Bernard Gille – Juan de la Cruz

Segovia. Paseo de San Juan de la Cruz. Monument à Juan de la Cruz (José María García Moro)

Christian P. m’annonce aujourd’hui le décès de notre professeur, Bernard Gille, agrégé d’espagnol, maître assistant à l’U.E.R. d’études ibériques de l’université de Paris-IV. Nous avons suivi ses cours à L’Institut Hispanique (31 rue Gay-Lussac, 75005-Paris). Il animait aussi le Théâtre Espagnol de la Sorbonne (TES) dans les années 70.

Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) , le 02 juillet 2023
Nous avons la tristesse de vous faire part du décès de :

Monsieur Bernard GILLE
survenu le mardi 27 juin 2023 à l’âge de 88 ans.
Sa cérémonie aura lieu en l’Église Sainte-Thérèse de Boulogne-Billancourt (92100) le mardi 04 juillet 2023 à 10h30 .

Je me souviens particulièrement d’une magnifique explication de texte du poème Noche oscura del alma de Juan de la Cruz (Juan de Yepes Álvarez 1542-1591 ), le grand mystique espagnol du Siècle d’or. Thérèse d’Avila, réformatrice de l’ordre du Carmel, lui demanda de prendre en charge l’ordre masculin du Carmel. Il fonda l’ordre des Carmes déchaux. Il fut enfermé par les autorités de l’ordre qui refusaient sa réforme.

Extrait du poème La Nuit obscure faisant mention de la fuite le 17 août 1578 par l’escalier secret (plaque commémorative de la fondation du Carmel à Tolède).

Noche oscura del alma

En una noche oscura,
con ansias en amores inflamada
¡oh dichosa ventura!,
salí sin ser notada,
estando ya mi casa sosegada.

A escuras y segura
por la secreta escala, disfrazada,
¡oh dichosa ventura!
a oscuras y en celada,
estando ya mi casa sosegada.

En la noche dichosa
en secreto que nadie me veía,
ni yo miraba cosa
sin otra luz y guía
sino la que en el corazón ardía.

Aquésta me guiaba
más cierta que la luz de mediodía,
adonde me esperaba
quien yo bien me sabía,
en parte donde nadie parecía.

¡Oh noche, que guiaste!
¡Oh noche amable más que el alborada!
¡oh noche que juntaste
amado con amada,
amada en el amado transformada!

En mi pecho florido,
que entero para él solo se guardaba
allí quedó dormido
y yo le regalaba
y el ventalle de cedros aire daba.

El aire de la almena,
cuando ya sus cabellos esparcía,
con su mano serena ,
en mi cuello hería
y todos mis sentidos suspendía.

Quedéme y olvidéme,
el rostro recliné sobre el amado,
cesó todo y dejéme
dejando mi cuidado
entre las azucenas olvidado.

Chant de la nuit obscure de l’âme

Á l’ombre d’une obscure nuit,
D’angoisseux amour embrasée,
Õ l’heureux sort qui me conduit !
Je sortis sans être avisée,
Le calme tenant à propos ma maison en un doux repos.

Á l’obscur, mais hors de danger,
Par une échelle fort secrète,
Couverte d’un voile étranger,
je me dérobai en cachette,
(Heureux sort!) quand tant à propos ma maison était en repos.

En secret sous le manteau noir
De la nuit, sans être aperçue,
Ou que je pusse apercevoir aucun des objets de la vue,
N’ayant ni guide, ni lueur,
Que la lampe ardente en mon coeur.

Ce flambeau luisant me guidait,
Plus sûr que la torche allumée
Du plein midi où m’attendait
Celui que j’avais en pensée,
Là où nul vivant sous les Cieux ne se présentait à mes yeux.

Ô nuit que me conduis à point !
Nuit plus aimable que l’aurore,
Nuit heureuse qui as conjoint
L’aimée à l’aimé, mais encore
celle que l’amour a formée et en son Amant transformée.

Dans mon sein parsemé de fleurs
Qu’entier soigneuse je luy garde,
Il s’endort et, pour ses faveurs,
D’un chaste accueil je le mignarde,
Lors que l’éventail ondoyant d’un cèdre le va festoyant.

L’Aurore par ses doux zéphyrs
Ayant épars sa chevelure,
Mit sa main pleine de saphirs
Sur mon col, flattant ma blessure ;
Lors sa douceur tint en suspens l’entier usage de mes sens.

Je me tins coi et m’oubliai,
Penchant sur mon ami ma face,
Tout cessa, je m’abandonnai,
Remettant mes soins à sa grâce, comme étant tous ensevelis
Dans le beau parterre des lis.

Les Cantiques spirituels de saint Jean de la Croix (Traduction en vers français de R.P. Cyprien. 1641) Rouart, 1941.

Paul Valéry voit dans les poèmes de Jean de la Croix un des chefs-d’œuvre de la littérature universelle (Cantiques spirituels, dans Variété, Bibliothèque de La Pléiade, tome I, 1957, p. 445 à 457). Il présente en ces termes cette traduction : ” Je propose aux amateurs des beautés de notre langage de considérer désormais l’un des plus parfaits poètes de France dans le R.P. Cyprien de la Nativité de la Vierge, carme déchaussé, jusqu’ici à peu près inconnu. ” André de Compans, en religion Cyprien de la Nativité de la Vierge, est né le 26 novembre 1605 à Paris et est mort le 16 décembre 1680 à Paris. C’est un prêtre carme déchaux parisien. Ses traductions concernent entre autres les œuvres fondamentales des réformateurs du Carmel, Jean de la Croix et Thérèse d’Avila.

On ne peut déterminer avec précision la date de composition du poème : peut-être dans la prison de Tolède entre décembre 1577 et août 1578 ; peut-être quelques jours après l’évasion, à Jaén. Il a été commenté oralement et par écrit avant 1582. Le commentaire, fragmentaire, sert de base aux traités de la Montée du mont Carmel et de Nuit obscure de l’âme. (Notices et notes. Anthologie bilingue de la poésie espagnole. NRF, Bibliothèque de la Pléiade. 1995) Selon Jacques Ancet, la Nuit obscure et le Cantique spirituel seraient redevables à la tradition hébraïque (celle notamment du Chant des chants, ou Cantique des cantiques), ainsi qu’à la tradition arabe. Juan de Yepes fut béatifié le 25 janvier 1675, canonisé le 27 décembre 1726. Il a été déclaré docteur de l’Eglise catholique le 24 août 1926.

Collection Poésie Gallimard n°314. 1997. Traduction : Jacques Ancet.

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