Walter Benjamin (1892-1940)

Walter Benjamin à Pontigny (Gisèle Freund), Mai 1939.

Dans la seconde quinzaine de mai  1939, Walter Benjamin se rend à Pontigny, hors décades. Ce qui l’amène là est prosaïque. Craignant d’être privé de tous subsides après que Max Horkheimer, directeur de l’Institut de Recherches Sociales, lui a annoncé que l’Institut exsangue ne peut plus le payer, il se met en quête de mécènes. Son espoir Pontigny, Paul Desjardins (1859-1940), la NRF. Mais, il est déçu. Paul Desjardins n’est plus que l’ombre de lui-même et Pontigny aussi. Walter Benjamin qualifie ce séjour de “naufrage”. A cette occasion, il donne une petite conférence sur Baudelaire dans la belle bibliothèque, conférence qui fut prise en sténo.

Walter Benjamin, Ecrits français. Folio essais, Gallimard 1991.

Notes sur les Tableaux parisiens de Baudelaire.

«Il paraît que par échappées, Baudelaire ait saisi certains traits de cette inhumanité à venir. On lit dans les Fusées; «Le monde va finir… Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie…Ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle…Ce sera par l’asservissement des coeurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie?…Ces temps sont peut-être bien proches; qui sait même s’ils ne sont pas venus, et si l’épaississement de notre nature n’est pas le seul obstacle qui nous empêche d’apprécier le milieu dans lequel nous respirons?»
Nous ne sommes déjà pas si mal placés pour convenir de la justesse de ces phrases. Il y a bien des chances qu’elles gagneront en sinistre. Peut-être la condition de la clairvoyance dont elles font preuve, était-elle beaucoup moins un don quelconque d’observateur que l’irrémédiable détresse du solitaire au sein des foules. Est-il trop audacieux de prétendre que ce sont ces mêmes foules qui, de nos jours, sont pétries par les mains des dictateurs? Quant à la faculté d’entrevoir dans ces foules asservies des noyaux de résistance – noyaux que formèrent les masses révolutionnaires de quarante- huit et les communards- elle n’était pas dévolue à Baudelaire. Le désespoir fut la rançon de cette sensibilité qui, la première abordant la grande ville, la première en fut saisie d’un frisson que nous, en face des menaces multiples, par trop précises, ne savons même plus sentir.»

Illustration de Georges Rochegrosse aux Fleurs du mal. Ferroud. 1917.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.