del baño,
en el rincón oculto de mi huerto encalado,
entre la flor, mi espíritu errará callando.
Y yo me iré, y seré otro, sin hogar, sin árbol verde, sin pozo blanco, sin cielo azul y plácido… Y se quedarán los pájaros cantando.
Corazón en el viento en Poemas agrestes, 1910-1911.
Moguer (Huelva). Monument à Juan Ramón Jiménez. Plaza del Cabildo.
Victor Hugo, 1829. (Hugo Devéria). Paris, Musée carnavalet.
Soleils couchants
VI.
Le soleil s’est couché ce soir dans les nuées ;
Demain viendra l’orage, et le soir, et la nuit ;
Puis l’aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ;
Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s’enfuit!
Tous ces jours passeront; ils passeront en foule
Sur la face des mers, sur la face des monts,
Sur les fleuves d’argent, sur les forêts où roule
Comme un hymne confus des morts que nous aimons.
Et la face des eaux, et le front des montagnes,
Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts
S’iront rajeunissant; le fleuve des campagnes
Prendra sans cesse aux monts le flot qu’il donne aux mers.
Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête,
Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux,
Je m’en irai bientôt, au milieu de la fête,
Sans que rien manque au monde, immense et radieux !
Je reprends ici le poème de Cernuda qui doit beaucoup aux surréalistes français, mais cette fois avec la très bonne traduction de Jacques Ancet, publiée en 1972 dans sa monographie Luis Cernuda pour la mythique collection des éditions Pierre Seghers Poètes d’aujourd’hui (n°207).
Si el hombre pudiera decir
Si el hombre pudiera decir lo que ama,
Si el hombre pudiera levantar su amor por el cielo
Como una nube en la luz;
Si como muros que se derrumban,
Para saludar la verdad erguida en medio,
Pudiera derrumbar su cuerpo, dejando sólo la verdad de su amor,
La verdad de sí mismo,
Que no se llama gloria, fortuna o ambición,
Sino amor o deseo,
Yo sería aquel que imaginaba;
Aquel que con su lengua, sus ojos y sus manos
Proclama ante los hombres la verdad ignorada,
La verdad de su amor verdadero.
Libertad no conozco sino la libertad de estar preso en alguien
Cuyo nombre no puedo oír sin escalofrío;
Alguien por quien me olvido de esta existencia mezquina,
Por quien el día y la noche son para mí lo que quiera,
Y mi cuerpo y espíritu flotan en su cuerpo y espíritu
Como leños perdidos que el mar anega o levanta
Libremente, con la libertad del amor,
La única libertad que me exalta,
La única libertad por que muero.
Tú justificas mi existencia:
Si no te conozco, no he vivido;
Si muero sin conocerte, no muero, porque no he vivido.
13 de abril de 1931.
Los placeres prohibidos (1931)
Si l’homme pouvait dire ce qu’il aime
Si l’homme pouvait dire ce qu’il aime,
Si l’homme pouvait élever son amour au ciel
Comme un nuage dans la lumière;
Si comme murs qui s’écroulent,
Pour saluer la vérité dressée au milieu,
Il pouvait détruire son corps, ne laissant que la vérité de son amour,
La vérité de lui-même,
Qui ne s’appelle ni gloire, ni fortune, ni ambition,
Mais amour ou désir,
Je serais celui que j’imaginais;
Celui qui de sa langue, de ses yeux et de ses mains
Proclame devant les hommes la vérité ignorée,
La vérité de son véritable amour.
Je ne connais d’autre liberté que celle d’être le captif d’un être
Dont je ne peux entendre le nom sans frisson;
Un être par qui j’oublie cette existence mesquine,
Par qui le jour et la nuit sont pour moi ce qu’il voudra,
Et mon corps et mon esprit flottent dans son corps et son esprit
Comme des planches perdues que la mer engloutit ou élève,
Librement, avec la liberté de l’amour,
L’unique liberté qui m’exalte,
L’unique liberté pour quoi je meurs.
Tu justifies mon existence:
Si je ne te connais pas, je n’ai pas vécu;
Si je meurs sans te connaître, je ne meurs pas, car je n’ai pas vécu.
Bob Dylan (Robert Allen Zimmerman) est né le 24 mai 1941 à Duluth (Minnesota). Prix Nobel de Littérature 2016, il a aujourd’hui 78 ans.
Blas de Otero.
Le poème de Blas de Otero (1916-1979) renvoie à celui du grand poète péruvien César Vallejo (1892-1938).
Tiempo (Blas de Otero)
Hoy es Domingo y por eso decía César Vallejo por eso escucho a Bob Dylan me hundo en el fondo del subconsciente buceo a ojos cerrados y todo aparece diáfano como la armónica de Bob tantos años abatidos furia del angel fieramente humano contra las altas olas yo dije España está perdida dentro de su nombre llamé a la paz con los labios desgarrados pero hoy es domingo y por eso me serené como una verónica de Gitanillo de Triana seccioné mi angustia la guillotiné en despiadados versos pero hoy es domingo y por eso a lo lejos ya viene la galerna la espero a pecho descubierto pecho como la guitarra de Bob Dylan porque hoy es domingo y por eso.
Hojas de Madrid con La galerna. Galaxia Gutenberg, Círculo de lectores, Barcelona, 2010.
César Vallejo.
Fue domingo en las claras orejas de mi burro… (César Vallejo)
Fue domingo en las claras orejas de mi burro,
de mi burro peruano en el Perú (Perdonen la tristeza).
Mas hoy ya son las once en mi experiencia personal,
experiencia de un solo ojo, clavado en pleno pecho,
de una sola burrada, clavada en pleno pecho.
Tal de mi tierra veo los cerros retratados,
ricos en burros, hijos de burros, padres hoy de vista,
que tornan ya pintados de creencias,
cerros horizontales de mis penas.
En su estatua, de espada,
Voltaire cruza su capa y mira el zócalo,
pero el sol me penetra y espanta de mis dientes incisivos
un número crecido de cuerpos inorgánicos.
Y entonces sueño en una piedra
verduzca, diecisiete,
peñasco numeral que he olvidado,
sonido de años en el rumor de aguja de mi brazo,
lluvia y sol en Europa, y ¡cómo toso! ¡cómo vivo!
¡cómo me duele el pelo al columbrar los signos semanales!
y cómo, por recodo, mi ciclo microbiano,
quiero decir mi trémulo, patriótico peinado.
Luis Cernuda en su casa de la calle Viriato, 71.Madrid. 9 de marzo de 1936
No sé qué nombre darle en mis sueños
Ante mi forma encontré aquella forma
en tiempo de crepúsculo,
cuando las desapariciones
confunden los colores a los ojos,
cuando el último amor
busca el cuerpo postrero.
Una angustia sin fondo aullaba entre las piedras;
hacia el aire, hombres sordos,
la cabeza olvidada,
pasaban a lo lejos como libres o muertos.
Vergonzoso cortejo de fantasmas
con las cadenas rotas colgando de las manos.
La vida puso entonces una lámpara
sobre muros sangrientos;
El día ya cansado secaba tristemente
las futuras auroras, remendadas
como harapos de rey.
La lámpara eras tú,
mis labios, mi sonrisa,
forma que hallan mis manos en todo lo que alcanzan.
Si mis ojos se cierran es para hallarte en sueños,
detrás de la cabeza,
detrás del mundo esclavizado,
en ese país perdido
que un día abandonamos sin saberlo.
8 de agosto de 1929.
Un río, un amor, 1929.
Je ne sais quel nom lui donner dans mes rêves
Je rencontrai cette forme devant la mienne
À l’heure du crépuscule,
Quand les disparitions
Confondent pour les yeux les couleurs,
Quand le dernier amour
Cherche l’ultime corps.
Une angoisse sans fond hurlait entre les pierres;
En route vers l’air, des hommes sourds,
Tête oubliée,
Passaient au loin, libres ou morts ;
Honteux cortège de fantômes
Et leurs chaînes brisées qui pendaient à leurs mains.
Alors la vie posa une lampe
Sur des murs sanglants ;
Le jour déjà fatigué séchait tristement
Les futures aurores, rapiécées
Comme loques de roi.
La lampe c’était toi,
Mes lèvres, mon sourire,
Forme que trouvent mes mains dans tout ce qu’elles touchent.
Si mes yeux se ferment c’est pour te trouver en rêve,
Derrière la tête,
Derrière le monde asservi,
Dans ce pays perdu
Que sans le savoir nous avons quitté un jour.
8 août 1929.
Un fleuve, un amour Editions Fata Morgana, 1985. Traduction de Jacques Ancet.
La parabole du hérisson a été reprise entre autres par Sigmund Freud et Luis Cernuda:
Arthur Schopenhauer,Parerga et Paralipomena (Suppléments et omissions), 1851.
«Par une froide journée d’hiver un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’écarter les uns des autres. Quand le besoin de se réchauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de sorte qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux maux jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendît la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur vie intérieure, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses manières d’être antipathiques et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les belles manières. En Angleterre on crie à celui qui ne se tient pas à cette distance: Keep your distance! Par ce moyen le besoin de se réchauffer n’est, à la vérité, satisfait qu’à moitié, mais, en revanche, on ne ressent pas la blessure des piquants. Cependant celui qui possède assez de chaleur intérieure propre préfère rester en dehors de la société pour ne pas éprouver de désagréments, ni en causer. »
Sigmund Freud, Psychologie collective et analyse du moi, 1921, dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1963.
« Un jour d’hiver glacial, les porcs-épics d’un troupeau se serrèrent les uns contre les autres, afin de se protéger contre le froid par la chaleur réciproque. Mais, douloureusement gênés par les piquants, ils ne tardèrent pas à s’écarter de nouveau les uns des autres. Obligés de se rapprocher de nouveau, en raison d’un froid persistant, ils éprouvèrent une fois de plus l’action désagréable des piquants, et ces alternatives de rapprochement et d’éloignement durèrent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé une distance convenable où ils se sentirent à l’abri des maux ».
Luis Cernuda, Introduction à Donde habite el olvido (1932-1933) Publié en 1934.
« Como los erizos, ya sabéis, los hombres un día sintieron su frío. Y quisieron compartirlo. Entonces inventaron el amor. El resultado fue, ya sabéis, como en los erizos. ¿Qué queda de las alegrías y penas del amor cuando éste desaparece? Nada, o peor que nada; queda el recuerdo de un olvido. Y menos mal cuando no lo punza la sombra de aquellas espinas; de aquellas espinas, ya sabéis. Las siguientes páginas son el recuerdo de un olvido.”
Fernando Aramburu (Saint-Sébastien, 1959), le romancier à succès de Patria (Tusquets 2016, publié en français sous le même titre chez Actes Sud en 2018, traduit par Claude Bleton) après un livre très personnel Autorretrato sin mí (Tusquets, 2018), présente dans Vetas profundas (Tusquets, 2019) 40 poèmes de grands écrivains en langue espagnole. Il s’approche d’eux sans aucune ambition universitaire et nous montre ce qu’ils représentent pour lui. Aramburu s’exprime essentiellement en prose, mais quand il était jeune il a participé dans sa ville natale basque à la fondation du groupe CLOC de Arte y Desarte, qui a édité entre 1978 et 1981 une revue. En début de semaine, j’ai trouvé un exemplaire de son livre chez Gibert. Los justos de Jorge Luis Borges est le premier poème qu’il analyse.
Los justos
Un hombre que cultiva un jardín, como quería Voltaire. El que agradece que en la tierra haya música. El que descubre con placer una etimología. Dos empleados que en un café del Sur juegan un silencioso ajedrez. El ceramista que premedita un color y una forma. Un tipógrafo que compone bien esta página, que tal vez no le agrada. Una mujer y un hombre que leen los tercetos finales de cierto canto. El que acaricia a un animal dormido. El que justifica o quiere justificar un mal que le han hecho. El que agradece que en la tierra haya Stevenson. El que prefiere que los otros tengan razón. Esas personas, que se ignoran, están salvando el mundo.
La cifra, 1981.
Les justes
Un homme qui cultive son jardin, comme le voulait Voltaire.
Celui qui est reconnaissant que sur la terre il y ait de la musique.
Celui qui découvre avec plaisir une étymologie.
Deux employés qui dans un café du Sud jouent un silencieux jeu d’échecs.
Le céramiste qui prémédite une couleur et une forme.
Un typographe qui compose bien cette page, qui peut-être ne lui plaît pas.
Une femme et un homme qui lisent les tercets finaux d’un certain chant.
Celui qui caresse un animal endormi.
Celui qui justifie ou veut justifier un mal qu’on lui a fait.
Celui qui est reconnaissant que sur terre il y ait un Stevenson.
Celui qui préfère que les autres aient raison.
Ces personnes, qui s’ignorent, sont en train de sauver le monde.
Quelle ville ressemble au vin ?
Paris.
Tu bois le premier verre.
Il est âpre.
Au second,
il te monte à la tête,
Au troisième,
Impossible de quitter la table:
Garçon, encore une bouteille !
Ensuite, où que tu sois
où que tu ailles
tu es accro de Paris, mon vieux.
Quelle ville
demeure belle même s’il pleut quarante jours durant ?
Paris…
Fils de Hikmet, dans quelle ville
voudrais-tu mourir ?
A Istanbul,
A Moscou,
et aussi à Paris…
A quel moment Paris devient-il laid?
Quand on met à sac les imprimeries,
et qu’on brûle les livres.
Qu’est-ce qui n’est pas seyant pour Paris ?
Les cars noirs aux vitres grillagées.
Dans quelle ville as-tu mangé
le pain le plus pur ?
A Paris.
Les croissants au beurre surtout.
A croire qu’ils sortent
du boulanger à Chehzadébachi.
Ce que tu as le plus aimé à Paris ?
C’est Paris.
A qui as-tu porté des fleurs, camarade ?
Au Mur des Fédérés,
Et aussi à une belle, fine comme la branche.
Parmi les tiens, qui as-tu rencontré à Paris ?
Namik Kemal, Ziya Pacha, Moustafa Suphi,
et puis la jeunesse de ma mère :
elle fait de la peinture,
elle parle français,
elle est la plus belle du monde.
Et puis j’ai rencontré aussi
la jeunesse de Mimi.
Bon; à qui Paris ressemble-t-il ? Au Parisien… Est-ce que tu crois en Paris, fils-de-l’homme ? Je crois en Paris.
Paris, 15 mai 1958
Il neige dans la nuit et autres poèmes, Gallimard, 1999. Choix et traduction Munevver et Guzine Dino.
L’automne déjà!—Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, — loin des gens qui meurent sur les saisons.
L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l’ivresse, les mille amours qui m’ont crucifié! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment… J’aurais pu y mourir… L’affreuse évocation ! J’exècre la misère.
Et je redoute l’hiver parce que c’est la saison du comfort!
— Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée!
Moi! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre! Paysan!
Suis-je trompé, la charité serait-elle sœur de la mort, pour moi?
Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours?
————
Oui, l’heure nouvelle est au moins très sévère.
Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent,—des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes.—Damnés, si je me vengeais !
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.
Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Que parlais-je de main amie ! un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, —j’ai vu l’enfer des femmes là-bas;—et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
Le 28 ème Prix Reina Sofía de Poésie Ibéro-américaine, la plus haute récompense du genre dans le monde hispanique, a été décernée hier au poète catalan Joan Margarit, né en 1938 à Sanahuja dans la Province de Lérida. C’est le second auteur en catalan qui obtient ce prix. Le premier fut, en 2000, Pere Gimferrer.
Son père était architecte et sa mère institutrice. Pendant son enfance, sa famille change constamment de domicile. Elle s’installe à Santa Cruz de Tenerife (Canaries) en 1954. Joan Margarit étudie l’architecture à Barcelone où il s’installe définitivement en 1963. Il exerce son métier dans cette ville et est aussi professeur de calcul de structures à l’Ecole Supérieure d’Architecture de l’Université de Barcelone. Il a d’abord publié en castillan. Mais, encouragé par son ami le poète Miquel Martí i Pol (1929-2003), il écrit dans sa langue maternelle à partir de 1978. Il se considère comme un écrivain bilingue. C’est un des poètes catalans les plus lus en Catalogne et dans le reste de la Péninsule. Sa poésie est autobiographique et réaliste.
Cuesta de Atocha
Ens creuem. Ells dos pujen:
la cadira de rodes on s’asseu
encongit, gemegant, un home jove
i el pare, que l’empeny.
Per fer més força, tira els peus enrere i
estira tant com pot cames i braços.
Així, encorbat i tens,
gairebé no pot vèncer la pujada.
Sé el que sent: que es fa vell.
Un maleït instant, en compadir aquest
pare, m’equivoco: encara té el seu fill.
Ara que ja han passat,
contemplo amb un somriure com s’allunyen.
Una dona a un portal em mira amb mala cara.
No sap en quina escena d’amor s’està ficant.
Un hivern fascinant (Proa, 2017)
Cuesta de Atocha
Ellos dos van subiendo y nos cruzamos, en la silla de ruedas, sentado y encogido, solloza un hombre joven. El padre, que la empuja, echa hacia atrás los pies y, para hacer más fuerza, estira cuanto puede las piernas y los brazos. Así, encorvado y tenso, puede vencer apenas la subida. Sé lo que siente: que se ha hecho viejo. Por un maldito instante compadezco a ese padre: un error, puesto que él todavía tiene a su hijo. Esbozo una sonrisa mientras van alejándose. Desde un portal, una mujer me mira con reproche. No comprende en qué escena de amor se está metiendo.
Un asombroso invierno (Visor, 2018).
Primer amor (Joan Margarit)
a José Agustín Goytisolo
En la Girona trista dels set anys,
on els aparadors de la postguerra
tenien un color gris de penúria,
la ganiveteria era un esclat
de llum en els petits miralls d’acer.
Amb el front descansant damunt del vidre,
mirava una navalla, llarga i fina,
bella com una estàtua de marbre.
Com que els de casa no volien armes,
vaig comprar-la en secret i, en caminar,
la sentia, pesant, dins la butxaca.
A vegades l’obria a poc a poc
i sorgia la fulla recta i prima
amb la conventual fredor de l’arma.
Presència callada del perill:
vaig amagar-la, els trenta primers anys,
rere llibres de versos i després
dins un calaix, entre les teves calces
i entre les teves mitges.
Ara, a punt de complir els cinquanta quatre,
torno a mirar-la oberta al meu palmell,
tan perillosa com a la infantesa.
Sensual, freda. Més a prop del coll.
Els motius del llop, 1993.
Primer amor a José Agustín Goytisolo
Triste Girona de mis siete años: en la posguerra los escaparates tenían un color gris de penuria. Y, sin embargo, en la cuchillería, en cada hoja de acero destellaba la luz como si se tratase de pequeños espejos. Descansando la frente en el cristal, miraba una navaja larga y fina, bella como una estatua de mármol. Puesto que en casa no querían armas, fui a comprarla en secreto y, al andar, la sentía, pesada, en mi bolsillo. Cuando, a veces, la abría, muy despacio, surgía, recta y afilada, la hoja con esa conventual frialdad del arma. Silenciosa presencia del peligro: la oculté, los primeros treinta años, tras los libros de versos y, después, en un cajón, metida entre tus bragas y entre tus medias. Hoy, cerca ya de los cincuenta y cuatro, vuelvo a mirarla, abierta en la palma de mi mano, igual de peligrosa que en la infancia. Fría, sensual. Más cerca de mi cuello.
La llibertat
La llibertat és la raó de viure, dèiem, somniadors, d’estudiants. És la raó dels vells, matisem ara, la seva única esperança escèptica. La llibertat és un estrany viatge. Són les places de toros amb cadires damunt la sorra en temps d’eleccions. És el perill, de matinada, al metro, són els diaris al final del dia. La llibertat és fer l’amor als parcs. La llibertat és quan comença l’alba en un dia de vaga general. És morir lliure. Són les guerres mèdiques. Les paraules República i Civil. Un rei sortint en tren cap a l’exili. La llibertat és una llibreria. Anar indocumentat. Són les cançons de la guerra civil. Una forma d’amor, la llibertat.
Els primers freds. Poesía 1975-1995. Proa.
La libertad
Es la razón de nuestra vida,
dijimos, estudiantes soñadores.
La razón de los viejos, matizamos ahora,
su única y escéptica esperanza.
La libertad es un extraño viaje.
Son las plazas de toros con las sillas
sobre la arena en las primeras elecciones.
Es el peligro que, de madrugada,
nos acecha en el metro,
son los periódicos al fin de la jornada.
La libertad es hacer el amor en los parques.
Es el alba de un día de huelga general.
Es morir libre. Son las guerras médicas.
Las palabras República y Civil.
Un rey saliendo en tren hacia el exilio.
La libertad es una librería.
Ir indocumentado.
Las canciones prohibidas.
Una forma de amor, la libertad.
Principaux titres
Cantos para la coral de un hombre solo. Barcelona: Editorial Vicens Vives. 1963. (Con prólogo de Camilo José Cela e ilustraciones de Josep María Subirachs).