Emil Cioran – 1

Je lis avec un certain plaisir les Entretiens d’Emil Cioran publiés dans la Collection Arcades (n°41) de Gallimard.

Je n’aime pas trop le personnage. Ses écrits de jeunesse comme ceux d’autres intellectuels roumains de la même génération sont marqués par l’idéologie du mouvement fascisant et antisémite de la Garde de fer.

Dans son troisième livre, Des larmes et des saints (1937), il écrit: «Les Hongrois nous haïssent de loin tandis que les Juifs nous haïssent au cœur même de notre société» et «Le Juif n’est pas notre semblable, notre prochain, et, quelle que soit l’intimité entretenue avec lui, un gouffre nous sépare». Plus tard, il enlèvera ces passages de l’édition française

Certains de ses écrits retiennent néanmoins mon attention, car j’apprécie les fragments, les écrits courts, les  aphorismes.

J’admire son style. Le français n’est pas sa langue natale. Arrivé à Paris en 1937, il écrit son premier livre en français, Précis de décomposition, en 1947. Il ne sera publié qu’en 1949 chez Gallimard. Il écrit avec difficulté, le roumain et le français étant très différents, d’après lui.

Entretiens. Parution 1995.
Avec François Bondy, Fernando Savater, Helga Perz, Jean-François Duval, Léo Gillet, Luis Jorge Jalfen, Verena von der Heyden-Rynsch, J. L. Almira, Lea Vergine, Gerd Bergfleth, Esther Seligson, Fritz J. Raddatz, François Fejtö, Benjamin Ivry, Sylvie Jaudeau, Gabriel Liiceanu, Bernard-Henri Lévy, Georg Carpat Focke, Branka Bogavac Le Comte, Michael Jakob.

«Se dépenser dans des conversations autant qu’un épileptique dans ses crises.»

«Peut-on parler honnêtement d’autre chose que de Dieu ou de soi ?»

«L’être idéal ? Un ange dévasté par l’humour.»

« Il y a les pensées de tous les jours. Et il y a les pensées qui ne vous viennent que par éclairs »

“Nous durons tant que durent nos fictions.”

“Etre dupe ou périr.”

«Un livre doit fouiller les blessures, et même les irriter. Un livre doit être un danger.»

La tentation d’exister, 1956:

«Tout mot est un mot de trop.»

 

 

 

La ingratitud del hombre y la desnuda realidad (José Ortega y Gasset)

José Ortega y Gasset.

“El defecto más grave del hombre es la ingratitud. Fundo esta calificación superlativa en que, siendo la sustancia del hombre su historia, todo comportamiento antihistórico adquiere en él un carácter de suicidio. El ingrato olvida que la mayor parte de lo que tiene no es obra suya, sino que le vino regalada de otros, los cuales se esforzaron en crearlo u obtenerlo. Ahora bien, al olvidarlo desconoce radicalmente la verdadera condición de eso que tiene. Cree que es don espontáneo de la naturaleza, indestructible. Eso le hace errar a fondo en el manejo de esas ventajas con que se encuentra e irlas perdiendo más o menos. Hoy presenciamos este fenómeno en grande escala. El hombre actual no se hace eficazmente cargo de que casi todo lo que hoy poseemos para afrontar con alguna holgura la existencia lo debemos al pasado y que, por lo tanto, necesitamos andar con mucha atención, delicadeza y perspicacia en nuestro trato con él – sobre todo, que es preciso tenerlo muy en cuenta porque, en rigor, está presente en lo que nos legó-. Olvidar el pasado, volverle la espalda, produce el efecto a que hoy asistimos: la rebarbarización del hombre.”

Ideas y creencias, 1940.

Le Bleu du Ciel (Georges Bataille)

”   Je la voyais en général dans un bar-restaurant derrière la Bourse. Je la faisais manger avec moi. Nous arrivions difficilement à finir un repas. Le temps passait en discussions.
C’était une fille de vingt-cinq ans, laide et visiblement sale (les femmes avec lesquelles je sortais auparavant étaient, au contraire, bien habillées et jolies). Son nom de famille, Lazare, répondait mieux à son aspect macabre que son prénom. Elle était étrange, assez ridicule même. Il était difficile d’expliquer l’intérêt que j’avais pour elle. Il fallait supposer un dérangement mental. Il en allait ainsi, tout au moins, pour ceux de mes amis que je rencontrais en Bourse.
Elle était, à ce moment, le seul être qui me fit échapper à l’abattement: elle avait à peine passé la porte du bar – sa silhouette décarcassée et noire à l’entrée, dans cet endroit voué à la chance et à la fortune, était une apparition du malheur – je me levais, je la conduisais à ma table. Elle avait des vêtements noirs, mal coupés et tachés. Elle avait l’air de ne rien voir devant elle, souvent elle bousculait les tables en passant. Sans chapeau, ses cheveux courts, raides et mal peignés, lui donnaient des ailes de corbeau de chaque côté du visage. Elle avait un grand nez de juive maigre, à la chair jaunâtre, qui sortait de ces ailes sous des lunettes d’acier.
Elle mettait mal à l’aise: elle parlait lentement avec la sérénité d’un esprit étranger à tout; la maladie, la fatigue. le dénuement ou la mort ne comptaient pour rien à ses yeux. Ce qu’elle supposait d’avance, chez les autres était l’indifférence la plus calme. Elle exerçait une fascination, tant par sa lucidité que par sa pensée d’hallucinée. Je lui remettais l’argent nécessaire à l’impression d’une minuscule revue mensuelle à laquelle elle attachait beaucoup d’importance. Elle y défendait les principes d’un communisme bien différent du communisme officiel de Moscou. Le plus souvent, je pensais qu’elle était positivement folle, que c’était, de ma part, une plaisanterie malveillante de me prêter à son jeu. Je la voyais, j’imagine, parce que son agitation était aussi désaxée, aussi stérile que ma vie privée, en même temps aussi troublée. Ce qui m’intéressait le plus était l’avidité maladive qui la poussait à donner sa vie et son sang pour la cause des déshérités. Je réfléchissais: ce serait un sang pauvre de vierge sale.”

(Roman achevé en mai 1935, publié en 1957)

Georges Bataille fit la connaissance de Simone Weil en 1931 au temps du «Cercle communiste démocratique»  et pendant sa collaboration à la revue La Critique sociale où elle écrivait aussi.

Boris Souvarine, qui dirigea le « Cercle Communiste démocratique », groupe oppositionnel antistalinien, reprocha à Georges Bataille d’avoir pris pour modèle de l’étrange personnage de Lazare dans Le Bleu du Ciel, Simone Weil. Bataille la décrit comme une femme laide, bonne, intelligente, et militante politique. Sa présence est un besoin pour le narrateur, Troppmann.

Après la seconde guerre mondiale et la mort de Simone Weil le 24 août 1943 au sanatorium d’ Ashford (Angleterre), il la décrira ainsi:
«J’ajouterai ici que j’ai rencontré autrefois Simone Weil. Bien peu d’êtres humains m’ont intéressé au même point. Son incontestable laideur effrayait, mais personnellement je prétendais qu’elle avait aussi, en un sens, une véritable beauté. Elle séduisait par une autorité très douce et très simple; c’était certainement un être admirable, asexué, avec quelque chose de néfaste. Toujours noire, les vétements noirs, les cheveux en aile de corbeau, le teint bistre. Elle était sans doute très bonne, mais à cour sûr un Don Quichotte qui plaisait par sa lucidité, son pessimisme hardi, et par un courage extrême que l’impossible attirait. Elle avait bien peu d’humour, pourtant je suis sûr qu’intérieurement elle était plus fêlée, plus vivante qu’elle ne croyait elle-même. De son amie [c’est-à-dire de Simone Weil], Simone Pètrement n’a pas vu le côté néfaste, ni l’extraordinaire inanité. Je le dis sans vouloir la diminuer: il y avait en elle une merveilleuse volonté d’inanité: c’est peut-être le ressort d’une âpreté géniale, qui rend ses livres si prenants.»

Georges Bataille, «La victoire militaire et la banqueroute de la morale qui maudit» dans Critique n°40, septembre 1949.

Simone Weil

Simone Weil

Simone Weil. Guerre d’Espagne. 1937.

Simone Weil : Lettre restée inédite en France et publiée en fin d’ouvrage in F.de Lussy (Dir.) Simone Weil. Sagesse et grâce violente Paris Bayard 2009 p.297-305.
“Le génie se distingue du talent, à ce que je crois, par le regard profond qu’il jette sur la vie ordinaire de l’homme ordinaire – je veux dire sans talent -, et l’intelligence qu’il en a. La plus belle poésie est celle qui est capable d’exprimer, dans sa vérité, la vie des gens qui ne peuvent écrire de la poésie. Hors de cela, il n’y a que de la poésie habile; et les êtres humains peuvent très bien se passer de poésie habile. L’habileté suscite l’aristocratie de l’intelligence; l’âme du génie est caritas selon la signification chrétienne du mot; à savoir que tout être humain possède une importance extrême.”