Jafar Panahi

Jafar Panahi (Atta Kenare). Téhéran, 2010.

Jafar Panahi, réalisateur iranien emprisonné à Téhéran, a commencé une grève de la faim.
Le cinéaste, incarcéré depuis juillet 2022, proteste contre les conditions de sa détention dans la prison d’Evin.

« Aujourd’hui, comme beaucoup de personnes piégées en Iran, je n’ai d’autre choix que de protester contre ce comportement inhumain avec ce que j’ai de plus cher : ma vie. »

« Je refuserai de manger et de boire et de prendre tout médicament jusqu’à ma libération. Je resterai dans cet état jusqu’à ce que, peut-être, mon corps sans vie soit libéré de prison. »

Agé de 62 ans, le réalisateur est contraint de purger une peine de six ans de prison prononcée en 2010 pour « propagande contre le système ». Pourtant, le 15 octobre 2022, la Cour suprême a annulé la condamnation et a ordonné un nouveau procès.

Des militants des droits de l’homme ont rendu publiques des photos du corps émacié du militant et médecin Farhad Meysami, condamné a cinq ans de prison et qui refuse de s’alimenter.

Farhad Meysami.

https://www.change.org/p/free-jafar-panahi?recruiter=false&utm_source=share_petition&utm_medium=twitter&utm_campaign=psf_combo_share_initial&recruited_by_id=bec73340-a3b4-11ed-bd59-93f78d69241f

17 heures Farid Vahid “Excellente nouvelle ! Le cinéaste iranien Jafar Panahi vient d’être libéré sous caution. N’oublions pas les milliers d’autres Iraniens emprisonnés pour leurs opinions politiques.”

Jafar Panahi à sa sortie de prison Téhéran le 3 février 2023 entouré de ses avocats Yusef Moulai et Saleh Nikbakht.

Iran

Taraneh Alidousti.

« Zan, Zendegi Azadi » en farsi (« Jin, Jiyan, Azadi  » dans sa version originale kurde). Femme, vie, liberté.

Trois figures du cinéma iranien ont été arrêtées ces derniers mois. Vendredi 8 juillet, Mohammad Rasoulof (Ours d’or en 2020, au Festival de Berlin pour Le diable n’existe pas) et son confrère Mostafa Al-Ahmad ont été interpellés chez eux et conduits en détention pour « troubles à l’ordre public », « propagande contre le régime » et « activisme anti-révolutionnaire ». Lundi 11 juillet, ce fut au tour du cinéaste Jafar Panahi (ex assistant d’ Abbas Kiarostami. Lion d’or à Venise en 2000 pour Le Cercle, Ours d’or à Berlin en 2015 pour Taxi Téhéran, prix du scénario à Cannes en 2018 avec Trois visages) venu devant la prison où étaient incarcérés ses deux collègues pour s’inquiéter de leur sort, d’être appréhendé. Ils sont incarcérés au centre de détention d’Evin.

Taraneh Alidousti, actrice iranienne de 36 ans, est très connue dans son pays. Elle y a remporté de nombreux prix et distinctions. Á l’étranger, on se souvient de ses nombreuses collaborations avec Asghar Farhadi. Elle est aussi remarquable dans Leila et ses frères de Saeed Roustaee ( réalisateur aussi de La loi de Téhéran en 2021 ), présenté au Festival de Cannes en 2022 et interdit de projection en Iran.

2002 Moi, Taraneh, 15 ans de Rasoul Sadr Ameli.
2004 Les Enfants de Belle Ville d’Asghar Farhadi.
2006 La Fête du feu d’Asghar Farhadi.
2009 Á propos d’Elly d’Asghar Farhadi.
2016 Le Client d’Asghar Farhadi. Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2017.
2022 Leila et ses frères de Saaed Roustaee. Prix de la critique internationale (FIPRESCI).

En janvier 1920, elle est convoquée par le bureau du procureur du ministère de la Culture et des Médias pour avoir diffusé une vidéo montrant la police des mœurs qui s’en prenait à une femme ne portant pas le hijab. Elle est inculpée « d’activités de propagande contre l’État », et relâchée sous caution. En juin, elle est condamnée à cinq mois de prison pour ces faits, avec un sursis à exécution de deux ans. Elle analyse cette condamnation comme un acte d’intimidation de la part du régime iranien, qu’elle avait critiqué plus tôt dans l’année dans un post sur Instagram : « Nous ne sommes pas des citoyens. Nous ne l’avons jamais été. Nous sommes des captifs. Des millions de captifs. »

Le 9 novembre 2022, dans le cadre des manifestations en Iran à la suite de la mort de Mahsa Amini ( 16 septembre 2022 ), elle poste sur les réseaux sociaux une photo où elle apparaît sans voile et tenant une pancarte sur laquelle est écrit en kurde « Femme, Vie, Liberté », en soutien aux manifestations. Elle promet de rester dans son pays malgré le risque de « payer le prix » pour défendre ses droits. Elle annonce son intention d’arrêter de travailler pour soutenir les familles des personnes tuées ou arrêtées lors de la répression. Elle dénonce le 8 décembre l’exécution de Mohsen Shekari, pendu après avoir été accusé de mener une « guerre contre Dieu ». Elle écrit « Toute organisation internationale qui regarde ce bain de sang sans réagir représente une honte pour l’humanité ». Elle est arrêtée le 17 décembre 2022 et est détenue aussi à la prison d’Evin.

Taraneh Alidousti , Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof. Liberté!

Cinéastes iraniens

Ashgar Farhadi. Paris, 2021. (Duchilila)

” Zan, zendigi, azadi.” “Femme, vie, liberté.”

En soutien aux femmes iraniennes (Asghar Farhadi). 24 septembre 2022. Twitter. Instagram.

https://twitter.com/arminarefi/status/1573941933331910664

” Je suis Ashgar Farhadi, cinéaste. Vous avez sans doute suivi les dernières nouvelles en provenance d’Iran et vu des images de ces courageuses femmes progressistes qui manifestaient pour leurs droits humains, au côté des hommes. Elles défendent ces droits essentiels et inaliénables que l’État leur refuse depuis des années. Ces manifestants, et tout particulièrement les femmes, ont parcouru un âpre et pénible chemin pour parvenir à cette mobilisation, et, à présent, elles ont clairement atteint un seuil irréversible.
Je les ai vues de près, ces dernières nuits. La plupart sont très jeunes : 17 ans, 20 ans… J’ai lu l’indignation et l’espoir sur leur visage et dans la façon dont elles défilaient dans les rues. J’éprouve le plus grand respect pour leur lutte en faveur de la liberté et le droit de choisir leur destinée, en dépit de toute la violence à laquelle elles doivent faire face. Je suis fier des femmes puissantes de mon pays, et j’espère sincèrement que, grâce à leur détermination, elles atteindront leurs buts.
Avec cette vidéo, j’invite tous les artistes, cinéastes, intellectuels et activistes des droits civiques du monde entier, ainsi que tous ceux qui croient en la dignité et en la liberté à apporter des témoignages de solidarité à ces femmes et ces hommes iraniens, par des vidéos, des écrits – ou de tout autre manière.
Il en va de la responsabilité humaine, et tout ceci peut contribuer à la consolidation, dans l’avenir, de l’espoir de tous les Iraniens d’atteindre l’objectif magnifique et fondamental qu’ils recherchent ici, dans ce pays, où les femmes seront, sans nul doute, les pionnières, annonciatrices de transformations majeures.
Pour des lendemains meilleurs,
Ashgar Farhadi .”

Traduction : Baptiste Roux. (Positif n° 741. Novembre 2022. Page 63)

Ashgar Farhadi 2011 Une séparation.
2013 Le passé.
2016 Le client.
2021 Un héros.

Mohammad Rasoulof. Festival international du film de Saint-Sébastien, 19 septembre 2009 (Rafa Rivas).

Trois figures du cinéma iranien ont été arrêtées ces derniers mois. Vendredi 8 juillet, Mohammad Rasoulof (Ours d’or en 2020, au Festival de Berlin pour Le diable n’existe pas) et son confrère Mostafa Al-Ahmad ont été interpellés chez eux et conduits en détention pour «troubles à l’ordre public», «propagande contre le régime» et «activisme anti-révolutionnaire». Lundi 11 juillet, ce fut au tour du cinéaste Jafar Panahi (ex assistant d’ Abbas Kiarostami. Lion d’or à Venise en 2000 pour Le Cercle, Ours d’or à Berlin en 2015 pour Taxi Téhéran, prix du scénario à Cannes en 2018 avec Trois visages) venu devant la prison où étaient incarcérés ses deux collègues pour s’inquiéter de leur sort, d’être appréhendé. Selon le porte-parole de la Justice, Massoud Sétayechi, Jafar Panahi devra purger la peine de six ans de prison émise à son encontre dans un verdict de 2010. Il était depuis en liberté surveillée. Ils sont incarcérés au centre de détention d’Evin.

Jafar Panahi. Téhéran, 30 août 2010 (Atta Kenare)

Cesare Pavese

Photographies signalétiques prises lors de son assignation à résidence pour trois ans à Brancaleone Calabro. 1935.

Je relis Cesare Pavese (1908-1950). Les poèmes de La mort viendra et elle aura tes yeux ont été écrits du 11 mars au 10 avril 1950 pour l’actrice américaine Doris Dowling (To C. from C. = To Constance from Cesare). Deux d’entre eux ont été rédigés directement en anglais ( To C. from C. et Last Blues, to be read some day), les 8 autres en italien même si le titre est anglais. Ils seront retrouvés sur la table de son bureau après le suicide de l’écrivain le 27 août 1950 dans une chambre de l’hôtel Roma de Turin , place Carlo Felice. Sur la table de nuit, on a trouvé un mot écrit sur la première page de Dialogues avec Leucò (1947) : “Je pardonne à tout le monde et je demande pardon à tout le monde. Ça va? Pas trop de commérages.” ( ” Perdono tutti e a tutti chiedo perdono. Va bene? Non fate troppi pettegolezzi.”) Maïakovski avait laissé le message suivant le 14 avril 1930 : “Je meurs. N’accusez personne et, je vous en supplie, pas de commérages. Le défunt les détestait.” Pavese a dû le lire dans Il fiore del verso russo (Einaudi, 1949) qui venait d’être publié.

Le 31 décembre 1949, il avait fait connaissance de Constance Downing (Connie 1920-1969) et de sa soeur Doris (1923-2004) . Les deux actrices voulaient percer en Italie où elles étaient arrivées en 1947.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/06/16/cesare-pavese-1908-1950/

Verrà la morte e avrà i tuoi occhi

Verrá la morte e avrá i tuoi occhi –
questa morte che ci accompagna
dal mattino alla serra, insonne,
sorda, come un vecchio rimorso
o un vizio assurdo. I tuoi occhi
saranno una vana parola,
un grito taciuto, un silenzio.
Cosi il vedi ogni mattina
quando su te sola ti pieghi
nello specchio. O cara speranza,
quel giorno sapremo anche noi
che sei la vita e sei il nulla.

Per tutti la morte ha uno sguardo
verrá la morte e avrá i tuoi occhi.
Sará come smettere un vizio,
come vedere nello specchio
riemergere un viso morto,
come ascoltare un labbro chiuso.
Scenderemo nel gorgo muti.

Verrà la morte e avrà I tuoi occhi. Einaudi, 1951.

Constance Dowling.

La Mort viendra et elle aura tes yeux

La mort viendra et elle aura tes yeux –
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu’au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remords
ou un vice absurde. Tes yeux
seront une vaine parole,
un cri réprimé, un silence.
Ainsi les vois-tu le matin
quand sur toi seule tu te penches
au miroir. O chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.

La mort a pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir ressurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre muets.

22 mars 1950.

Poésies (Travailler fatigue. La mort viendra et elle aura tes yeux) 1969. NRF Poésie/Gallimard n°128. Traduction Gilles de Van. 1979.

Martin Rueff, dans l’édition des Oeuvres en Quarto Gallimard (2008) dit : ” Comme la mort de Pasolini, le suicide de Pavese a joué un rôle important et souvent néfaste pour la réception de l’oeuvre. On a voulu la relire tout entière à partir de la dernière heure. On s’est obsédé du mystère de la mort pour ne pas prendre au sérieux l’énigme d’une vie. ” Dialogues avec Leucò (1947): “Personne ne se tue. La mort est un destin. On ne peut que l’espérer pour soi…” ” Nessuno si uccide. La morte è destino. Non si può che augurarsela… “

Le poème a été récité par Vittorio Gassman. Ce grand acteur est né à Gênes le 1 septembre 1922, il y a 100 ans. Il est mort à Rome le 29 juin 2000.

https://www.youtube.com/watch?v=ny3qXRIC9YQ

Axelle Ropert – Paul Verlaine

Vu hier soir en DVD Petite Solange d’Axelle Ropert (2021). Scén. : Axelle Ropert. Dir. photo : Sébastien Bachmann. Mus. :Benjamin Esdraffo. Int. : Jade Springer, Léa Drucker, Philippe Katherine, Grégoire Montana, Chloé Astor. 1 h 25. Prix Jean Vigo 2021.

Un petit film, agréable à voir. Une collégienne de 13 ans (Jade Springer, très crédible), mélancolique et introvertie. La ville de Nantes toujours photogénique. On voit bien sûr le passage Pommeraye qui rappelle Jacques Demy et Lola (1961). L’adolescente est aimée par sa famille, mais livrée à elle-même. Ses parents se disputent et vont se séparer. Elle est seule. Elle marche dans la grande ville. Elle croise des gens, des tramways, elle se fait bousculer. Son grand frère Romain, étudiant, choisit la fuite à Madrid et l’abandonne. Le film fait discrètement allusion au beau mélodrame de Luigi Comencini, L’Incompris (1966). La petite Solange récite en classe La Chanson de Gaspard Hauser de Verlaine. Elle éclate en sanglots.

https://www.youtube.com/watch?v=ahOUdU77jWc

Portrait de Verlaine (Louis Anquetin). 1893. Albi, Musée Toulouse-Lautrec;

La chanson de Gaspard Hauser (Paul Verlaine)

Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m’ont pas trouvé malin.

À vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d’amoureuses flammes
M’a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m’ont pas trouvé beau.

Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l’étant guère,
J’ai voulu mourir à la guerre :
La mort n’a pas voulu de moi.

Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu’est-ce que je fais en ce monde ?
Ô vous tous, ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspard !

Sagesse, 1881.

Paul Verlaine a sûrement écrit ce poème en prison lors de son séjour en Belgique. Lors de leur voyage à Bruxelles, Verlaine tire sur Rimbaud à deux reprises, un coup le manquant, l’autre le blessant légèrement au poignet. Il était sous l’emprise de l’absinthe au moment des faits. D’abord enfermé à Bruxelles (du 11 juillet au 24 octobre 1873) jusqu’à son procès, il sera ensuite condamné et transféré à Mons où il passera un peu plus de deux ans (du 25 octobre 1873 au 16 janvier 1875) .

Ansbach (Bavière). Kaspar’s Tree. (Jaume Plensa). 2007. La sculpture est située devant la maison dans laquelle a vécu Kaspar Hauser de décembre 1831 jusqu’à sa mort en 1833.

La Nuit du 12 – Paul Verlaine

Vu hier soir à La Ferme du Buisson (Noisiel) le très beau film de Dominik Moll, La Nuit du 12.

Dans la nuit du 12 octobre 2016, à Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie), Clara, 21 ans, est assassinée, brûlée vive par un homme cagoulé, alors qu’elle revenait d’une soirée chez son amie Nanie.

La Nuit du 12 de Dominik Moll. 2022. 1 h 55. Sc. et dial. Gilles Marchand et Dominik Moll d’après 18.3 – Une année à la PJ de Pauline Guéna (Éditions Denoël). Int. : Bastien Bouillon (Yohan) Bouli Lanners (Marceau) Mouna Soualem (Nadia) Pauline Serieys (Nanie) Lula Cotton Frapier (Clara), Anouk Grinberg (la juge).

https://www.youtube.com/watch?v=_zlztTha8Mw

Le policier Marceau (Marteau ? ) (Bouli Lanners) aurait voulu être professeur de français plutôt que policier pour dévoiler la puissance de la langue française. Dans la voiture, il récite du Verlaine à son ami Yohan (Bastien Bouillon) . Un spectre va hanter les deux hommes.

Colloque sentimental

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l’heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l’on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.

– Te souvient-il de notre extase ancienne ?
– Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?

– Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ?
– Toujours vois-tu mon âme en rêve? – Non.

– Ah! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches! – C’est possible.

– Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir !
– L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.

Fêtes galantes, 1869.

Paul Verlaine (Eugène Carrière). Paris, Musée d’Orsay.

Joseph Losey

J’ai pu revoir cette semaine en DVD le film de Joseph Losey (1909-1984) : Le Messager (The Go-Between). Je l’avais vu à sa sortie en France (15 mai 1971), il y cinquante ans et jamais revu depuis.

Il s’agit de l’ adaptation du roman éponyme de Leslie Poles Hartley (1895-1972), écrit en 1953.

Photographie : Gerry Fisher.

Montage : Reginald Beck.

Musique : Michel Legrand. Cette composition musicale (treize variations sur un thème unique) est obsessionnelle. Elle est aujourd’hui très célèbre, mais ne plaisait pas du tout au départ ni à Losey ni à son monteur.

Distribution: Julie Christie, Alan Bates, Margaret Leighton, Michael Redgrave, Dominic Guard, Michael Gough, Edward Fox.

Joseph Losey a choisi Julie Christie et Alan Bates après les avoir vus dans Loin de la foule déchaînée (John Schlesinger-1967) d’après le roman de Thomas Hardy, publié en 1874. C’est un film que j’aimerais bien aussi revoir. L’adaptation de Thomas Vinterberg en 2015 ne m’a pas laissé un grand souvenir.

Le scénario de The Go-Between est d’ Harold Pinter. Le Prix Nobel de Littérature anglais (2005) a écrit quatre scénarios pour le cinéaste américain, dont seuls les trois premiers ont été réalisés : The Servant (1963), Accident (1967), Le Messager (1971) et Le Scénario Proust (The Proust screenplay-1972). Joseph Losey a dû fuir les États-Unis à cause du maccarthysme en 1952 et s’est exilé au Royaume-Uni. Cette épreuve l’a marqué à jamais.

Le film a obtenu la Palme d’or au Festival de Cannes en 1971. Le grand favori, cette année-là, était Mort à Venise de Luchino Visconti qui obtint seulement le Prix du 25 ème anniversaire du Festival. On trouvait aussi dans la sélection officielle entre autres: Joe Hill (Bo Widerberg), Johnny s’en va-t-en guerre (Dalton Trumbo), Le Souffle au cœur (Louis Malle), Taking Off (Miloš Forman).

Le Messager est un des plus beaux films de Joseph Losey.

https://www.youtube.com/watch?v=91LYLr-y2c4

L’histoire se passe vers 1900. Un jeune garçon de 12 ans, Leo Colston, (Dominic Guard-Michael Redgrave), issu d’une famille ruinée de la classe moyenne, est invité par un camarade d’école, Marcus Maudsley, à passer les vacances d’été dans le manoir familial aux cent vingt-six pièces de Brandham Hall (Norfolk ). Leo est fasciné par ce milieu aristocratique et surtout par la belle Marian (Julie Christie), la sœur aînée de son ami, qui est fiancée à Lord Trimingham (Edward Fox), un vicomte qui est revenu de la guerre des Boers le visage balafré. Elle profite de la situation et va demander à Leo de porter régulièrement des lettres à son amant, le métayer d’une ferme voisine, Ted Burgess (Alan Bates), pour qu’ils puissent se retrouver clandestinement. Le livre comme le film s’achève sur le retour de Leo au manoir. Á la fin, Marian, très âgée, lui demande à nouveau de lui servir de messager pour révéler à son petit-fils l’identité de son véritable grand-père, Ted Burgess, qui s’est suicidé.

Melton Constable Hall (Brandham Hall dans Le Messager)

Le film commence par le générique qui défile sur les images d’une vitre sur laquelle coulent comme des larmes des gouttes de pluie. Le plan suivant montre le manoir dans la pleine lumière de l’été. La voix-off de Léo âgé (Michael Redgrave) dit : « Le passé est un pays étranger. On fait les choses autrement, là-bas. » (« The past is a foreign country; they do things differently there. »)

Tout au long du film, nous voyons un vieil homme, portant un chapeau melon qui revient vers le manoir par temps de pluie. Le passé et le présent ne font qu’un. Leo, toute sa vie, a été sous l’emprise de Marian qui n’est pas consciente de l’anéantissement psychique dans laquelle elle l’a plongé toute sa vie.

C’est un beau récit d’initiation, mais aussi un film sur les rapports de classes et de domination. L’interpétation est magnifique et très ambiguë. La photo de Gerry Fisher est splendide.

Joseph Losey porte sur le comportement humain et son pouvoir destructeur un regard pessimiste. Il réussit à créer une distance par rapport à l’intrigue tragique et fuit tout sentimentalisme.

Michel Ciment, le directeur de la publication de la revue Positif, insiste sur les thèmes propres à la plupart des films du metteur en scène : l’intrusion d’un corps étranger dans un milieu donné, l’importance du décor (ici le manoir et son grand escalier), le temps. On retient aussi la performance des acteurs, en particulier celle de la sublime Julie Christie. Joseph Losey a beaucoup travaillé pour le théâtre. Il a étudié la mise en scène en Allemagne, en Suède, en Finlande et en U.R.S.S. En 1947, il a créé en étroite collaboration avec Bertolt Brecht La Vie de Galileo Galilei, interprétée par Charles Laughton .

Joseph Losey.

Ryusuke Hamaguchi – Marc Dugain

Allers-retours entre le cinéma et la littérature.

Le meilleur film que j’ai vu cet automne est de loin Drive my car (2h59) du metteur en scène japonais Ryusuke Hamaguchi (né en 1978 et Prix du scénario au Festival de Cannes 2021). C’est l’ adaptation d’une nouvelle d’ Haruki Murakami, la première du recueil Des hommes sans femmes de 2014 (Belfond, 2017. 10-18).
Un metteur en scène et acteur de théâtre, Yusuke Kafuku, forme avec sa femme Oto, scénariste de télévision, un couple malheureux. La mort de leur fille, alors qu’elle n’était qu’une enfant, les a éloignés et Oto a des amants. Un soir, Kafuku retrouve son épouse morte sur le sol de leur appartement, emportée par une attaque. Après quarante minutes de projection, apparaît le générique (!). Deux ans après cette mort, Kafuku se rend à Hiroshima. Il a obtenu une résidence artistique pour monter Oncle Vania d’Anton Tchekhov et recruter des acteurs. Quand il prend la route seul, la voix d’Oto l’accompagne quand il met une cassette dans l’autoradio de sa Saab 900 rouge. Sa femme s’est enregistrée et lui donne la réplique dans Oncle Vania, pièce dont il doit s’imprégner. A Hiroshima, les responsables du festival l’obligent à se faire conduire par une jeune fille taciturne et balafrée, Misaki. Les deux personnages vont apprendre à se connaître, à se raconter, à guérir peut-être. Lui a perdu sa femme et sa fille, elle sa mère. L’intérieur de la voiture est le principal décor du film. Inlassablement, Kufuku fait relire à ses acteurs le texte d’Oncle Vania. Il a réuni des comédiens de nationalité différente qui jouent dans leur propre langue. Une jeune muette utilise même le langage des signes. La dernière partie du film se transforme en road-movie. Les deux personnages principaux partent d’Hiroshima pour retrouver la maison de Misaki dans la froide et enneigée région d’ Hokkaidō, île située à l’Extrême-Nord d’où elle est originaire.
Ce sont les femmes qui mènent toujours le jeu dans ce film. Oto invente des scénarios, Misaki conduit. Comme Sonia dans Oncle Vania, elles regardent vers l’avenir. Elles sont maîtres du mouvement, de la vie.

https://www.youtube.com/watch?v=dVLC8Wn9QMo

Anton Tchekhov, Oncle Vania 1900. version française : Génia Cannac et Georges Perros. 1960. L’Arche éditeur.

« Sonia : Qu’y faire ! Nous devons vivre. (Un temps). Nous allons vivre, oncle Vania. Passer une longue suite de jours, de soirées interminables, supporter patiemment les épreuves que le sort nous réserve. Nous travaillerons pour les autres, maintenant et jusqu’à la mort, sans connaître de repos, et quand notre heure viendra, nous partirons sans murmure, et nous dirons dans l’autre monde que nous avons souffert, que nous avons été malheureux, et Dieu aura pitié de nous. Et alors, mon oncle, mon cher oncle, une autre vie surgira, radieuse, belle, parfaite, et nous nous réjouirons, nous penserons à nos souffrances présentes avec un sourire attendri, et nous nous reposerons. Je le crois, mon oncle, je le crois ardemment, passionnément…(Elle s’agenouille devant lui et pose sa tête sur les mains de son oncle ; d’une voix lasse :) Nous nous reposerons ! (Téléguine joue doucement de la guitare.) Nous nous reposerons ! Nous entendrons la voix des anges, nous verrons tout le ciel rempli de diamants, le mal terrestre et toutes nos peines se fondront dans la miséricorde qui régnera dans le monde, et notre vie sera calme et tendre, douce, comme une caresse… Je le crois, je le crois… (Elle essuie avec son mouchoir les larmes de son oncle.) Mon pauvre, mon pauvre oncle Vania, tu pleures. Tu n’as pas connu de joie dans ta vie, mais patience, oncle Vania, patience… Nous nous reposerons… (Elle l’enlace.) Nous nous reposerons !
(On entend les claquettes du veilleur de nuit. Téléguine joue en sourdine. Maria Vassilievna écrit dans les marges de sa brochure, Marina tricote son bas.)
Nous nous reposerons ! »

https://www.youtube.com/watch?v=YDFTjoizelc

Nous avons vu lundi 18 octobre au cinéma de la Ferme du Buisson Eugénie Grandet de l’écrivain-réalisateur Marc Dugain. Le film est classique, sec et austère et n’a rien à voir avec Drive my car. Il a été tourné essentiellement au Mans et à Saumur. Les acteurs sont assez bons : Olivier Gourmet (Félix Grandet) Valérie Bonneton (Madame Grandet) Joséphine Japy (Eugénie). La fin du film s’éloigne totalement du roman d’Honoré de Balzac. La fille soumise, l’amoureuse transie devient une femme libérée, qui s’est éloignée de l’Église, va voyager et vivre sa vie.
J’avais relu le roman il y a quelques années et parcouru l’étude de Philippe Berthier, Eugénie Grandet, Gallimard, Foliothèque n° 14. 1992. Ce professeur à la Sorbonne Nouvelle termine justement son étude par la fin d’Oncle Vania.

On peut rappeler aussi que la première publication de Fiodor Dostoïevski a été une traduction en russe d’Eugénie Grandet en 1844.

Ramón Acín

Ramón Acín. 1927.

Ramón Acín Aquilué est né le 30 août 1888 à Huesca (Aragon).

Ce peintre, sculpteur et pédagogue est aussi un militant anarcho-syndicaliste, membre de la Confédération nationale du travail (CNT). Il participe aux congrès de ce syndicat en tant que représentant de la ville de Huesca où il jouit d’une grande popularité.

Comme pédagogue, il s’inspire des pratiques la Institución Libre de Enseñanza, de l’École Moderne de Francisco Ferrer i Guàrdia, fondée à Barcelone en 1901, et plus tard des apports de Célestin Freinet. Il est professeur de dessin à l’École Normale d’instituteurs de Huesca en 1917. Il crée une académie de dessin chez lui et donne des cours du soir aux ouvriers. Il montre un grand intérêt pour le végétarisme, le naturisme, le respect des animaux et de la nature au nom de la vie.

Ami de Luis Buñuel, il produit en 1932 le film Terre sans pain (Las Hurdes, tierra sin Pan) après avoir gagné à la loterie. Il accompagne son ami en Estrémadure dans Las Hurdes, une des zones les plus misérables d’Espagne. Le documentaire réalisé montre un tableau de misère endémique.

https://www.youtube.com/watch?v=qO86FO1bs6g

En 2019, le film d’animation Buñuel après l’Âge d’Or (Buñuel en el laberinto de las tortugas) de Salvador Simó retrace l’aventure de ce tournage. Le scénario s’inspire du roman graphique de Fermín Solis, publié en 2008.

Ramón Acín écrit à son ami dans El Diario de Huesca du 19 janvier 1930 “Amigo Buñuel: Tornémonos nidos de gusanos, antes que torcer nuestros comenzados caminos; caminos rectos, sencillos, henchidos de independencia y de humanidad”

Ramón Acín est fusillé par les franquistes contre le mur du cimetière de Huesca le 6 août 1936 ainsi que 138 autres militants de la ville. Son épouse, Conchita Monrás, sera assassinée le 23 août 1936.

Leurs deux filles Katia Acín Monrás (1923-2004) et Sol Acín Monrás (1925-1998), orphelines, vivront avec un oncle paternel. La Fondation Ramón y Katia Acín entreprend depuis 2005 de perpétuer leur mémoire:

https://fundacionacin.org/obra/sobre-ramon-acin/libro-sobre-ramon-acin/ramon-acin/

Parque Miguel Servet  de Huesca. Monumento de las Pajaritas. 1928-29.

Luis Buñuel – Jean-Claude Carrière

La revue Positif n° 724 (juin 2021) publie un dossier sur l’écrivain et scénariste Jean-Claude Carrière, décédé le 8 février 2021, à 89 ans. Y figurent neuf lettres de Luis Buñuel à son scénariste et une à Louis Malle. Elles sont traduites de l’anglais par Alain Masson, membre du comité de rédaction de la revue et ancien professeur de Lettres au Lycée Janson de Sailly (Paris XVI). Cette correspondance a été publiée en anglais en 2015 et en espagnol en 2018. Elle n’existe pas en français.

Jo Evans – Breixo Viejo. Luis Buñuel. A Life in Letters. Bloomsbury Academic, 2015.

Jo Evans – Breixo Viejo. Luis Buñuel. Correspondencia escogida. Cátedra, Signo e Imagen, 2018.

Jean-Claude Carrière. 2006.

Jean-Claude Carrière fait la connaissance de Luis Buñuel en 1963 au Festival de Cannes. Leur collaboration va durer dix-neuf ans, de 1964 à la mort du réalisateur, le 29 juillet 1983. Les deux hommes travaillent ensemble une première fois pour l’adaptation du roman d’Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre (1964). Le film, avec Jeanne Moreau comme vedette, est le premier que Buñuel réalise en France depuis le classique surréaliste L’Âge d’or (1930).
Carrière et Buñuel vont travailler ensemble sur cinq autres films: Belle de jour (1967), adapté du roman de Joseph Kessel (1928), La voie lactée (1969), Le Charme discret de la bourgeoisie (1972), oscar du meilleur film étranger en 1973, La fantôme de la liberté (1974), Cet obscur objet de désir (1977)

Ils passent de longues périodes ensemble quand ils écrivent leurs scénarios. A Madrid, Buñuel loge à l’hôtel Torre de Madrid, Plaza de España. Ils se retirent souvent dans les environs, à Rascafría au Real Monasterio de Santa María de El Paular dont une partie a été reconvertie en hôtel après la Guerre civile.

On trouve 73 lettres de Buñuel adressées à Carrière et 18 du scénariste. Elles sont conservées à la Filmoteca Española de Madrid. Les lettres de Buñuel sont écrites en français ou en espagnol. La première date du 6 novembre 1965 et concerne le scénario du Moine (d’après Matthew Gregory Lewis). Le film sera tourné en 1972 par Ado Kyrou. La dernière date du 10 avril 1983. C’est peut-être la dernière que Buñuel ait écrite.

México DF, 22 de abril de 1966
Mi querido Jean Claude:
Me hizo ilusión recibir su carta de hace tres meses, como todas las suyas. No respondí porque, después de todo, no había nada que contestar. Así que…discúlpeme.
Tengo una propuesta prácticamente aceptada – increíble – de Robert Hakim a través de CIMURA. Entre nosotros, es un tema absurdo, pero tentador. Puse como condición sine qua non realizar la adaptación en El Escorial con usted, si acepta. Se trata de Belle de jour, de Kessel. Un ensayo sobre putas con espantosos conflictos entre el superyó y el ello. Sería interesante ver lo que podemos sacar de ahí. ¡Ah! Ni pizca de humor, así que mejor para nosotros, para purgarnos un poco de El monje.
Paulette le hablará de ello, pues le he escrito al respecto. Lea el libro antes que nada. Todo lo contrario de lo que pretende el cine moderno: un argumento muy, muy trabado, de una artificialidad muy tentadora.
Un afectuoso abrazo de mi parte a Auguste y a mi sobrinita, su hija, y para usted un gran abrazo.
Luis
P.S. Desde hace ocho meses no hago nada, absolutamente nada. La ociosidad es maravillosa. Nunca cansa.

México DF, 10 de abril de 1983
Muy querido Jean Claude:

Aunque brevemente y con gran dificultad, me lanzo a escribirle a máquina. IMPORTANTE: le ruego que le diga a Laffont que en adelante me envíe únicamenente DOS EJEMPLARES de cada edición que se publique en el extranjero de mi famoso libro. Recibí diez ejemplares de la portuguesa que pensé en quemar, pero que finalmente terminé enviando ocho a la Embajada portuguesa. No se olvide por favor de hablarle.
He pasado dos meses muy malos, pero me voy restableciendo paulatinamente, aunque disto mucho de quedar como antes. La diabetes la tengo completamente controlada gracias a un excelente médico que tengo. Mi campo visual no es malo, pero el foco central de la vista, nulo. De ahí mi dificultad para leer y escribir.
De Serge no tengo noticias, aunque hace seis meses me dijo que me iba a pagar beneficios de mis dos últimos films, que son en los únicos que llevo el 10 por ciento de los beneficios.
Lo veo, como siempre, lleno de actividad. Dichoso usted. Yo ya no salgo de casa, respirando polvo con excrementos, año terrible en México, como nadie ha conocido. Todo está contra este país.
Mucho me alegraré de verlo por aquí si se decide a venir, aunque mis deficiencias físicas y mentales, sobre todo, intenten ahuyentarlo de mi lado.
Besos múltiples para madre e hija, y los que sobren, para usted.
Luis
[PS.] No releo esta carta. Allá va, esté como esté.

  • Joseph Kessel (1898-1979).
  • Roger Hakim (1907-1992), producteur français d’origine égyptienne, codirecteur de Paris Film Production avec son frère Raymond (1909- 1980).
  • Serge Silberman (1917-2003), producteur français d’origine polonaise .Il a fondé la société de production Greenwich Films en 1966.
  • Nicole Janin (1931-2002), peintre sous le pseudonyme d’Augusta Bouy (ou Auguste Bouy), première épouse de Jean-Claude Carrière avec qui il a eu une fille Iris en 1962.
Rascafría (Comunidad de Madrid). Real Monasterio de Santa María de El Paular.