Miguel de Cervantes

Dictionnaire Cervantès, de Jean Canavaggio, Bartillat, 574 p., 28 €.

Dictionnaire Cervantès, de Jean Canavaggio : une obsédante présence. (Roger Chartier Le Monde 24 octobre 2021)

“Il est plusieurs manières de lire les 132 entrées de ce dictionnaire. « A sauts et à gambades », comme disait Montaigne, en laissant le hasard guider la traversée du livre, ou bien en recomposant les pièces dispersées de la mosaïque. Un premier parcours peut ainsi mener des lieux des vies de Cervantès à la société de son temps, celle de l’Inquisition, des nouveaux chrétiens persécutés, des Morisques expulsés. On y rencontrera les membres de sa famille, ses protecteurs ou ses contemporains (et, parmi eux, l’ennemi juré, Lope de Vega). Une autre voie est celle des lectures, tant celles de Cervantès, autant qu’on puisse les identifier à partir des œuvres elles-mêmes, que celles de ses très nombreux lecteurs, écrivains (Tourgueniev, Flaubert, Kafka, Borges ou Rushdie), philosophes (Ortega y Gasset, Unamuno, Foucault) ou psychanalystes (Freud, Helene Deutsch, Marthe Robert).”

Jean Canavaggio , professeur émérite de l’Université de Paris Ouest Nanterre, directeur de la Casa de Velázquez de 1996 à 2001, a aussi publié une biographie de Cervantès en 1986 (Cervantès, Paris, Mazarine) que j’ai lue en son temps. Une édition revue et augmentée est parue chez Fayard en 1997. Elle a été traduite en espagnol en 1991 chez Espasa : Cervantes. En busca del perfil perdido.

Je lis tous les soirs 3 ou 4 entrées de ce dictionnaire. J’en suis presque arrivé au bout. J’apprends beaucoup de choses et des souvenirs me reviennent en mémoire. Je me rappelle ma première lecture de L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche en 1972 dans l’assez mauvaise édition Austral de Espasa-Calpe. Cette collection a joué chez les jeunes espagnols de ma génération le même rôle que Le livre de Poche en France dans les années 50 et 60. J’étais étudiant à l’Institut Hispanique et surveillant d’externat au lycée de Montgeron, où j’avais été élève de 1965 à 1969. J’étais assis dans la bibliothèque et terminais la lecture du roman. Le dernier chapitre m’a particulièrement marqué : guérison, conversion, réforme et bonne mort de don Quichotte.

Lycée de Montgeron. Le Château. Le Pigeonnier.

Deuxième partie, chapitre 74 :

« -¡Ay! –respondió Sancho, llorando-: No se muera vuestra merced, señor mío, sino tome mi consejo, y viva muchos años; porque la mayor locura que puede hacer un hombre en esta vida es dejarse morir, sin más ni más, sin que nadie le mate, ni otras manos le acaben que las de la melancolía.

« – Hélas ! Hélas ! répondit Sancho en sanglotant, ne mourez pas, mon bon seigneur, mais suivez mon conseil, et vivez encore bien des années ; car la plus grande folie que puisse faire un homme en cette vie, c’est de se laisser mourir tout bonnement sans que personne le tue, ni sous d’autres coups que ceux de la tristesse. »

« – Señores –dijo don Quijote-, vámonos poco a poco, pues ya en los nidos de antaño no hay pájaros hogaño. Yo fui loco, y ya soy cuerdo: fue don Quijote de la Mancha, y soy agora, como he dicho, Alonso Quijano. »

« Seigneurs, reprit Don Quichotte, n’allons pas si vite, car dans les nids de l’an dernier il n’y a pas d’oiseaux cette année. J’ai été fou, et je suis raisonnable ; j’ai été Don Quichotte de la Manche, et je suis à présent Alonzo Quijano-le-Bon. »

« Hallóse el escribano presente, y dijo que nunca había leído en ningún libro de caballerías que algún caballero andante hubiese muerto en su lecho tan sosegadamente y tan cristiano como don Quijote; el cual, entre compasiones y lágrimas de los que allí se hallaron, dio su espíritu, quiero decir que se murió. »

« Le notaire se trouva présent, et il affirma qu’il n’avait jamais lu dans aucun livre de chevalerie qu’aucun chevalier errant fût mort dans son lit avec autant de calme et aussi chrétiennement que Don Quichotte. Celui-ci, au milieu de la douleur et des larmes de ceux qui l’assistaient, rendit l’esprit je veux dire qu’il mourut. »

L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche. Traduction : Louis Viardot. J.-J. Dubochet, 1837

Don Quichotte et la mule morte (Honoré Daumier) 1867. Paris, Musée d’Orsay.

Miguel de Cervantes

Alcalá de Henares. Museo Casa Natal de Cervantes. Calle Mayor, 48. Don Qujote y Sancho Panza (Pedro Requejo Novoa).

L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche. Deuxième partie. Traduction Louis Viardot. 1836.

CHAPITRE LVIII.

Comment tant d’aventures vinrent à pleuvoir sur Don Quichotte, qu’elles ne se donnaient point de relâche les unes aux autres.

” Quand Don Quichotte se vit en rase campagne, libre et débarrassé des poursuites amoureuses d’Altisidore, il lui sembla qu’il était dans son centre, et que les esprits vitaux se renouvelaient en lui pour continuer et poursuivre son œuvre de chevalerie. Il se tourna vers Sancho, et lui dit:
– La liberté, Sancho, est un des dons les plus précieux que le ciel ait faits aux hommes. Rien ne l’égale, ni les trésors que la terre enferme en son sein, ni ceux que la mer recèle en ses abîmes. Pour la liberté, aussi bien que pour l’honneur, on peut et l’on doit aventurer la vie; au contraire, l’esclavage est le plus grand mal qui puisse atteindre les hommes. Je te dis cela, Sancho, parce que tu as bien vu l’abondance et les délices dont nous jouissions dans ce château que nous venons de quitter. Eh bien! au milieu de ces mets exquis et de ces boissons glacées, il me semblait que j’avais à souffrir les misères de la faim, parce que je n’en jouissais pas avec la même liberté que s’ils m’eussent appartenu; car l’obligation de reconnaître les bienfaits et les grâces qu’on reçoit sont comme des entraves qui ne laissent pas l’esprit s’exercer librement. Heureux celui à qui le ciel donne un morceau de pain sans qu’il soit tenu d’en savoir gré à d’autres qu’au ciel même!”

El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha II . Segunda parte. 1615.

CAPÍTULO LVIII

Que trata de cómo menudearon sobre don Quijote aventuras tantas, que no se daban vagar unas a otras

” Cuando don Quijote se vio en la campaña rasa, libre y desembarazado de los requiebros de Altisidora, le pareció que estaba en su centro y que los espíritus se le renovaban para proseguir de nuevo el asumpto de sus caballerías, y volviéndose a Sancho le dijo: – La libertad, Sancho, es uno de los más preciosos dones que a los hombres dieron los cielos; con ella no pueden igualarse los tesoros que encierra la tierra ni el mar encubre; por la libertad así como por la honra se puede y debe aventurar la vida, y, por el contrario, el cautiverio es el mayor mal que puede venir a los hombres. Digo esto, Sancho, porque bien has visto el regalo, la abundancia que en este castillo que dejamos hemos tenido; pues en mitad de aquellos banquetes sazonados y de aquellas bebidas de nieve me parecía a mí que estaba metido entre las estrechezas de la hambre, porque no lo gozaba con la libertad que lo gozara si fueran míos, que las obligaciones de las recompensas de los beneficios y mercedes recebidas son ataduras que no dejan campear al ánimo libre. ¡Venturoso aquel a quien el cielo dio un pedazo de pan sin que le quede obligación de agradecerlo a otro que al mismo cielo!”

Madrid. Calle Atocha, 87. Placa colocada con motivo del tercer centenario del Quijote. Lugar donde estaba la imprenta donde se imprimió la primera parte de Don Qujote. 1604-1605.

Miguel de Cervantes

Encuentro de Sancho Panza con el Rucio (José Moreno Carbonero 1860-1942) v 1894. Madrid, Museo del Prado.

Miguel de Cervantes, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha II Capítulo XLIII. De los consejos segundos que dio don Quijote a Sancho Panza.

” – En lo que toca a cómo has de gobernar tu persona y casa, Sancho, lo primero que te encargo es que seas limpio, y que te cortes las uñas, sin dejarlas crecer, como algunos hacen, a quien su ignorancia les ha dado a entender que las uñas largas les hermosean las manos, como si aquel escremento y añadidura que se dejan de cortar fuese uña, siendo antes garras de cernícalo lagartijero: puerco y extraordinario abuso. No andes, Sancho, desceñido y flojo, que el vestido descompuesto da indicios de ánimo desmazalado, si ya la descompostura y flojedad no cae debajo de socarronería, como se juzgó en la de Julio César. Toma con discreción el pulso a lo que pudiere valer tu oficio, y si sufriere que des librea a tus criados, dásela honesta y provechosa más que vistosa y bizarra, y repártela entre tus criados y los pobres: quiero decir que si has de vestir seis pajes, viste tres y otros tres pobres, y así tendrás pajes para el cielo y para el suelo; y este nuevo modo de dar librea no la alcanzan los vanagloriosos. No comas ajos ni cebollas, porque no saquen por el olor tu villanería. Anda despacio; habla con reposo, pero no de manera que parezca que te escuchas a ti mismo, que toda afectación es mala. Come poco y cena más poco, que la salud de todo el cuerpo se fragua en la oficina del estómago. Sé templado en el beber, considerando que el vino demasiado ni guarda secreto ni cumple palabra. Ten cuenta, Sancho, de no mascar a dos carrillos, ni de erutar delante de nadie.»

«En ce qui touche la manière dont tu dois gouverner ta personne et ta maison, Sancho, la première chose que je te recommande, c’est d’être propre et de te couper les ongles, au lieu de les laisser pousser, ainsi que certaines personnes, qui s’imaginent, dans leur ignorance, que de grands ongles embellissent les mains; comme si cette allonge qu’ils se gardent bien de couper pouvait s’appeler ongle, tandis que ce sont des griffes d’éperviers: sale et révoltant abus. Ne parais jamais, Sancho, avec les vêtements débraillés et en désordre: c’est le signe d’un esprit lâche et fainéant, à moins toutefois que cette négligence dans le vêtement ne cache une fourberie calculée, comme on le pensa de Jules-César. Tâte avec discrétion le pouls à ton office, pour savoir ce qu’il peut rendre ; et s’il te permet de donner des livrées à tes domestiques, donne-leur-en une propre et commode, plutôt que bizarre et brillante. Surtout, partage-la entre tes valets et les pauvres; je veux dire que, si tu dois habiller six pages, tu en habilles trois, et trois pauvres. De cette façon, tu auras des pages pour la terre et pour le ciel; c’est une nouvelle manière de donner des livrées, que ne connaissent point les glorieux. Ne mange point d’ail ni d’oignon, crainte qu’on ne découvre à l’odeur ta naissance de vilain. Marche posément, parle avec lenteur, mais non cependant de manière que tu paraisses t’écouter toi-même, car toute affectation est vicieuse. Dîne peu et soupe moins encore; la santé du corps tout entier se manipule dans le laboratoire de l’estomac. Sois tempérant dans le boire, en considérant que trop de vin ne sait ni garder un secret ni tenir une parole. Fais attention, Sancho, à ne point mâcher des deux mâchoires et à n’éructer devant personne.»

Traduction Louis Viardot. 1837.

Portada de la primera edición de la Segunda parte del ingenioso caballero don Quijote de la Mancha. Madrid, Juan de la Cuesta, 1615.

Miguel de Cervantes

Portrait imaginaire de Miguel de Cervantes.

L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, Livre 2 ( Traduction Viardot 1836-37)
“—Así es verdad —replicó don Quijote—, porque no fuera acertado que los atavíos de la comedia fueran finos, sino fingidos y aparentes, como lo es la mesma comedia, con la cual quiero, Sancho, que estés bien, teniéndola en tu gracia, y por el mismo consiguiente a los que las representan y a los que las componen, porque todos son instrumentos de hacer un gran bien a la república, poniéndonos un espejo a cada paso delante, donde se veen al vivo las acciones de la vida humana, y ninguna comparación hay que más al vivo nos represente lo que somos y lo que habemos de ser como la comedia y los comediantes; si no, dime: ¿no has visto tú representar alguna comedia adonde se introducen reyes, emperadores y pontífices, caballeros, damas y otros diversos personajes? Uno hace el rufián, otro el embustero, este el mercader, aquel el soldado, otro el simple discreto, otro el enamorado simple; y acabada la comedia y desnudándose de los vestidos della, quedan todos los recitantes iguales.
—Sí he visto —respondió Sancho.
—Pues lo mesmo —dijo don Quijote— acontece en la comedia y trato deste mundo, donde unos hacen los emperadores, otros los pontífices, y finalmente todas cuantas figuras se pueden introducir en una comedia; pero en llegando al fin, que es cuando se acaba la vida, a todos les quita la muerte las ropas que los diferenciaban, y quedan iguales en la sepultura.
—Brava comparación —dijo Sancho—, aunque no tan nueva, que yo no la haya oído muchas y diversas veces, como aquella del juego del ajedrez, que mientras dura el juego cada pieza tiene su particular oficio, y en acabándose el juego todas se mezclan, juntan y barajan, y dan con ellas en una bolsa, que es como dar con la vida en la sepultura.”

« Cela est vrai, répliqua Don Quichotte, car il ne conviendrait pas que les ajustements de la comédie fussent de fine matière; ils doivent être, comme elle-même, simulés et de simple apparence. Quant à la comédie, je veux, Sancho, que tu la prennes en affection, ainsi que ceux qui représentent les pièces, et ceux qui les composent: car ils servent tous grandement au bien de la république, en nous offrant à chaque pas un miroir où se voient au naturel les actions de la vie humaine. Aucune comparaison ne saurait en effet nous retracer plus au vif ce que nous sommes et ce que nous devrions être, que la comédie et les comédiens. Sinon, dis-moi, n’as-tu pas vu jouer quelque pièce où l’on introduit des rois, des empereurs, des pontifes, des chevaliers, des dames, et d’autres personnages divers: l’un fait le fanfaron, l’autre le trompeur, celui-ci le soldat, celui-là le marchand, cet autre le benêt sensé, cet autre encore l’amoureux benêt; et quand la comédie finit, quand ils quittent leurs costumes, tous les acteurs redeviennent égaux dans les coulisses.
– Oui, j’ai vu cela, répondit Sancho. – Eh bien, reprit Don Quichotte, la même chose arrive dans la comédie de ce monde, où les uns font les empereurs, d’autres les pontifes, et finalement autant de personnages qu’on en peut introduire dans une comédie. Mais quand ils arrivent à la fin de la pièce, c’est-à-dire quand la vie finit, la mort leur ôte à tous les oripeaux qui faisaient leur différence, et tous redeviennent égaux dans la sépulture.
— Fameuse comparaison! s’écria Sancho, quoique pas si nouvelle que je ne l’aie entendu faire des fois, comme cette autre du jeu des échecs: tant que le jeu dure, chaque pièce a sa destination particulière; mais quand il finit, on les mêle, on les secoue, on les bouleverse et on les jette enfin dans une bourse, ce qui est comme si on les jetait de la vie dans la sépulture.»

Don Quichotte et la mule morte. 1867. Paris, Orsay.

Merci Manuel de m’avoir rappelé ce texte.

La Edad de Oro (L’ Age d’Or) Don Quijote

Don Quichotte v 1868 Munich Neue Pinakothek

DISCURSO DE LA EDAD DE ORO: Primera parte, capítulo XI.
(Don Quijote De la Mancha, Miguel de Cervantes)

“Después que don Quijote hubo bien satisfecho su estómago, tomó un puño de bellotas en la mano y, mirándolas atentamente, soltó la voz a semejantes razones:
– Dichosa edad y siglos dichosos aquellos a quien los antiguos pusieron nombre de dorados, y no porque en ellos el oro, que en esta nuestra edad de hierro tanto se estima, se alcanzase en aquella venturosa sin fatiga alguna, sino porque entonces los que en ella vivían ignoraban estas dos palabras de tuyo y mío. Eran en aquella santa edad todas las cosas comunes: a nadie le era necesario para alcanzar su ordinario sustento tomar otro trabajo que alzar la mano y alcanzarle de las robustas encinas, que liberalmente les estaban convidando con su dulce y sazonado fruto. Las claras fuentes y corrientes ríos, en magnífica abundancia, sabrosas y transparentes aguas les ofrecían. En las quiebras de las peñas y en lo hueco de los árboles formaban su república las solícitas y discretas abejas, ofreciendo a cualquiera mano, sin interés alguno, la fértil cosecha de su dulcísimo trabajo. Los valientes alcornoques despedían de sí, sin otro artificio que el de su cortesía, sus anchas y livianas cortezas, con que se comenzaron a cubrir las casas, sobre rústicas estacas sustentadas, no más que para defensa de las inclemencias del cielo. Todo era paz entonces, todo amistad, todo concordia: aún no se había atrevido la pesada reja del corvo arado a abrir ni visitar las entrañas piadosas de nuestra primera madre; que ella sin ser forzada ofrecía, por todas las partes de su fértil y espacioso seno, lo que pudiese hartar, sustentar y deleitar a los hijos que entonces la poseían. Entonces sí que andaban las simples y hermosas zagalejas de valle en valle y de otero en otero, en trenza y en cabello, sin más vestidos de aquellos que eran menester para cubrir honestamente lo que la honestidad quiere y ha querido siempre que se cubra, y no eran sus adornos de los que ahora se usan, a quien la púrpura de Tiro y la por tantos modos martirizada seda encarecen, sino de algunas hojas verdes de lampazos y yedra entretejidas, con lo que quizá iban tan pomposas y compuestas como van agora nuestras cortesanas con las raras y peregrinas invenciones que la curiosidad ociosa les ha mostrado. Entonces se decoraban los concetos amorosos del alma simple y sencillamente, del mesmo modo y manera que ella los concebía, sin buscar artificioso rodeo de palabras para encarecerlos. No había la fraude, el engaño ni la malicia mezcládose con la verdad y llaneza. La justicia se estaba en sus proprios términos, sin que la osasen turbar ni ofender los del favor y los del interese, que tanto ahora la menoscaban, turban y persiguen. La ley del encaje aún no se había sentado en el entendimiento del juez, porque entonces no había qué juzgar ni quién fuese juzgado. Las doncellas y la honestidad andaban, como tengo dicho, por dondequiera, sola y señera, sin temor que la ajena desenvoltura y lascivo intento le menoscabasen, y su perdición nacía de su gusto y propia voluntad. Y agora, en estos nuestros detestables siglos, no está segura ninguna, aunque la oculte y cierre otro nuevo laberinto como el de Creta; porque allí, por los resquicios o por el aire, con el celo de la maldita solicitud, se les entra la amorosa pestilencia y les hace dar con todo su recogimiento al traste. Para cuya seguridad, andando más los tiempos y creciendo más la malicia, se instituyó la orden de los caballeros andantes, para defender las doncellas, amparar las viudas y socorrer a los huérfanos y a los menesterosos. Desta orden soy yo, hermanos cabreros, a quien agradezco el gasaje y buen acogimiento que hacéis a mí y a mi escudero. Que aunque por ley natural están todos los que viven obligados a favorecer a los caballeros andantes, todavía, por saber que sin saber vosotros esta obligación me acogistes y regalastes, es razón que, con la voluntad a mí posible, os agradezca la vuestra.”

Une partie traduite en français par Aline Schulman (Le Seuil, Collection Points)
“Heureuse époque, siècles bénis que les Anciens ont nommés l’âge d’or ! Et non point parce que ce métal, tant estimé en ce siècle de fer qu’est le nôtre, se trouvait facilement, mais parce que ceux qui vivaient alors ignoraient le sens de ces deux mots: tien et mien. En ces temps bénis, tout était commun à tous. Pour trouver sa nourriture, il suffisait à l’homme de lever la main pour cueillir le fruit doux et savoureux que le chêne robuste lui tendait gracieusement. Les sources claires, les rivières rapides lui offraient, dans une généreuse abondance, une eau transparente et pure. Aux fentes des rochers, aux creux des troncs, s’établissaient les abeilles laborieuses, abandonnant au premier venu, sans rien exiger en retour, leur fertile et délicieuse récolte. Le chêne-liège se dépouillait, sans autre incitation que la courtoisie, de son écorce légère ; c’est elle qui servit à couvrir les premières cabanes, érigées sur des pieux grossièrement taillés, pour que l’homme pût se défendre des inclémences du ciel. Tout n’était que paix, harmonie et concorde. Le soc pesant et courbe de la charrue n’osait encore ouvrir et fouiller les entrailles bienfaisantes de notre mère originelle, qui, sans y être forcée, offrait toutes les ressources de son sein vaste et fécond pour satisfaire, pour nourrir, pour réjouir ses enfants. Alors les chastes et jolies bergères s’en allaient de vallée en vallée et de colline en colline, cheveux au vent, juste assez vêtues pour couvrir ce que la pudeur exige, et a toujours exigé, que l’on tienne couvert. Elles ne cherchaient pas comme aujourd’hui à rehausser leurs toilettes de pourpre de Tyr, de soie ou de brocart, mais de feuilles vertes de bardane entrelacées à du lierre ; et elles étaient sans doute tout aussi richement et élégamment parées que le sont nos dames de cour avec ces étranges artifices que leur suggèrent l’oisiveté et la coquetterie.

Alors, les sentiments amoureux s’exprimaient aussi simplement que l’âme les avait conçus : nul tour recherché, nul embellissement superflu. La vérité et la sincérité n’avaient à craindre ni la fraude, ni la fourberie, ni la malice. La justice remplissait sa fonction, sans être menacée par l’intérêt et la faveur qui la persécutent et la déshonorent si fréquemment de nos jours. Les juges ne se laissaient point guider par la loi du bon plaisir, car il n’y avait alors rien ni personne à juger. Les jeunes filles et l’innocence marchaient de compagnie, la tête haute, comme je l’ai dit plus haut, sans avoir à redouter les assauts de l’effronté ni l’audace du lascif ; et elles ne pouvaient imputer leur perte qu’à leur propre vouloir et à leur seul désir.”