Bolivia -Simón Bolívar 1783 – 1830

Lago Titicaca. Caballitos de totora.

Coup d’état militaire en Bolivie le 12 novembre 2019. La droite bourgeoise et raciste revient au pouvoir avec l’aide de l’armée et de la police. Trump, Bolsonaro sont derrière tout cela. Envie de vomir.

Je me souviens de notre voyage dans ce pays magnifique en octobre 2016.

Copacabana – Lac Titicaca – Huatajata – Tiahuanaco – La Paz – Vallée de la Lune – Tarabuco – Potosí – Sucre – Oruro – Desaguadero.

L’indépendance du pays a été obtenue en 1825, grâce aux armées de Bolívar, en hommage duquel la Bolivie prit son nom.

La Paz. Chola.

Samedi 16 octobre (10h-11h). France Culture. Simon Bolivar, encore et toujours. Concordance des Temps de Jean-Noël Jeanneney.

https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/simon-bolivar-encore-et-toujours

Paris VIII. Cours La Reine. Statue de Simón Bolívar (Emmanuel Frémiet 1824-1910)

Un extrait du poème de Pablo Neruda, Un chant pour Bolivar, est lu par Pierre Constant (Émission “Poèmes du monde” France Culture, 10 juillet 1971).

UN CANTO PARA BOLÍVAR

Padre nuestro que estás en la tierra, en el agua, en el aire
de toda nuestra extensa latitud silenciosa,
todo lleva tu nombre, padre, en nuestra morada:
tu apellido la caña levanta a la dulzura,
el estaño bolívar tiene un fulgor bolívar,
el pájaro bolívar sobre el volcán bolívar,
la patata, el salitre, las sombras especiales,
las corrientes, las vetas de fosfórica piedra,
todo lo nuestro viene de tu vida apagada,
tu herencia fueron ríos, llanuras, campanarios,
tu herencia es el pan nuestro de cada día, padre.

Tu pequeño cadáver de capitán valiente
ha extendido en lo inmenso su metálica forma,
de pronto salen dedos tuyos entre la nieve
y el austral pescador saca a la luz de pronto
tu sonrisa, tu voz palpitando en las redes.
De qué color la rosa que junto a tu alma alcemos?
Roja será la rosa que recuerde tu paso.
Cómo serán las manos que toquen tu ceniza?
Rojas serán las manos que en tu ceniza nacen.
Y cómo es la semilla de tu corazón muerto?
Es roja la semilla de tu corazón vivo.

Por eso es hoy la ronda de manos junto a ti.
Junto a mi mano hay otra y hay otra junto a ella,
y otra más, hasta el fondo del continente oscuro.
Y otra mano que tú no conociste entonces
viene también, Bolívar, a estrechar a la tuya:
de Teruel, de Madrid, del Jarama, del Ebro,
de la cárcel, del aire, de los muertos de España
llega esta mano roja que es hija de la tuya.

Capitán, combatiente, donde una boca
grita libertad, donde un oído escucha,
donde un soldado rojo rompe una frente parda,
donde un laurel de libres brota, donde una nueva
bandera se adorna con la sangre de nuestra insigne aurora,
Bolívar, capitán, se divisa tu rostro.
Otra vez entre pólvora y humo tu espada está naciendo.
Otra vez tu bandera con sangre se ha bordado.
Los malvados atacan tu semilla de nuevo,
clavado en otra cruz está el hijo del hombre.

Pero hacia la esperanza nos conduce tu sombra,
el laurel y la luz de tu ejército rojo
a través de la noche de América con tu mirada mira.
Tus ojos que vigilan más allá de los mares,
más allá de los pueblos oprimidos y heridos,
más allá de las negras ciudades incendiadas,
tu voz nace de nuevo, tu mano otra vez nace:
tu ejército defiende las banderas sagradas:
la Libertad sacude las campanas sangrientas,
y un sonido terrible de dolores precede
la aurora enrojecida por la sangre del hombre.
Libertador, un mundo de paz nació en tus brazos.
La paz, el pan, el trigo de tu sangre nacieron,
de nuestra joven sangre venida de tu sangre
saldrán paz, pan y trigo para el mundo que haremos.

Yo conocí a Bolívar una mañana larga,
en Madrid, en la boca del Quinto Regimiento,
Padre, le dije, eres o no eres o quién eres?
Y mirando el Cuartel de la Montaña, dijo:
“Despierto cada cien años cuando despierta el pueblo”.

Tercera Residencia. (1935-1945). Buenos Aires, Edición Losada, 1947.

Un chant pour Bolivar

Notre Père qui est sur la terre, sur l’eau, sur l’air
de toute notre vaste étendue silencieuse,
tout porte ton nom, père, dans notre demeure:
ton nom incite la canne à sucre à la douceur,
l’étain bolivar a un éclat bolivar,
l’oiseau bolivar sur le volcan bolivar,
la pomme de terre, le salpêtre, les ombres singulières,
les courants, les couches de pierre phosphorique,
tout ce qui est à nous vient de ta vie éteinte,
les fleuves, les plaines, les clochers furent ton héritage,
ton héritage notre pain de chaque jour, père.

Ton petit cadavre de capitaine courageux
a déployé dans l’infini sa forme métallique,
tes doigts surgissent soudain entre la neige
et le pêcheur austral tire tout à coup ton sourire à la lumière,
ta voix palpitante entre ses filets.

De quelle couleur sera la rose qu’auprès de ton âme nous élèverons?
Rouge sera la rose qui rappellera ton passage.
Comment seront les mains qui recueilleront ta cendre?
Rouges seront les mains qui naissent de ta cendre.
Et comment est la graine de ton cœur mort?
Rouge est la graine de ton cœur vivant.

Voilà pourquoi il y a aujourd’hui autour de toi une ronde de mains.
Près de ma main il y en a une autre et il y en a une autre
auprès d’elle,
et une autre encore, jusqu’au fond du continent obscur.
Et une autre main que tu ne connus pas alors
arrive aussi, Bolivar, pour étreindre la tienne:
de Teruel, de Madrid, du Jarama, de l’Èbre,
de la prison, de l’air, des morts de l’Espagne
arrive cette main rouge qui est la fille de la tienne.

Capitaine, combattant, là où une bouche
crie liberté, là où une oreille écoute,
là où un soldat rouge brise un front brun,
là où un laurier d’homme libre surgit, là où un nouveau
drapeau se pare du sang de notre insigne aurore,
Bolivar, capitaine, apparaît ton visage.
Encore une fois entre poudre et fumée ton épée est en train de naître.
Encore une fois ton drapeau s’est brodé de sang.
La perversion attaque à nouveau ta semence,
le fils de l’homme est cloué sur une autre croix.

Mais ton ombre nous conduit vers l’espérance,
le laurier et la lumière de ton armée rouge
regardent par ton regard à travers la nuit d’Amérique.
Tes yeux qui veillent au-delà des mers,
au-delà des peuples opprimés et blessés,
au-delà des noires villes incendiées,
ta voix naît à nouveau, ta main naît une fois encore:
ton armée défend les drapeaux sacrés:
la Liberté agite les cloches sanglantes,
et un son terrible de souffrances précède
l’aurore rougie par le sang de l’homme.
Libérateur, un monde de paix est né dans tes bras.
La paix, le pain, le blé naquirent de ton sang,
de notre jeune sang qui est né de ton sang
surgiront paix, pain, blé pour le monde que nous ferons.

J’ai connu Bolivar par un long matin,
à Madrid, au sein du Cinquième Régiment.
Père, lui dis-je, es-tu ou n’es-tu pas ou qui es-tu?
Et regardant le Cuartel de la Montaña, il dit:
«Je m’éveille tous les cent ans quand le peuple s’éveille.»

Résidence sur la Terre, Traduit de l’espagnol par Guy Suarès. Collection Poésie/Gallimard N° 83 (1972)

Joan Margarit Prix Cervantes 2019

Le poète catalan Joan Margarit vient d’obtenir le Prix Cervantes 2019, le Prix Nobel des langues castillanes. Avant lui, l’ont obtenu d’autres catalans comme Juan Marsé, Ana María Matute, Juan Goytisolo et Eduardo Mendoza. Mais, c’est le premier qui possède une oeuvre pleinement bilingue en catalan et en castillan. Il a déclaré au journal El País: “No voy a renunciar a las dos lenguas digan lo que digan los políticos”.

Un peu d’espoir: un gouvernement de gauche, un début de dialogue. Attendre Voir.

El mar

Com els lloms foscos d’un ramat de poltres,
les onades s’acosten, desplomant-se
amb una remor sorda però lírica
que Homer va ser el primer a saber escoltar.
Cansades de la llarga galopada,
es posen a tremolar.
Després es queixen, ronques de plaer,
com una dona als braços de l’amant.
Les onades, més tard, comencen
a abraonar-se, escumejants, com llops
que haguessin olorat alguna presa.
El ponent, arribant de rere meu,
posa medalles roges als seus lloms.
En la vora mullada de la sorra
veig les teves empremtes i, per l’aire,
passa una ombra daurada del teu cos.
Era de tu que m’avisava, doncs,
amb els seus gestos de sordmut, el mar.
Està dient que el lloc, dins meu, que ocupes
serà part de l’infern si el deixes buit.
Que al fons d’aquest amor torna a esperar-me
la desolació dels meus vint anys.

Estació de França. Madrid: Hiperión, 1999. Edición bilingüe catalán-castellano.

El mar

Como lomos oscuros de un rebaño de potros
se aproximan las olas, desplomándose
con este rumor sordo pero lírico
que Homero fue el primero en escuchar.
Cansadas de su larga galopada,
se ponen a temblar.
Después se quejan, roncas de placer,
igual que una mujer en brazos de su amante.
Más tarde se abalanzan entre espumas,
como si fueran lobos que olfatearan la presa.
El poniente, llegando por mi espalda,
pone medallas rojas en sus lomos.
En la orilla mojada de la arena
veo tus huellas, por el aire pasa
una dorada sombra de tu cuerpo.
O sea que es de ti de quien, con gestos
de sordomudo, me está hablando el mar.
Dice que este lugar dentro de mí que ocupas
pasaría a ser parte del infierno
si tú lo abandonaras.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/05/08/joan-margarit-2/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/03/16/joan-margarit/

Giuseppe Ungaretti 1888 – 1970

Giuseppe Ungaretti en 1917 pendant la Première Guerre mondiale.

Les fleuves

Je m’appuie à un arbre mutilé
abandonné dans cette combe
qui a la langueur
d’un cirque
avant ou après le spectacle
et je regarde
le passage paisible
des nuages sur la lune

Ce matin je me suis étendu
dans l’urne de l’eau
et comme une relique
j’ai reposé

L’Isonzo en coulant
me polissait
comme un de ses galets

J’ai ramassé
mes os
et m’en suis allé
comme un acrobate
sur l’eau

Je me suis accroupi
près de mes habits
sales de guerre
et comme un bédouin
je me suis prosterné pour recevoir
le soleil

Voici l’Isonzo
et mieux ici
je me suis reconnu
fibre docile
de l’univers

Mon supplice
c’est quand
je ne me crois pas
en harmonie

Mais ces occultes
mains
qui me pétrissent
m’offrent
la rare
félicité

J’ai repassé
les époques
de ma vie

Voici
mes fleuves

Celui-ci est le Serchio
c’est à lui qu’ont puisé
deux mille années peut-être
de mon peuple campagnard
et mon père et ma mère

Celui-ci c’est le Nil
qui m’a vu
naître et grandir
et brûler d’ingénuité
dans l’étendue de ses plaines

Celle-là est la Seine
dans ses eaux troubles
s’est refait mon mélange
et je me suis connu

Ceux-là sont mes fleuves
comptés dans l’Isonzo

Et c’est là ma nostalgie
qui dans chaque être
m’apparaît
à cette heure qu’il fait nuit
que ma vie me paraît
une corolle
de ténèbres

Cotici, 16 août 1916

Traduit de l’italien par Jean Lescure. Editions de Minuit, 1954.
«Vie d’un homme. Poésie 1914-1970» Editions Poésie/Gallimard , 1981. Pages 58-60.

I Fiumi

Mi tengo a quest’albero mutilato
Abbandonato in questa dolina
Che ha il languore
Di un circo
Prima o dopo lo spettacolo
E guardo
Il passaggio quieto
Delle nuvole sulla luna

Stamani mi sono disteso
In un’urna d’acqua
E come una reliquia
Ho riposato

L’Isonzo scorrendo
Mi levigava
Come un suo sasso

Ho tirato su
Le mie quattro ossa
E me ne sono andato
Come un acrobata
Sull’acqua

Mi sono accoccolato
Vicino ai miei panni
Sudici di guerra
E come un beduino
Mi sono chinato a ricevere
Il sole

Questo è l’Isonzo
E qui meglio
Mi sono riconosciuto
Una docile fibra
Dell’universo

Il mio supplizio
È quando
Non mi credo
In armonia

Ma quelle occulte
Mani
Che m’intridono
Mi regalano
La rara
Felicità

Ho ripassato
Le epoche
Della mia vita

Questi sono
I miei fiumi

Questo è il Serchio
Al quale hanno attinto
Duemil’anni forse
Di gente mia campagnola
E mio padre e mia madre.

Questo è il Nilo
Che mi ha visto
Nascere e crescere
E ardere d’inconsapevolezza
Nelle distese pianure

Questa è la Senna
E in quel suo torbido
Mi sono rimescolato
E mi sono conosciuto

Questi sono i miei fiumi
Contati nell’Isonzo

Questa è la mia nostalgia
Che in ognuno
Mi traspare
Ora ch’è notte
Che la mia vita mi pare
Una corolla
Di tenebre

Cotici il 16 agosto 1916

Vita d’un uomo. Tutte le poesie. Mondadori editore, Milano, 1969.

Vittorio Gassman lit Les fleuves de Giuseppe Ungaretti:

https://www.youtube.com/watch?v=T3cq7gN_IPM

César Vallejo

Madrid. Busto de César Vallejo (Miguel Baca Rossi). Parque del Oeste. Paseo del Pintor Rosales.

Los pasos lejanos

Mi padre duerme. Su semblante augusto
figura un apacible corazón;
está ahora tan dulce…
si hay algo en él de amargo, seré yo.

Hay soledad en el hogar; se reza;
y no hay noticias de los hijos hoy.
Mi padre se despierta, ausculta
la huida a Egipto, el restañante adiós.
Está ahora tan cerca;
si hay algo en él de lejos, seré yo.

Y mi madre pasea allá en los huertos,
saboreando un sabor ya sin sabor.
Está ahora tan suave,
tan ala, tan salida, tan amor.

Hay soledad en el hogar sin bulla,
sin noticias, sin verde, sin niñez.
Y si hay algo quebrado en esta tarde,
y que baja y que cruje,
son dos viejos caminos blancos, curvos.
Por ellos va mi corazón a pie.

Los Heraldos Negros, 1918.

[Dante Liano (1948), écrivain guatémaltèque, utilise les quatre derniers vers de ce poème de Vallejo comme épigraphe de son roman Réquiem por Teresa, publié cette année dans la collection de poche du Fondo de Cultura económica.]

Santiago de Chuco. Maison natale de César Vallejo avant restauration.

Les pas lointains

Mon père dort. Son auguste visage
figure un cœur serein ;
il est maintenant si doux…
s’il est en lui quelque chose d’amer, ce doit être moi.

Il y a de la solitude au foyer ; on prie ;
et pas de nouvelles des enfants aujourd’hui.
Mon père s’éveille, ausculte
la fuite en Égypte, l’adieu apaisant.
Il est maintenant si proche ;
s’il est en lui quelque chose de lointain, ce doit être moi.

Et ma mère se promène là-bas dans les jardins,
savourant une saveur désormais sans saveur.
Elle est maintenant si suave,
si aile, si départ, si amour.

Il y a de la solitude au foyer sans tumulte,
sans nouvelles, sans vert, sans enfance.
Et s’il est quelque chose de brisé ce soir,
et qui descend et qui grince,
ce sont deux vieux chemins blancs, courbés.
Mon cœur les parcourt à pied.

(Traduit par Nicole Réda-Euvremer)

Guillaume Apollinaire

La Muse inspirant le poète (Marie Laurencin et Guillaume Apollinaire) (Le Douanier Rousseau) .1909. Bâle, Kunstmuseum.

Automne malade

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
de neige et fruits mûrs.
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé

Aux lisières lointaines,
les cerfs ont bramé

Et que j’aime ô saison, que j’aime tes rumeurs
Les fruits tombant, sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
qu’on foule,
Un train
qui roule
La vie
s’écoule…

Alcools, 1913.

Torcy (Seine-et-Marne). L’Arche Guédon.
Annie Playden.

En évoquant cet automne malheureux qu’on délaisse et qui se meurt, le poète évoque sa propre situation, et la déception amoureuse qu’il a connue avec Annie Playden.
Celle-ci est née en Angleterre le 28 janvier 1880. Elle est morte en 1967. Elle aurait inspiré au poète entre autres Annie, La Chanson du mal-aimé et L’Émigrant de Landor Road.

En juillet 1900, Guillaume Apollinaire trouve un emploi dans une officine financière où il fait la connaissance de René Nicosia. La mère de celui-ci est le professeur de piano de Gabrielle, la fille de Élinor Hölterhoff, vicomtesse de Milhau. Celle-ci cherche un professeur de français pour Gabrielle. Madame Nicosia lui présente Apollinaire qui est engagé en mai 1901. Quand la vicomtesse de Milhau décide de faire un long séjour en Allemagne où sa famille habite, Apollinaire est du voyage, ainsi qu’Annie Playden, la gouvernante anglaise de Gabrielle. Une idylle s’ébauche entre les deux jeunes gens qui sont nés tous les deux en 1880. En août 1902, Apollinaire a terminé son contrat d’un an et il rentre à Paris. En novembre 1903, il se rend à Londres, où il loge chez son ami Faik Konica. Il essaie de revoir Annie Playden, rentrée en Angleterre. Il y retourne en mai 1904. Il se heurte au refus de la jeune fille. Peu de temps après, Annie Playden quitte l’Angleterre et s’installe aux États-Unis. Elle fut retrouvée cinquante ans plus tard par des spécialistes d’Apollinaire, devenue Mrs Postings. Elle n’avait aucune connaissance de la destinée de son soupirant, qu’elle ne connaissait que sous le nom de Wilhelm Kostrowicki et qu’on appelait «Kostro».

Témoignage d’Apollinaire
««Aubade» n’est pas un poème à part mais un intermède intercalé dans «La Chanson du mal aimé» qui datant de 1903 commémore mon premier amour à vingt ans, une Anglaise rencontrée en Allemagne, ça dura un an, nous dûmes retourner chacun chez nous, puis ne nous écrivîmes plus. Et bien des expressions de ce poème sont trop sévères et injurieuses pour une fille qui ne comprenait rien à moi et qui m’aima puis fut déconcertée d’aimer un poète, être fantasque; je l’aimais charnellement mais nos esprits étaient loin l’un de l’autre. Elle était fine et gaie cependant. J’en fus jaloux sans raison et par l’absence vivement ressentie, ma poésie qui peint bien cependant mon état d’âme, poète inconnu au milieu d’autres poètes inconnus, elle loin et ne pouvant venir à Paris. Je fus la voir deux fois à Londres, mais le mariage était impossible et tout s’arrangea par son départ à l’Amérique, mais j’en souffris beaucoup, témoin ce poème où je me croyais mal-aimé, tandis que c’était moi qui aimait mal et aussi «L’Émigrant de Landor Road» qui commémore le même amour, de même que «Cors de chasse» commémore les mêmes souvenirs déchirants que «Zone», «Le Pont Mirabeau» et «Marie» le plus déchirant de tous je crois.»

Guillaume Apollinaire, Lettre à Madeleine Pagès, 30 juillet 1915.

Lettres à Madeleine. Folio n°4428. 2006.

Wisława Szymborska 1923-2012

Wisława Szymborska.

Trois mots étranges
Quand je prononce le mot Avenir,
sa première syllabe appartient déjà au passé.

Quand je prononce le mot Silence,
je le détruis.

Quand je prononce le mot Rien,
je crée une chose qui ne tiendrait dans aucun néant.

De la mort sans exagérer Poèmes 1957-2009. Poésie/Gallimard.
(Traduction Piotr Kaminski).

Las tres palabras más extrañas

Cuando pronuncio la palabra Futuro,
la primera sílaba pertenece ya al pasado.

Cuando pronuncio la palabra Silencio,
lo destruyo.

Cuando pronuncio la palabra Nada,
creo algo que no cabe en ninguna no-existencia
(Traducción de Gerardo Beltrán)

Wisława Szymborska a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1996.

Miguel Hernández

Orihuela. Monumento a Miguel Hernández.

Le 30 octobre 1910, il y a aujourd’hui 109 ans, naissait à Orihuela (Alicante) Miguel Hernández Gilabert ,”el pastor poeta”.

Le 18 janvier 1940, un Conseil de Guerre le condamna à mort l’accusant du délit d’adhésion à la rebellion. Le 9 juillet 1940, il vit sa peine commuée en trente années d’emprisonnement. Miguel Hernández connut les prisons de Madrid, Palencia, Ocaña, Alicante. Les conditions déplorables de détention eurent raison de sa santé. Le poète mourut de tuberculose pulmonaire le 28 mars 1942 à 31 ans. On l’enterra le lendemain au cimetière Nuestra Señora del Remedio d’Alicante. Sa condamnation n’a toujours pas été annulée par le Tribunal Suprême.

Le poème qui suit semble lui avoir été inspiré comme la plupart de ceux qui constituent El rayo que no cesa (1936) par sa relation avec la peintre Maruja Mallo (1902-1995). Ils se rencontrèrent chez Pablo Neruda à Madrid (La Casa de las Flores – Arguëlles) en 1935. Ils vécurent une relation très forte en 1935 et 1936, parcoururent ensemble l’Espagne, puis se séparèrent tout en maintenant une profonde amitié.

Maruja Malló évoque ainsi leurs rapports:

«Yo hice una evolución hacia la vida, hacia el campo, y fue entonces cuando brotó el trigo como un todo, el trigo por los caminos de Castilla. Miguel Hernández era el que tenía conocimiento de la astrología de la tierra, porque, a fin de cuentas, la tierra está dentro de los astros. Miguel decía que cuando había luna menguante, tal producto brotaba; cuando había creciente, estalla ese otro.»

«Fuimos los primeros iniciadores del autostop, sin proponerlo. Al llegar al camión, los campesinos nos entregaron un ramo de flores, pidiéndonos disculpas por el alojamiento que nos brindaban…Yo recordé la frase del conde Keyserling, cuando manifestó que la aristocracia de España estaba en el pueble.» (Tània Balló, Las sinsombrero, 2016)

¿No cesará este rayo que me habita
el corazón de exasperadas fieras
y de fraguas coléricas y herreras
donde el metal más fresco se marchita?

¿No cesará esta terca estalactita
de cultivar sus duras cabelleras
como espadas y rígidas hogueras
hacia mi corazón que muge y grita?

Este rayo ni cesa ni se agota:
de mí mismo tomó su procedencia
y ejercita en mí mismo sus furores.

Esta obstinada piedra de mí brota
y sobre mí dirige la insistencia
de sus lluviosos rayos destructores.

El rayo que no cesa, 1936.

Cessera-t-elle un jour cette foudre qui peuple
Mon coeur de féroces fauves exaspérés
Et d’enclumes colériques et forgeronnes
Où même le métal le plus frais se flétrit?

Cessera-t-elle un jour l’entêtée stalactite
De cultiver enfin ses dures chevelures
Pareilles aux épées et aux bûchers rigides,
Tournées contre mon coeur qui mugit et qui crie?

Cette foudre n’a de cesse ni ne s’épuise:
C’est en moi-même qu’elle a pris son origine,
Contre moi-même qu’elle exerce ses fureurs.

Cette pierre obstinée, de moi elle jaillit
Et c’est sur moi qu’elle dirige l’insistance
De ses foudres dévastatrices et pluvieuses.

Cet éclair qui ne cesse pas.

(Traduction Yves Aguila)

Sorpresa del trigo (Maruja Mallo). Mai 1936.

Sorpresa del trigo (mayo de 1936) es como el prólogo de mi labor sobre los trabajadores de mar y tierra, compenetración de elementos materiales. El trigo, vegetal universal, símbolo de la lucha, mito terrenal.

Manifestación de creencia que surge de la severidad y la gracia de las dos Castillas, de mi fe materialista en el triunfo de los peces, en el reinado de la espiga.”
Maruja Mallo. Buenos Aires, 31 de julio de 1937.

León Felipe 1884-1968

León Felipe (Walter Reuter y Javier de la Fuente)

Auschwitz ( León Felipe 1884-1968)

A todos los judíos del mundo, mis amigos, mis hermanos.

Estos poetas infernales,
Dante, Blake, Rimbaud …
Que hablen más bajo…
Que toquen más bajo…
¡Que se callen!
Hoy
Cualquier habitante de la tierra
Sabe mucho más del infierno
Que esos tres poetas juntos.
Ya sé que Dante toca muy bien el violín…
¡Oh, el gran virtuoso!
Pero que no pretenda ahora
Con sus tercetos maravillosos
Y sus endecasílabos perfectos
Asustar a ese niño judío
Que está ahí, desgajado de sus padres…
Y solo.
¡Solo!
Aguardando su turno
En los hornos crematorios de Auschwitz.
Dante… tú bajaste a los infiernos
Con Virgilio de la mano
(Virgilio, «gran cicerone»)
Y aquello vuestro de la Divina Comedia
Fue una aventura divertida
De música y turismo.
Esto es otra cosa… otra cosa…
¿Cómo te explicaré?
¡Si no tienes imaginación!
Tú… no tienes imaginación,
Acuérdate que en tu «Infierno»
No hay un niño siquiera…
Y ese que ves ahí…
Está solo
¡Solo! Sin cicerone
Esperando que se abran las puertas de un infierno
Que tú, ¡pobre florentino!,
No pudiste siquiera imaginar.
Esto es otra cosa… ¿cómo te diré?
¡Mira! Éste es un lugar donde no se puede tocar el violín.
Aquí se rompen las cuerdas de todos
Los violines del mundo.
¿Me habéis entendido poetas infernales?
Virgilio, Dante, Blake, Rimbaud…
¡Hablad más bajo!
¡Tocad más bajo!… ¡Chist!…
¡¡Callaos!!
Yo también soy un gran violinista…
Y he tocado en el infierno muchas veces…
Pero ahora, aquí…
Rompo mi violín… y me callo.

¡Oh, este viejo y roto violín! México, Fondo de Cultura Económica, 1965.

Auschwitz

A todos los judíos del mundo, mis amigos, mis hermanos.

Ces poètes de l’enfer,
Dante, Blake, Rimbaud…
Qu’ils parlent moins haut…
Qu’ils jouent moins haut…
Qu’ils se taisent!
Aujourd’hui
N’importe quel habitant de la terre
En sait beaucoup plus sur l’enfer
Que ces trois poètes ensemble.
Oui, je sais que Dante joue très bien du violon.
Ah, quel grand virtuose!
Mais qu’il n’ait pas la prétention
Avec ses merveilleux tercets,
Ses hendécasyllabes parfaits,
D’effrayer cet enfant juif,
Là, arraché à son père et à sa mère…
Et qui est seul.
Tout seul!
À attendre son tour
Devant les fours crématoires d’Auschwitz.
Dante…tu es descendu aux Enfers,
Ta main dans la main de Virgile
(«Grand cicérone», ce Virgile),
Et votre truc, la Divine Comédie,
Ça a été une aventure amusante,
Du tourisme en musique.
Ça, c’est autre chose…autre chose…
Comment t’expliquer?
C’est que tu manques d’imagination!
Toi…tu manques d’imagination,
Souviens-toi que dans ton «Enfer»
Il n’y a pas un seul enfant…
Et celui que tu vois, là,
Il est seul.
Tout seul! Sans cicérone…
À attendre que s’ouvrent les portes d’un enfer
Que toi, mon pauvre Florentin!
Tu n’as même pas pu imaginer.
Ça, c’est autre chose…Comment te dire?
C’est un lieu où se brisent les cordes de tous
Les violons du monde.
Vous m’avez bien compris, poètes de l’enfer?
Virgile, Dante, Blake, Rimbaud…
Parlez moins haut!
Jouez moins haut!… Chut!…
Taisez-vous!
Moi aussi je suis un grand violoniste…
Et j’ai joué en enfer, bien souvent…
Mais ici et maintenant,
Je brise mon violon…et je me tais.

Oh, ce vieux violon cassé! 1965. (Traduction Yves Aguila)
Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 1995.

León Felipe (pseudonyme de Felipe Camino Galicia) est né à Tábara, près de Zamora. Son père est notaire. Après des études de pharmacie, il gère plusieurs officines en Espagne, puis s’engage dans une troupe de comédiens ambulants et parcourt toute l’Espagne. De 1920 à 1922, il vit en Afrique dans l’île de Fernando Poo, en tant qu’administrateur des hôpitaux, puis au Mexique et aux Etats-Unis. Il revient dans son pays natal en 1934 et fait la connaissance du poète chilien Pablo Neruda. C’est un républicain espagnol exilé au Mexique de 1938 à sa mort en 1968. Il y jouera un rôle intellectuel considérable. Son œuvre est souvent associée à celle de Walt Whitman, qu’il traduit.

https://www.youtube.com/watch?v=eU1tIq6qO4U

     

Antico Caffè Greco

Artistes au Café Greco (Ludwig Passini), 1856.

L’antico Caffè Greco (86, via Condotti), situé dans le centre historique de Rome, est menacé de mort. L’actuel décor remonte à 1869. Il s’agit une enfilade de petites salles aux murs pourpres, couverts de tableaux complétées par de petites tables en marbre et de fauteuils de velours.

Ce café a été fondé en 1760 par un grec appelé Nicola della Maddalena. Dans les années 1780, l’âge d’or du Grand Tour, les touristes s’installaient là l’après-midi. La rareté du café sous le régime napoléonien et le blocus continental a permis ici l’invention de son absorption par petites tasses. Ce fut ensuite un lieu de rencontre pour les écrivains et les artistes, très actif au début du XXe siècle. Considéré comme une véritable institution, le Greco a vu défiler des artistes comme Giacomo Casanova, Giacomo Leopardi, Chateaubriand, Stendhal, Goethe, Byron, Franz Liszt, Brahms, John Keats, Charles Dickens, Friedrich Nietzsche, Henry James, Hector Berlioz, Felix Mendelssohn, Georges Bizet, Gogol, Herman Melville, Mark Twain, Arthur Schopenhauer, Ibsen, Guillaume Apollinaire, Giorgio de Chirico, Gabriele D’Annunzio, James Joyce, Thomas Mann, Orson Welles, Pier Paolo Pasolini. Dans les années 1950, il a aussi compté parmi ses clients María Zambrano et Ramón Gaya, exilés à Rome. Il a été classé monument historique en 1953 et a fêté dignement ses 250 ans en 2010 dans son décor en forme de corridor surchargé de peintures.

En novembre 2017, un conflit met son existence en péril. L’Ospedale Israelitico, propriétaire des murs depuis 138 ans, a profité de la fin du bail pour augmenter le loyer de manière exorbitante. Il se trouve en effet dans la rue la plus chère de Rome. Le Greco est situé en face de Bulgari. Une tasse de café, même à 7 euros, ne suffit pas à remplir les caisses comme les rivières de diamants ou les sacs à 5000 euros. Carlo Pellegrini, l’actuel patron du Greco, ne peut pas suivre. Il a lancé une campagne de presse pour la défense de cet établissement.

Je me souviens du poème déchirant écrit par María Zambrano le 21 juin 1958. Elle vit à Rome de 1953 à 1959 avec sa sœur Araceli qui depuis son arrestation par la Gestapo pendant la Seconde Guerre Mondiale souffre de graves problèmes physiques et mentaux.

Café Greco (situación de Araceli lux perpetua) (María Zambrano)

Pensar y no preocuparse.
Actuar sin decidir.
Seguir y no perseguir.
Reposar sin detenerse.

Ofrecer sin calcular.
No aferrarse a la esperanza.
No detenerse en la espera.
Escuchar sin casi hablar.

Respirar en el silencio.
Dejarse quieto flotar.
Perderse yendo hacia el centro.
Hundirse sin respirar.

Cruzar sin mirar fronteras.
Dejar límites atrás.
Recogerse. Abandonarse.
Solo dejarse guiar.
Ser criatura tan solo,
no haber de sacrificar.
Más allá del sacrificio,
cumplida la voluntad,
sin designio ni proyecto,
sin sombra, espejo ni imagen.
Alga en la corriente lenta.
Alga de vida no más.
Hijo. Criatura. Amante.
Alga de amor. Ya no más.
Lejos de toda ribera.
Por el corazón del agua; ya.

María Zambrano. Cuba. Años 40.

Peter Handke – Wim Wenders

Je n’ai pas vu Les Beaux Jours d’Aranjuez (2016), le film de Wim Wenders, tiré d’une pièce de Peter Handke. L’auteur autrichien y fait une brève apparition en jardinier. Les critiques l’avaient très mal reçu.

Reda Kateb qui joue le rôle principal lit un des poèmes d’Antonio Machado que le récent Prix Nobel préfère:

Desnuda está la tierra.

Desnuda está la tierra,
y el alma aúlla al horizonte pálido
como loba famélica. ¿Qué buscas,
poeta, en el ocaso?

¡Amargo caminar, porque el camino
pesa en el corazón! ¡El viento helado,
y la noche que llega, y la amargura
de la distancia!… En el camino blanco

algunos yertos árboles negrean;
en los montes lejanos
hay oro y sangre… El sol murió… ¿Qué buscas,
poeta, en el ocaso?

Soledades, galerías y otros poemas, 1903.

La terre est nue

La terre est nue,
et l’âme hurle à l’horizon pâle
comme une louve famélique.
Que cherches-tu, poète, dans le couchant?

Amère marche, car le chemin
est lourd à mon coeur! Le vent glacé,
et la nuit qui survient, et l’amertume
de la distance!… Sur le chemin blanc

quelques arbres transis font une tache noire;
sur les monts lointains
il y a de l’or et du sang… Le soleil est mort…
Que cherches-tu, poète, dans le couchant?

On peut lire aujourd’hui dans El País un bel article de Pablo de Llano ( El año que el Nobel Peter Handke recorrió los caminos de Soria) qui décrit le séjour de Peter Handke à Soria et son attachement à la Castille, à la Meseta.

https://elpais.com/cultura/2019/10/12/actualidad/1570896056_347333.html

Peter Handke en Soria.