Pierre Reverdy – Maurice Blanchard

Portrait de Pierre Reverdy (Pablo Picasso). 1921. New York, MoMa.

Je lis et je relis les poèmes de Pierre Reverdy (1889-1960) et de Maurice Blanchard (1890-1960). Deux poètes de la même génération, mais très différents. Le premier est bien mieux connu que le second. Le premier précède le surréalisme, le second en a été très influencé.

Reflux (Pierre Reverdy)

Quand le sourire éclatant des façades déchire le décor fragile du matin ; quand l’horizon est encore plein du sommeil qui s’attarde, les rêves murmurant dans les ruisseaux des haies ; quand la nuit rassemble ses haillons pendus aux basses branches, je sors, je me prépare, je suis plus pâle et plus tremblant que cette page où aucun mot du sort n’était encore inscrit. Toute la distance de vous à moi – de la vie qui tressaille à la surface de ma main au sourire mortel de l’amour sur sa fin – chancelle, déchirée.

La distance parcourue d’une seule traite sans arrêt, dans les jours sans clarté et les nuits sans sommeil. Et, ce soir, je voudrais d’un effort surhumain, secouer toute cette épaisseur de rouille – cette rouille affamée qui déforme mon coeur et me ronge les mains. Pourquoi rester si longtemps enseveli sous les décombres des jours et de la nuit, la poussière des ombres. Et pourquoi tant d’amour et pourquoi tant de haine. Un sang léger bouillonne à grandes vagues dans des vases de prix. Il court dans les fleuves du corps, donnant à la santé toutes les illusions de la victoire. Mais le voyageur exténué, ébloui, hypnotisé par les lueurs fascinantes des phares, dort debout, il ne résiste plus aux passes magnétiques de la mort. Ce soir je voudrais dépenser tout l’or de ma mémoire, déposer mes bagages trop lourds. Il n’y a plus devant mes yeux que le ciel nu, les murs de la prison qui enserrait ma tête, les pavés de la rue. Il faut remonter du plus bas de la mine, de la terre épaissie par l’humus du malheur, reprendre l’air dans les recoins les plus obscurs de la poitrine, pousser vers les hauteurs – où la glace étincelle de tous les feux croisés de l’incendie – où la neige ruisselle, le caractère dur, dans les tempêtes sans tendresse de l’égoïsme et les décisions tranchantes de l’esprit.

Ferraille, 1937. [Main d’œuvre 1913-1949. Recueil des livres Grande nature, La Balle au bond, Sources du vent, Pierres blanches, Ferraille, Plein verre, Le Chant des morts, plus les inédits Cale sèche et Bois vert, Paris, Mercure de France, 1949 ; rééd. avec une préface de François Chapon, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Poésie », n° 342, 2000.]

[Anthologie, Orphée /La Différence, 1989]

Je remercie Laurent F. qui m’a fait rechercher les poèmes de Maurice Blanchard dans ma bibliothèque. La vie de ce poète n’est pas du tout banale. Il est né en 1890 à Montdidier (Aisne). Il est d’abord apprenti-serrurier, puis ouvrier à Creil et à Paris. Il s’engage en 1908 pour cinq ans dans la Marine à Toulon et est pilote d’aviation pendant la première guerre mondiale. Il est un des seuls survivants de la célèbre escadrille de Dunkerque. En 1917, il est reçu premier à l’École des ingénieurs mécaniciens de la Marine. Il devient ensuite ingénieur aéronautique. Il écrit ses premiers poèmes en 1927 “pour guérir” après avoir rencontré l’écriture surréaliste. Il publie son premier recueil en 1929 (pseudonyme: Erskine Ghost). Durant la Seconde Guerre mondiale, il fait partie du réseau de résistance Brutus. Pour ce réseau, il est en mission de 1942 à 1944 en tant que chef des calculs dans les bureaux parisiens de la firme allemande Junkers . Il reçoit la Croix de guerre en 1945. Il meurt en 1960 à Montdidier. Il était proche de Paul Éluard, Joë Bousquet et René Char.

La mort et le vagabond (Maurice Blanchard)

Jours de colère ! Jours d’innocence !
Que d’amertume secrète,
que de lourds fardeaux sans relève !
Naissance du poème, berceau de notre existence ! et son éclosion à travers tous les obstacles.
Ô ! se débarrasser de soi-même
ne fût-ce qu’un instant !

Celui qui naquit dans un monde hostile
vivra et mourra dans un monde hostile.

Jours de colère ! Jours d’innocence !
L’état de gestation est le seul qui ne cesse de nous rattacher à la vie,
et c’est la naissance du poème et son éclosion à travers tous les obstacles.

Que faire ? creuser jusqu’à l’écrasement inévitable ? Ô la vie !
Quelle effroyable chose !
Combien instable et folle, et indigne du ciel bleu !
Infâme, sauvage, la guerre est dans nos murs, dans notre sang, dans nos doigts, dans nos yeux.

Et encore, vous gravez vos meurtres sur les pierres volcaniques et calmées pour l’Éternité.

Assez ! Assez ! Et laissez-nous dormir en paix pour toujours !

Dans la chambre, avec mes souvenirs
douloureux, mourir sous un brillant soleil d’hiver,
mourir sur l’épaule de ma compagne dont les yeux
humides et brillants se ferment lentement avec une
très grande douceur sur les rêves inachevés et
enfouis pour toujours.

Adieu ! mon dernier ami !

que la terre vous soit légère et douce,
douce de la douceur des larmes de l’amour perdu et retrouvé.

Écrit en 1960, ce poème a été publié dans Débuter après la mort. 1977. Éditions Plasma.

On le trouve aussi à la fin de l’anthologie de textes Les Barricades Mystérieuses, préface de Jean-Hugues Malineau, NRF Poésie/Gallimard n°284.

Maurice Blanchard.

Hommage à Maurice Blanchard (René Char)

Blanchard souffrait, se confiait en marchant à rebours du vent et des offrandes ; cela se voyait, se lisait sur les traits de ses poèmes. Ceux-ci sont une espèce d’annonciation et de renonciation souveraine et abaissée .
Combien de pas a fait Blanchard, le véloce, le discret, le noueux, le bleuté, le déchirant Blanchard, sur la terre où nous respirons ? DEJA on les remonte, mais là seulement où l’herbe est oscillatoire, silencieuse.

1960.

Recherche de la base et du sommet, 1971.

Lettre à Marcel Béalu. 7 septembre 1960, publiée dans l’hommage à Maurice Blanchard rendu à sa mort par la revue Réalités secrètes, n°8-9, et reprise en 1965 dans la deuxième édition de Recherche de la base et du sommet.

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