André Breton – Pierre Reverdy

J’ai relu un peu par hasard certains poèmes de Pierre Reverdy (1889 – 1960). Ce poète était tenu en haute estime par André Breton.

En février 1924, les éditions Gallimard publient dans leur nouvelle collection Les Documents bleus , sous le titre Les pas perdus, un recueil de vingt-quatre articles d’André Breton écrits entre 1917 (Guillaume Apollinaire) et 1923 (La confession dédaigneuse). Ils avaient précédemment été publiés, en revue – surtout dans Littérature, dirigée par Louis Aragon, André Breton et Philippe Soupault – et pour des expositions (Giorgio de Chirico, Max Ernst et Francis Picabia). C’est la première fois qu’un livre d’André Breton était publié par un grand éditeur.

On y trouve Caractères de l’évolution moderne et ce qui en participe. Il s’agit du texte d’une conférence qu’a faite André Breton le 17 novembre 1922 à l’Ateneo de Barcelone dans le sillage de Francis Picabia. En effet, du 18 novembre au 8 décembre 1922, celui-ci expose aux galeries Dalmau. Le catalogue de l’exposition est préfacé par André Breton et illustré de reproductions en noirs contrecollés. Ce texte annonce Le Surréalisme et la peinture (1928). Il signale l’importance de l’oeuvre de Pablo Picasso, puis de celles de Francis Picabia, Giorgio de Chirico, Marcel Duchamp, Max Ernst.

Optophone I (Francis Picabia) v 1921-22 Barcelone. Galeries Dalmau. Catalogue de l’exposition Picabia. 18 Novembre – 8 Decembre 1922?

Il parle aussi des poètes et je retiens ce qu’il dit de Pierre Reverdy:

« De tous les poètes vivants, l’un de ceux qui semblent avoir pris sur eux-mêmes, au plus haut point, ce recul qui manque tellement à Apollinaire, l’un de ceux dont la vie doit passer pour la mieux exempte de cette platitude qui est la monnaie courante de l’action littéraire (et cela ce reconnaît à ce que, de son temps, il paraît voué à l’extrême solitude), c’est Pierre Reverdy. Dans son œuvre où le mystère moderne un moment se concentre, on parle à mots couverts de ce que personne ne sait et cela ne serait rien si, avec Reverdy, le mot le plus simple ne naissait sans cesse à une existence figurée jusqu’à se perdre dans l’indéfini.

Le soir couchant ferme la porte
Nous sommes au bord du chemin
Dans l’ombre
près du ruisseau où tout se tient.

A mon sens, il est certain qu’une telle attitude, jusqu’ici purement statique et contemplative, ne se suffit pas à elle-même. Mais elle me paraît de nature à impliquer une action que Reverdy, si, comme je le crois, il n’est pas le prisonnier d’une forme, a beau jeu de mener maintenant pour notre plus grand saisissement.» (Les pas perdus, Gallimard, 1924)

On peut relire entier le poème cité par Breton:

Sur le talus

Le soir couchant ferme une porte
Nous sommes au bord du chemin
Dans l’ombre
près du ruisseau où tout se tient

Si c’est encore une lumière
La ligne part à l’infini

L’eau monte comme une poussière

Le silence ferme la nuit

Les ardoises du toit. 1918.

Trois autres pour le plaisir:

Carrefour

S’arrêter devant le soleil
Après la chute ou le réveil
Quitter la cuirasse du temps
Se reposer sur un nuage blanc
Et boire au cristal transparent
De l’air
De la lumière
Un rayon sur le bord du verre
Ma main déçue n’attrape rien
Enfin tout seul j’aurai vécu
Jusqu’au dernier matin

Sans qu’un mot m’indiquât quel fut le bon chemin

Les Ardoises du toit, 1918.

Cœur à cœur

Enfin me voilà debout
Je suis passé par là
Quelqu’un passe aussi par là maintenant
Comme moi
Sans savoir où il va

Je tremblais
Au fond de la chambre le mur était noir
Et il tremblait aussi
Comment avais-je pu franchir le seuil de cette porte

On pourrait crier
Personne n’entend
On pourrait pleurer
Personne ne comprend

J’ai trouvé ton ombre dans l’obscurité
Elle était plus douce que toi-même
Autrefois
Elle était triste dans un coin
La mort t’a apporté cette tranquillité
Mais tu parles tu parles encore
Je voudrais te laisser

S’il venait seulement un peu d’air
Si le dehors nous permettait encore d’y voir clair
On étouffe
Le plafond pèse sur ma tête et me repousse
Où vais-je me mettre où partir
Je n’ai pas assez de place pour mourir
Où vont les pas qui s’éloignent de moi et que j’entends
Là-bas très loin
Nous sommes seuls mon ombre et moi
La nuit descend

La Lucarne ovale, 1916.

Toujours là

J’ai besoin de ne plus me voir et d’oublier
De parler à des gens que je ne connais pas
De crier sans être entendu
Pour rien tout seul
Je connais tout le monde et chacun de vos pas
Je voudrais raconter et personne n’écoute
Les têtes et les yeux se détournent de moi
Vers la nuit
Ma tête est une boule pleine et lourde
Qui roule sur la terre avec un peu de bruit

Loin
Rien derrière moi et rien devant
Dans le vide où je descends
Quelques vifs courants d’air
Vont autour de moi
Cruels et froids
Ce sont des portes mal fermées
Sur des souvenirs encore inoubliés
Le monde comme une pendule s’est arrêté
Les gens sont suspendus pour l’éternité
Un aviateur descend par un fil comme une araignée

Tout le monde danse allégé
Entre ciel et terre
Mais un rayon de lumière est venu
De la lampe que tu as oubliée d’éteindre
Sur le palier
Ah ce n’est pas fini
L’oubli n’est pas complet
Et j’ai encore besoin d’apprendre à me connaître

La lucarne ovale. 1916.

Pierre Reverdy (Amedeo Modigliani), 1915. Baltimore Museum of Art.

2 réponses sur “André Breton – Pierre Reverdy”

  1. Le meilleur de Reverdy se trouve peut-être dans son petit recueil “Quelques poèmes” publié en 1916, avec des poèmes très intenses comme “O” et “Horizon” :
    “Mon doigt saigne
    Je t’écris
    Avec
    Le règne des vieux rois est fini
    Le rêve est un jambon
    Lourd
    Qui pend au plafond”

    Autre poème majeur de Reverdy : “Glaçon dans l’air” dans le recueil “Cravates de chanvre” (1922).

  2. Reverdy ! J’habite près de sa maison natale, qui jouxte aussi celle où grandit Jean Eustache et voisine celle où naquit Benjamin Crémieux. Et sur le mur du Conservatoire de musique tout proche, ce poème :

    La chaîne de feu entoure
    Les yeux au carré où joue au soleil
    Les cheveux brûlés
    Le jour qui s’éveille
    Tout est installé
    Le bruit rampe à travers le chemin qui s’enroule
    Un oiseau retombe au milieu des échos
    La feuille se retourne
    La bête s’étonne
    Rien n’est revenu
    On parle
    Dans le fond au pas qui résonne
    Un autre répond et sur le bord du ciel
    Au fil de la colline
    La forêt qui remue
    Et bien plus bas
    La ville
    Tous les murs des rues
    La pierre immobile.

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