Francisco de Quevedo 1580 – 1645

Madrid. Glorieta de Quevedo. Estatua al escritor (Agustín Querol, 1902).

Quevedo était laid et boiteux, myope (en espagnol, los quevedos ce sont les lorgnons). Il avait deux passions: la politique et l’écriture. Cet homme incarne toutes les contradictions de l’Espagne décadente de son époque. Il est réactionnaire et arriviste. Il attaque férocement la “nouvelle poésie”, et particulièrement Góngora et Lope de Vega. Il connaîtra l’exil et la prison. C’est un maître de l’écriture conceptiste. Son oeuvre considérable a une grande influence sur Rubén Darío, César Vallejo, Jorge Luis Borges, Pablo Neruda, Octavio Paz, Miguel de Unamuno, Ramón del Valle-Inclán, Jorge Guillén, Dámaso Alonso, Miguel Hernández, Blas de Otero, Camilo José Cela…

Amor constante más allá de la muerte est un poème très célèbre. Il a été analysé par de nombreux critiques. Il se referme sur un des vers les plus terribles de la poésie espagnole et transgresse toutes les lois religieuses, païennes et chrétiennes. Il existe deux belles traductions en français: l’une de Claude Esteban, l’autre de Jacques Ancet.

Amor constante más allá de la muerte (Francisco de Quevedo)

Cerrar podrá mis ojos la postrera
sombra, que me llevare el blanco día,
y podrá desatar esta alma mía
hora a su afán ansioso lisonjera;

mas no, de esotra parte, en la ribera
dejará la memoria en donde ardía;
nadar sabe mi llama la agua fría,
y perder el respeto a ley severa;

Alma a quien todo un dios prisión ha sido,
venas que humor a tanto fuego han dado,
medulas que han gloriosamente ardido,

su cuerpo dejará no su cuidado;
serán ceniza, mas tendrá sentido.
Polvo serán, mas polvo enamorado.

El Parnaso español, 1648

Constance de l’amour au-delà de la mort

Voiler pourra mes yeux l’ombre dernière
Qu’un jour m’apportera le matin blanc,
Et délier cette âme encore mienne
L’heure flatteuse au fil impatient;

Mais non sur cette rive-ci de la rivière
Ne laissera le souvenir, où il brûla :
Ma flamme peut nager parmi l’eau froide
Et manquer de respect à la sévère loi.

Âme, à qui tout un dieu a servi de prison,
Veines, qui à tel feu avez donné vos sucs,
Moelle, qui glorieuse avait brulé,

Vous laisserez le corps, non le souci ;
Vous serez cendre, mais sensible encore ;
Poussière aussi, mais poussière amoureuse.

Monuments de la mort. Traduction Claude Esteban. Paris, Deyrolle, 1992.

Amour constant au-delà de la mort

Clore pourra mes yeux l’ombre dernière
Que la blancheur du jour m’apportera,
Cette âme mienne délier pourra
l’Heure, à son vœu brûlant prête à complaire;

Mais point sur la rive de cette terre
N’oubliera la mémoire, où tant brûla;
Ma flamme sait franchir l’eau et son froid,
Manquer de respect à la loi sévère.

Âme dont la prison fut tout un Dieu,
Veines au flux qui nourrit un tel feu,
Moelle qui s’est consumée, glorieuse,

Leur corps déserteront, non leur tourment;
Cendre seront, mais sensible pourtant;
Poussière aussi, mais poussière amoureuse.

Les Furies et les peines. Traduction: Jacques Ancet. NRF Poésie/Gallimard n°463. 2011.

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