Guy de Maupassant

Guy de Maupassant (Félix Nadar) 1888.

Temples grecs
Rien de moins dangereux aujourd’hui que de parcourir cette Sicile redoutée, soit en voiture, soit à cheval, soit même à pied. Toutes les excursions les plus intéressantes, d’ailleurs, peuvent être accomplies presque entièrement en voiture. La première à faire est celle du temple de Ségeste.
Tant de poètes ont chanté la Grèce que chacun de nous en porte l’image en soi ; chacun croit la connaître un peu, chacun l’aperçoit en songe telle qu’il la désire.
Pour moi, la Sicile a réalisé ce rêve ; elle m’a montré la Grèce ; et quand je pense à cette terre si artiste, il me semble que j’aperçois de grandes montagnes aux lignes douces, au lignes classiques, et, sur les sommets, des temples, ces temples sévères, un peu lourds peut-être, mais admirablement majestueux, qu’on rencontre partout dans cette île.
Tout le monde a vu Paestum et admiré les trois ruines superbes jetées dans cette plaine nue que la mer continue au loin, et qu’enferme, de l’autre côté, un large cercle de monts bleuâtres. Mais si le temple de Neptune est plus parfaitement conservé et plus pur (on le dit) que les temples de Sicile, ceux-ci sont placés en des paysages si merveilleux, si imprévus, que rien au monde ne peut faire imaginer l’impression qu’ils laissent à l’esprit.
Quand on quitte Palerme, on trouve d’abord le vaste bois d’orangers qu’on nomme la Conque d’or ; puis le chemin de fer suit le rivage, un rivage de montagnes rousses et de rochers rouges. La voie enfin s’incline vers l’intérieur de l’île et on descend à la station d’Alcamo-Calatafimi.
Ensuite on s’en va, à travers un pays largement soulevé, comme une mer, de vagues monstrueuses et immobiles. Pas de bois, peu d’arbres, mais des vignes et des récoltes ; et la route monte entre deux lignes ininterrompues d’aloès fleuris. On dirait qu’un mot d’ordre a passé parmi eux pour leur faire pousser vers le ciel, la même année, presque au même jour, l’énorme et bizarre colonne que les poètes ont tant chantée. On suit, à perte de vue, la troupe infinie de ces plantes guerrières, épaisses, aiguës, armées et cuirassées, qui semblent porter leur drapeau de combat.
Après deux heures de route environ, on aperçoit tout à coup deux hautes montagnes, reliées par une pente douce, arrondie en croissant d’un sommet à l’autre, et, au milieu de ce croissant, le profil d’un temple grec, d’un de ces puissants et beaux monuments que le peuple divin élevait à ses dieux humains.
Il faut, par un long détour, contourner l’un de ces monts, et en découvre de nouveau le temple qui se présente alors de face. Il semble maintenant appuyé à la montagne, bien qu’un ravin profond l’en sépare ; mais elle se déploie derrière lui, et au-dessus de lui, l’enserre, l’entoure, semble l’abriter, le caresser. Et il se détache admirablement avec ses trente-six colonnes doriques, sur l’immense draperie verte qui sert de fond à l’énorme monument, debout, tout seul, dans cette campagne illimitée.
On sent, quand on voit ce paysage grandiose et simple, qu’on ne pouvait placer là qu’un temple grec, et qu’on ne pouvait le placer que là. Les maîtres décorateurs qui ont appris l’art à l’humanité, montrent, surtout en Sicile, quelle science profonde et raffinée ils avaient de l’effet et de la mise en scène. Je parlerai tout à l’heure des temples de Girgenti. Celui de Ségeste semble avoir été posé au pied de cette montagne par un homme de génie qui avait eu la révélation du point unique où il devait être élevé. Il anime, à lui seul, l’immensité du paysage ; il la fait vivante et divinement belle.
Sur le sommet du mont, dont on a suivi le pied pour aller au temple, on trouve les ruines du théâtre.
Quand on visite un pays que les Grecs ont habité ou colonisé, il suffit de chercher leurs théâtres pour trouver les plus beaux points de vue. S’ils plaçaient leurs temples juste à l’endroit où ils pouvaient donner le plus d’effet, où ils pouvaient le mieux orner l’horizon, ils plaçaient, au contraire, leurs théâtres juste à l’endroit d’où l’oeil pouvait le plus être ému par les perspectives.
Celui de Ségeste, au sommet d’une montagne, forme le centre d’un amphithéâtre de monts dont la circonférence atteint au moins cent cinquante à deux cents kilomètres. On découvre encore d’autres sommets au loin, derrière les premiers ; et, par une large baie en face de vous, la mer apparaît, bleue entre les cimes vertes.
Le lendemain du jour où l’on a vu Ségeste, on peut visiter Sélinonte, immense amas de colonnes éboulées, tombées tantôt en ligne, et côte à côte, comme des soldats morts, tantôt écroulées en chaos.
Ces ruines de temples géants, les plus vastes qui soient en Europe, emplissent une plaine entière et couvrent encore un coteau, au bout de la plaine. Elles suivent le rivage, un long rivage de sable pâle, où sont échouées quelques barques de pêche, sans qu’on puisse découvrir où habitent les pêcheurs. Cet amas informe de pierres ne peut intéresser, d’ailleurs, que les archéologues ou les âmes poétiques, émues par toutes les traces du passé. (…)
Gil Blas, 8 septembre 1885.

Temple de Ségeste (ou Temple de Héra) Fin du Ve siècle av. J.-C.

Sélinonte

Temple E.

Lors de notre voyage en Sicile et dans les Ïles Eoliennes, nous avons visité le mardi 6 juin 2017 le site de Sélinonte qui couvre 270 ha.

Cette prospère cité grecque occupait un magnifique endroit situé sur un promontoire entre grandes deux rivières aujourd’hui ensablées. Longée par la mer dans sa partie sud, elle abrite huit temples et une acropole qui se trouve au coeur de la nature (fleurs des champs, herbes aromatiques, espèce de céleri sauvage (selinon en grec) qui a donné son nom à la colonie grecque).

La ville aurait été fondée en 628 av.J.C. par des Grecs venant de Megara Hyblaea, colonie situé au nord de Syracuse. Ils étaient attirés par la fertilité de la région qui produisait en abondance le blé et l’ huile. La colonie prospéra pendant 200 ans. Lorsqu’elle s’allia avec Syracuse contre Carthage, Ségeste, sa rivale, demanda l’aide des Carthaginois et en 409 av.J.C., Hannibal de Giscon ( v 471 av. J.-C. – 406 av. J.-C.) lança son armée de plus de 100 000 hommes sur Sélinonte qui tomba en neuf jours. Environ 16 000 habitants furent massacrés et 5 000 vendus comme esclaves. 2 600 personnes se réfugièrent à Agrigente. La cité avait compté jusqu’à 30 000 habitants à son apogée.

La cité ne retrouva plus jamais sa grandeur. Elle se maintint encore vaille que vaille un siècle et demi, puis le site fut abandonné. Plus tard, les Byzantins puis les Arabes s’installèrent dans ses ruines. Les nombreux tremblements de terre achevèrent sa quasi-destruction. Elle fut redécouverte par un moine dominicain au XVI siècle. Des archéologues anglais, Samuel Angell et William Harris, firent des recherches en 1823 et mirent à jour les premières métopes. Les fouilles sont systématiques depuis 1950. Elles se poursuivent aujourd’hui.

Le site se compose de trois zones: la première, sur la colline orientale, regroupe trois temples (E,F,G); la deuxième, l’ancienne acropole en regroupe cinq (Temples A,B,C,D et O); la troisième était une enceinte sacrée où s’élevait le Santuario della Malophoros (575 av.J.C.).

Les temples E et F sont les mieux conservés. Le temple E (480-460 av.J.C.), consacré à Héra et relevé en 1958, est un temple périptère, comportant six colonnes sur sa largeur et quinze sur sa longueur. Il est allongé par la présence d’un opisthodome. Le temple F (560-540 av.J.C.) était probablement dédié à Athéna. C’est le plus petit et le plus ancien des trois temples de la colline orientale. Il est entièrement en ruine. Ses colonnes cannelées gisent au sol. Le temple G, un des plus vastes du monde grec (113 m sur 30 m de haut), était inachevé au moment de l’attaque carthaginoise comme le montrent ses colonnes non cannelées. Ses fûts atteignent un diamètre de 3,40 m. Chaque tambour pèse au moins 100 tonnes. Il n’a plus aujourd’hui qu’une colonne encore debout. Aujourd’hui, c’est un impressionnant amas de fragments et de colonnes colossales renversées. Il était peut-être dédié à Apollon ou plus vraisemblablement à Zeus Olympien.

Un sentier mène à l’acropole où s’élevaient les bâtiments publics et religieux et quelques résidences appartenant aux classes aisées. De grands remparts, de 4,50 m d’épaisseur, furent construits après l’affrontement avec les Carthaginois en 306 av.J.C. sur une centaine d’hectares. Ils devaient protéger la ville. Le temple C, avec ses douze hautes colonnes, est le plus ancien (début du VI siècle av.J.C.) et le mieux conservé. De là, proviennent les superbes métopes qui ornaient ses frises et se trouvent maintenant au Musée archéologique de Palerme.

Temple F.

Jean-Paul Michel

Sélinonte. Temple E consacré à Héra.

«Un signe nous sommes, et privé de sens…»

De Sélinonte en son Chaos se pourraient relever les pierres, mais le sens, à coup sûr, est perdu.
Les plus hautes figures d’art non plus n’échappent donc pas à la perte.
Cet avertissement est de ceux qui se peuvent mal entendre d’un vivant qui écrit.
L’oublier grèverait pourtant d’une lourde hypothèque le sérieux d’écrire, la qualité de savoir, le courage nécessaires à qui veut, du moins, enregistrer un peu de l’irrécusable réel.

Que «les poètes fondent ce qui demeure» est du petit nombre de ces vérités dont ne peut douter l’historien de cette surprise: qu’il y ait de l’être. Mais de ce que signifie ici, «demeurer», comment ne pas former une acception restreinte, dès lors qu’à ce point saisit l’énormité du Chaos?
Si Ségeste – son Théâtre -, pouvait témoigner d’une certaine résistance à l’effacement, Sélinonte, qu’elle travailla à détruire, témoigne, avec une éloquence presque excessive, de ce que la ruine n’épargne rien.
Chaos les piliers des temples!
Chaos les fortifications militaires cyclopéennes!
Chaos, l’agora perdue!
Chaos! Chaos! Chaos!
Qu’à ce point le sens se perde, des figures de la Prière, de l’Adjuration, de l’Appel, jette une ombre mortelle sur les architectures les plus hautes.

«Un signe nous sommes, et privé de sens». Sélinonte matérialise visiblement ce diagnostic. Rien de réel, sinon au prix de ce dernier savoir.

La vie profane en son entier se fait alors connaître pour ce qu’elle est: efforts émouvants pour éloigner la douleur, nier le mal, oublier le non-sens et la mort.
«Dansent et chantent les Génies de la légèreté, de la gaie volonté d’ignorer!» Du plaisir des formes! De la jouissance de la lumière! Des fruits savoureux du jour! «Oh sans doute est-il bon qu’ils dansent, chantent, oublient!» Cette gaieté, le temps qu’elle dure, dispense de pleurs, d’alarmes, allège, sauve.

L’art n’efface pas la perte. Il lui répond.

Route de Sélinonte. août 1994.

“Défends-toi, Beauté violente!” Poésie/Gallimard, 2019.

Jean-Paul Michel.
                                                                                                               

René Char

René Char.

Baudelaire mécontente Nietzsche

C’est Baudelaire qui postdate et voit juste de sa barque de souffrance, lorsqu’il nous désigne tels que nous sommes. Nietzsche, perpétuellement séismal, cadastre tout notre territoire agonistique. Mes deux porteurs d’eau.

Obligation, sans reprendre souffle, de raréfier, de hiérarchiser êtres et choses empiétant sur nous.
Comprenne qui pourra. Le pollen n’échauffant plus un avenir multiple s’écrase contre la paroi rocheuse.

Que nous défiions l’ordre ou le chaos, nous obéissons à des lois que nous n’avons pas intellectuellement instituées. Nous nous en approchons à pas de géant mutilé.

De quoi souffrons-nous le plus? De souci. Nous naissons dans le même torrent, mais nous y roulons différemment, parmi les pierres affolées. Souci? Instinct garder.

Fils de rien et promis à rien, nous n’aurions que quelques gestes à faire et quelques mots à donner.
Refus. Interdisons notre hargneuse porte aux mygales jactantes, aux usuriers du désert. L’œuvre non vulgarisable, en volet brisé, n’inspire pas d’application, seulement le sentiment de son renouveau.

Ce que nous entendons durant le sommeil, ce sont bien les battements de notre coeur, non les éclairs de notre âme sans emploi.

Mourir, c’est passer à travers le chas de l’aiguille après de multiples feuillaisons. Il faut aller à travers la mort pour émerger devant la vie, dans l’état de modestie souveraine.

Qui appelle encore? Mais la réponse n’est point donnée.
Qui appelle encore pour un gaspillage sans frein? Le trésor entrouvert des nuages qui escortèrent notre vie.

La nuit talismanique qui brillait dans son cercle, 1972.

Charles Baudelaire 1844 (Emile Deroy (1820–1846).
Friedrich Nietzsche, 1875.

Albert Camus – René Char

Aujourd’hui, Marc Bassets a publié dans Babelia, supplément culturel de El País un article intitulé Camus-Char, biografía de una amistad. Une nouvelle maison d’édition vient en effet de traduire en espagnol la correspondance entre Albert Camus et René Char Correspondencia 1946-1959, publiée par Gallimard en 2007.

Les deux hommes se sont rencontrés en 1946. A partir de 1954, ils habitent le même immeuble 4 rue de Chanaleilles, Paris VII. Ils se découvrent même un arrière-pays commun, selon René Char, une terre de patrie dont le paysage est celui des alentours de L’Isle-sur-le-Sorgue, et plus généralement le Vaucluse entre Ventoux et Luberon. En septembre 1958, Albert Camus achète une maison à Lourmarin. A sa mort, le 4 janvier, il est enterré dans le cimetière de ce village.

A ce moment-là, René Char ne voulut pas écrire dans la précipitation un texte pour son ami. L’hommage de la NRF commença dans le numéro du 1 février 1960 et continua dans le numéro entier du 1 mars 1960. Char composa, lui, seulement sept semaines plus tard, L’éternité à Lourmarin. Il forma avec Jean Grenier et Jean Bloch-Michel, autour de Francine Camus, un groupe pour prendre les premières décisions concernant l’oeuvre et les papiers personnels d’Albert Camus.

L’éternité à Lourmarin (René Char)

Albert Camus

Il n’ y a plus de ligne droite ni de route éclairée avec un être qui nous a quittés. Où s’étourdit notre affection? Cerne après cerne, s’il approche c’est pour aussitôt s’enfouir. Son visage parfois vient s’appliquer contre le nôtre, ne produisant qu’un éclair glacé. Le jour qui allongeait le bonheur entre lui et nous n’est nulle part. Toutes les parties — presque excessives — d’une présence se sont d’un coup disloquées. Routine de notre vigilance…Pourtant cet être supprimé se tient dans quelque chose de rigide, de désert, d’essentiel en nous, où nos millénaires ensemble font juste l’épaisseur d’une paupière tirée.

Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n’est pas le silence. Qu’en est-il alors? Nous savons, ou croyons savoir. Mais seulement quand le passé qui signifie s’ouvre pour lui livrer passage. Le voici à notre hauteur, puis loin, devant.

À l’heure de nouveau contenue où nous questionnons tout le poids d’énigme, soudain commence la douleur, celle de compagnon à compagnon, que l’archer, cette fois, ne transperce pas.

La Parole en archipel, 1962.

Lourmarin. Tombe d’Albert Camus.

Gustave Flaubert

Gustave Flaubert. Louise Colet.

Lettre à Louise Colet, 13 juin 1852.
«J’aime les phrases nettes et qui se tiennent droites, debout tout en courant, ce qui est presque une impossibilité. L’idéal de la prose est arrivé à un degré inouï de difficulté; il faut se dégager de l’archaïsme, du mot commun, avoir les idées contemporaines sans leurs mauvais termes, et que ce soit clair comme du Voltaire, touffu comme du Montaigne, nerveux comme du La Bruyère et ruisselant de couleur, toujours.»

Charles Baudelaire

Charles Baudelaire (Nadar), 1855.

Fusées Hygiène projets

“Plus on veut mieux on veut.

Plus on travaille, mieux on travaille et plus on veut travailler.

Plus on produit, plus on devient fécond.

Après une débauche, on se sent toujours plus seul, plus abandonné.

Au moral comme au physique, j’ai toujours eu la sensation du gouffre, non seulement du gouffre du sommeil, mais du gouffre de l’action, du rêve, du souvenir, du désir, du regret, du remords, du beau, du nombre, etc.

J’ai cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur. Maintenant, j’ai toujours le vertige, et aujourd’hui, 23 janvier 1862, j’ai subi un singulier avertissement, j’ai senti passer sur moi le vent de l’aile de l’imbécillité.

Journaux intimes, Hygiène.

Léon Tolstoï

Léon (Lev) Nicolaïevitch Tolstoï (1828-1910)

Léon (Lev) Nicolaïevitch Tolstoï (1828-1910) était le fils du comte Nicolas Ilitch Tolstoï et de la comtesse Marie Nikolaïevna Volkonskaïa. Ils eurent cinq enfants: Serge, Nicolas, mort de tuberculose à Hyères en 1860, Dimitri, mort de la même maladie en 1856, Léon et Marie. Peu de temps après la naissance de Marie, en août 1830, alors que Léon n’avait que dix-huit mois, la comtesse mourut d’une fièvre puerpérale. Jusqu’à huit ans et demi, Léon ne connut que la campagne à Iasnaïa Poliana. Ensuite, sa famille s’installa à Moscou. A la mort subite du père en 1837, les enfants furent confiés successivement à la tutelle de deux tantes.

Iasnaïa Poliana (littéralement, «La clairière aux frênes ») se trouve dans le Gouvernement de Toula. Léon Tolstoï hérita de ce domaine de 380 hectares à la mort de sa mère. La propriété se trouve près de la ville de Toula, à 200 km au sud de Moscou.

A la fin de sa vie, Léon Tolstoï a plusieurs fois formulé la volonté d’être inhumé à Iasnaïa Poliana:
« Qu’il n’y ait aucun rite lors de l’inhumation de mon corps ; un cercueil en bois et que celui qui le veut bien le porte ou transporte à la forêt Stariï Zakaz, au bord du ravin, à l’endroit où se trouvait la baguette verte.» Cette légende, Tolstoï l’a apprise de son frère, Nicolas. A l’âge de douze ans, Nicolas a annoncé qu’il possédait un grand secret: une fois que les hommes l’apprendraient, la vie serait éternelle, sans guerres ni maladies, et tous les hommes deviendraient des «frères fourmis» (selon Léon Tolstoï, en référence à l’idéal des Frères moraves (mouraveï = «fourmi» en russe). Il ne restait qu’à trouver la baguette verte enfouie dans le ravin. C’est là que le secret serait gravé. S’installant sous les chaises couvertes de foulards, les enfants Tolstoï jouaient aux «frères-fourmis». Assis étroitement sous un toit, ils sentaient le bonheur et l’amour et rêvaient à l’arrivée d’une fraternité de fourmis pour tous les hommes. Agé, Léon Tolstoï a dit: « C’était très très bien, et je remercie Dieu d’avoir eu la chance de jouer à ce jeu. Nous l’avons appelé jeu, pourtant, tout est jeu dans l’ univers, sauf cela».

Le 28 octobre 1910, (ancien calendrier; 10 novembre, calendrier grégorien) Léon Tolstoï a quitté Iasnaïa Poliana pour une destination inconnue. Dix jours après son départ, le 7 novembre (20 novembre), il est mort de pneumonie à la petite gare d’Astapovo, gouvernement de Riazan. Le cercueil avec son corps sera transporté à Iasnaïa Poliana où le 9 novembre (22 novembre) se dérouleront ses funérailles civiles. Il sera enterré, comme il le souhaitait, dans la forêt Stariï Zakaz, à l’endroit de la baguette verte. La tombe de Tolstoï est très simple: une colline verte au bord du ravin, ni une pierre, ni même une croix…

Stefan Zweig, Le monde d’hier. Souvenirs d’un Européen. (Publication posthume, 1943) «Ni la crypte de Napoléon sous la coupole de marbre des Invalides, ni le cercueil de Goethe dans le caveau des princes, ni les monuments de l’abbaye de Westminster n’impressionnent autant que cette tombe merveilleusement silencieuse, à l’anonymat touchant, quelque part dans la forêt, environnée par le murmure du vent, et qui ne livre par elle-même nul message, ne profère nulle parole.»

Nathalie Léger, La robe blanche, POL, 2018. « On dit qu’il existe, quelque part au fond d’un creux herbeux de la lointaine forêt Starii Zakaz sur le domaine d’Isnaïa Poliana, une baguette verte sur laquelle est gravé le secret de la souffrance des hommes et la formule qui permet d’effacer le mal en eux pour toujours. Enfants, Tolstoï et ses frères savaient que la baguette était là, au fond du creux du fond de la forêt, rayonnante de toute la force de son énigme et de son rêve immortel. C’est là, dans la forêt, près de la baguette verte, que Tolstoï a demandé à être enterré. Chacun de ses récits est une recherche éperdue de la baguette, la tentative de déchiffrer la formule, de percer le secret.»

Tombe de Léon Tolstoï. Iasnaïa Poliana . Forêt Stariï Zakaz.

Madrid 11-M

Dessin de Forges (1942-2018).

Il y a 15 ans. Hace 15 años.
Les attentats qui ont touché Madrid le jeudi 11 mars 2004 ont été l’acte terroriste le plus meurtrier en Europe depuis 1988. Plusieurs explosions de bombes, posées par des islamistes radicaux, se sont produites dans des trains de banlieue à Madrid ce matin-là, exactement deux années et demie après les attentats du 11 septembre 2001 Aux Etats-Unis.
191 personnes sont mortes, 1900 ont été blessées. Sur treize bombes utilisées, dix ont explosé.
Les Espagnols désignent cet événement par l’expression 11-M.
Les explosions ont eu lieu pendant l’heure de pointe entre 7h32 et 7h 39, aux gares d’Atocha (trois bombes), El Pozo del Tío Raimundo (deux bombes), Santa Eugenia (une bombe), ainsi que dans un train juste en dehors d’Atocha à la Calle Téllez (quatre bombes).

Monumento 11-M, Estación de Atocha, Madrid.