Miguel de Unamuno

Portrait de l’écrivain et philosophe espagnol Miguel de Unamuno (Joaquín Sorolla). Vers 1912. Bilbao, Museo de Bellas Artes.

Leer, leer, leer

Leer, leer, leer, vivir la vida
que otros soñaron.
Leer, leer, leer, el alma olvida
las cosas que pasaron.

Se quedan las que quedan, las ficciones,
las flores de la pluma,
las olas, las humanas creaciones,
el poso de la espuma.

Leer, leer, leer; ¿seré lectura
mañana también yo?
¿Seré mi creador, mi criatura,
seré lo que pasó?

Cancionero. Diario poético (1928-1936)
Poemas y canciones de Hendaya (1929)

Lire, lire, lire

Lire, lire, lire, vivre la vie
que d’autres ont rêvée.
Lire, lire, lire, l’âme oublie
ce qui est arrivé.

Reste ce qui reste, les fictions,
les fleurs de la plume,
les vagues, les créations humaines,
les festons de l’écume.

Lire, lire, lire ; est-ce que je serai lecture
moi aussi demain ?
Est-ce que je serai mon créateur, ma créature,
est-ce que je serai ce qui est arrivé ?

Traduction : CF.

Miguel de Unamuno aimait lire allongé chez lui.

Miguel de Unamuno est né le 29 septembre 1864 à Bilbao. Il est mort le 31 décembre 1936 à Salamanque. Poète, romancier, dramaturge, critique littéraire, philosophe, c’est une figure marquante de la littérature espagnole du XX ème siècle.
il assiste au siège de sa ville (28 décembre 1873 – 2 mai 1874) pendant la troisième guerre carliste (1872-1876). Il évoque cet épisode dans son premier roman : Paz en la guerra (1897). Entre 1891 et 1901, il devient professeur de grec à l’université de Salamanque. Il est marxiste et militant du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol d’octobre 1894 à 1897. Il traverse ensuite une crise religieuse, s’éloigne du marxisme, mais continue longtemps encore à publier dans la presse socialiste. La perte de Cuba lui apparaît comme le symbole du déclin de l’Espagne. Cette défaite devient le point de départ de la Génération de 98. Ce mouvement de régénérescence culturelle regroupe des écrivains tels qu’Antonio Machado, Azorín, Pío Baroja, Ramón del Valle-Inclán etc. Unamuno occupe les fonctions de recteur de l’Université de Salamanque à partir de 1901, mais il est destitué de sa charge en 1914 en raison de son opposition à la monarchie. Sous la dictature du général Primo de Rivera (1923-1930), il est exilé aux Îles Canaries (Fuerteventura) en 1924. Rapidement gracié, il refuse de rentrer dans son pays. Il vit à Paris, puis à Hendaye. Il ne revient en Espagne qu’à la chute de la dictature en 1930. Il récupère son poste de recteur lors de la proclamation de la République (14 avril 1931). Il est élu député indépendant de Salamanque sur les listes républicaines et socialistes. Déçu par l’action des gouvernements républicains, il ne se représente pas en 1933. Dans un premier temps, il appuie le coup d’état franquiste du 18 juillet 1936. Il change rapidement d’avis en constatant la répression qui s’abat sur sa ville. Certains de ses proches amis sont fusillés : Casto Prieto Carrasco (1886-1936), maire de Salamanque ; Atilano Coco Martín (1902-1936), pasteur protestant ; Salvador Vila Hernández (1904-1936), son ancien élève, recteur de l’Université de Grenade.
Miguel de Unamuno essaie d’intervenir auprès des nouvelles autorités, mais ne peut rien faire.
Il livre un dernier combat contre le nouveau pouvoir lors d’une grande cérémonie franquiste (le 12 octobre, jour anniversaire de la découverte de l’Amérique, (“el día de la raza“) dans le grand amphithéâtre (“Paraninfo“) de l’Université de Salamanque. Il prononce un discours resté célèbre. Il répond au professeur Francisco Maldonado, qui attaque les nationalismes basque et catalan. Il s’en prend à l’évêque de Salamanque et au général Millán-Astray (fondateur de la légion étrangère espagnole). Il manque d’ être lynché. Il est destitué de son poste de recteur 10 jours plus tard et assigné à résidence. Il meurt peu après, à la fin de l’année 1936.
C’était un homme passionné, complexe, contradictoire.

Le passé est toujours là. Le 6 mars 2024, l’Université de Salamanque a concédé à titre posthume à son ancien recteur, en présence de trois de ses trois petits-enfants, le titre de Docteur Honoris Causa cent ans après son exil forcé. Il n’a eu que deux prédécesseurs : les deux grands mystiques espagnols, Sainte Thérèse d’Avila et Saint Jean de la Croix. Peu avant, le leader du parti d’extrême-droite Vox, Santiago Abascal, avait accusé aux États-Unis lors d’une réunion de politiciens trumpistes cet établissement d’enseignement supérieur d’être une “machine à censure, de coercition, d’endoctrinement et d’antisémitisme”. L’Université de Salamanque est une des plus anciennes du monde. Elle a été créée en 1218 (Studium Generale) et en 1252 (comme Université)

Université de Salamanque.
Plaque, 2 rue La Pérouse, 75016 – Paris.

Essais
En torno al casticismo (1895). L’Essence de l’Espagne, cinq essais traduit par Marcel Bataillon, Paris, Plon, 1923. Réédition, Paris, Gallimard, Nrf Essais, 1999.
Vida de Don Quijote y Sancho (1905). La Vie de Don Quichotte et de Sancho Pança, traduit par Jean Babelon, Paris, Albin Michel, 1959.
Del sentimiento trágico de la vida (1913) Le Sentiment tragique de la vie chez les hommes et chez les peuples, traduit par Marcel Faure-Beaulieu, Paris, Éditions de la NRF, 1917 ; réédition, Paris, Gallimard, 1937 ; réédition, Paris, Gallimard, « Folio. Essais » n° 306, 1997.
La agonía del cristianismo,(1925). L’Agonie du christianisme, traduit par Jean Cassou, Paris, F. Rieder,1925 ; réédition, Paris, Berg international, 1996 ; nouvelle traduction par Antonio Werli, Paris, RN, 2016.
Abel Sánchez : Una historia de pasión (1917). Abel Sánchez. Une histoire de passion, traduit par Emma H. Clouard, Paris, Mercure de France, 1964 ; nouvelle traduction de Maurice Gabail, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1995.
Cómo se hace una novela (1927). Comment se fait un roman, (l’auteur justifie le recours à la forme romanesque comme mode d’exposition philosophique), traduit par Bénédicte Vauthier et Michel Garcia, Paris, Éditions Allia, 2010.

Romans

Amor y pedagogía (1902). Amour et Pédagogie, traduit par Dominique Hauser, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1996.
Niebla (1914). Brouillard, traduit par Noémi Larthe, Paris, Éditions du Sagittaire, 1926 ; nouvelle traduction par Catherine Ballestero, Paris, Librairie Séguier, 1990 ; réédition de la traduction de Noémi Larthe revue par Albert Bensoussan, Rennes, Terre de Brume, 2003.

La Tía Tula (1907) version augmentée en 1921 La Tante Tula, traduit par Jeacques Bellon, Paris, Stock, 1937 ; nouvelle traduction de Dominique Hauser, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2002.

Poésie
El Cristo de Velázquez (1920). Le Christ de Velazquez, traduit par Mathilde Pomès, Éditions A. Magné, 1938 ; nouvelle traduction par Jacques Munier, Paris, Éditions La Différence, « Collection Orphée » n° 63, 1990.

Contes et nouvelles
Tres novelas ejemplares y un prólogo (1920). Trois nouvelles exemplaires et un prologue, traduits par Jean Cassou et Mathilde Pomès, Paris,Éditions du Sagittaire, 1925 ; nouvelle traduction par Dominique Hauser, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1995.
Cuentos (1886-1923). Contes, traduit par Raymond Lantier, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1965.

Ouvrages autobiographiques
Diario intimo (1897, publié en 1970) Journal intime, traduit par Paul Drochon, Paris, Éditions du Cerf, 1989.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/12/10/miguel-de-unamuno/

On peut voir le film Lettre à Franco (Mientras dure la guerra) d’Alejandro Amenábar, sorti en 2019.

Colette Rabaté et Jean-Claude Rabaté ont publié une biographie qui fait référence : Miguel de Unamuno (1864-1936) Convencer hasta la muerte. Galaxia Gutenberg, 2019. Ils travaillent actuellement à une édition de sa correspondance en 8 volumes. Deux sont déjà parus.
Epistolario I (1880-1899). 303 lettres. ‪Salamanca, Ediciones Universidad de Salamanca, 2017‪
Epistolario II (1900-1904). 391 lettres. Salamanca, Ediciones de la Universidad de Salamanca, 2023.

  

Miguel de Unamuno

En octobre, j’ai vu avec intérêt à Madrid le film d’Alejandro Amenábar Mientras dure la guerra dont la sortie est prévue en France le 19 février 2020. Ensuite, j’ai lu la très complète biographie de Colette et Jean-Claude Rabaté.

https://www.youtube.com/watch?v=5_4PoAC2KTQ

Miguel de Unamuno à Hendaye.

Son exil en France de 1924 à 1930 a particulièrement attiré mon attention.

Miguel de Unamuno est vice-recteur de l’université de Salamanque et Doyen de la Faculté de Lettres en 1921. La guerre du Rif s’est aggravée après le désastre espagnol d’Annual (22 juillet 1921) et est devenue l’affaire du roi et de l’Armée. Unamuno, profondément antimilitariste, supporte de plus en plus mal cette situation.
Le 13 septembre 1923, le général Miguel Primo de Rivera, avec l’accord d’Alphonse XIII, proclame la dissolution des Cortes et du gouvernement. Il déclare l’état de guerre et instaure un Directoire militaire. Les critiques d’Unamuno contre le roi et le dictateur entraînent sa destitution et son exil à Fuerteventura, aux îles Canaries , en février 1924. Il est amnistié le 9 juillet 1924, mais quitte clandestinement l’île sur un voilier frété par le directeur du journal français Le Quotidien, Henri Dumay. Il est reçu triomphalement à Cherbourg le 26 juillet 1924.
Il vit à Paris pendant treize mois dans un petit hôtel (le Novelty Family Hôtel), situé 2 rue la Pérouse dans le XVI ème arrondissement. Ensuite, comme il ne supporte plus l’éloignement physique de son pays, il s’installe à Hendaye, près de la gare, dans la pension-hôtel Broca. Il peut regarder les montagnes de son Pays basque espagnol. Á Hendaye, il collabore de 1927 à 1929 à la revue Hojas Libres, dirigée par Eduardo Ortega y Gasset (1882-1964), frère aîné du philosophe. Cette publication jouera un rôle important dans la rejet par les Espagnols de la dictature de Primo de Rivera. Il rentre en Espagne le 9 février 1930. Il est reçu avec enthousiasme par les habitants de Salamanque le 13 février. Il lance son mot d’ordre: «Dios Patria y Ley. Dieu. Patrie et Loi». Il retrouve sa famille et sa chaire à Salamanque après six années d’exil en France.

Plaque. 2 rue La Pérouse. Paris XVI.

Manual de quijotismo.

« Cabe militarizar a un civil pero es casi imposible civilizar a un militar.»

Carta a Pedro de Múgica. 1901.

«Tengo un odio profundo al militarismo y en lo único que me interpondré en la carrera de mis hijos es en prohibirles que se hagan militares si lo intentasen. Lo estimaría como las más de las familias de cierta posición estiman aquí el que un hijo se les meta torero.
Es a mis ojos une posición indigna. Y un jefe de Estado que es ante todo y sobre todo soldado y jefe de la milicia es para mí algo que debe desaparecer. El industrialismo es el que ha de acabar con el militarismo y una vez que dé muerte a éste se depurará de sus defectos, debidos al contacto con el militarismo. Me repugnan las glorias militares.»

Colette y Jean-Claude Rabaté, Miguel de Unamuno (1864-1936) Convencer hasta la muerte. Galaxia Gutenberg . 2019.

«Entretanto sigue conociendo momentos de abatimiento particularmente perceptibles cuando acompaña el 5 de diciembre (1924) al escritor y médico Georges Duhamel a la École Normale supérieure, cuna de la intelectualidad francesa. Se propone hablar a los estudiantes de sus vivencias íntimas y religiosas durante su destierro, sobre todo en la isla de Fuerteventura, y también del «deber de la acción pública». Según el francés, charla durante una hora y, de repente, se turba, mira a su amigo angustiado y se pone a sollozar convulsivamente. Duhamel no sabe qué decirle y todos los normaliens salen en silencio. En la calle, Unamuno le dice: «Es la primera vez desde hace diez meses que me encuentro delante de mis alumnos.»

cf. Lidia Anoll, «Correspondance Georges Duhamel-Miguel de Unamuno, 1924-1929», Les cahiers de l’Abbaye de Créteil, 14 de diciembre de 1992, p.56.