Vicente Aleixandre

Velintonia, 3. Madrid.

Á Madrid (Velintonia, 3), se trouve la maison de Vicente Aleixandre. Elle n’est plus habitée depuis la mort de Concepción Aleixandre, la sœur du poète en 1986. C’est pourtant un des lieux essentiels de la littérature espagnole du vingtième siècle. Nombreux étaient ceux qui venaient rendre visite au Prix Nobel de Littérature 1977, de santé fragile: Federico García Lorca qui jouait du piano ou lui lisait les Sonnets de l’amour obscur, Rafael Alberti, Luis Cernuda, Pablo Neruda, Miguel Hernández, d’autres encore…

Après la Guerre civile, les jeunes écrivains venaient aussi consulter leur aîné. Il servit de pont entre les poètes de la génération de 1950 qui habitaient Barcelone (Carlos Barral, Jaime Gil de Biedma ou Luis Agustín Goytisolo) et ceux de Madrid (Carlos Bousoño, José Hierro, Ángel González Claudio Rodríguez ou Francisco Brines qui a reçu récemment le Prix Cervantès).

La photo montre bien le peu d’intérêt porté à la culture par les différents partis politiques espagnols, et particulièrement les conservateurs qui contrôlent la mairie et le gouvernement régional.

La Asociación de Amigos de Vicente Aleixandre souhaiterait que cette maison devienne la Maison de la Poésie.

“Ser leal a sí mismo es el único modo de llegar a ser leal a los demás.” (Vicente Aleixandre)

Vicente Aleixandre considérait En la plaza comme le meilleur poème de son oeuvre. Je l’avais déjà publié ici le 23 novembre 2020. J’ajoute aujourd’hui sa traduction en français.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2020/11/23/vicente-aleixandre/

Sur la place

Qu’il est beau, merveilleusement humble et rassurant, vivifiant et profond,
de se sentir sous le soleil, parmi les autres poussé,
porté, conduit, mêlé, bruyamment entraîné.

Il n’est pas bon
de rester sur la rive
tels la jetée ou le mollusque qui veut calcairement imiter le rocher.
Mais qu’il est pur, serein, de se fondre dans le bonheur
de couler, de se perdre,
de se trouver dans le mouvement qui fait palpiter, dilaté,
le noble coeur des hommes.

Comme celui qui vit là, j’ignore à quel étage,
et que j’ai vu descendre des escaliers,
se fondre vaillamment dans la foule et se perdre.
La grande masse passait. Mais le minuscule coeur accouru était reconnaissable.
Là-bas, qui le reconnaîtrait? Là-bas, avec espoir, résolution ou foi, avec un courage craintif,
avec une humilité silencieuse, là-bas lui aussi passerait.

C’était une grand-place ouverte, et il y régnait une odeur de vie.
Odeur de grand soleil à nu, de vent qui le ridait,
un grand vent qui sur les têtes passait sa main,
sa grande main qui frôlait les fronts unis et les réconfortait.

Et le tourbillon serpentait
comme un seul être, je ne sais si abandonné ou puissant,
mais bien vivant et perceptible, mais recouvrant la terre.

Là chacun peut se regarder, se réjouir et se reconnaître.
Quand , par les chaudes soirées, seul dans ton bureau,
les yeux étranges et l’interrogation à la bouche,
tu voudrais demander quelque chose à ton image,

ne te cherche pas dans la glace,
dans un dialogue éteint où tu ne t’entends pas.
Descends, descends avec lenteur et cherche-toi parmi les autres.
Ils sont tous là, toi parmi eux.
Oh! dépouille-toi, fonds-toi, reconnais-toi.

Entre lentement comme le baigneur qui, avec beaucoup d’amour et craignant l’eau,
plonge d’abord ses pieds dans l’écume,
et sent l’eau qui le gagne, et maintenant il ose, et maintenant il se décide presque.
L’eau lui arrive à la ceinture, mais il n’a pas confiance encore.
Pourtant il étend les bras, il les ouvre enfin et se donne tout entier.
Et là fort il se reconnaît, il grandit, il se lance
et avance, faisant jaillir l’écume, il saute, plein de confiance,
et fend les eaux vivantes, respire, et chante, et il est jeune.

Ainsi, entre pieds nus. Pénètre dans l’effervescence de la place.
Entre dans le torrent qui te réclame et sois-y toi-même.
Ô petit, tout petit coeur, coeur qui veut battre
pour être lui aussi le coeur unanime qui le comprend!

Poésie totale. Gallimard, 1977. Traduction: Roger Noël-Mayer.

Une réponse sur “Vicente Aleixandre”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.