Paul Verlaine – Eliseo Diego

Le poète cubain Eliseo Diego (1920 – 1994) aimait ce poème de Verlaine.

Portrait de Paul Verlaine. 1867. Zurich, Galerie Chichio Haller.

Le ciel est, par-dessus le toit

Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.

La cloche, dans le ciel qu’on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.

Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?

Sagesse, 1881.

Oda a la joven luz (Eliseo Diego)

En mi país la luz
es mucho más que el tiempo, se demora
con extraña delicia en los contornos
militares de todo, en las reliquias
escuetas del diluvio.

La luz
en mi país resiste a la memoria
como el oro al sudor de la codicia,
perdura entre sí misma, nos ignora
desde su ajeno ser, su transparencia.

Quien corteje a la luz con cintas y tambores
inclinándose aquí y allá según astucia
de una sensualidad arcaica, incalculable,
pierde su tiempo, arguye con las olas
mientras la luz, ensimismada, duerme.

Pues no mira la luz en mi país
las modestas victorias del sentido
ni los finos desastres de la suerte,
sino que se entretiene con hojas, pajarillos,
caracoles, relumbres, hondos verdes.

Y es que ciega la luz en mi país deslumbra
su propio corazón inviolable
sin saber de ganancias ni de pérdidas.
Pura como la sal, intacta, erguida
la casta, demente luz deshoja el tiempo.

Los días de tu vida, 1977.

Ode à la jeune lumière

En mon pays la lumière
est beaucoup plus que le temps, elle s’attarde
avec une étrange délectation sur les contours
militaires de toute chose, sur les vestiges
épurés du déluge.

La lumière
dans mon pays résiste à la mémoire
comme l’or à la sueur de la cupidité,
elle se perpétue en elle-même, nous ignore
depuis la différence de son être, sa transparence.

Quiconque courtise la lumière avec rubans et tambours
en s’inclinant de-ci de-là selon la ruse
d’une sensualité archaïque, immémoriale,
perd son temps, jette ses arguties aux flots
tandis que la lumière, tout à elle-même, dort.

Car dans mon pays la lumière ne regarde pas
les modestes victoires du sens,
ni les désastres raffinés du sort,
elle s’amuse de feuilles, de petits oiseaux,
de coquillages, de reflets, de verts profonds.

Aveugle, la lumière, dans mon pays,
illumine son propre coeur inviolable
sans se soucier de gains ni de pertes.
Pure comme le sel, intacte, fièrement dressée,
la chaste, démente lumière effeuille le temps.

Les jours de ta vie, 1977, in L’obscure splendeur. Traduction : Jean Marc Pelorson. Collection Orphée. La Différence, 1996.

Versiones (Eliseo Diego)

La muerte es esa pequeña jarra, con flores
pintadas a mano, que hay en todas las casas y que
uno jamás se detiene a ver.

La muerte es ese pequeño animal que ha
cruzado en el patio, y del que nos consuela la
ilusión, sentida como un soplo, de que es sólo el gato
de la casa, el gato de costumbre, el gato que ha
cruzado y al que ya no volveremos a ver.

La muerte es ese amigo que aparece en las
fotografías de la familia, discretamente a un lado,
y al que nadie acertó nunca a reconocer.

La muerte, en fin, es esa mancha en el muro
que una tarde hemos mirado, sin saberlo, con un poco
de terror.

Versiones, 1970.

Versions

La mort est cette petite jarre, couverte
de fleurs peintes à la main, qui est dans toutes
les maisons, et sur qui jamais ne s’arrêtent les yeux.

La mort est ce petit animal qui est
passé dans la cour et dont on se remet en se
disant dans une bouffée d’illusion que ce n’est
que le chat de maison, le chat de toujours, le
chat qui est passé et qu’on ne reverra plus.

La mort est cet ami qu’on voit sur les
photos de famille, discrètement marginal, et
que personne n’a jamais réussi à reconnaître.

La mort, enfin, c’est cette tache sur le
mur qu’un soir nous avons regardée, sans le
savoir, avec un soupçon de terreur.

Versions, 1970, in L’obscure splendeur. Traduction : Jean Marc Pelorson. Collection Orphée. La Différence, 1996.

Eliseo Diego (de son vrai nom Eliseo de Jesús de Diego y Fernández Cuervo) est né le 2 juillet 1920 à La Havane (Cuba). En 1944, c’ est un des fondateurs du groupe Orígenes dont la revue est dirigée par José Lezama Lima (1910-1976), l’auteur de Paradiso (1966. Paradiso, Le Seuil, 1971. Traduction : Didier Coste). Cintio Vitier (1921-2009), son épouse Fina García Maruz (1923-2022) et Eliseo Diego forment un cercle de poètes chrétiens progressistes. Fina est la soeur de Bella, épouse d’Eliseo (1921 – 2006). Celui-ci publie des recueils de poèmes et des récits poétiques en prose. Il obtient le Prix national de littérature pour l’ensemble de son oeuvre en 1986 et le Prix international Juan Rulfo en 1993. Il meurt à Mexico le 1 mars 1994. Il est enterré à La Havane. Gabriel García Márquez l’a présenté comme «uno de los más grandes poetas que hay en la lengua castellana». Son fils est le journaliste et romancier Eliseo Alberto, surnommé ” Lichi ” (1951-2011).

Eliseo Diego a aussi enseigné l’anglais au collège, puis à l’université. De 1962 à 1970, il a dirigé la section de littérature enfantine à la Bibliothèque Nationale José Martí. Il a exercé aussi d’importantes fonctions dans l’Union des Écrivains et Artistes de Cuba. Il était angliciste, mais il a aussi traduit Dante et les poètes russes. Il connaissait mal le français. Dans son oeuvre, on trouve pourtant des allusions à la Chanson de Roland, à François Villon, aux contes de Perrault, à Baudelaire, Verlaine, Flaubert et même à Aloysius Bertrand.

(Marie Paule et Raymond Farina m’incitent régulièrement à relire des poètes que j’aime. Merci à eux une fois de plus.)

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