Miquel Martí i Pol

L’hoste insòlit

No em malvendré el silenci. D’aquest cos
en conec els topants i les dreceres
i n’estimo els esclats, les defallences;
no hi visc a plaer, però hi visc i això em basta.

Deixa’m no dir‐te el que hem perdut. Ho saps
tan bé com jo, i prou que ho repeteixen
tot de corcs, insistents i temeraris
només que paris un xic les orelles.

Sí que vull dir‐te, en canvi, el que hem guanyat:
un pam de món, concret i destriable,
i un vidre de colors per contemplar‐lo.

Tanca els ulls i el veuràs com jo el veig ara.

No et diré pas què hi ha rera cada paraula.

Ara ha plogut i el que resta de tarda
serà més íntim i més clar.

Fugim de qualsevol verbositat.
Diguem només el que és essencial:
els mots de créixer i estimar, i el nom
més útil i senzill de cada cosa.

Delimita’m l’espai, però no esperis
que renunciï a res d’allò que estimo.

Mira el vent com pren forma de begònies,
com neteja els miralls i les cortines
i esmola els caires vius d’aquest capvespre.

Tinc una pedra a les mans.
Cada nit
la deixo caure al pou profund del son
i la’n trec l’endemà, xopa de vida.

No vull conservar res que cridi la memòria
del vent arravatat i dels noms del silenci.
Vinc d’un llarg temps de pluges damunt la mar quieta
dels anys, i res no em tempta per girar els ulls enrera.

Tu que em coneixes, saps que sóc aquell que estima
la vida per damunt de qualsevol riquesa,
l’èxtasi i el turment, el foc i la pregunta.
Cridat a viure, visc, i poso la mà plana
damunt aquest ponent que el ponent magnifica.

Solemnement batega la sang en cada cosa.

Tot és camí des d’ara. Faig jurament de viure.

Ara que tots dos junts fem una sola
columna de claror, penso la urgent
necessitat de combatre els miratges,
d’abandonar la platja de les hores
on el sol cau a plom damunt l’arena
i abalteix voluntats, i d’establir
noves rutes, reblertes de presagis.

Aquest risc d’ara és temptador.
No ens calen
espectadors furtius ni gent que aprovi
cada gest i en subratlli la destresa.

Llesquem el pa de cada instant.
Benignes
i agosarats, estimarem la vida
que muda i que es perfà, noblement lenta
i també noblement porfidiosa.

I anirem lluny, encadenats al pur
atzar dels horitzons que mai no tanquen
amb pany i clau l’estímul del paisatge.

L’hoste insòlit. 1978.

L’hôte insolite

Je ne dilapiderai pas le silence. Mon corps
j’en connais les parages et les raccourcis
et j’en aime les éclats et les défaillances ;
je ne l’habite pas par plaisir mais il me suffit.

Je ne dilapiderai ni le silence ni l’espace
lourd de mon corps et des projets
démesurés qui me peuplent et m’exaltent.
De mes doigts gourds de palper les mémoires
j’adhère à toutes sortes de projets
de joie et d’espérance.
Profonde et claire,
la voix qui me répète proclame la vie.

Je ne dis pas ce que nous avons perdu.
Tu sais cela aussi bien que moi, ces vermisseaux
insistants et résolus, te le répètent
si tu prends la peine de tendre l’oreille.

Mais je te dirai ce que nous avons gagné :
un arpent de monde, concret, localisable,
et un prisme de couleurs pour le contempler.

Ferme les yeux et tu le verras comme je le vois.

Je ne dirai pas ce qu’il y a sous chaque mot.
Il a déjà plu et ce qui reste de l’après-midi
sera plus intime et plus clair.

Fuyons toute verbosité.
Disons seulement l’essentiel :
les mots grandir et aimer, et le nom
le plus utile et le plus simple de chaque chose.

Délimite mon espace, mais n’attends pas
que je renonce à ce que j’aime.

Regarde le vent prendre la forme des bégonias,
regarde-le nettoyer vitres et rideaux
aiguiser les angles vifs du crépuscule.

J’ai une pierre dans les mains.
Chaque nuit
elle tombe dans le puits profond du sommeil
au matin, je la retire, trempée de vie.

Je ne garde rien qui appelle la mémoire
du vent exaspéré et des noms du silence.
Je viens d’une longue saison de pluies sur la mer
calme des années, rien ne me pousse à me retourner.

Tu me connais, ne suis-je pas celui qui aime
la vie pleinement et par-dessus toute richesse,
l’extase et le tourment, le feu et la question.

À l’appel de la vie, je vis, et pose ma main
à plat sur ce ponant que le ponant magnifie.

Le sang coule solennellement en chaque chose.

Désormais tout est chemin. Je jure de vivre.

Tous deux ne faisons plus qu’une seule
colonne de clarté, je pense à l’urgente
nécessité de combattre les mirages,
d’abandonner la plage des heures
où le soleil de plomb tombe sur le sable
annihile les volontés, d’établir
de nouveaux chemins, jalonnés de présages.

À présent, ce risque est tentant.
Nul besoin
de spectateurs furtifs, de gens qui approuvent
chaque geste et en souligne l’habileté.
Nous coupons le pain à chaque instant.

Inoffensifs
et téméraires, nous aimerons la vie
qui se transforme et se parfait, noble
et lente, noble et obstinée.

Nous irons très loin, enchaînés au pur hasard
des horizons qui jamais ne ferment
à clé la stimulation du paysage.

Joie de la parole. Orphée/ La Différence, 1993. Traduit du catalan par Patrick Gifreu.

Miquel Martí i Pol est un poète catalan. Il est né le 19 mars 1929 à Roda de Ter. Il est mort le 11 novembre 2003 à Vic .

Il commence à travailler à l’âge de 14 ans dans une usine textile de sa ville. A 19 ans, il est atteint d’une tuberculose pulmonaire, ce qui le maintient alité. Il lit beaucoup. Sa poésie des années 50 est simple. Elle exprime le sentiment amoureux.

Dans les années 1960, il commence à être connu pour ses poèmes engagés et réalistes. Il milite alors au PSUC clandestin (Partit Socialista Unificat de Catalunya). Atteint de sclérose multiple, il est obligé de cesser de travailler en 1973. Sa poésie devient plus intérieure et intimiste. Elle exprime aussi sa lutte contre la maladie. Il devient un des poètes catalans les plus lus et les plus populaires. Ses poèmes sont chantés par des interprètes tels que Lluís Llach, María del Mar Bonet, Teresa Rebull, Arianna Savall.

Ses œuvres complètes sont publiées en quatre volumes de 1989 à 2004.

La collection Orphée/ La Différence était indispensable. Elle ne publiait que des publications en édition bilingue. (Merci à Marie-Laure)

2 réponses sur “Miquel Martí i Pol”

    1. “Martí i Pol réussit à cet exercice majeur de toute écriture poétique moderne, comme peu d’autres dans sa langue, comme peu d’autres parmi les poètes contemporains. Pas de métaphore, pas de figure rhétorique: à la façon d’un Reverdy, il désigne avec précision mais sans insister, il attire, il aimante l’attention, il la confronte à ce qui ne proclame rien, à ce qui ne semble même rien suggérer: ceci est là. (…) Ce “trobar clar” agit comme l’eau d’un torrent…” (Préface de Gil Jouanard)

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