Julio Cortázar

La Toussaint (Jules Bastien-Lepage) v 1882 Musée des Beaux-Arts de Budapest.

Aujourd’hui, dimanche de la Toussaint, un poème de Julio Cortázar:

Los amigos
En el tabaco, en el café, en el vino,
al borde de la noche se levantan
como esas voces que a lo lejos cantan
sin que se sepa qué, por el camino.

Livianamente hermanos del destino,
dióscuros, sombras pálidas, me espantan
las moscas de los hábitos, me aguantan
que siga a flote en tanto remolino.

Los muertos hablan más pero al oído,
y los vivos son mano tibia y techo,
suma de lo ganado y lo perdido.

Así un día en la barca de la sombra,
de tanta ausencia abrigará mi pecho
esta antigua ternura que los nombra.

Salvo el crepúsculo, 1984.

Les amis
Dans le tabac, le café ou l’alcool,
au bord de la nuit ils se redressent
comme ces voix lointaines qui entonnent
une mélodie inconnue sur le chemin.

Comme s’ils étaient des frères du destin,
les ombres pâles des dioscures chassent
les mouches des habitudes et me maintiennent
à la surface d’un tourbillon constant.

Les morts aiment parler mais à l’oreille,
et les vivants sont une main et un toit
qui totalisent le gain et la perte.

Ainsi, un jour, dans la barque de l’ombre,
l’absence de ma poitrine sera habitée
par l’ancienne tendresse qui les nomme.

Crépuscule d’automne. Traduction: Silvia Baron Supervielle. Editions: José Corti. 2010.

Miguel Hernández

Miguel Hernández. Orihuela. 14 avril 1936.

L’aéroport d’ Alicante-Elche portera le nom de Miguel Hernández. La municipalité de Madrid avait détruit en février 2020 un monument inachevé dans le cimetière de la Almudena qui rappelait les noms des 2937 personnes fusillées à Madrid par la dictature franquiste de 1939 à 1944. Devaient y figurer aussi les douze derniers vers du poème El herido de Miguel Hernández, mort en prison en 1942.

Madrid. Cimetière de La Almudena.

El Herido

II

Para la libertad sangro, lucho, pervivo,
Para la libertad, mis ojos y mis manos,
como un árbol camal, generoso y cautivo,
doy a los cirujanos.

Para la libertad siento más corazones
que arenas en mi pecho: dan espumas mis venas,
y entro en los hospitales, y entro en los algodones
como en las azucenas.

Para la libertad me desprendo a balazos
de los que han revolcado su estatua por el lodo.
Y me desprendo a golpes de mis pies, de mis brazos,
de mi casa, de todo.

Porque donde unas cuencas vacías amanezcan,
ella pondrá dos piedras de futura mirada
y hará que nuevos brazos y nuevas piernas crezcan
en la carne talada.

Retoñarán aladas de savia sin otoño
reliquias de mi cuerpo que pierdo en cada herida
Porque soy como el árbol talado, que retoño:
porque aún tengo la vida.

El hombre acecha, 1938-39.

Miguel Hernández Gilabert est né à Orihuela (Alicante) le 30 octobre 1910. Il fait partie d’une famille de sept enfants dont trois meurent en bas âge. Son père, analphabète, élève des chèvres. Lui doit travailler enfant comme chevrier.

Le jeune Miguel est scolarisé dans la classe pour enfants pauvres du collège de jésuites local (Santo Domingo). Un professeur, le prêtre Luis Almarcha, remarque son intelligence. Son père accepte la scolarisation sous réserve que son fils ne renonce pas à soigner et à garder les chèvres. En raison de la crise économique et malgré les bons résultats scolaires, il retire son fils du collège à 14 ans. Le jeune Miguel a découvert la poésie qu’il aime, et malgré son père, il continue à lire en cachette grâce aux livres prêtés par Don Luis Almarcha, et un autre ami, Ramón Sijé (José Marín Gutiérrez), qui anime un cercle littéraire (Compañero del alma). Le jeune homme s’immerge dans le Siècle d’or espagnol (Cervantès, Calderón, Lope de Vega). Il s’imprégne de la poésie de Luis de Góngora et de Saint Jean de la Croix. Dès l’adolescence, il commence à écrire en cachette des poèmes, tout en gardant ses chèvres.
Miguel Hernández est donc essentiellement un poète autodidacte. En 1929, il publie ses premiers poèmes dans les journaux locaux d’Orihuela (El Pueblo) et d’Alicante (El Día) . Afin de briser sa solitude, le jeune homme devenu majeur, décide de se rendre à Madrid en 1931 pour y trouver du travail. Ce voyage est un échec et il doit revenir à Orihuela. Il prend un emploi administratif chez un notaire. Don Luis Almarcha est devenu vicaire général d’Orihuela et finance son premier recueil Perito en lunas en 1933.
Miguel Hernández s’installe définitivement à Madrid en 1934 et prend contact avec les poètes de sa génération (Federico García Lorca, Rafael Alberti, José Bergamín). Il se lie étroitement d’amitié avec Pablo Neruda, qui publie ses vers dans sa revue Caballo verde, et Vicente Aleixandre. Il participe aux Misiones pedagógicas et devient le secrétaire de José María de Cossío qui prépare une encyclopédie taurine, Los Toros.

Lorsque la guerre civile éclate en 1936, Miguel Hernández, devenu commmuniste, se met à disposition du 5 ème Régiment et devient commissaire à la culture. Il prend également part aux combats sur les fronts de Teruel, d’Andalousie et d’Estrémadure. Il participe au II Congrès des Écrivains Antifascistes à Valence et Madrid au cours de l’été de 1937.

Le 9 mars 1937, il épouse Josefina Manresa, dont il a un enfant (Manuel Ramón) en décembre 1937. Celui-ci meurt en octobre 1938, à l’âge de dix mois. En janvier 1939, naît son second fils, Manuel Miguel.

Á la fin de la guerre, il cherche à fuir au Portugal, mais il est arrêté par la police de Salazar et remis à la Garde Civile. Il est libéré une première fois en septembre 1939, mais, sur dénonciation, il est à nouveau arrêté à Orihuela et condamné à mort lors d’un procès sommaire en mars 1940. À la suite de l’intervention de divers intellectuels proches du nouveau régime, sa peine est commuée en trente années de détention. Commence alors pour lui la tournée des prisons (une dizaine) de Huelva à Madrid, en passant par Palencia et d’autres.

Miguel Hernández est transféré à la prison d’Alicante en 1940. Par suite des privations et de la faim, il contracte une grave forme de tuberculose pulmonaire. Il meurt le 28 mars 1942 à l’hôpital de la prison d’une fièvre typhoïde, à 31 ans. Il a refusé jusqu’au bout de renoncer à ses convictions politiques et d’adhérer au nouveau régime, ce qui lui aurait permis d’abréger son incarcération. Sa femme, Josefina Manresa, et leur enfant vivront dans une grande pauvreté. Sa tombe se trouve au cimetière d’Alicante.

Oeuvres:
1933 Perito en Lunas.
Quien te ha visto y quien te ve (autosacramental).
1934 El torero más valiente.
1935 Los hijos de la piedra.
1936 El rayo que no cesa.
1937 Viento del pueblo.
Teatro en la guerra.
El labrador de más aire.
1939 Sino sangriento y otros poemas.
El hombre acecha.
1951 Seis poemas inéditos y nueve más.
1952 Obra escogida.
1958 Cancionero y romancero de ausencias.
1960 Obras completas.

César Vallejo

(Marci à Marie-Paule F. et à Raymond F.)

César Vallejo. Berlin, Porte de Brandebourg, 1929.

Los nueve monstruos
Y, desgraciadamente,
el dolor crece en el mundo a cada rato,
crece a treinta minutos por segundo, paso a paso,
y la naturaleza del dolor, es el dolor dos veces
y la condición del martirio, carnívora, voraz,
es el dolor dos veces
y la función de la yerba purísima, el dolor
dos veces
y el bien de ser, dolernos doblemente.

¡Jamás, hombres humanos,
hubo tanto dolor en el pecho, en la solapa, en la cartera,
en el vaso, en la carnicería, en la aritmética!
Jamás tanto cariño doloroso,
jamás tan cerca arremetió lo lejos,
jamás el fuego nunca
jugó mejor su rol de frío muerto!
¡Jamás, señor ministro de salud, fue la salud
más mortal
y la migraña extrajo tanta frente de la frente!
Y el mueble tuvo en su cajón, dolor,
el corazón, en su cajón, dolor,
la lagartija, en su cajón, dolor.

Crece la desdicha, hermanos hombres,
más pronto que la máquina, a diez máquinas, y crece
con la res de Rousseau, con nuestras barbas;
crece el mal por razones que ignoramos
y es una inundación con propios líquidos,
con propio barro y propia nube sólida!
Invierte el sufrimiento posiciones, da función
en que el humor acuoso es vertical
al pavimento,
el ojo es visto y esta oreja oída,
y esta oreja da nueve campanadas a la hora
del rayo, y nueve carcajadas
a la hora del trigo, y nueve sones hembras
a la hora del llanto, y nueve cánticos
a la hora del hambre y nueve truenos
y nueve látigos, menos un grito.

El dolor nos agarra, hermanos hombres,
por detrás de perfíl,
y nos aloca en los cinemas,
nos clava en los gramófonos,
nos desclava en los lechos, cae perpendicularmente
a nuestros boletos, a nuestras cartas;
y es muy grave sufrir, puede uno orar…
Pues de resultas
del dolor, hay algunos
que nacen, otros crecen, otros mueren,
y otros que nacen y no mueren, otros
que sin haber nacido, mueren, y otros
que no nacen ni mueren (son los más)
y también de resultas
del sufrimiento, estoy triste
hasta la cabeza, y más triste hasta el tobillo,
de ver al pan, crucificado, al nabo,
ensangrentado,
llorando, a la cebolla,
al cereal, en general, harina,
a la sal, hecha polvo, al agua, huyendo,
al vino, un ecce-homo,
tan pálida a la nieve, al sol tan ardio!.
¡Cómo, hermanos humanos,
no deciros que ya no puedo y
ya no puedo con tanto cajón,
tanto minuto, tanta
lagartija y tanta
inversión, tanto lejos y tanta sed de sed!
Señor Ministro de Salud: ¿qué hacer?
¡Ah! desgraciadamente, hombres humanos,
hay, hermanos, muchísimo que hacer.

Poemas humanos, 1939.

Les neuf monstres

Et, malheureusement,
la douleur grandit dans le monde à tout instant,
grandit à trente minutes par seconde, pas à pas,
et la nature de la douleur, c’est la douleur deux fois
et la condition du martyre, carnivore, vorace,
c’est la douleur deux fois
et la fonction de l’herbe très pure, la douleur
deux fois
la vertu d’être, celle de souffrir doublement.

Jamais, hommes humains,
il n’y eut tant de douleur dans la poitrine, à la boutonnière, dans le portefeuille,
dans le verre, dans la boucherie, dans l’arithmétique!
Jamais tant de tendresse douloureuse,
jamais d’aussi près n’assaillit le lointain,
jamais le feu
ne joua jamais mieux son rôle de froid mort!
Jamais monsieur le ministre de la santé, la santé
ne fut plus mortelle
et la migraine n’arracha au front tant de front!
Et le meuble jamais n’eut dans son tiroir tant de douleur,
le coeur, dans son tiroir, tant de douleur,
le lézard, dans son tiroir, tant de douleur.

Le malheur grandit, frères hommes,
plus vite que la machine, à dix machines d’un coup, et grandit
avec la bête de Rousseau, avec notre barbe;
le mal grandit pour des raisons que nous ignorons
et c’est une inondation avec ses propres liquides,
sa propre fange et son propre nuage solide!
La souffrance inverse les positions, offre une scène
où l’humeur aqueuse est verticale
au pavé,
l’oeil est vu et cette oreille entendue,
et cette oreille fait entendre neuf coups de cloche à l’heure
de la foudre, et neuf éclats de rire
à l’heure du blé, et neuf sons femelles
à l’heure des larmes, et neuf cantiques
à l’heure de la faim et neuf coups de tonnerre
et neuf coups de fouet, mais pas un cri.

La douleur nous agrippe, frères hommes,
par derrière, de profil,
et nous rend fous dans les cinémas,
nous cloue sur les gramophones,
nous décloue sur nos lits, tombe perpendiculairement
à nos tickets, à nos lettres;
et c’est très grave de souffrir, l’on peut toujours prier…
Alors à cause
de la douleur, certains
naissent, d’autres grandissent, d’autres meurent,
d’autres naissent et ne meurent pas, d’autres
sans être nés meurent, et d’autres
ne naissent ni ne meurent (les plus nombreux).
Et aussi à cause
de la douleur, je suis triste
jusqu’à la tête, et plus triste jusqu’à la cheville,
de voir le pain, crucifié, le navet,
couvert de sang,
l’oignon, en sanglots,
les céréales, le plus souvent, farine,
le sel, réduit en poussière, l’eau, en fuite,
le vin, un ecce homo,
la neige si pâle, le soleil si brûlant!
Comment frères humains,
ne pas vous dire que je n’en peux plus et
que je n’en peux plus de tant de tiroirs,
tant de minutes, tant
de lézard et tant
d’inversion, tant de lointain et tant de soif de soif!
Monsieur le Ministre de la Santé, que faire?
Ah! Malheureusement, frères humains,
il y a, frères, tant et à faire.

3 Novembre 1937?
Traduction: Nicole Reda-Euvremer. César Vallejo, Poésie complète 1919-1937. Flammarion, 2009.

Je n’ai retrouvé pour le moment que le début du poème traduit par Claude Esteban.

Les neuf monstres

Et, malheureusement la douleur
s’accroît à chaque instant parmi les choses,
à trente minutes par seconde, pas à pas,
et la nature de la douleur, c’est la douleur deux fois
et la condition du martyre, vorace, carnivore
c’est la douleur deux fois
et la fonction de l’herbe la plus pure, douleur deux fois
et le bien-être, nous blesser doublement.

Jamais, hommes humains,
il n’y eut tant de douleur dans la poitrine, au revers du veston, au portefeuille,
dans le verre, la boucherie, l’arithmétique!
jamais tant de tendresse douloureuse
jamais si près l’assaut du si lointain,
jamais le feu
n’a mieux tenu son rôle de froid mort!

(Traduction Claude Esteban) Poèmes humains in Claude Esteban, Poèmes parallèles, Galilée, 1980.

Claude Esteban (El Mundo)

Leonardo Padura – Alejo Carpentier

Herejes (éd. Tusquets, Barcelone, 2013 ). Traduction française: Hérétiques. septembre 2014 chez Métailié).

J’ai enfin terminé ce gros roman de Leonardo Padura (528 pages) qui m’attendait depuis quelques années. J’avais déjà lu les autres livres dont le héros est l’alter ego de l’auteur, Mario Conde. Les premières aventures de cet ancien policier, qui vit maintenant encore plus chichement de la vente de vieux livres, étaient courtes et assez dynamiques. Ce livre est long et trop ambitieux. La recherche des origines d’un portrait peint par Rembrandt au XVIIe siècle nous mène à Amsterdam, tandis que l’épilogue nous transporte vers les persécutions antisémites de la même époque en Pologne. L’oeuvre se présente comme un plaidoyer pour la liberté d’expression et de création et un hommage aux hérétiques et aux déviants.

Le modèle de Padura est le plus grand romancier cubain Alejo Carpentier (1904-1980) auquel il a consacré un essai: Un camino de medio siglo: Alejo Carpentier y la narrativa de lo real maravilloso, Letras Cubanas, La Habana, 1994 (Fondo de Cultura Económica, México, 2002). L’auteur du Siglo de las Luces (1962) est d’ailleurs précisément cité:

“Pero ahora, sin tener a quien confiarse, Esteban seguía preso con toda una ciudad, con todo un país, por cárcel. Y ese país tenía tales espesores de selva en La Tierra Firme que sólo el mar era puerta, y esa puerta estaba cerrada con enormes llaves de papel, que eran las peores. Asistíase en esta época a una multiplicación, a una universal proliferación de papeles, cubiertos de cuños, sellos, firmas y contrafirmas, cuyos nombres agotaban los sinónimos de «permiso», «salvoconducto», «pasaporte» y cuantos vocablos pudiesen significar una autorización para moverse de un país a otro, de una comarca a otra, a veces de una ciudad a otra. Los almojarifes, diezmeros, portazgueros, alcabaleros y aduaneros de otros tiempos quedaban apenas en pintoresco anuncio de la mesnada policial y política que ahora se aplicaba, en todas partes -unos por temor a la Revolución, otros por temor a la contrarrevolución- a coartar la libertad del hombre, en cuanto se refería a su primordial, fecunda, creadora posibilidad de moverse sobre la superficie del planeta que le hubiese tocado en suerte habitar. Esteban se exasperaba, pataleaba de furor, al pensar que el ser humano, renegando de un nomadismo ancestral, tuviese que someter su soberana voluntad de traslado a un papel. «Decididamente – pensaba – no he nacido para ser lo que hoy se entiende por un buen ciudadano…» (page 241. Seix Barral. Biblioteca Formentor)

Leonardo Padura, Premio Princesa de Asturias de las Letras 2015, a du mal à soutenir la comparaison avec son aîné qui subjuguait par sa virtuosité baroque (surabondance d’adjectifs, longues descriptions, digressions nombreuses). Il faut le relire. Je vais rechercher aussi la traduction française René L.-F. Durand. Première édition chez Gallimard en 1962. Collection Folio (n° 981) en 1977.

Alejo Carpentier. Premio Cervantes 1978.

Federico García Lorca – Isaac Albéniz

Federico García Lorca.

Au cimetière de Montjuich de Barcelone, le 14 décembre 1935, à l’occasion de l’inauguration, sur la tombe du musicien Isaac Albéniz (1860-1909), d’une sculpture de Florencio Quirán, Federico García Lorca lit le sonnet Epitafio a Isaac Albéniz qui fut publié à l’époque dans un journal du soir de Barcelone (Día Gráfico du 15 décembre 1935). Margarita Xirgu (1888-1969), la grande actrice de théâtre de l’époque, participe aussi à l’événement.

Epitafio a Isaac Albéniz

Esta piedra que vemos levantada
sobre hierbas de muerte y barro oscuro
guarda lira de sombra, sol maduro,
urna de canto sola y derramada.

Desde la sal de Cádiz a Granada,
que erige en agua su perpetuo muro,
en caballo andaluz de acento duro
tu sombra gime por la luz dorada.

¡Oh dulce muerto de pequeña mano!
¡Oh música y bondad entretejida!
¡Oh pupila de azor, corazón sano!

Duerme cielo sin fin, nieve tendida.
Sueña invierno de lumbre, gris verano.
¡Duerme en olvido de tu vieja vida!

Épitaphe pour Isaac Albéniz

Ce marbre maintenant que nous voyons dressé
sur les herbes de mort et le limon obscur
garde une lyre d’ombre avec un soleil mûr,
une urne solitaire de chants renversée.

Des salins de Cadix à Grenade enfermée
dans ses eaux qui lui font un perpétuel mur,
un cheval andalou incarne en fière allure
ton ombre qui soupire après le jour doré.

O doux musicien mort dont les petites mains
savaient entretisser bonté et harmonie,
pupille d’épervier, coeur parfaitement sain!

Dors, neige répandue, dors ton ciel infini.
Été décoloré, songe aux flambées d’hiver
et perds le souvenir de notre ancienne vie!

Poésies III. Sonnets et derniers poèmes. NRF. Poésie/Gallimard. Traduction: André Belamich.

https://www.youtube.com/watch?v=D_sOejOJZs0 Isaac Albéniz. Tango op.165 N°2 (André Quesne)

Retrato de Isaac Albéniz (Ramón Casas). 1894.

Luis Cernuda

Luis Cernuda (Gregorio Prieto), 1939.

Luis Cernuda, poète espagnol, républicain et homosexuel, de la Génération de 1927, est né le 21 septembre 1902 à Séville. Exilé en 1938 au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et enfin au Mexique, il est mort sans revoir son pays le 5 novembre 1963 à Mexico. Il avait 61 ans.

He venido para ver

He venido para ver semblantes
Amables como viejas escobas,
He venido para ver las sombras
Que desde lejos me sonríen.

He venido para ver los muros
En el suelo o en pie indistintamente,
He venido para ver las cosas,
Las cosas soñolientas por aquí.

He venido para ver los mares
Dormidos en cestillo italiano,
He venido para ver las puertas,
El trabajo, los tejados, las virtudes
De color amarillo ya caduco.

He venido para ver la muerte
Y su graciosa red de cazar mariposas,
He venido para esperarte
Con los brazos un tanto en el aire,
He venido no sé por qué;
Un día abrí los ojos: he venido.

Por ello quiero saludar sin insistencia
A tantas cosas más que amables:
Los amigos de color celeste,
Los días de color variable,
La libertad del color de mis ojos;

Los niñitos de seda tan clara,
Los entierros aburridos como piedras,
La seguridad, ese insecto
Que anida en los volantes de la luz.

Adiós, dulces amantes invisibles,
Siento no haber dormido en vuestros brazos.
Vine por esos besos solamente;
Guardad los labios por si vuelvo.

29 de abril de 1931. Poème publié pour la première fois dans la célèbre anthologie de Gerardo Diego: Poesía española: antología 1915-1931. Madrid, 1932.
Los placeres prohibidos, 1931. Ce recueil de Luis Cernuda ne sera publié que dans La realidad y el deseo, 1936.

Je suis venu pour voir

Je suis venu pour voir les têtes
Aimables comme un vieux balai,
Je suis venu pour voir les ombres
Qui me sourient dans le lointain.

Je suis venu pour voir les murs
Qui s’élèvent ou s’effondrent, peu importe,
Je suis venu pour voir les choses,
La rêverie des choses qui nous entourent.

Je suis venu pour voir les mers
Bercées dans leur ronde nacelle,
Je suis venu pour voir les portes,
Le travail, les toitures, les vertus
À la robe jaunie, déjà fanée.

Je suis venu pour voir la mort
Et son divertissant filet de papillons,
Je suis venu pour t’attendre,
Les bras tant soit peu écartés,
Je suis venu qui sait pourquoi;
Un jour, j’ouvris les yeux: je suis venu.

C’est pourquoi, je veux saluer sans insistance
Tant et tant de choses aimables:
Les amis de couleur bleu ciel,
Les jours aux couleurs changeantes,
La liberté aux couleurs de mes yeux;

Les garçonnets de soie si claire,
Les enterrements ennuyeux comme la pierre,
La sécurité, cet insecte
Qui niche au creux des plis de la lumière.

Adieu, mes tendres amants invisibles,
Que n’ai-je pu dormir entre vos bras.
Je ne suis venu que pour vos baisers;
Gardez vos lèvres prêtes, si jamais je reviens.

Les plaisirs interdits. Presse Sorbonne Nouvelle. 2010. Traduction: Françoise ÉTIENVRE, Serge SALAÜN, Zoraida CARANDELL, Laurie-Anne LAGET, Melissa LECOINTRE.

Vicent Andrés Estellés

Statue de Vicent Andrés Estellés (Teresa Cháfer) . Burjassot (Communauté de Valence). Plaza Emilio Castelar.

Vicent Andrés Estellés est né le 4 septembre 1924 à Burjassot (Communauté de Valence). Il est issu d’un milieu modeste, ses parents sont boulangers. Son père, analphabète, veut que son fils étudie. Vicent Andrés Estellés fera des études de journalisme dans le Madrid de l’après-guerre.  Á partir de 1948, il collabore au journal Las Provincias, dont il deviendra le rédacteur en chef. Il est mort à Valence à 68 ans le 27 mars 1993. Ce poète espagnol, d’expression valencienne,  a été chanté par Ovidi Montllor, Maria del Mar Bonet, Raimon entre autres. D’après Joan Fuster, c’est « le meilleur poète valencien des trois derniers siècles, un nouvel Ausiàs March du XXe siècle ».

Els amants

La carn vol carn (Ausiàs March)

No hi havia a València dos amants com nosaltres.

Feroçment ens amàvem des del matí a la nit.
Tot ho recorde mentre vas estenent la roba.
Han passat anys, molts anys; han passat moltes coses.
De sobta encara em pren aquell vent o l’amor
i rodolem per terra entre abraços i besos.
No comprenem l’amor com un costum amable,
com un costum pacífic de compliment i teles.
Es desperta, de sobta, com un vell huracà,
i ens tomba en terra els dos, ens ajunta, ens empeny.
Jo desitjava, a voltes, un amor educat
i en marxa el tocadiscos, negligentment besant-te,
ara un muscle i després el peçó d’una orella.
El nostre amor és un amor brusc i salvatge,
i tenim l’enyorança amarga de la terra,
d’anar a rebolcons entre besos i arraps.
Què voleu que hi faça! Elemental, ja ho sé.
Ignorem el Petrarca i ignorem moltes coses.
Les Estances de Riba i les “Rimas” de Bécquer.
Després, tombats en terra de qualsevol manera,
comprenem que som bàrbars, i que això no deu ser,
que no estem en l’edat, i tot això i allò.

No hi havia a València dos amants com nosaltres,
car d’amants com nosaltres en són parits ben pocs

Llibre de les meravelles, 1956-58, publié en 1971.

Les amants

La chair convoite la chair (Ausiàs March)

Il n’y avait pas à Valence deux amants comme nous.

Nous nous aimions férocement du matin au soir.
Je me souviens de tout cela pendant que tu étends le linge.
Des années ont passé, beaucoup d’années; il s’est passé beaucoup de choses.
Soudain aujourd’hui encore le vent de jadis ou l’amour m’envahissent
et nous roulons par terre dans l’étreinte et les baisers.
Nous n’entendons pas l’amour comme une coutume aimable,
comme une habitude pacifique faite d’obligations et de beau linge
( et que le chaste M. López-Picó nous en excuse ).
Il s’eveille en nous, soudain, comme un vieil ouragan,
et il nous fait tomber tous deux par terre, nous rapproche, nous pousse.
Je souhaitais, parfois, un amour bien poli
et le tourne-disques en marche, et moi qui t’embrasse négligemment,
d’abord l’épaule et ensuite le lobe d’une oreille.
Notre amour est un amour brusque et sauvage,
et nous avons la nostalgie amère de la terre,
de nous rouler dans les baisers et les coups d’ongles.
Que voulez-vous que j’y fasse. Elémentaire, je sais.
Nous ignorons Petrarque et nous ignorons beaucoup de choses.
Les Estances de Riba et les Rimas de Becquer.
Après affalés par terre n’importe comment,
rous comprenons que nous sommes des barbares, et que ce ne sont pas des manières,
que nous n’avons plus l’âge, et ceci et cela.

Il n’y avait pas à Valence deux amants comme nous,
Car des amants comme nous on n’en fait pas tous les jours.

Livres des merveilles. Beuvry. Maison de la Poésie Nord. Pas-de-Calais, 2004.

Poème publié aussi sur ce blog le 27 mars 2018.

Pablo Neruda – Septiembre II

Pablo Neruda.

Oda a septiembre

Mes de banderas,
mes seco, mes
mojado,
con quince días verdes,
con quince días rojos,
a medio cuerpo
te sale humo
del techo,
después
abres de golpe las ventanas,
mes en que sale al sol
la flor de invierno
y moja una vez más
su pequeña
corola temeraria,
mes cruzado por mil
flechas de lluvia
y por mil
lanzas de sol quemante,
septiembre,
para que bailes,
la tierra
pone bajo tus pies
la hierba festival
de sus alfombras
y en tu cabeza
un arcoiris loco,
una cinta celeste
de guitarra.

Baila, septiembre, baila
con los pies de la patria,
canta, septiembre, canta
con la voz
de los pobres:
otros
meses
son largos
y desnudos,
otros
son amarillos,
otros van a caballo hacia la guerra,
tú, septiembre,
eres un viento, un rapto,
una nave de vino.

Baila
en las calles,
baila
con mi pueblo,
baila con Chile, con
la primavera,
corónate
de pámpanos copiosos
y de pescado frito.
Saca del arca
tus
banderas
desgreñadas,
saca de tu suburbio
una camisa,
de tu mina
enlutada
un par
de rosas,
de tu abandono
una canción florida,
de tu pecho que lucha
una guitarra,
y lo demás
el sol,
el cielo puro
de la primavera,
la patria lo adelanta
para que algo
te suene en los bolsillos:
la esperanza.

Nuevas odas elementales, 1956.

Pablo Neruda – Septiembre I

Valparaíso (Chile). Pablo Neruda. Mural.

Oda a las alas de septiembre

He visto entrar a todos los tejados
las tijeras del cielo:
van y vienen y cortan transparencia:
nadie se quedará sin golondrinas.

Aquí era todo
ropa, el aire espeso
como frazada y un vapor del sal
nos empapó el otoño
y nos acurrucó contra la leña.

En la costa del Valparaíso,
hacía el sur de la Planta Ballenera:
allí todo el invierno se sostuvo
intransferible con su cielo amargo.

Hasta que hoy al salir
volaba el vuelo,
no paré mientes al principio, anduve
aún entumido, con dolor de frío,
y allí estaba volando,
allí volvía
la primavera a repartir el cielo.

Golondrinas de agosto y de la costa,
tajantes, disparadas
en el primer azul,
saetas de aroma:
de pronto respiré las acrobacias
y comprendí que aquello
era la luz que volvía a la tierra,
las proezas del polen en el vuelo,
y la velocidad volvía a mi sangre.
Volví a ser piedra de la primavera.

Buenos días, señores golondrinas
o señoritas o alas o tijeras,
buenos días al vuelo del cielo
que volvió a mi tejado:
he comprendido al fin
que las primeras flores
son plumas de septiembre.

Navegaciones y regresos, 1959.

Federico García Lorca

Federico García Lorca.

Le 18 août 1936, il y a 84 ans, dans le ravin de Viznar, près de Grenade, était assassiné par les franquistes le poète Federico García Lorca.

Gacela de la Muerte Oscura

Quiero dormir el sueño de las manzanas
alejarme del tumulto de los cementerios.
Quiero dormir el sueño de aquel niño
que quería cortarse el corazón en alta mar.

No quiero que me repitan que los muertos no pierden la sangre;
que la boca podrida sigue pidiendo agua.
No quiero enterarme de los martirios que da la hierba,
ni de la luna con boca de serpiente
que trabaja antes del amanecer.

Quiero dormir un rato,
un rato, un minuto, un siglo;
pero que todos sepan que no he muerto;
que haya un establo de oro en mis labios;
que soy un pequeño amigo del viento Oeste;
que soy la sombra inmensa de mis lágrimas.

Cúbreme por la aurora con un velo,
porque me arrojará puñados de hormigas,
y moja con agua dura mis zapatos
para que resbale la pinza de su alacrán.

Porque quiero dormir el sueño de las manzanas
para aprender un llanto que me limpie de tierra;
porque quiero vivir con aquel niño oscuro
que quería cortarse el corazón en alta mar.

Publicada en febrero de 1936. Revista Floresta de Prosa y Verso, n°2. Diván del Tamarit. Primera edición completa en la Revista Hispánica Moderna (Nueva York), 1940.

«Gacela» de la Mort Obscure

Je veux dormir le sommeil des pommes,
Et m’éloigner du tumulte des cimetières.
Je veux dormir le sommeil de cet enfant
Qui voulait s’arracher le coeur en pleine mer.

Je ne veux pas que l’on me répète que les morts ne perdent pas leur sang;
Que la bouche pourrie demande encor de l’eau.
Je ne veux rien savoir des martyres que donne l’herbe,
Ni de la lune avec sa bouche de serpent
Qui travaille avant que l’aube naisse.

Je veux dormir un instant,
Un instant, une minute, un siècle;
Mais que tous sachent bien que je ne suis pas mort;
Qu’il y a sur mes lèvres une étable d’or;
Que je suis le petit ami du vent d’ouest;
Que je suis l’ombre immense de mes larmes.

Couvre-moi d’un voile dans l’aurore,
Car elle me lancera des poignées de fourmis,
Et mouille d’une eau dure mes souliers
Afin que glisse la pince de son scorpion.

Car je veux dormir le sommeil des pommes
Pour apprendre un sanglot qui de la terre me nettoie;
Car je veux vivre avec cet enfant obscur
Qui voulait s’arracher le coeur en pleine mer.

Traduction: Claude Couffon. Bernard Sesé.