Antonio Machado

Antonio Machado. v. 1927 (Alfonso).

Juan de Mairena II (1936-1938), LXXXVII

“En esta egregia Barcelona -hubiera dicho Juan de Mairena en nuestros días-, perla del mar latino, y en los campos que la rodean, y que yo me atrevo a llamar virgilianos, porque en ellos se da un perfecto equilibrio entre la obra de la Naturaleza y la del hombre gusto releer a Juan Maragall, a Mosén Cinto, a Ausias March, grandes poetas de ayer, u otros, grandes también, de nuestros días. Como a través de un cristal coloreado y no del todo transparente para mí, la lengua catalana, donde yo creo sentir la montaña, la campanilla y el mar, me deja ver algo de estas mentes iluminadas, de estos corazones ardientes de nuestra Iberia. Y recuerdo al gigantesco Lulio, el gran mallorquín. ¡Si la guerra nos dejará pensar! ¡Si la guerra nos dejará sentir! ¡Bah! Lamentaciones son éstas de pobre diablo. Porque la guerra es un tema de meditación como otro cualquiera, y un tema cordial esencialísimo. Y hay cosas que sólo la guerra nos hace ver claras. Por ejemplo: ¡Qué bien nos entendemos en lenguas maternas diferentes, cuantos decimos, de este lado del Ebro, bajo un diluvio de iniquidades: «Nosotros no hemos vendido nuestra España!» Y el que esto se diga en catalán como en castellano en nada amengua ni acrecienta su verdad.”

6 de octubre de 1938.

En 2017, la Municipalité de Sabadell (ERC-CUP) avait commandé à  Diego Abad d’étudier la nomenclature des noms de rues de cette importante ville catalane (211 000 habitants), située dans la banlieue de Barcelone. Ce pseudo-historien  avait proposé d’éliminer entre autres ceux  d’ Antonio Machado ou de Francisco de Quevedo,  les accusant d’avoir été  “españolistas” ou “anticatalanistas”. Depuis , les autorités actuelles de la ville ont été obligées de faire marche arrière.

 

Josep Fontana

Josep Fontana, 2017.

L’historien catalan, Josep Fontana i Lázaro, né le 20 novembre 1931 à Barcelone, est  mort dans sa ville natale le 28 août 2018. Ce grand historien marxiste était  professeur émérite de l’université Pompeu Fabra de Barcelone et spécialiste de l’histoire de l’Espagne contemporaine. Il se présentait comme “rojo y nacionalista, que no son dos cosas incompatibles”. Il fut membre du PSUC de 1957 à 1980. Le franquisme l’expulsa de l’université en 1966 à cause de son engagement politique.

Principales oeuvres: – La quiebra de la monarquía absoluta (1814-1820), 1971.

– Historia. Análisis del pasado y proyecto social, 1982.

La crisis del Antiguo Régimen (1808-1832) , 1992.

Hacienda y Estado 1823-1833, 2001.

Por el bien del imperio. Una historia del mundo desde 1945, 2011.

La formació d’una identitat, 2014

El siglo de la revolución. Una historia del mundo desde 1914, 2017.

Ses maîtres furent Ferran Soldevila, Jaume Vicens Vives et Pierre Vilar.

Il avait fait publier en espagnol chez Ariel, puis Crítica de grands historiens comme Eric Hobsbawm, E. P. Thompson, George Rudé, Michele Vovelle, Marc Bloch, Albert Soboul  Mary Beard, Pierre Vilar ou David S. Landes.

Un seul de ses livres a été publié et préfacé en français par Jacques Le Goff au Seuil en 1995 dans la collection Faire l’Europe: L’Europe en procès. Publié en espagnol en 1994:  Europa ante el espejo.

Ce poème de Bertolt Brecht était affiché dans son bureau: ” “Quien todavía esté vivo que no diga jamás: lo que es seguro no es seguro. Todo no será siempre igual. Cuando hayan hablado los opresores, hablarán los oprimidos. El que haya caído, debe levantarse, el que haya perdido, debe luchar. ¿Quién podrá detener al que conoce la verdad? Porque los vencidos de hoy son los vencedores de mañana, y el jamás se va a convertir en ahora mismo”.

Bertolt Brecht.

ELOGE DE LA DIALECTIQUE
L’injustice aujourd’hui s’avance d’un pas sûr.
Les oppresseurs dressent leurs plans pour 10 000 ans.
La force affirme : les choses resteront ce qu’elles sont.
Pas une voix, hormis la voix de ceux qui règnent,
Et sur tous les marchés l’exploitation proclame : c’est maintenant que je commence.
Mais chez les opprimés, beaucoup disent maintenant:
Ce que nous voulons ne viendra jamais.

Celui qui vit encore ne doit pas dire: jamais.
Ce qui est assuré n’est pas sûr.
Les choses ne restent pas ce qu’elles sont.
Quand ceux qui règnent auront parlé,
Ceux sur qui ils régnaient parleront.
Qui donc osé dire: jamais?
De qui dépend que l’oppression demeure ? De nous.
De qui dépend qu’elle soit brisée ? De nous.
Celui qui s’écroule abattu, qu’il se dresse.
Celui qui est perdu : qu’il lutte!
Celui qui a compris pourquoi il en est là, comment le retenir?
Les vaincus d’aujourd’hui sont les vainqueurs de demain.
Et jamais devient : aujourd’hui.”

(Traduction: Maurice Regnaut)

Amado Nervo

Amado Nervo

                                          

En paz

                                       Artifex vitae, artifex sui

Muy cerca de mi ocaso, yo te bendigo, vida,
porque nunca me diste ni esperanza fallida,
ni trabajos injustos, ni pena inmerecida;

porque veo al final de mi rudo camino
que yo fui el arquitecto de mi propio destino;

que si extraje la miel o la hiel de las cosas,
fue porque en ellas puse hiel o mieles sabrosas:
cuando planté rosales, coseché siempre rosas.

…Cierto, a mis lozanías va a seguir el invierno:
¡mas tú no me dijiste que mayo fuese eterno!

Hallé sin duda largas noches de mis penas;
mas no me prometiste tú sólo noches buenas;
y en cambio tuve algunas santamente serenas…

Amé, fui amado, el sol acarició mi faz.
¡Vida, nada me debes! ¡Vida, estamos en paz!

(Ecrit le 20 mars 1915)

Elevación, 1916

Amado Nervo  est un poète et écrivain mexicain qui appartient au mouvement moderniste. Son vrai est Juan Crisóstomo Ruiz de Nervo y Ordaz. Il naît le 27 août 1870 à Tepic (Etat de Jalisco, aujourd’hui Narayit au Mexique) et meurt à Montevideo (Uruguay) le 24 mai 1919. Il réside longtemps à l’étranger comme diplomate et ambassadeur

Il fait ses études dans l’état de Michoacán, étudie les sciences, la philosophie et le droit dans un séminaire. A Mexico, il écrit pour des revues et rencontre certains auteurs mexicains et étrangers comme Rubén Darío. Il publie son premier roman, El bachiller (1895) et des recueils de poèmes comme Perlas negras (1896) et Místicas (1898).

En 1900, il voyage à Paris, comme envoyé spécial du journal El Imparcial à l’Exposition universelle de 1900. Il y rencontre Catulle Mendès, Jean Moréas, et Oscar Wilde. Il y rencontre aussi le grand amour de sa vie, Ana Cecilia Luisa Daillez, dont la mort prématurée en 1912 lui inspirera les poèmes de La Amada Inmóvil (publication posthume en 1922). Il voyage ensuite en Europe et vers 1905 devient secrétaire de l’ambassade du Mexique à Madrid. En 1909, il traduit et commente le Manifeste du futurisme de Marinetti.

En 1914, la Révolution mexicaine interrompt le service diplomatique et Amado Nervo retombe dans la pauvreté. Il retourne au Mexique en 1918, et est envoyé comme ministre plénipotentiaire en Argentine et en Uruguay. Il meurt à Montevideo le 24 mai 1919, à 48 ans. Il est enterré dans la Rotonda de las Personas Ilustres à México dès novembre 1919.

Amado Nervo. Sepulcro en la Rotonda de las Personas Ilustres (México).

Guillaume Apollinaire

Guillaume Apollinaire.

26 août 1880: Naissance à Rome de Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire, poète français né sujet polonais de l’Empire russe.

Il meurt à Paris le 9 novembre 1918 de «la grippe dite espagnole». Il est déclaré mort pour la France en raison de son engagement durant la guerre.

Au Panthéon, quatre panneaux portent le nom des 560 écrivains morts durant le conflit de 1914-1918. Guillaume Apollinaire figure dans la liste des écrivains morts sous les drapeaux.

La grippe de 1918, dite «grippe espagnole» avait pour origine la Chine (pour le « virus père») et les États-Unis (pour sa mutation génétique). Seule l’Espagne– non impliquée dans la Première Guerre mondiale– publia librement les informations relatives à cette épidémie. Elle est due à une souche (H1N1) particulièrement virulente et contagieuse de grippe qui s’est répandue en pandémie de 1918 à 1919. Elle a fait 50 millions de morts selon l’Institut Pasteur, et jusqu’à 100 millions selon certaines réévaluations récentes. Elle serait la pandémie la plus mortelle de l’histoire dans un laps de temps aussi court, devant les 34 millions de morts (estimation) de la peste noire.

1968-69: Poème étudié en classe de Terminale A2 au Lycée de Montgeron avec notre professeur de Philosophie, André Noiray.

La Chanson du mal-aimé (Guillaume Apollinaire)
    à Paul Léautaud

Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance
Du beau Phénix s’il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.

Un soir de demi-brume à Londres
Un voyou qui ressemblait à
Mon amour vint à ma rencontre
Et le regard qu’il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte

Je suivis ce mauvais garçon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hébreux moi Pharaon

Oue tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimée
Je suis le souverain d’Égypte
Sa soeur-épouse son armée
Si tu n’es pas l’amour unique

Au tournant d’une rue brûlant
De tous les feux de ses façades
Plaies du brouillard sanguinolent
Où se lamentaient les façades
Une femme lui ressemblant

C’était son regard d’inhumaine
La cicatrice à son cou nu
Sortit saoule d’une taverne
Au moment où je reconnus
La fausseté de l’amour même

Lorsqu’il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Près d’un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu’il revînt

L’époux royal de Sacontale
Las de vaincre se réjouit
Quand il la retrouva plus pâle
D’attente et d’amour yeux pâlis
Caressant sa gazelle mâle

J’ai pensé à ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux
Heurtant leurs ombres infidèles
Me rendirent si malheureux

Regrets sur quoi l’enfer se fonde
Qu’un ciel d’oubli s’ouvre à mes voeux
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre

J’ai hiverné dans mon passé
Revienne le soleil de Pâques
Pour chauffer un coeur plus glacé
Que les quarante de Sébaste
Moins que ma vie martyrisés

Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir

Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s’éloigne
Avec celle que j’ai perdue
L’année dernière en Allemagne
Et que je ne reverrai plus

Voie lactée ô soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses

Je me souviens d’une autre année
C’était l’aube d’un jour d’avril
J’ai chanté ma joie bien-aimée
Chanté l’amour à voix virile
Au moment d’amour de l’année

Alcools, 1913.

Jorge Luis Borges

Jorge Luis Borges jeune.

Jorge Luis Borges est né le 24 août 1899 à Buenos Aires. Il est mort le 14 juin 1986 à Genève. Il considérait Límites comme son meilleur poème.

“En mi opinión, pero no hay razón alguna para que la opinión del poeta valga más que la de los lectores, este poema es el mejor, o mejor dicho el menos malo de los míos.”

LÍMITES 

De estas calles que ahondan el poniente,
una habrá (no sé cuál) que he recorrido
ya por última vez, indiferente
y sin adivinarlo, sometido

a quién prefiera omnipotentes normas
y una secreta y rígida medida
a las sombras, los sueños y las formas
que destejen y tejen esta vida.

Si para todo hay término y hay tasa
y última vez y nunca más y olvido
¿quién nos dirá de quién, en esta casa,
sin saberlo, nos hemos despedido?

Tras el cristal ya gris la noche cesa
y del alto de libros que una trunca
sombra dilatada por la vaga mesa,
alguno habrá que no leeremos nunca.

Hay en el sur más de un portón gastado
con sus jarrones de mampostería
y tunas, que a mi paso está vedado
como si fuera una litografía.

Para siempre cerraste alguna puerta
y hay un espejo que se aguarda en vano;
la encrucijada te parece abierta
y la vigila, cuadrifronte, Jano.

Hay, entre todas tus memorias, una
que se ha perdido irreparablemente;
no te verán bajar a aquella fuente
ni el blanco sol ni la amarilla luna.

No volverá tu voz a lo que el persa
dijo en su lengua de aves y de rosas,
cuando el ocaso, ante la luz dispersa,
quieras decir inolvidables cosas.

¿Y el incesante Ródano y el lago,
todo ese ayer sobre el cual hoy me inclino?
Tan perdido estará como Cartago
que con fuego y con sal borró el latino.

Creo en el alba oír un atareado
rumor de multitudes que se alejan;
son los que me han querido y olvidado;
espacio y tiempo y Borges ya me dejan.

1964.

Jorge Luis Borges décoré de la Légion d’honneur par François Mitterrand à l’Élysée, le 19 janvier 1983.

León Felipe

León Felipe

COMO TÚ… ( León Felipe 1884-1968 )

Así es mi vida,
piedra,
como tú. Como tú,
piedra pequeña;
como tú,
piedra ligera;
como tú,
canto que ruedas
por las calzadas
y por las veredas;
como tú,
guijarro humilde de las carreteras;
como tú,
que en días de tormenta
te hundes
en el cieno de la tierra
y luego
centelleas
bajo los cascos
y bajo las ruedas;
como tú, que no has servido
para ser ni piedra
de una lonja,
ni piedra de una audiencia,
ni piedra de un palacio,
ni piedra de una iglesia…
como tú,
piedra aventurera…
como tú,
que tal vez estás hecha
sólo para una honda…
piedra pequeña
y
ligera…

Versos y oraciones del caminante, Madrid, 1920.

Comme toi 

Ainsi est ma vie,
pierre,
comme toi. Comme toi,
petite pierre;
comme toi
pierre légère;
comme toi,
galet qui roule
sur les chemins
et les trottoirs;
comme toi,
humble caillou des routes;
comme toi
qui par les jours d’orage
t’aplatis
dans la boue de la terre
et puis
scintilles
sous les sabots
et sous les roues;
comme toi, qui n’as même pas servi
à être pierre
d’une halle de marché,
ni pierre d’un tribunal,
ni pierre d’un palais,
ni pierre d’une église;
comme toi,
pierre aventureuse;
comme toi
qui, peut-être, n’es faite
que pour une fronde,
pierre petite
et
légère…

Le poète espagnol León Felipe s’appelait en réalité Felipe Camino Galicia de la Rosa. Il est né à Tábara (Zamora) le 11 de abril de 1884 et est mort à Ciudad de México, le 18 de septiembre de 1968. Son père était notaire et l’obligea à faire des études de pharmacie. Sa vie fut aventureuse. Il s’occupa de plusieurs pharmacies dans différentes petites villes d’Espagne et fut aussi acteur d’une petite troupe de théâtre. Il passa même trois ans en prison, accusé d’escroquerie. Il partit une première fois d’Espagne pour vivre en Guinée Equatoriale, au Mexique et aux Etats-Unis et ne revint en Espagne que peu avant le début de la Guerre Civile. Militant de la cause républicaine, il partit définitivement au Mexique en 1938 comme conseiller culturel du Gouvernement de la République. On associe généralement sa poésie à celle de Walt Whitman, dont il fut le traducteur.

J’ai lu les poèmes de León Felipe dès 1969, lors de mon premier voyage à Madrid. Ses livres étaient alors interdits dans l’Espagne franquiste, mais on pouvait trouver l’Antología rota, publiée par Losada en Argentine en 1957, dans le quartier étudiant de Argüelles.

Plus tard, bien sûr, j’ai souvent écouté la version de ce poème mis en musique par Paco Ibáñez.

Il y a quelques jours, je suis tombé sur cette version du groupe Evoéh, tiré d’un disque de 2015 El poeta del viento: Homenaje a León Felipe.

https://www.youtube.com/watch?v=H2o9h1Wv46o

Zamora. Parque León Felipe. Homenaje en el centenario de su nacimiento (1984). Escultura de Baltasar Lobo.

C215 (Christian Guémy) – Guillaume Apollinaire

Guillaume Apollinaire. Paris V, 

Dans le parcours Illustres! C215 autour du Panthéon, on peut retrouver Guillaume Apollinaire 11 rue Champollion sur une porte du cinéma La Filmothèque du Quartier Latin et lire un de ses Poèmes à Lou.

Quatre jours mon amour (Guillaume Apollinaire).

Charles Baudelaire

Spleen LXXVIII

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

–Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857

Charles Baudelaire, Autoportrait 1860.

Terence Davies

Terence Davies

Filmographie de Terence Davies, metteur en scène britannique né à Liverpool le 10 novembre 1945. Je vois ses films depuis 1988 et son film, très personnel,  Distant Voices, Still Lives.

1976: Children (moyen-métrage)
1980: Madonna and Child (moyen-métrage)
1983: Death and Transfiguration (moyen-métrage)
1984: The Terence Davies Trilogy (réunion des trois précédents)
1988: Distant Voices, Still Lives
1991: The Long Day Closes
1996: The Neon Bible (La Bible de néon)
2000: Chez les heureux du monde (The House of Mirth)
2008: Of Time and the City (documentaire)
2011: The Deep Blue Sea
2015: Sunset Song
2016: Emily Dickinson, a Quiet Passion (A Quiet Passion)

Tous ses films sont de beaux portraits de femmes. Sunset Song est une intéressante évocation d’une femme qui gagne son indépendance  à la force du poignet avant et pendant la Première Guerre mondiale en Ecosse. Son dernier film montre bien la rage d’Emily Dickinson qui remet en cause l’autorité des Puritains. Elle s’oppose, au début,  à la directrice du pensionnat. Plus tard, en présence de son père et de sa famille, elle refusera de s’agenouiller pour rendre grâce sur l’injonction d’un nouveau pasteur.

Emily Dickinson, A Quiet Passion (Terence Davies)

3 poèmes d’Emily Dickinson (1830-1886) tirés de la belle édition livre-DVD Collector (96 pages) Emily Dickinson, A Quiet Passion, film de Terence Davies (2016) Nous avions vu le film l’année dernière. J’ai emprunté le coffret livre-DVD à la Bibliothèque de Champs-sur-Marne parce qu’il contient un supplément de Sol Papadopoulos (2017 – 1h15), un documentaire qui présente la vie et l’oeuvre de la grande poétesse américaine, née à Amherst dans le Massachussets. La “femme en blanc” ou la “phalène blanche”. Emily Dickinson passa la plus grande partie de sa vie adulte chez ses parents, dans cette ville. La famille était son univers et l’univers, sa famille. Toute sa vie durant, elle écrira. En tout presque 1800 poèmes et à peine une dizaine d’entre eux publiés de son vivant. Elle n’hésita pas à remettre en question les systèmes de pensée, les croyances qui dominaient dans son milieu à son époque. Les fameux tirets qu’elle utilise dans ses poèmes sont-ils des agents de liaison ou de rupture?

I’m Nobody! Who are you? (260) 

I’m Nobody! Who are you?
Are you–Nobody–too?
Then there’s a pair of us!
Don’t tell! they’d advertise–you know!

How dreary–to be–Somebody!
How public–like a Frog–
To tell one’s name–the livelong June–
To an admiring Bog!

Je suis Personne! Qui êtes-vous?
Êtes-vous – Personne – aussi?
Ainsi nous faisons la paire!
Ne le dites-pas! Ils le feraient savoir – c’est sûr!

Comme c’est ennuyeux – d’être – Quelqu’un!
Public – comme une Grenouille –
Qui crie son nom – tout le long de Juin –
A un Marécage béat!

(Traduction: Florence Dolphy, «Poésies complètes» Editions Flammarion, 2009)

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I have no Life but this

I have no Life but this –
To lead it here –
Not any Death – but lest
Dispelled from there –
Nor tie to Earths to come,
Nor Action new,
Except through this Extent,
The Realm of You!

Je n’ai de Vie que celle-ci –
Pour l’amener ici –
Nul besoin de la Mort – seulement la peur
d’être chassée de ton lieu –
Ni lien avec les mondes à venir,
Ni Action nouvelle
Seul me ferait traverser cet Espace
L’amour de toi. (Ton Royaume)

(Traduction: Florence Dolphy)

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I died for Beauty

I died for Beauty – but was scarce
Adjusted in the Tomb
When One who died for Truth, was lain
In an adjoining Room –

He questioned softly “Why I failed”?
“For Beauty”, I replied –
“And I – for Truth – Themself are One –
We Bretheren, are”, He said –

And so, as Kinsmen, met a Night –
We talked between the Rooms –
Until the Moss had reached our lips –
And covered up – Our names –

Je mourus pour la Beauté –mais à peine étais-je
Ajustée dans la Tombe
Que Quelqu’un mort pour la Vérité, fut couché
Dans la Chambre d’à côté –

Il me demanda doucement « Pourquoi es-tu tombée? »
« Pour la Beauté » répliquai-je –
« Et Moi – pour la Vérité – Qui ne font qu’Un –
Nous sommes Frère et Sœur » dit-Il –

Et ainsi, tels des Parents, qui se rencontrent une Nuit –
Nous devisâmes d’une chambre à l’autre –
Jusqu’à ce que la Mousse atteigne nos lèvres –
Et recouvre – Nos noms –

(Traduction: Florence Dolphy, «Poésies complètes» Editions Flammarion, 2009)

Musée Emily Dickinson. Amherst (Massachusetts).