François Mauriac II


Les traces de François Mauriac à Bordeaux sont toujours bien présentes. En 1925, il a publié Bordeaux. Une enfance provinciale. Ce récit autobiographique est une visite de la ville riche et intime. L’ouvrage a été réédité en 2019 dans son intégralité par L’Esprit du Temps, 33 rue Carnot à Bègles.
On peut regretter un certain nombre de fautes d’impression.

Bordeaux, une enfance provinciale. 1925. La Revue hebdomadaire.

Quelques citations:

« Cette ville où nous naquîmes, où nous fûmes un enfant, un adolescent, c’est la seule qu’ il faudrait nous défendre de juger: elle se confond avec nous, elle est nous-mêmes; nous la portons en nous. L’histoire de Bordeaux est l’histoire de mon corps et de mon âme.»

«Les maisons, les rues de Bordeaux, ce sont les événements de ma vie.»

«Un grenier suffit à Rimbaud pour connaître le monde et illustrer la comédie humaine; il m’a suffi de cette ville triste et belle, de son fleuve limoneux, des vignes qui la couronnent, des pignadas, des sables qui l’enserrent et la font brûlante, pour tout connaître de ce qui devait m’être révélé. Où que j’aille désormais, au-delà des océans et des déserts, mon miel aura toujours le goût de la bruyère chaude, en août, quand l’appel du tocsin et l’odeur de la résine brûlée interrompaient mes devoirs de vacances. Quelque douleur qui m’attende encore, je sais que je l’ai par avance connue dans la clarté mortelle des jours où je devins un homme, sur cette terrasse, à quarante kilomètres de Bordeaux, près d’un calvaire. Plusieurs, qui admirent ou haïssent notre étoile, flattent en nous un beau destin commençant ; mais nous savons, au plus secret de notre âme, que tout est déjà fini : notre enfance à Bordeaux fut une préfiguration.»

«L’enfant a autant besoin que l’homme d’être beau pour être aimé.»

«Bordeaux est ce port qui nous fait rêver de la mer, mais d’où l’on ne voit ni n’entend jamais la mer; et jamais les grands vaisseaux ne remontent le fleuve dont ils redoutent la vase. L’enfant s’enlisait aussi, dans quelles solitudes!»

« Au retour de la Faculté des Lettres, il manquait rarement de traverser la cathédrale. Telle fut la place qu’occupa dans sa vie d’alors cette primatiale Saint-André, qu’il lui arrive aujourd’hui encore de s’étonner lorsque les spécialistes ne lui assignent pas un rang parmi les plus belles cathédrales de France. Peu lui importait que tant de styles y fussent confondus. C’était, en pleine ville, un lieu clos où l’atmosphère de la ville ne pénétrait pas; une terre étrangère où il était assuré d’avance de ne pas rencontrer tel ou tel; une nuit où, sans être taxé de folie, chacun était libre de risquer des gestes aussi extraordinaires que de joindre les mains, se mettre à genoux, cacher son visage ou le lever vers les voûtes. L’enfant s’asseyait dans l’immense nef unique, sans bas-côtés, au bout de laquelle le chœur s’élevait, si étroit, si mince, si pur, que sa grâce était comme féminine et d’abord faisait songer à la Vierge. Le bonheur que l’enfant goûtait là, peut-être était-ce celui de l’insecte qui se terre, et pour qui c’est une angoisse que d’être vu. Comment faire dix pas dans les rues de Bordeaux, sans rencontrer quelqu’un que l’on a déjà salué le matin même? Sans être hélé par un oncle, de la plate-forme d’un tramway : “Où vas-tu comme ça?” (Sans compter ceux qui vous diront: “Je suis passé à côté de toi. dans le Jardin public, tu ne m’as pas vu…, tu faisais des gestes…, tu parlais seul…”) A la cathédrale, il était naturel de parler seul; la prière est d’abord le droit de parler seul. »

«J’ai renié Bordeaux plus de septante fois sept fois.»

Bordeaux. Cathédrale primatiale Saint-André. XII-XVI siècle. Façade nord.

François Mauriac I

Livres achetés à la Librairie Mollat. Bordeaux.

Je lis avec plaisir les livres achetés la semaine dernière à la Librairie Mollat de Bordeaux, parmi eux deux livres de François Mauriac: Bordeaux, une enfance provinciale (1925, La revue hebdomadaire) et Le Cahier noir ( publié sous le pseudonyme de Forez en 1943 aux Éditions de Minuit clandestines).

«Chaque destinée humaine comporte une révélation où, comme dans la révélation chrétienne, les prophéties ne prennent de sens que lorsque les événements les ont éclairées. Bordeaux te rappelle cette saison de ta vie où tu étais entouré de signes que tu ne sus pas interpréter. Alors la ville maternelle touchait doucement toutes les places douloureuses de ton cœur et de ta chair pour que tu fusses averti et que tu te prémunisses contre le destin; elle t’a exercé à la solitude, à la prière, à plusieurs sortes de renoncements. En prévision des jours futurs, elle t’emplissait de visages grotesques ou charmants, de paysages, d’impressions, d’émotions, enfin de tout ce qu’il faut pour écrire. Tu ne l’as payée que d’offenses, mais elle te pardonne; peut-être même te réserve-t-elle, comme à certains de ses fils d’une gloire médiocre, Maxime Lalanne ou Léon Valade, un buste à quelque tournant d’allée du jardin public. Un de tes jeunes amis parisiens, devenu grisonnant et illustre, viendra entre deux trains pour l’inauguration et lira un discours sous un parapluie que l’on verra bouger trois secondes sur l’écran du Pathé-Journal. Puis, la petite troupe dispersée, il ne restera plus que les moineaux qui couvriront ton effigie de larmes blanches, et les enfants pour qui tu ne seras rien que “le but” dans leurs parties de cache-cache.»

En empruntant l’entrée principale du Jardin public de Bordeaux (1746), située cours de Verdun on peut assez rapidement voir un buste aux multiples facettes. Il s’agit de celui de François Mauriac réalisé par le sculpteur d’origine russe Ossip Zadkine (1890-1967). L’original de ce buste est un plâtre qui se trouve au musée d’Aquitaine et qui a donné lieu à trois bronzes dont l’un se trouve au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Le buste original du Jardin public a été volé en 1993 et il n’a été retrouvé que deux ans plus tard avant d’être offert à la famille de François Mauriac. C’est une copie que l’on peut voir aujourd’hui dans les allées du Jardin public.

Bordeaux, Jardin public. Buste de François Mauriac (Ossip Zadkine). 1943.
François Mauriac (Ossip Zadkine). 1943. Bordeaux, Musée des Beaux-Arts. Dépot du Musée National d’Art Moderne (Centre Georges Pompidou).

De 1941 à 1945, Ossip Zadkine est exilé à New York. Il réalise le buste de François Mauriac d’après des photographies.