Miguel Hernández – Ramón Sijé

Elegía a Ramón Sijé

Miguel Hernández à Orihuela. 14 avril 1936. Inauguration de la Place Ramón Sijé.

José Marín Gutiérrez (Ramón Sijé) (Orihuela, 16 novembre 1913 – Orihuela, 24 décembre 1935), est un écrivain, essayiste, journaliste et avocat espagnol. Tout jeune, il est l’ ami de Miguel Hernández (1910-1942). Ils partagent les mêmes intérêts pour la littérature et la politique. Ramón Sijé fonde à Orihuela (Alicante) la revue Voluntad et El Gallo Crisis. Il est l’auteur d’un essai antiromantique La decadencia de la flauta y el reinado de los fantasmas, publié en 1973. Il est marqué par une idéologie catholique conservatrice. Le 13 décembre 1935, il tombe malade (infection intestinale, septicémie) et meurt onze jours plus tard. Le 14 avril 1936, Miguel Hernández lit sa célèbre élégie pour l’inauguration de la Place Ramón Sijé dans leur ville natale, Orihuela. ( Voir Miguel Hernández. Evocando a Sijé. En el ambiente de Orihuela, La Verdad, Murcia, 7 mai 1936 ).

Elegía a Ramón Sijé

(En Orihuela, su pueblo y el mío, se me ha muerto como del rayo Ramón Sijé,
a quien tanto quería…)

Yo quiero ser llorando el hortelano
de la tierra que ocupas y estercolas,
compañero del alma, tan temprano.

Alimentando lluvias, caracolas
y órganos mi dolor sin instrumento,
a las desalentadas amapolas

daré tu corazón por alimento.
Tanto dolor se agrupa en mi costado
que por doler me duele hasta el aliento.

Un manotazo duro, un golpe helado,
un hachazo invisible y homicida,
un empujón brutal te ha derribado.

No hay extensión más grande que mi herida,
lloro mi desventura y sus conjuntos
y siento más tu muerte que mi vida.

Ando sobre rastrojos de difuntos,
y sin calor de nadie y sin consuelo
voy de mi corazón a mis asuntos.

Temprano levantó la muerte el vuelo,
temprano madrugó la madrugada,
temprano estás rodando por el suelo.

No perdono a la muerte enamorada,
no perdono a la vida desatenta,
no perdono a la tierra ni a la nada.

En mis manos levanto una tormenta
de piedras, rayos y hachas estridentes
sedienta de catástrofes y hambrienta.

Quiero escarbar la tierra con los dientes,
quiero apartar la tierra parte a parte
a dentelladas secas y calientes.

Quiero minar la tierra hasta encontrarte
y besarte la noble calavera
y desamordazarte y regresarte.

Volverás a mi huerto y a mi higuera:
por los altos andamios de las flores
pajareará tu alma colmenera
de angelicales ceras y labores.
Volverás al arrullo de las rejas
de los enamorados labradores.

Alegrarás la sombra de mis cejas,
y tu sangre se irá a cada lado
disputando tu novia y las abejas.
Tu corazón, ya terciopelo ajado,
llama a un campo de almendras espumosas
mi avariciosa voz de enamorado.

A las aladas almas de las rosas
del almendro de nata te requiero,
que tenemos que hablar de muchas cosas,
compañero del alma, compañero.

10 de enero de 1936.

El rayo que no cesa, 1936.

Miguel Hernández. El rayo que no cesa. Première édition: Madrid, Ediciones Héroe, 1936.

Élégie

(Á Orihuela, son village et le mien, j’ai perdu Ramón Sijé, foudroyé avec qui j’aimais tant.)

Je veux être le jardinier en pleurs
De cette terre que tu occupes et que tu nourris,
Compagnon de mon âme si tôt parti.

Alimentant de pluies, de coquillages
Et d’orgues ma douleur sans instrument,
Aux coquelicots découragés,

Je donnerai ton cœur an pâture.
Tant de douleur se ramasse en mon flanc,
Que j’en ai mal jusqu’à mon souffle.

Le coup d’une main dure, un coup glacé,
Un coup de hache invisible et homicide,
Une poussée brutale t’as abattu.

Nulle étendue n’est plus grande que ma blessure,
Je pleure ma misère et tout ce qu’elle entraîne
Et je ressens ta mort plus que ma propre vie.

Je marche sur des chaumes de défunts,
Sans chaleur de personne et sans consolation,
Je vais de mon cœur à ma vie quotidienne.

Très tôt se leva le vol de la mort,
Très tôt apparut la pointe du jour,
Très tôt te voilà roulant sur le sol.

Je ne pardonne pas à la mort amoureuse,
Je ne pardonne pas à la vie indifférente,
Je ne pardonne ni à la terre ni au néant.

Dans mes mains, je soulève un orage
De pierres, d’éclairs et de haches stridents,
Affamé et assoiffé de catastrophes.

Je veux fouiller la terre avec mes dents,
Je veux écarter la terre bloc par bloc
Á force de morsures sèches et chaudes.

Je veux miner la terre jusqu’à te retrouver
Et embrasser ton humble crâne
T’enlever le bâillon, te faire revenir.

Tu reviendras à mon jardin, à mon figuier:
Sur les hauts échafaudages des fleurs
Oisellera ton âme butineuse
De cire et de besognes angéliques.
Tu reviendras aux murmures des grilles
Des paysans amoureux.

Tu égaieras l’ombre de mes sourcils,
Et ton sang te sera disputé
Moitié par ta fiancée, moitié par les abeilles.
Ton coeur, maintenant velours fané,
Ma voix avare d’amoureux
L’appelle vers un champ d’amandes écumeuses.

Aux âmes ailées des roses
De l’amandier de crème viens sans tarder,
Nous avons à parler de tant de choses,
Compagnon de mon âme, compagnon.

10 janvier 1936.

Anthologie bilingue de la poésie espagnole. NRF Gallimard. Bibliothèque de la Pléiade. Traduction: Yves Aguila.